Une telenovela à la camerounaise
Diffusé sur Tv5 Afrique, « Au cœur de l’amour » de Chantal Youdom veut faire concurrence aux productions sud-américaines et indiennes qui inondent les télévisions africaines.
Une femme belle, gentille et intelligente. Un homme charmant, ambitieux et fidèle. Entre les deux, quoi de plus normal que l’amour qui s’installe ? Mais tout le monde sait que rien, sur cette terre, ne s’obtient sans effort. Tout au long des trois saisons de la série qui les peint, les deux tourtereaux vont ainsi braver les pièges des hommes, les ruses du destin et les revers de fortune pour s’aimer. Si leur amour chancelle souvent, si l’adversité est parfois plus forte que leur désir d’être unis, Rowena (Nadine Adi) et Thomas (Alain Bomo Bomo) finissent toujours par se retrouver, parce que leur amour est vrai, sincère et entier.
Telle est l’intrigue de cette série télévisée. Il ne s’agit pas de « La fille du jardinier », ni de « Paloma », encore moins de « India, a love story ». Mais de « Au cœur de l’amour », une série camerounaise diffusée en fin 2011 sur Tv5 Afrique (la deuxième saison). Elle a aussi été sacrée meilleur sitcom 2011 aux Canal 2’Or, des awards décernés chaque année par la chaîne de télévision privée Canal 2 international, où la série a été diffusée au début de l’année dernière (la première saison). « Au cœur de l’amour » a été créé et produit par Chantal Youdom à travers le Gic Art et culture qu’elle dirige. La scénariste formée sur le tas en a aussi réalisé la deuxième et la troisième saison, alors que la première l’a été par Abel Nguekam.
Intrigue
« Au cœur de l’amour », c’est l’histoire d’une jeune fille qui n’a pas connu son père. Recrutée dans une entreprise de production d’huile de palme, elle tombe éperdument amoureuse d’un homme déjà convoité par la fille de son patron. Au menu, intrigues, secrets et trahison, avec en toile de fond des thèmes comme la classe sociale, la cupidité et le mensonge. Cette série, somme toute plaisante, se situe entre la candeur de « Marimar » et l’action de « El diablo ». Elle est admirablement portée par ses acteurs. Pour créer un « star system » autour de sa production, Chantal Youdom a recruté des visages pas populaires, mais néanmoins connus : Nadine Adi, Alain Bomo Bomo (dont le talent s’était confirmé dans des rôles de bad boy et qui surprend en amoureux), Martin Poulibé, Nasser Menkes, Emilienne Ambassa, Jacobin Yarro...
La série de 26 minutes par épisode a de l’ambition. Pour vendre le rêve, la production a voulu faire les choses en grand, avec des villas cossues, des acteurs principaux beaux, des personnages bien vêtus. Mais elle a été rattrapée par la difficulté qu’elle a eue à trouver des décors à la taille de ses ambitions. Cela créé, dans la série, une impression de déséquilibre. Aussi peut-on retrouver le président directeur général d’une grande société sous-régionale dans un bureau étroit et chichement aménagé, qui contraste avec le luxe de sa maison.
La musique de Kareyce Fotso, qui en a cédé les droits gratuitement pour encourager cette production, est omniprésente dans chacun des épisodes de la série. Dans un difficile équilibrage du son, elle étouffe parfois la conversation, quand le thème ne va pas à contre-courant de l’ambiance dans une séquence. L’écriture de la série a négligé des détails. Dans la même séquence par exemple, un employé tutoie et vouvoie invariablement son patron.
Comme dans toute telenovela qui se respecte, le générique raconte déjà la fin de l’histoire. Rowena et Thomas s’embrassent à pleine bouche, alors que les obstacles s’effacent. Promesse d’un avenir plein d’amour et de bonheur. Pour Chantal Youdom, ce baiser était incontournable. « Dans les telenovelas brésiliennes, les comédiens s’embrassent. C’est ce que le public aime voir à la télé. Mais en Afrique, les parents ne sont pas encore prêts à voir leur enfant embrasser un inconnu à la télé », soutient-elle.
Adoras face à Harlequin ?
Car Chantal Youdom veut, avec « Au cœur de l’amour », faire concurrence aux telenovelas sud-américaines et plus récemment indiennes qui inondent les chaînes de télévision africaines en prime time, alors que les séries locales sont reléguées à des heures creuses, lorsqu’elles existent.
« J’ai remarqué qu’à partir de 18h30, les femmes, ménagères et jeunes filles, sont postées devant leur téléviseur jusqu’à 21h pour regarder des telenovelas. Etant scénariste, je me suis dit : qu’est-ce que cela nous coûte d’écrire des histoires similaires ? Et c’est ce que j’ai fait. J’ai écrit une histoire d’amour avec des rebondissements, mais dans notre contexte camerounais, africain. Dieu merci, cela a marché parce que, lors de la première diffusion de la série sur Tv5, ses responsables m’ont exprimé leur satisfaction. L’histoire plait et le taux d’audience a grimpé », explique Chantal Youdom.
Pourtant, « Au cœur de l’amour » a manqué de moyens financiers pour s’offrir des décors adaptés et des équipements techniques de qualité, qui lui auraient permis de combattre à armes égales avec les telenovelas étrangères. Ce combat est un discours à la mode au Cameroun, porté par la Banque d’images de l’Afrique centrale (Bimac).
Ezéchiel Bouithy, le chargé de la communication de cette société coopérative de distribution créée en 2011, est amer : il s’en prend violemment aux programmes étrangers que le distributeur Côte ouest « déverse en Afrique » et qui, selon lui, « tuent le marché local de la production ». Pour Ezéchiel Bouithy, « Il faut qu’on fasse une large communication sur nos images identitaires africaines pour que les gens s’y habituent et finissent par les aimer, malgré leurs défauts. D’ailleurs, si les producteurs africains réussissent à vendre leurs séries, ils amélioreront considérablement la qualité de leurs productions. C’est pourquoi nous condamnons le fait que les chaînes locales payent 150 millions FCfa pour une série brésilienne mais refusent de débourser le moindre centime pour une série camerounaise ».
Adoras face à Harlequin, pour prendre exemple de la littérature à l’eau de rose ? Toujours est-il que la diffusion gratuite de sa série sur Canal 2 international a permis à Chantal Youdom de se faire connaître, de trouver un co-producteur pour la seconde saison et un distributeur qui a placé « Au cœur de l’amour » auprès de Tv5.
Et c’est parce qu’ils espèrent de tels débouchés que bien de producteurs camerounais de séries télévisées se résignent à céder pour zéro Franc Cfa les droits d’exploitation de leurs œuvres à des télévisions privées locales. Pour Chantal Youdom, la solution est ailleurs : « le gouvernement et les particuliers doivent comprendre que l’industrie cinématographique est une option de richesse, une banque ouverte où on peut se faire du fric » et y investir. Elle espère de tout son cœur que son vœu va se réaliser très vite, pour permettre la production de son premier long métrage fiction, « La danse des piranhas », un film sur la feymania ("l’arnaque à la camerounaise") version féminine.
Stéphanie Dongmo
Africiné / Avril 2012