Souad Houssein : Un bilan de l'action de l'OIF en faveur du cinéma africain.
La revue "Femmes d'Afrique" (numéro d'août 2014) publie un entretien avec Souad Houssein.
Souad HOUSSEIN, Djiboutienne, spécialiste de programme cinéma à l'OIF et initiatrice d'un projet de fonds pour le cinéma africain : "La philosophie de ce Fonds est d'offrir à plus d'un milliard d'Africains les moyens de se réapproprier leurs histoires"
Dans de nombreuses villes africaines, y compris des capitales, les salles de cinéma ont disparu. Comment s'explique ce phénomène ? Que faut-il faire? Qui doit agir en premier?
La disparition progressive et inquiétante des salles de cinéma en Afrique francophone, n'est pas un phénomène récent. Ce fut une des conséquences des politiques d'ajustement structurel imposées à l'Afrique dans les années 1980. L'introduction des vidéoclubs et les projections de films vidéo dans des lieux publics ont aggravé la situation.
Mais la tendance est en train de s'inverser. Je pense qu'aujourd'hui après les années des salles désertées, on redécouvre les avantages aussi bien économiques que sociaux du rendez-vous au cinéma. Aller voir ensemble un film en famille ou avec des amis et en parler ensuite devient un fait culturel. L'Afrique s'urbanise à grande vitesse. Le cinéma est considéré comme produit d'appel pour les promoteurs de centres commerciaux et partout les multiplexes apparaissent. Le cinéma redevient un lieu fréquentable pouvant attirer les jeunes et les moins jeunes. Le Maroc a donné le ton en implantant des multiplexes dans les grandes villes. Il est suivi par bon nombre d'autres pays : Sénégal, Côte d'ivoire, Gabon etc. Elles arrivent aussi au Burkina Faso et au Cameroun etc. Partout c'est à travers un partenariat Etat/Secteur privé que cette renaissance des salles de cinéma s'opère.
Vous avez lancé il ya quelques années, un projet de fonds panafricain pour le cinéma et l'audiovisuel. Comment est née l'idée de ce projet ? Pourquoi ne l'avez-vous pas encore réalisé?
Le projet de Fonds panafricain pour le cinéma et l'audiovisuel a été présenté pour la première fois en 2010 à Cannes par l'OIF en partenariat avec la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) et la Chambre des producteurs tunisiens. Mais c'est en 2012, que le projet a été officiellement lancé à Cannes par l'Administrateur de l'OIF, M. Clément Duhaime, en présence des Ministres de la culture de la Tunisie et de la Cote d'Ivoire de plusieurs Directeurs de la cinématographie de plusieurs pays africains. Ce fut un moment émouvant et fort où l'enthousiasme était palpable. Ce projet est le résultat d'une longue maturation qui remonte aux pionniers et visionnaires du cinéma africain. La première recommandation d'un mécanisme de cette sorte date du premier festival panafricain des arts d'Alger en 1969.
L'Union africaine a adopté il y a quelques années une résolution sur la mise en place d'une commission du film et sur un fonds d'aide au cinéma africains. Enfin, s'agissant de l'OIF les prémisses de ces réflexions remontent à 2007 notamment à Bruxelles (2007) et à Ouagadougou (2009). C'est à la suite de cela que la FEPACI avait mandaté l'OIF pour l'aider à concrétiser cette belle idée. Depuis son lancement, ce projet a été présenté dans plus de 15 pays lors d'événements cinématographiques, mais surtout à Carthage et au FESPACO. Lors du dernier FESPACO une recommandation avait même été adoptée par les professionnels pour soutenir cette initiative. Enfin l'OIF a présenté ce projet au dernier Congrès de la FEPACI à Johannesburg en mai 2013.
Pourquoi l'OIF s'est investie dans ce projet et a initié les premières actions ?
