Tremplin pour deux réalisatrices africaines
Edwige Pauline Abouadji et Nadège Delwendé Naré
Deux nouvelles cinéastes d'Afrique sont révélées par le Prix " Tremplin jeunes réalisateurs ", remis le 19 novembre par l'association Afrique sur Bièvre, dans le cadre du 10ème festival Ciné regards africains 2016 qui se tient du 18 au 27 novembre 2016 dans la banlieue sud de Paris. (*)
Edwige Pauline Abouadji de Côte d'Ivoire, et Nadège Delwendé Naré du Burkina Faso, reçoivent leur récompense qui leur permet de bénéficier d'un séjour de deux semaines en France, pendant le festival où elles peuvent présenter leur film, défendre leur travail mais aussi bénéficier de contacts professionnels en relation avec le réseau de Afrique sur Bièvre, et visiter des structures dédiées au cinéma telle la Cinémathèque française ou le Forum des Images.
Cette distinction est l'issue d'un concours (**), parrainé par Abderrahmane Sissako, de juin à décembre 2015, qui a permis de sélectionner 29 courts-métrages (15 fictions et 14 documentaires), réalisés par des jeunes dont 12 femmes, originaires de 8 pays africains. Un jury constitué de professionnels dont le cinéaste algérien Abdelkrim Bahloul, la comédienne Jackie Tavernier et le scénariste Marc Gautron, a choisi parmi 10 films retenus par Afrique sur Bièvre, le 29 mars 2016, de primer dans la catégorie documentaire, Dipri, fête mystique en pays Abidji de Edwige Pauline Abouadji, et en fiction, L'Absence de Nadège Delwendé Naré.
Ces films courts témoignent de l'acuité du regard et de la maîtrise audiovisuelle que recherche une nouvelle génération de réalisatrices du continent. La remise du Prix " Tremplin jeunes réalisateurs " est l'occasion de rencontrer et de questionner ces nouvelles cinéastes.
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Edwige Pauline Abouadji, née en Côte d'Ivoire, a travaillé comme assistante pour des réalisateurs africains réputés tels Idrissa Ouedraogo, Moussa Touré ou Abderrahmane Sissako. Dipri, fête mystique en pays Abidji, 2015, son premier documentaire, se situe dans le village de Badasso pendant un rituel où des jeunes gens gobent des œufs, mangent des feuilles et se rendent à la rivière au son des tam-tams. Les initiés se livrent à des automutilations pendant une fête qui réconcilie les vivants et les morts. Cette plongée dans les rites du monde rural, est servie par une caméra mobile, attentive aux valeurs, au vecteur du cinéma comme le confie Edwige Pauline Abouadji :
- Que représente pour vous le Prix " Tremplin " que vous recevez pour un court-métrage documentaire ?
C'est un très grand honneur pour moi et pour le début d'une carrière professionnelle. Il représente une fierté pour mon pays à qui je voudrais le dédier, et un grand hommage au peuple abidji qui m'a permis de le réaliser.
- Qu'est ce qui vous a motivé à réaliser Dipri, fête mystique en pays Abidji ?
Ma première motivation, c'est partager une culture, une pratique, un savoir-faire extraordinaire venant d'un peuple africain. Je voulais faire voir au-delà du pouvoir mystique dont certains peuvent se moquer, une arme de guérison et d'exorcisation du mal.
- Pouvez-vous expliquer en quoi consiste la cérémonie filmée ?
A l'origine, Le Dipri est une fête de réjouissance. Après les récoltes, tout le village se retrouve avec les ignames et autres récoltes, on prépare et on partage avec toute la population. C'est plus tard que les habitants se sont engagés à faire des démonstrations pour témoigner de la puissance des génies protecteurs qui peuvent permettre de se faire une ouverture sur le corps et la guérir en un clin d'œil.
- Que montrez-vous dans votre documentaire ?
Je montre les aspects positifs de cette pratique mystique dont certains pourraient avoir peur. Dire à quel point ce peuple peut aider à guérir l'humanité.
