Trois documentaristes d'Afrique francophone racontent l'IDFA
Un quart de siècle, 50.000 professionnels et 1,5 million de spectateurs cumulés, aussi. Voilà pourquoi l'IDFA d'Amsterdam est devenu le plus grand rendez-vous mondial du documentaire.
Cette année, le Festival international du film documentaire d'Amsterdam (IDFA) célébrait ses 25 ans avec très peu de films d'Afrique francophone. Compte-rendu à trois voix avec la Marocaine Karima Zoubir (compétition moyen-métrage), le Malien Samouté Andrey Diarra (section Panorama) et le Congolais Djo Tunda wa Munga (membre du jury First Appearance).
Comme le remarquait récemment Hassouna Mansouri d'Africiné, ce 25e anniversaire est marqué par la présence d'une forte Délégation sud-africaine à Amsterdam. Outre 19 sociétés de production et 30 réalisateurs présents, la participation sud-africaine en termes de films est supérieure à celle des autres pays : 4 documentaires (dont un seul réalisé par une femme, Miseducation de Nadine Cloete) contre 2 Maliens (le film franco-malien Pêcheurs de sable de Samouté A. Diarra et la production américano-malienne Land Rush co-réalisé dans le cadre du projet « Why Poverty ? » par Hugo Berkeley et la Camerounaise Oswalde Lewat) ; un très court film égyptien faisant partie du projet anniversaire « One Minute » (Hour 25 de Muhammad Taymour); un film marocain (Camera/Woman de Karima Zoubir) ; un film franco-algéro-germano-koweïtien-qatari (Fidaï de Damien Ounouri et un film américain co-produit avec le Soudan et le Rwanda (Open Heart de Kief Davidson).
Ainsi, on atteint un maigre total de 10 productions africaines sur les 400 présentées par le festival (3.600 films reçus cette année), moins si l'on se focalise sur les films ne faisant pas partie d'un projet global (One Minute, Why Poverty?), moins encore si l'on élimine les réalisateurs non-africains de cette liste. Ne reste alors que 4 films, dont 3 francophones. Et sur les trois, seuls deux réalisateurs vivent en Afrique (soulignons que leurs deux films sont soutenus par le Fonds francophone à la production audiovisuelle du Sud, financé par l’OIF et le CIRTEF).
« Je pense que c'est normal, réagit le cinéaste congolais Djo Tunda wa Munga, membre du jury de la compétition First Appearance ["Première Apparition", en français, NDLR]. Il faut qu'on arrête de se voiler la face. On n'a pas l'industrie, on n'a pas de tissu économique. Et d'abord, on n'a pas d'écoles. En ayant une école aujourd'hui, je me dis qu'on s'est peut-être trompé pendant longtemps, qu'on a pris les choses à l'envers. Avant de faire des films, il faudrait que l'on ait des bases, un ''background'' comme on dit en anglais ».
De l'Afrique à l'Europe et l'Amérique
Ce « background », Karima Zoubir (Maroc) et Samouté Andrey Diarra (Mali) l'ont d'abord forgé sur le continent, avant de voyager.
Après des études de droit, la Marocaine Karima Zoubir s'est tournée vers une Licence appliquée à l'audiovisuel, à l'Université de Casablanca, puis a été sélectionnée en 2005 pour un programme d'échange entre le Festival du Film de Marrakech (Maroc) et le festival Tribeca de New York (États-Unis). « C'est là que s'est déclenchée l'envie de faire mon propre film », raconte celle qui côtoyait sur place Abbas Kiarostami et Martin Scorsese.
Sélectionnée en 2007 au Talent Campus de Berlin, puis soutenue par l'IDFA Fund (ex-Jan Vrijman Fund rebaptisé cette année Bertha Fund), l'Arab Fund for Arts and Culture, l'association des diffuseurs du Commonwealth World View, le Fonds international de développement documentaire Puma Creative Catalyst Award et le Fonds francophone de production audiovisuelle du sud (OIF/CIRTEF), son film Camera/Woman (La Femme à la caméra) était cette année en compétition moyen-métrage à l'IDFA.
« J'étais plutôt lancé [dans la] production musicale », reconnaît de son côté le Malien Samouté A. Diarra. Après avoir travaillé sur des clips et des films institutionnels, le jeune homme participe en 2006 à une formation Africa Doc, lors d'un atelier mené à Tombouctou (Mali). Suivra en 2009 une résidence d'écriture à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), puis la Summer School du festival IDFA la même année. Entre-temps, Samouté est allé défendre le projet Bambara Blues à l'IDFA 2007, en tant que producteur exécutif.
