Une Première française pour The Revolution Won't be Televised
En présence de la réalisatrice du film, Rama Thiaw, invitée spéciale du Festival Africajarc, juillet 2017.
Le documentaire éveil de Rama Thiaw (Boul Fallé Images, BFI) suit le fervent combat des membres du groupe de rap Keur-Gui aux côtés du Collectif Y'en A Marre contre la réélection du président Abdoulaye Wade en 2012. La projection de The Revolution won't be televised fut précédée au Festival Africajarc 2017 du premier documentaire de la réalisatrice sénégalaise, Boul Fallé, coproduit par Philippe Lacôte.
Salle comble avec une audience avertie, plongée durant plus de trois heures dans l'œuvre, fruit de dix années de travail d'une documentariste engagée qui ne manque pas de répondant.
Un an et demi après sa première diffusion à la 66ème Berlinale 2016 en février 2016 où il décrocha le Prix de la Critique (Fipresci Award) et la Mention spéciale du Caligari Film Prize, The Revolution won't be televised fait enfin surface dans l'hexagone et ce par l'entremise du Festival Africajarc 2017. Cette manifestation dédiée aux cultures d'Afrique se déroule dans la ville de Cajarc, dans le département du Lot, dans le Sud de la France. Créé il y a 20 ans par une association de parents et d'élèves de la région marqués par la visite d'artistes ouest africains, le festival a décidé de perpétuer la magie de cet échange culturel, année après année.
Les deux programmeurs en charge de la partie cinéma, Colin Dupré (Institut français - RFC Madagascar) et Julie de Suremain (Festival documentaire en Nouvelle-Calédonie) reprennent le volet cette année. Ils ont préparé une sélection riche et posée avec une sélection faisant la part belle aux réalisatrices ; souvent les femmes ne sont pas assez mises en avant dans le monde du cinéma. La programmation comprend des courts métrages, documentaires et fictions incluant les deux César du Court métrage 2017 Vers la tendresse d'Alice Diop et Maman(s) de Maïmouna Doucouré, avec Ouvrir La Voix d'Amandine Gay, Une Africaine sur Seine de Ndeye Marame Gueye, Un Transport en commun de Dyana Gaye, Avec presque rien… de Lova Nantenaina, Twaaga de Cédric Ido et Félicité d'Alain Gomis, pour ne citer que ceux-là. Invitée d'honneur dans cette section, Rama Thiaw revenait tout juste d'Afrique du Sud où elle a passé les dernières semaines en résidence dans le cadre de Realness - un programme de résidence de scénaristes africains - en préparation à son premier long métrage fiction La Vie en Spirale (adapté du roman d'Abasse Ndione).
Des figures artistiques rebelles porteuses de révolution
Dans Boul Fallé - qui signifie, en langue wolove, " t'occupe, t'en fais pas, trace ta route ", le rappeur Didier Awadi, leader du mouvement (avec Doug E Tee et Baye Sooley, du groupe Positive Black Soul, voir le site Afrisson, ndlr), s'exprime à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Déjà, à ses côtés, il y a Thiat du groupe Keur-Gui dont l'action sera au cœur du The Revolution won't be televised. Face aux étudiants dakarois, Didier Awadi s'adresse à la génération qui a connu les années blanches, victimes des grèves en 1988-1990 (universitaires, administratives, etc.), qui précéda une seconde vague de grève de 1990 à 1992. Parallèlement, une autre jeune figure, sportive, Mohamed Ndao alias "Tyson", se fait connaître dans les arènes, accompagné de la chanson "Boul Fallé" devenue culte, toujours en protestation au pouvoir en place du président Diouf, successeur de Senghor. A travers ces deux figures (Didier Awadi et Mohamed Ndao "Tyson"), le documentaire offre un portrait de l'évolution de deux mouvements à fonction sociale et politique - le rap et la lutte avec frappe - qui vont vivre un tournant majeur durant cette période. En 2000, le président Abdou Diouf perd les élections et Abdoulaye Wade arrive au pouvoir…
Dans The Revolution won't be televised - en référence à la chanson éponyme du poète américain Gill Scott-Heron qui à la fin des années 60 début des années 70 dénonce l'image violente que les médias véhiculent à propos des Noirs aux États-Unis - la figure du rappeur Thiat s'accentue davantage dans la résistance à travers la musique auprès de son acolyte Kilifeu et de leur manager DJ Gadiaga, œuvrant main dans la main avec le mouvement Y'en A Marre. Et ce, sous la bienveillance de Khady Sylla (Une fenêtre ouverte, disparue en 2013) qui tout au long s'adresse à Thiat - "le cadet" en wolof - par une lettre qu'elle lui dédie affectueusement. Une sorte de témoignage pont entre les générations qui ont vécu les différents soulèvements des dernières décennies.