- La cérémonie que vous filmez semble évoluer, devenir aujourd'hui plus suivie par des spectateurs qui ne participent pas directement mais enregistrent des images. L'authenticité du rituel est-il garanti selon vous ?
Les démonstrations publiques sont ouvertes à tous. Les gens viennent des quatre coins du monde pour filmer librement ces démonstrations. Cela n'atténue en rien l'originalité et l'authenticité de cette fête. Seulement l'aspect initiatique n'est pas autorisé au public. Seuls y ont accès les initiés et les enfants du village.
- Qu'avez-vous voulu mettre en avant en réalisant le film ?
Je voulais montrer au monde entier la puissance du peuple africain.
- Quelle a été votre exigence artistique en tournant ces images ?
J'ai mis beaucoup l'accent sur la qualité des plans pris dans le village, et aussi sur le son. Face aux mouvements des foules qui n'étaient pas faciles à canaliser, il fallait user de beaucoup de tact pour pouvoir prendre les plans qui nous intéressaient. Cela demande une vigilance et une concentration toute particulière.
- Comment avez vous pu produire Dipri, fête mystique en pays Abidji ?
Il a été produit d'abord sur mes fonds propres. Ensuite j'ai bénéficié de l'accompagnement financier, matériel et logistique de certains amis. En voyant les efforts qu'on a fournis, mon Etat, la Côte d'Ivoire, a fini par croire en mon projet en m'apportant un soutien financier.
- Votre démarche est-elle personnelle ou faites vous parti d'un collectif de cinéastes dans votre pays ?
C'est une démarche personnelle mais qui a été beaucoup motivée par les encouragements de mes parrains, les autres cinéastes africains. Les personnalités de Moctar Bâ, Ababacar Diop [Baba Diop, critique de cinéma], Hugues Diaz et Moussa Touré du Sénégal, de Idrissa Ouedraogo du Burkina Faso, Abderrahmane Sissako de Mauritanie et Fadika Kramo-Lanciné de la Côte d'Ivoire, m'ont influencée.
- Comment voyez-vous l'état de la production en Côte d'Ivoire aujourd'hui ?
La production dans mon pays est en nette progression tant en quantité qu'en qualité. Il y a une bonne dynamique qui est tirée par la jeune génération.
- Comment votre film peut-il être diffusé ?
Pour une première œuvre que j'ai voulu authentique, j'envisage de la faire diffuser dans les festivals, les chaînes de télévision. Mais compte tenu de la dureté des images, je doute fort que des télés la diffusent. Et puis je la ferai circuler sur les réseaux sociaux.
- Quelle est l'impact de l'audiovisuel dans la société actuelle selon vous ?
L'audiovisuel a une très grande influence sur l'attitude de la population, et aussi sur la jeunesse et l'adolescence. Les comportements et habitudes de la jeune génération sont très influencés par les médias parce qu'ils sont tous connectés de façon permanente sur la télévision et l'Internet. Ils ne font que copier ce qu'ils voient ou entendent.
- Quelle est la place des femmes dans les milieux du cinéma d'après votre expérience ?
Il est vrai que les femmes sont restées pendant longtemps devant la caméra et pas derrière, mais aujourd'hui on en voit de plus en plus dans la sphère de décision. Il y a des productrices, des réalisatrices.
- Quels sont vos projets de réalisatrice ?
Je suis en préparation d'une série de 52 épisodes. C'est l'histoire d'une jeune fille qui, à force de vouloir être en harmonie avec la société, est partie de déception amoureuse en déception amoureuse. Elle a fini par se rendre compte qu'il lui faut plutôt se concentrer sur sa vie professionnelle afin d'assumer son autonomie financière. Cette série s'adresse à la jeunesse féminine africaine afin qu'elle puisse comprendre que la femme peut apprendre à s'assumer en dehors des hommes. A moyen terme, je compte réaliser un court-métrage sur les femmes battues. Je suis ouverte à toutes les formations qui pourraient m'aider à améliorer mes connaissances dans le milieu.