Intégrant le Master Documentaire de création de l'Université de Grenoble (France), Samouté A. Diarra réalise son premier long-métrage documentaire, Les pêcheurs de sable (en Panorama de l'IDFA 2012), avec le soutien du programme « Lumières d'Afrique » d'Africadoc, du Fonds francophone à la production audiovisuelle du Sud (OIF/CIRTEF), de la Région Aquitaine et de la Procirep/Angoa, par le biais du Centre national du cinéma et de l'image animée français ainsi que de l'IDFA Fund.
Les jeunes cinéastes francophones auraient-ils davantage tendance à se tourner vers le monde anglophone pour lever des fonds ? « Ce n'est pas une ouverture mais un constat de notre retard, explique le réalisateur Djo Tunda wa Munga. Le monde anglophone est tellement en avance que maintenant on se demande comment faire pour rattraper le retard. On est en train de se réveiller et de se rendre compte qu'on en est là où on en est mais qu'il faut sortir de là, il faut avancer ». Djo Tunda wa Munga a lui-même été soutenu par le Jan Vrijman Fund de l'IDFA, pour son projet documentaire (en tant que producteur) « Congo in Four Acts » en 2008.
L'«African power » sud-africain
Face à l'offensive publicitaire anglophone, Karima Zoubir et Samouté A. Diarra sont assez surpris. « Je n'ai ni flyer, ni affiche », regrette Samouté en regardant, sur la table du marché du film (Doc For Sale), les nombreux prospectus de films documentaires déposés. « On reste des pauvres ! » plaisante Karima, en levant les yeux vers les affiches placardées au mur. « On représente l'Afrique sans support de communication ».
À l'inverse, les Sud-africains sont à la pointe : table en haut des escaliers de Doc For Sale avec distribution gratuite de drapeaux sud-africains, de DVDs et de plaquettes informatives, salle réservée à sa délégation dans le café Arti et Amicitiae du festival, fête et conférence annoncées dans le programme officiel... « Il faut juste espérer que ce type d'investissement continue et qu'on construise une relation, commente Djo Tunda wa Munga. Le cinéma, c'est avant tout des relations de personne à personne donc s'ils [les Sud-africains, NDLR] parviennent à créer ça pendant quelques années, cela permettra de créer une économie pour les cinéastes ».
« Pour moi, l'Afrique du Sud a compris ce qu'il fallait faire, argumente Karima Zoubir. Quand on vient avec une délégation, on est davantage mis en avant et cela renforce le fait que le cinéma africain existe ».
« C'est African Power ! se réjouit Samouté A. Diarra C'est assez intéressant qu'il y ait une délégation sud-africaine. Cela remet en question la présence africaine à l'IDFA, parce que l'Afrique n'est pas un pays, c'est une multitude de nations. On partage tous le même rêve : que notre cinéma, tel qu'il a été connu, continue de se développer et continue d'avoir les distinctions nécessaires pour être considéré sur le marché international ».
Pas de prix en 2012
Justement, l'édition 2012 n'a primé aucun des réalisateurs précités. Sur les 16 films sélectionnés dans la catégorie First Appearance (dont zéro film africain), le choix du jury de Djo Tunda wa Munga s'est porté sur un documentaire hollandais tourné en Israël, Solder on the Roof (Soldat sur le toit). « C'est intéressant de voir comment les cinéastes abordent les choses de manières diverses et comment tout appartient déjà à des cases ; on ne va plus inventer la roue », explique le cinéaste.
De leur côté, Karima Zoubir et Samouté A. Diarra se réjouissent de leur sélection hollandaise même si le film de Samouté circule déjà en festivals (en France : à Amiens et Lille). « C'est une joie et une autre étape d'être là, témoigne-t-il. Il vaut mieux avoir un [film, ndlr] que de ne pas en avoir, cela prouve que l'Afrique est présente à ce festival et qu'il y a d'autres talents qui existent et qui arrivent ».
« Je déteste l'image que l'on véhicule sur l'Afrique, rapporte à son tour Karima. Nous avons le droit de raconter nos propres histoires, avec nos propres points de vue et c'est ce qui manque parce que beaucoup d'histoires africaines sont racontées par les autres ».