La réalisatrice y suit chapitre après chapitre la révolution qui s'est opérée autour du départ de Wade, censé quitter le pouvoir depuis 2011 jusqu'aux élections du second tour, sans omettre le cuisant passage au Burkina Faso où Le Balai du Citoyen - un mouvement similaire - bat son plein [avec succès : en provoquant la fuite du président burkinabè Blaise Compaoré, ndlr].
Des documents d'archives pour le Sénégal
Qu'adviendra-t-il au pouvoir en place en fin du mandat ? L'avenir nous le dira, et peut-être lors d'un futur documentaire de Rama Thiaw dont le travail est déjà sollicité pour constituer des documents d'archives pour le pays.
En attendant, elle prépare le tournage de Zion Music, un prochain documentaire qui portera sur l'histoire du reggae en Afrique notamment avec la première venue de Bob Marley sur le continent, et son impact sur des figures telles qu'Alpha Blondy. Un mouvement qu'elle exploitera cette fois-ci à travers la figure artistique de Tiken Jah Fakoly, ce même chanteur qui fut interdit de territoire au Sénégal après avoir déclaré à propos du président Abdoulaye Wade de "quitter le pouvoir s'il aime le Sénégal" en plein concert à Dakar en 2007…
"Comment fait un petit bout de femme comme elle dans un milieu masculin aussi rude ?", s'est exclamée une spectatrice, suite à la projection des deux films. Même si il est vrai que les hommes occupent majoritairement l'écran dans les deux œuvres jusqu'ici, les femmes n'en étaient pas moins mêlées, " Il y a bien de femmes mais derrière la caméra, notamment pour des raisons de sécurité " se justifie la documentariste. Mais Rama Thiaw est loin d'être une petite femme perdue au milieu d'hommes. C'est une réalisatrice de son temps, qui dérange diront certains. Après avoir fait le tour des festivals internationaux The Revolution won't be televised restera un documentaire marquant, une révolution qu'elle a télévisée.
Djia MAMBU
Correspondance spéciale, à Cajarc, France
Bruxelles, Africiné Magazine,
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures et Depuis le Sud
Image : La réalisatrice et productrice Rama Thiaw (au centre), à Africajarc 2017, avec des festivaliers.
Crédit : Djia Mambu / Africiné Magazine.
Salle comble avec une audience avertie, plongée durant plus de trois heures dans l'œuvre, fruit de dix années de travail d'une documentariste engagée qui ne manque pas de répondant.
Un an et demi après sa première diffusion à la 66ème Berlinale 2016 en février 2016 où il décrocha le Prix de la Critique (Fipresci Award) et la Mention spéciale du Caligari Film Prize, The Revolution won't be televised fait enfin surface dans l'hexagone et ce par l'entremise du Festival Africajarc 2017. Cette manifestation dédiée aux cultures d'Afrique se déroule dans la ville de Cajarc, dans le département du Lot, dans le Sud de la France. Créé il y a 20 ans par une association de parents et d'élèves de la région marqués par la visite d'artistes ouest africains, le festival a décidé de perpétuer la magie de cet échange culturel, année après année.
Les deux programmeurs en charge de la partie cinéma, Colin Dupré (Institut français - RFC Madagascar) et Julie de Suremain (Festival documentaire en Nouvelle-Calédonie) reprennent le volet cette année. Ils ont préparé une sélection riche et posée avec une sélection faisant la part belle aux réalisatrices ; souvent les femmes ne sont pas assez mises en avant dans le monde du cinéma. La programmation comprend des courts métrages, documentaires et fictions incluant les deux César du Court métrage 2017 Vers la tendresse d'Alice Diop et Maman(s) de Maïmouna Doucouré, avec Ouvrir La Voix d'Amandine Gay, Une Africaine sur Seine de Ndeye Marame Gueye, Un Transport en commun de Dyana Gaye, Avec presque rien… de Lova Nantenaina, Twaaga de Cédric Ido et Félicité d'Alain Gomis, pour ne citer que ceux-là. Invitée d'honneur dans cette section, Rama Thiaw revenait tout juste d'Afrique du Sud où elle a passé les dernières semaines en résidence dans le cadre de Realness - un programme de résidence de scénaristes africains - en préparation à son premier long métrage fiction La Vie en Spirale (adapté du roman d'Abasse Ndione).