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Nadège Delwendé Naré, née au Burkina Faso, a étudié 3 ans à l'Institut Supérieur de l'Image et du Son, en se spécialisant dans la réalisation. L'Absence, 2015, son film de fin d'études, raconte les déchirements d'une famille africaine dont le cadet est parti en Europe. L'aîné assure la cohésion du foyer, en s'affirmant face au père qui ne jure que par son plus jeune fils et la réussite en France. Cette fiction aborde avec sensibilité la position d'un jeune Burkinabé, résolu à faire vivre son pays de l'intérieur. Une démarche exigeante qui correspond aux ambitions de cinéma exprimées par Nadège Delwendé Naré :
- Que représente pour vous le Prix " Tremplin " que vous recevez pour un court-métrage de fiction ?
Je suis très heureuse d'avoir été primée au concours " Tremplin jeunes réalisateurs ". C'est très encourageant pour moi étant donné le nombre de participants, et le fait que L'Absence est mon film de fin d'études.
- Qu'est ce qui vous a motivé à réaliser L'Absence ?
L'idée de faire ce film m'est venue à partir d'un constat simple. C'est le complexe que de nombreux africains développent vis à vis de ceux qui vivent en Europe, communément appelé les "Benguistes". Et si très souvent, on évoque la souffrance des immigrés on parle beaucoup moins de la souffrance de leurs familles, restées au pays.
- Que montrez-vous dans cette fiction ?
Ce film nous montre les tensions existant au sein d'une famille modeste de Burkinabé. Mamadou, le fils cadet de la famille, est parti en exil en Europe, son frère Ali par contre, n'envisage pas de vivre ailleurs que dans son pays natal. Leur père, un éternel admirateur de la France, est gravement malade et au seuil de la mort, il est n'a qu'une obsession : revoir son fils exilé.
- Qu'avez-vous voulu mettre en avant en réalisant le film ?
En réalisant ce film, j'ai voulu susciter une discussion autour de l'immigration, et surtout explorer la face plus ou moins cachée de ce phénomène. C'est a dire, la situation très souvent difficile que vivent les familles des migrants, suite à l'absence prolongée d'un des leurs. Certes ces "Benguistes" s'occupent souvent financièrement de leurs familles. Mais l'argent ne résout pas tout et parfois, c'est leur présence qui est désirée plutôt que leurs présents.
- Quelle a été votre exigence artistique en mettant en scène ces images ?
J'ai eu la chance de travailler avec une équipe formidable pour la réalisation de ce film. Malgré le manque de temps, et les contraintes climatiques (il y avait la saison des pluies), je tenais vraiment à la mise en scène. Nous avons passé beaucoup de temps en répétitions pour avoir une certaine qualité de jeu d'acteur. La lumière était aussi très importante pour moi. Avec ma directrice photo et le chef électro, nous avons pensé à des compositions de lumière qui pourraient convenir à la dramaturgie de l'histoire.
- Comment avez vous pu produire L'Absence ?
L'Absence est mon film de fin d'études et a été produit par mon école, l'ISIS/SE, en collaboration avec Africalia Belgium.
- Comment voyez-vous l'état de la production au Burkina Faso aujourd'hui ?
La production cinématographique au Burkina connait les mêmes difficultés que de nombreux pays africains. Le manque de moyens financiers fait que nous avons une faible productivité. Nous n'avons toujours pas réussi à mettre en place une vraie industrie du cinéma. Nous avons très peu de salles de cinéma et elles sont concentrées dans la capitale.
- Comment votre film peut-il être diffusé ?
Mon film n'a pas encore été diffusé mais j'ai participé récemment a un concours de films courts à Abidjan où il a reçu deux prix : celui de la meilleure interprétation masculine et celui du meilleur son. En dehors de ça, il a été primé au concours " Tremplin " dont nous parlons. Mais nous n'avons pas commencé la diffusion réelle du film
- Quelle est l'impact de l'audiovisuel dans la société actuelle selon vous ?