Leurs deux films parlent en effet de la société malienne et marocaine, l'un par le prisme d'une ethnie et de sa spécialité (les Bozos et la pêche dans Les pêcheurs de sable), l'autre de la condition des femmes divorcées au Maroc (Camera/Woman).
Si Les pêcheurs de sables a été tourné au Mali en un mois puis monté pendant deux mois et demi à Bordeaux (France), La Femme à la caméra (Camera/Woman) a été tourné sur un an, puis monté tout aussi longtemps entre le Maroc et l'Espagne. Chaque réalisateur en tire son expérience. « À mon humble avis, pour faire du documentaire, il faut être sociable, raconte Samouté Diarra. Il faut discuter avec les gens et leur expliquer ce que l'on veut faire avec le film ». « Il faut beaucoup de patience mais aussi trouver le bon équilibre parmi tous les conseils que le réalisateur reçoit pour faire le film qu'il veut faire », insiste Karima.
Travaillant dans deux pays différents, Karima et Samouté se sont confrontés à la même difficulté – le refus d'être filmé - mais pas pour les mêmes raisons.
« Notre problème au Maroc et dans d'autres sociétés, c'est qu'on n'est pas habitué à la caméra et à l'image. On est un peu jaloux, on ne la partage que difficilement. Le documentaire de création n'est pas vraiment montré à la télévision ; donc la plupart des gens a [plutôt, NDLR] la culture du reportage», rapporte Karima qui, même en temps que femme musulmane, a eu beaucoup de mal à filmer les mariages auxquels participait sa protagoniste.
« Les gens sont allergiques à la caméra, remarque Samouté qui est allé à la rencontre de pêcheurs sur les berges du fleuve Niger à Bamako. Certains se voient comme un résidu social donc ils ont honte du travail qu'ils font. Je leur rappelais tout le temps que sans eux, Bamako n'existerait pas. ''La ville se développe mais vous êtes les pionniers de ce développement et vous devez en être fiers'' ».
Afin de permettre une meilleure connaissance du sujet présenté, Karima et Samouté ont pris la même décision. Hormis les diffusions internationales dans des festivals, leurs films seront projetés par le biais d'associations de femmes (au Maroc) et de pêcheurs (au Mali) pour que la population s'approprie ces histoires et en discute. En documentaire comme en fiction, montrer le film aux siens demeure le plus important.
Claire Diao / Clap Noir
Amsterdam, novembre 2012
À lire
Entretien de Samouté Diarra, accordé à Claire Diao
www.clapnoir.org/spip.php?article896
Illustration de l'article : Le réalisateur congolais Djo Munga (membre du jury First Appearance), sur la scène de l'IDFA
Photo : par Claire Diao
Comme le remarquait récemment Hassouna Mansouri d'Africiné, ce 25e anniversaire est marqué par la présence d'une forte Délégation sud-africaine à Amsterdam. Outre 19 sociétés de production et 30 réalisateurs présents, la participation sud-africaine en termes de films est supérieure à celle des autres pays : 4 documentaires (dont un seul réalisé par une femme, Miseducation de Nadine Cloete) contre 2 Maliens (le film franco-malien Pêcheurs de sable de Samouté A. Diarra et la production américano-malienne Land Rush co-réalisé dans le cadre du projet « Why Poverty ? » par Hugo Berkeley et la Camerounaise Oswalde Lewat) ; un très court film égyptien faisant partie du projet anniversaire « One Minute » (Hour 25 de Muhammad Taymour); un film marocain (Camera/Woman de Karima Zoubir) ; un film franco-algéro-germano-koweïtien-qatari (Fidaï de Damien Ounouri et un film américain co-produit avec le Soudan et le Rwanda (Open Heart de Kief Davidson).
Ainsi, on atteint un maigre total de 10 productions africaines sur les 400 présentées par le festival (3.600 films reçus cette année), moins si l'on se focalise sur les films ne faisant pas partie d'un projet global (One Minute, Why Poverty?), moins encore si l'on élimine les réalisateurs non-africains de cette liste. Ne reste alors que 4 films, dont 3 francophones. Et sur les trois, seuls deux réalisateurs vivent en Afrique (soulignons que leurs deux films sont soutenus par le Fonds francophone à la production audiovisuelle du Sud, financé par l’OIF et le CIRTEF).