Des figures artistiques rebelles porteuses de révolution
Dans Boul Fallé - qui signifie, en langue wolove, " t'occupe, t'en fais pas, trace ta route ", le rappeur Didier Awadi, leader du mouvement (avec Doug E Tee et Baye Sooley, du groupe Positive Black Soul, voir le site Afrisson, ndlr), s'exprime à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Déjà, à ses côtés, il y a Thiat du groupe Keur-Gui dont l'action sera au cœur du The Revolution won't be televised. Face aux étudiants dakarois, Didier Awadi s'adresse à la génération qui a connu les années blanches, victimes des grèves en 1988-1990 (universitaires, administratives, etc.), qui précéda une seconde vague de grève de 1990 à 1992. Parallèlement, une autre jeune figure, sportive, Mohamed Ndao alias "Tyson", se fait connaître dans les arènes, accompagné de la chanson "Boul Fallé" devenue culte, toujours en protestation au pouvoir en place du président Diouf, successeur de Senghor. A travers ces deux figures (Didier Awadi et Mohamed Ndao "Tyson"), le documentaire offre un portrait de l'évolution de deux mouvements à fonction sociale et politique - le rap et la lutte avec frappe - qui vont vivre un tournant majeur durant cette période. En 2000, le président Abdou Diouf perd les élections et Abdoulaye Wade arrive au pouvoir…
Dans The Revolution won't be televised - en référence à la chanson éponyme du poète américain Gill Scott-Heron qui à la fin des années 60 début des années 70 dénonce l'image violente que les médias véhiculent à propos des Noirs aux États-Unis - la figure du rappeur Thiat s'accentue davantage dans la résistance à travers la musique auprès de son acolyte Kilifeu et de leur manager DJ Gadiaga, œuvrant main dans la main avec le mouvement Y'en A Marre. Et ce, sous la bienveillance de Khady Sylla (Une fenêtre ouverte, disparue en 2013) qui tout au long s'adresse à Thiat - "le cadet" en wolof - par une lettre qu'elle lui dédie affectueusement. Une sorte de témoignage pont entre les générations qui ont vécu les différents soulèvements des dernières décennies.
La réalisatrice y suit chapitre après chapitre la révolution qui s'est opérée autour du départ de Wade, censé quitter le pouvoir depuis 2011 jusqu'aux élections du second tour, sans omettre le cuisant passage au Burkina Faso où Le Balai du Citoyen - un mouvement similaire - bat son plein [avec succès : en provoquant la fuite du président burkinabè Blaise Compaoré, ndlr].
Des documents d'archives pour le Sénégal
Qu'adviendra-t-il au pouvoir en place en fin du mandat ? L'avenir nous le dira, et peut-être lors d'un futur documentaire de Rama Thiaw dont le travail est déjà sollicité pour constituer des documents d'archives pour le pays.
En attendant, elle prépare le tournage de Zion Music, un prochain documentaire qui portera sur l'histoire du reggae en Afrique notamment avec la première venue de Bob Marley sur le continent, et son impact sur des figures telles qu'Alpha Blondy. Un mouvement qu'elle exploitera cette fois-ci à travers la figure artistique de Tiken Jah Fakoly, ce même chanteur qui fut interdit de territoire au Sénégal après avoir déclaré à propos du président Abdoulaye Wade de "quitter le pouvoir s'il aime le Sénégal" en plein concert à Dakar en 2007…
"Comment fait un petit bout de femme comme elle dans un milieu masculin aussi rude ?", s'est exclamée une spectatrice, suite à la projection des deux films. Même si il est vrai que les hommes occupent majoritairement l'écran dans les deux œuvres jusqu'ici, les femmes n'en étaient pas moins mêlées, " Il y a bien de femmes mais derrière la caméra, notamment pour des raisons de sécurité " se justifie la documentariste. Mais Rama Thiaw est loin d'être une petite femme perdue au milieu d'hommes. C'est une réalisatrice de son temps, qui dérange diront certains. Après avoir fait le tour des festivals internationaux The Revolution won't be televised restera un documentaire marquant, une révolution qu'elle a télévisée.
Djia MAMBU
Correspondance spéciale, à Cajarc, France
Bruxelles, Africiné Magazine,
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures et Depuis le Sud
Image : La réalisatrice et productrice Rama Thiaw (au centre), à Africajarc 2017, avec des festivaliers.
Crédit : Djia Mambu / Africiné Magazine.