L'audiovisuel tient un rôle essentiel dans nos communautés actuelles, c'est le moyen de communication par excellence selon moi. Et il est temps que l'Afrique réécrive sa propre Histoire grâce à cet outil de communication, pour atteindre le plus grand nombre de personnes.
- Quelle est la place des femmes dans les milieux du cinéma d'après votre expérience ?
Les femmes sont de plus en plus présentes dans le domaine du cinéma, pas seulement en tant que comédiennes mais également en tant que directrice photo, ingénieur du son, monteuse.... Même s'il existe toujours des préjugés quand aux femmes qui évoluent dans le milieu artistique. A mon avis les lignes sont entrain de bouger.
- Quels sont vos projets de réalisatrice ?
Je travaille actuellement à l'écriture d'un scénario de court-métrage (26mn) dont le titre provisoire est La cité des Désirs. Il traite des conditions de vie des personnes qui travaillent dans et autour des mines artisanales, leurs rêves et leurs aspirations très souvent déçus. Et puis je compte commencer la promotion de mon nouveau documentaire, Arc-en-ciel, 2016, sur la communauté LGBT d'origine Africaine à Bruxelles. A coté de tout cela, je coordonne en collaboration avec l'ambassade d'Allemagne au Burkina Faso, un projet dénommé Ciné-Bus, dont le but est de diffuser des films dans les villages reculés du Burkina.
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(*) La 10ème édition de Ciné regards africains 2016 se déroule à Fresnes, Cachan, Arcueil, L'Haÿ-les-Roses, Villejuif, en relation avec La Semaine de la solidarité internationale. Elle présente une sélection de films africains récents. Les projections publiques, suivies de débats, sont complétées par des séances scolaires. Cette année, un hommage particulier est rendu au célèbre acteur burkinabé Sotigui Kouyaté, disparu en 2010, en présence de membres de sa famille.
(**) L'organisation du concours a été possible grâce aux dons de 70 personnes et de la contribution de la Fondation McMillan Stewart.
par Michel AMARGER
(Africiné / Paris)
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
Image : Les réalisatrices Edwige Pauline Abouadji (à gauche) et Nadège Delwendé Naré (avec le foulard) Crédit : Gracieuseté du Festival Ciné regards africains 2016
Edwige Pauline Abouadji de Côte d'Ivoire, et Nadège Delwendé Naré du Burkina Faso, reçoivent leur récompense qui leur permet de bénéficier d'un séjour de deux semaines en France, pendant le festival où elles peuvent présenter leur film, défendre leur travail mais aussi bénéficier de contacts professionnels en relation avec le réseau de Afrique sur Bièvre, et visiter des structures dédiées au cinéma telle la Cinémathèque française ou le Forum des Images.
Cette distinction est l'issue d'un concours (**), parrainé par Abderrahmane Sissako, de juin à décembre 2015, qui a permis de sélectionner 29 courts-métrages (15 fictions et 14 documentaires), réalisés par des jeunes dont 12 femmes, originaires de 8 pays africains. Un jury constitué de professionnels dont le cinéaste algérien Abdelkrim Bahloul, la comédienne Jackie Tavernier et le scénariste Marc Gautron, a choisi parmi 10 films retenus par Afrique sur Bièvre, le 29 mars 2016, de primer dans la catégorie documentaire, Dipri, fête mystique en pays Abidji de Edwige Pauline Abouadji, et en fiction, L'Absence de Nadège Delwendé Naré.
Ces films courts témoignent de l'acuité du regard et de la maîtrise audiovisuelle que recherche une nouvelle génération de réalisatrices du continent. La remise du Prix " Tremplin jeunes réalisateurs " est l'occasion de rencontrer et de questionner ces nouvelles cinéastes.