« Je pense que c'est normal, réagit le cinéaste congolais Djo Tunda wa Munga, membre du jury de la compétition First Appearance ["Première Apparition", en français, NDLR]. Il faut qu'on arrête de se voiler la face. On n'a pas l'industrie, on n'a pas de tissu économique. Et d'abord, on n'a pas d'écoles. En ayant une école aujourd'hui, je me dis qu'on s'est peut-être trompé pendant longtemps, qu'on a pris les choses à l'envers. Avant de faire des films, il faudrait que l'on ait des bases, un ''background'' comme on dit en anglais ».
De l'Afrique à l'Europe et l'Amérique
Ce « background », Karima Zoubir (Maroc) et Samouté Andrey Diarra (Mali) l'ont d'abord forgé sur le continent, avant de voyager.
Après des études de droit, la Marocaine Karima Zoubir s'est tournée vers une Licence appliquée à l'audiovisuel, à l'Université de Casablanca, puis a été sélectionnée en 2005 pour un programme d'échange entre le Festival du Film de Marrakech (Maroc) et le festival Tribeca de New York (États-Unis). « C'est là que s'est déclenchée l'envie de faire mon propre film », raconte celle qui côtoyait sur place Abbas Kiarostami et Martin Scorsese.
Sélectionnée en 2007 au Talent Campus de Berlin, puis soutenue par l'IDFA Fund (ex-Jan Vrijman Fund rebaptisé cette année Bertha Fund), l'Arab Fund for Arts and Culture, l'association des diffuseurs du Commonwealth World View, le Fonds international de développement documentaire Puma Creative Catalyst Award et le Fonds francophone de production audiovisuelle du sud (OIF/CIRTEF), son film Camera/Woman (La Femme à la caméra) était cette année en compétition moyen-métrage à l'IDFA.
« J'étais plutôt lancé [dans la] production musicale », reconnaît de son côté le Malien Samouté A. Diarra. Après avoir travaillé sur des clips et des films institutionnels, le jeune homme participe en 2006 à une formation Africa Doc, lors d'un atelier mené à Tombouctou (Mali). Suivra en 2009 une résidence d'écriture à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), puis la Summer School du festival IDFA la même année. Entre-temps, Samouté est allé défendre le projet Bambara Blues à l'IDFA 2007, en tant que producteur exécutif.
Intégrant le Master Documentaire de création de l'Université de Grenoble (France), Samouté A. Diarra réalise son premier long-métrage documentaire, Les pêcheurs de sable (en Panorama de l'IDFA 2012), avec le soutien du programme « Lumières d'Afrique » d'Africadoc, du Fonds francophone à la production audiovisuelle du Sud (OIF/CIRTEF), de la Région Aquitaine et de la Procirep/Angoa, par le biais du Centre national du cinéma et de l'image animée français ainsi que de l'IDFA Fund.
Les jeunes cinéastes francophones auraient-ils davantage tendance à se tourner vers le monde anglophone pour lever des fonds ? « Ce n'est pas une ouverture mais un constat de notre retard, explique le réalisateur Djo Tunda wa Munga. Le monde anglophone est tellement en avance que maintenant on se demande comment faire pour rattraper le retard. On est en train de se réveiller et de se rendre compte qu'on en est là où on en est mais qu'il faut sortir de là, il faut avancer ». Djo Tunda wa Munga a lui-même été soutenu par le Jan Vrijman Fund de l'IDFA, pour son projet documentaire (en tant que producteur) « Congo in Four Acts » en 2008.
L'«African power » sud-africain
Face à l'offensive publicitaire anglophone, Karima Zoubir et Samouté A. Diarra sont assez surpris. « Je n'ai ni flyer, ni affiche », regrette Samouté en regardant, sur la table du marché du film (Doc For Sale), les nombreux prospectus de films documentaires déposés. « On reste des pauvres ! » plaisante Karima, en levant les yeux vers les affiches placardées au mur. « On représente l'Afrique sans support de communication ».
À l'inverse, les Sud-africains sont à la pointe : table en haut des escaliers de Doc For Sale avec distribution gratuite de drapeaux sud-africains, de DVDs et de plaquettes informatives, salle réservée à sa délégation dans le café Arti et Amicitiae du festival, fête et conférence annoncées dans le programme officiel... « Il faut juste espérer que ce type d'investissement continue et qu'on construise une relation, commente Djo Tunda wa Munga. Le cinéma, c'est avant tout des relations de personne à personne donc s'ils [les Sud-africains, NDLR] parviennent à créer ça pendant quelques années, cela permettra de créer une économie pour les cinéastes ».
« Pour moi, l'Afrique du Sud a compris ce qu'il fallait faire, argumente Karima Zoubir. Quand on vient avec une délégation, on est davantage mis en avant et cela renforce le fait que le cinéma africain existe ».