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Edwige Pauline Abouadji, née en Côte d'Ivoire, a travaillé comme assistante pour des réalisateurs africains réputés tels Idrissa Ouedraogo, Moussa Touré ou Abderrahmane Sissako. Dipri, fête mystique en pays Abidji, 2015, son premier documentaire, se situe dans le village de Badasso pendant un rituel où des jeunes gens gobent des œufs, mangent des feuilles et se rendent à la rivière au son des tam-tams. Les initiés se livrent à des automutilations pendant une fête qui réconcilie les vivants et les morts. Cette plongée dans les rites du monde rural, est servie par une caméra mobile, attentive aux valeurs, au vecteur du cinéma comme le confie Edwige Pauline Abouadji :
- Que représente pour vous le Prix " Tremplin " que vous recevez pour un court-métrage documentaire ?
C'est un très grand honneur pour moi et pour le début d'une carrière professionnelle. Il représente une fierté pour mon pays à qui je voudrais le dédier, et un grand hommage au peuple abidji qui m'a permis de le réaliser.
- Qu'est ce qui vous a motivé à réaliser Dipri, fête mystique en pays Abidji ?
Ma première motivation, c'est partager une culture, une pratique, un savoir-faire extraordinaire venant d'un peuple africain. Je voulais faire voir au-delà du pouvoir mystique dont certains peuvent se moquer, une arme de guérison et d'exorcisation du mal.
- Pouvez-vous expliquer en quoi consiste la cérémonie filmée ?
A l'origine, Le Dipri est une fête de réjouissance. Après les récoltes, tout le village se retrouve avec les ignames et autres récoltes, on prépare et on partage avec toute la population. C'est plus tard que les habitants se sont engagés à faire des démonstrations pour témoigner de la puissance des génies protecteurs qui peuvent permettre de se faire une ouverture sur le corps et la guérir en un clin d'œil.
- Que montrez-vous dans votre documentaire ?
Je montre les aspects positifs de cette pratique mystique dont certains pourraient avoir peur. Dire à quel point ce peuple peut aider à guérir l'humanité.
- La cérémonie que vous filmez semble évoluer, devenir aujourd'hui plus suivie par des spectateurs qui ne participent pas directement mais enregistrent des images. L'authenticité du rituel est-il garanti selon vous ?
Les démonstrations publiques sont ouvertes à tous. Les gens viennent des quatre coins du monde pour filmer librement ces démonstrations. Cela n'atténue en rien l'originalité et l'authenticité de cette fête. Seulement l'aspect initiatique n'est pas autorisé au public. Seuls y ont accès les initiés et les enfants du village.
- Qu'avez-vous voulu mettre en avant en réalisant le film ?
Je voulais montrer au monde entier la puissance du peuple africain.
- Quelle a été votre exigence artistique en tournant ces images ?
J'ai mis beaucoup l'accent sur la qualité des plans pris dans le village, et aussi sur le son. Face aux mouvements des foules qui n'étaient pas faciles à canaliser, il fallait user de beaucoup de tact pour pouvoir prendre les plans qui nous intéressaient. Cela demande une vigilance et une concentration toute particulière.
- Comment avez vous pu produire Dipri, fête mystique en pays Abidji ?
Il a été produit d'abord sur mes fonds propres. Ensuite j'ai bénéficié de l'accompagnement financier, matériel et logistique de certains amis. En voyant les efforts qu'on a fournis, mon Etat, la Côte d'Ivoire, a fini par croire en mon projet en m'apportant un soutien financier.
- Votre démarche est-elle personnelle ou faites vous parti d'un collectif de cinéastes dans votre pays ?
C'est une démarche personnelle mais qui a été beaucoup motivée par les encouragements de mes parrains, les autres cinéastes africains. Les personnalités de Moctar Bâ, Ababacar Diop [Baba Diop, critique de cinéma], Hugues Diaz et Moussa Touré du Sénégal, de Idrissa Ouedraogo du Burkina Faso, Abderrahmane Sissako de Mauritanie et Fadika Kramo-Lanciné de la Côte d'Ivoire, m'ont influencée.
- Comment voyez-vous l'état de la production en Côte d'Ivoire aujourd'hui ?
La production dans mon pays est en nette progression tant en quantité qu'en qualité. Il y a une bonne dynamique qui est tirée par la jeune génération.