« C'est African Power ! se réjouit Samouté A. Diarra C'est assez intéressant qu'il y ait une délégation sud-africaine. Cela remet en question la présence africaine à l'IDFA, parce que l'Afrique n'est pas un pays, c'est une multitude de nations. On partage tous le même rêve : que notre cinéma, tel qu'il a été connu, continue de se développer et continue d'avoir les distinctions nécessaires pour être considéré sur le marché international ».
Pas de prix en 2012
Justement, l'édition 2012 n'a primé aucun des réalisateurs précités. Sur les 16 films sélectionnés dans la catégorie First Appearance (dont zéro film africain), le choix du jury de Djo Tunda wa Munga s'est porté sur un documentaire hollandais tourné en Israël, Solder on the Roof (Soldat sur le toit). « C'est intéressant de voir comment les cinéastes abordent les choses de manières diverses et comment tout appartient déjà à des cases ; on ne va plus inventer la roue », explique le cinéaste.
De leur côté, Karima Zoubir et Samouté A. Diarra se réjouissent de leur sélection hollandaise même si le film de Samouté circule déjà en festivals (en France : à Amiens et Lille). « C'est une joie et une autre étape d'être là, témoigne-t-il. Il vaut mieux avoir un [film, ndlr] que de ne pas en avoir, cela prouve que l'Afrique est présente à ce festival et qu'il y a d'autres talents qui existent et qui arrivent ».
« Je déteste l'image que l'on véhicule sur l'Afrique, rapporte à son tour Karima. Nous avons le droit de raconter nos propres histoires, avec nos propres points de vue et c'est ce qui manque parce que beaucoup d'histoires africaines sont racontées par les autres ».
Leurs deux films parlent en effet de la société malienne et marocaine, l'un par le prisme d'une ethnie et de sa spécialité (les Bozos et la pêche dans Les pêcheurs de sable), l'autre de la condition des femmes divorcées au Maroc (Camera/Woman).
Si Les pêcheurs de sables a été tourné au Mali en un mois puis monté pendant deux mois et demi à Bordeaux (France), La Femme à la caméra (Camera/Woman) a été tourné sur un an, puis monté tout aussi longtemps entre le Maroc et l'Espagne. Chaque réalisateur en tire son expérience. « À mon humble avis, pour faire du documentaire, il faut être sociable, raconte Samouté Diarra. Il faut discuter avec les gens et leur expliquer ce que l'on veut faire avec le film ». « Il faut beaucoup de patience mais aussi trouver le bon équilibre parmi tous les conseils que le réalisateur reçoit pour faire le film qu'il veut faire », insiste Karima.
Travaillant dans deux pays différents, Karima et Samouté se sont confrontés à la même difficulté – le refus d'être filmé - mais pas pour les mêmes raisons.
« Notre problème au Maroc et dans d'autres sociétés, c'est qu'on n'est pas habitué à la caméra et à l'image. On est un peu jaloux, on ne la partage que difficilement. Le documentaire de création n'est pas vraiment montré à la télévision ; donc la plupart des gens a [plutôt, NDLR] la culture du reportage», rapporte Karima qui, même en temps que femme musulmane, a eu beaucoup de mal à filmer les mariages auxquels participait sa protagoniste.
« Les gens sont allergiques à la caméra, remarque Samouté qui est allé à la rencontre de pêcheurs sur les berges du fleuve Niger à Bamako. Certains se voient comme un résidu social donc ils ont honte du travail qu'ils font. Je leur rappelais tout le temps que sans eux, Bamako n'existerait pas. ''La ville se développe mais vous êtes les pionniers de ce développement et vous devez en être fiers'' ».
Afin de permettre une meilleure connaissance du sujet présenté, Karima et Samouté ont pris la même décision. Hormis les diffusions internationales dans des festivals, leurs films seront projetés par le biais d'associations de femmes (au Maroc) et de pêcheurs (au Mali) pour que la population s'approprie ces histoires et en discute. En documentaire comme en fiction, montrer le film aux siens demeure le plus important.
Claire Diao / Clap Noir
Amsterdam, novembre 2012
À lire
Entretien de Samouté Diarra, accordé à Claire Diao
www.clapnoir.org/spip.php?article896
Illustration de l'article : Le réalisateur congolais Djo Munga (membre du jury First Appearance), sur la scène de l'IDFA
Photo : par Claire Diao