- Comment votre film peut-il être diffusé ?
Pour une première œuvre que j'ai voulu authentique, j'envisage de la faire diffuser dans les festivals, les chaînes de télévision. Mais compte tenu de la dureté des images, je doute fort que des télés la diffusent. Et puis je la ferai circuler sur les réseaux sociaux.
- Quelle est l'impact de l'audiovisuel dans la société actuelle selon vous ?
L'audiovisuel a une très grande influence sur l'attitude de la population, et aussi sur la jeunesse et l'adolescence. Les comportements et habitudes de la jeune génération sont très influencés par les médias parce qu'ils sont tous connectés de façon permanente sur la télévision et l'Internet. Ils ne font que copier ce qu'ils voient ou entendent.
- Quelle est la place des femmes dans les milieux du cinéma d'après votre expérience ?
Il est vrai que les femmes sont restées pendant longtemps devant la caméra et pas derrière, mais aujourd'hui on en voit de plus en plus dans la sphère de décision. Il y a des productrices, des réalisatrices.
- Quels sont vos projets de réalisatrice ?
Je suis en préparation d'une série de 52 épisodes. C'est l'histoire d'une jeune fille qui, à force de vouloir être en harmonie avec la société, est partie de déception amoureuse en déception amoureuse. Elle a fini par se rendre compte qu'il lui faut plutôt se concentrer sur sa vie professionnelle afin d'assumer son autonomie financière. Cette série s'adresse à la jeunesse féminine africaine afin qu'elle puisse comprendre que la femme peut apprendre à s'assumer en dehors des hommes. A moyen terme, je compte réaliser un court-métrage sur les femmes battues. Je suis ouverte à toutes les formations qui pourraient m'aider à améliorer mes connaissances dans le milieu.
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Nadège Delwendé Naré, née au Burkina Faso, a étudié 3 ans à l'Institut Supérieur de l'Image et du Son, en se spécialisant dans la réalisation. L'Absence, 2015, son film de fin d'études, raconte les déchirements d'une famille africaine dont le cadet est parti en Europe. L'aîné assure la cohésion du foyer, en s'affirmant face au père qui ne jure que par son plus jeune fils et la réussite en France. Cette fiction aborde avec sensibilité la position d'un jeune Burkinabé, résolu à faire vivre son pays de l'intérieur. Une démarche exigeante qui correspond aux ambitions de cinéma exprimées par Nadège Delwendé Naré :
- Que représente pour vous le Prix " Tremplin " que vous recevez pour un court-métrage de fiction ?
Je suis très heureuse d'avoir été primée au concours " Tremplin jeunes réalisateurs ". C'est très encourageant pour moi étant donné le nombre de participants, et le fait que L'Absence est mon film de fin d'études.
- Qu'est ce qui vous a motivé à réaliser L'Absence ?
L'idée de faire ce film m'est venue à partir d'un constat simple. C'est le complexe que de nombreux africains développent vis à vis de ceux qui vivent en Europe, communément appelé les "Benguistes". Et si très souvent, on évoque la souffrance des immigrés on parle beaucoup moins de la souffrance de leurs familles, restées au pays.
- Que montrez-vous dans cette fiction ?
Ce film nous montre les tensions existant au sein d'une famille modeste de Burkinabé. Mamadou, le fils cadet de la famille, est parti en exil en Europe, son frère Ali par contre, n'envisage pas de vivre ailleurs que dans son pays natal. Leur père, un éternel admirateur de la France, est gravement malade et au seuil de la mort, il est n'a qu'une obsession : revoir son fils exilé.
- Qu'avez-vous voulu mettre en avant en réalisant le film ?
En réalisant ce film, j'ai voulu susciter une discussion autour de l'immigration, et surtout explorer la face plus ou moins cachée de ce phénomène. C'est a dire, la situation très souvent difficile que vivent les familles des migrants, suite à l'absence prolongée d'un des leurs. Certes ces "Benguistes" s'occupent souvent financièrement de leurs familles. Mais l'argent ne résout pas tout et parfois, c'est leur présence qui est désirée plutôt que leurs présents.
- Quelle a été votre exigence artistique en mettant en scène ces images ?
J'ai eu la chance de travailler avec une équipe formidable pour la réalisation de ce film. Malgré le manque de temps, et les contraintes climatiques (il y avait la saison des pluies), je tenais vraiment à la mise en scène. Nous avons passé beaucoup de temps en répétitions pour avoir une certaine qualité de jeu d'acteur. La lumière était aussi très importante pour moi. Avec ma directrice photo et le chef électro, nous avons pensé à des compositions de lumière qui pourraient convenir à la dramaturgie de l'histoire.
- Comment avez vous pu produire L'Absence ?
L'Absence est mon film de fin d'études et a été produit par mon école, l'ISIS/SE, en collaboration avec Africalia Belgium.
- Comment voyez-vous l'état de la production au Burkina Faso aujourd'hui ?
La production cinématographique au Burkina connait les mêmes difficultés que de nombreux pays africains. Le manque de moyens financiers fait que nous avons une faible productivité. Nous n'avons toujours pas réussi à mettre en place une vraie industrie du cinéma. Nous avons très peu de salles de cinéma et elles sont concentrées dans la capitale.
- Comment votre film peut-il être diffusé ?
Mon film n'a pas encore été diffusé mais j'ai participé récemment a un concours de films courts à Abidjan où il a reçu deux prix : celui de la meilleure interprétation masculine et celui du meilleur son. En dehors de ça, il a été primé au concours " Tremplin " dont nous parlons. Mais nous n'avons pas commencé la diffusion réelle du film
- Quelle est l'impact de l'audiovisuel dans la société actuelle selon vous ?
L'audiovisuel tient un rôle essentiel dans nos communautés actuelles, c'est le moyen de communication par excellence selon moi. Et il est temps que l'Afrique réécrive sa propre Histoire grâce à cet outil de communication, pour atteindre le plus grand nombre de personnes.
- Quelle est la place des femmes dans les milieux du cinéma d'après votre expérience ?
Les femmes sont de plus en plus présentes dans le domaine du cinéma, pas seulement en tant que comédiennes mais également en tant que directrice photo, ingénieur du son, monteuse.... Même s'il existe toujours des préjugés quand aux femmes qui évoluent dans le milieu artistique. A mon avis les lignes sont entrain de bouger.
- Quels sont vos projets de réalisatrice ?
Je travaille actuellement à l'écriture d'un scénario de court-métrage (26mn) dont le titre provisoire est La cité des Désirs. Il traite des conditions de vie des personnes qui travaillent dans et autour des mines artisanales, leurs rêves et leurs aspirations très souvent déçus. Et puis je compte commencer la promotion de mon nouveau documentaire, Arc-en-ciel, 2016, sur la communauté LGBT d'origine Africaine à Bruxelles. A coté de tout cela, je coordonne en collaboration avec l'ambassade d'Allemagne au Burkina Faso, un projet dénommé Ciné-Bus, dont le but est de diffuser des films dans les villages reculés du Burkina.
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(*) La 10ème édition de Ciné regards africains 2016 se déroule à Fresnes, Cachan, Arcueil, L'Haÿ-les-Roses, Villejuif, en relation avec La Semaine de la solidarité internationale. Elle présente une sélection de films africains récents. Les projections publiques, suivies de débats, sont complétées par des séances scolaires. Cette année, un hommage particulier est rendu au célèbre acteur burkinabé Sotigui Kouyaté, disparu en 2010, en présence de membres de sa famille.
(**) L'organisation du concours a été possible grâce aux dons de 70 personnes et de la contribution de la Fondation McMillan Stewart.
par Michel AMARGER
(Africiné / Paris)
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
Image : Les réalisatrices Edwige Pauline Abouadji (à gauche) et Nadège Delwendé Naré (avec le foulard) Crédit : Gracieuseté du Festival Ciné regards africains 2016