Tout d'abord, parce qu'on lui reconnait une longue expertise et expérience de plus 25 années dans la gestion d'un Fonds de soutien au cinéma et à l'audiovisuel des pays du sud. Ce Fonds francophone créé en 1988, a soutenu près de 2000 œuvres cinématographiques et télévisuelles dont la quasi-majorité vient d'Afrique francophone. Ensuite, parce que l'OIF en tant qu'acteur incontournable de la coopération internationale du cinéma africain était à la recherche d'un nouveau souffle pour répondre à la situation particulière de ce cinéma. Vous savez, dans ce domaine, l'OIF est aussi un acteur de terrain qui est à l'écoute des professionnels et qui est reconnu pour cela. Enfin, ce projet, est l'occasion pour l'OIF de renouer avec la vision et les idéaux des bâtisseurs de la coopération cinématographique francophone comme Tahar Chériaa, Sembène Ousmane, Paulin Soumanou Vieyra et d'autres qui ont milité pour une approche panafricaine du cinéma.
Mais en fin de compte ce projet répond tout simplement au bon sens : le marché de l'image africaine sera de plus en plus panafricain. Il utilisera des technologies qui l'aideront à transcender les barrières physiques et linguistiques. Les productions seront jugées avant tout pour leur qualité et non pour l'origine ou l'appartenance linguistique du réalisateur. Se demande-t-on si un joueur de football ou un grand sportif africain est francophone ou non ? La philosophie derrière ce Fonds est d'offrir à près d'un milliard d'Africains les moyens de se réapproprier leurs histoires, de consolider leur identité et de partager leurs visions avec le reste du monde. Son objectif est de marquer un véritable tournant dans la politique d'aide aux cinémas du Sud en permettant de mobiliser, en plus des financements multilatéraux, bilatéraux et nationaux existants, des nouveaux partenariats avec les gouvernements africains et le secteur privé en Afrique. Il se propose donc de fédérer tous ces efforts en vue d'orienter la création cinématographique vers les besoins et les aspirations du public africain Le projet a suscité l'intérêt de l'UNESCO et le soutien des Etats africains tels que la Tunisie, la Guinée, Gabon, Maroc, Côte d'Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, le Tchad, le Cameroun, la République démocratique du Congo, et bien d'autres, qui tous ont répondu positivement à l'appel du Secrétaire général de l'OIF, son excellence Abdou Diouf. Un pays comme le Maroc a même inscrit ce projet dans sa politique d'aide au cinéma. De son côté, l'OIF y a contribué, en effectuant une étude de faisabilité qui a recommandé la mise en place d'une Fondation pour recueillir les financements nécessaires et assurer une gestion efficace et transparente d'un tel mécanisme.
La concrétisation de cet important projet a quelque peu tardé, ce qui est normal, compte tenu de l'envergure du projet et des nombreuses contraintes. Néanmoins, plusieurs initiatives récemment lancées dans bon nombre de pays s'inspirent directement de cette dynamique de recherche de financement endogène, d'autonomisation des moyens de production cinématographique et d'intégration régionale. Pour réaliser un tel mécanisme panafricain, il faudra que nous soyons capables de transcender les intérêts corporatistes, les clivages linguistiques et offrir à ce projet la neutralité et la rigueur nécessaires à sa pérennité. Car je le rappelle, son ambition est avant tout être au service de l'excellence et des nouvelles générations. J'étais récemment au festival international du film de Durban (Afrique du Sud)et j'ai observé que les jeunes francophones étaient ravis de se frotter à d'autres méthodes de travail, d'autres sensibilités. Le projet de Fonds panafricain de cinéma anticipe en quelque sorte sur cette évolution des choses et c'est pour cela que sa mise en place est plus qu'attendue.
Le Nigeria a pu développer une industrie cinématographique, appelée Nollywood, qui figure parmi les plus importantes au monde, avec les seules ressources du secteur privé. Quelles leçons tirer de Nollywood?
Il y a beaucoup de leçons à tirer de Nollywood. Car le cas d'une industrie de cinématographique qui connait une croissance fulgurance depuis les vingt dernières années et qui génère un chiffre d'affaires de 600 millions de dollars par an avec une cadence de 50 films par semaine ne peut laisser indifférent. La première leçon à tirer c'est que le cinéma peut créer de la richesse et surtout des emplois. Nollywood a créé un million d'emplois.
Deuxième leçon, Nollywood a mis en place un modèle économique qui répond aux besoins spécifiques du marché nigérian. Ce modèle est suivi dans plusieurs autres pays. Troisième leçon: c'est de la quantité que nait la qualité qui pourrait contribuer à renouveler le cinéma africain. Dernière leçon: le développement du cinéma au Nigéria contribue à changer l'image de ce pays à l'extérieur et l'image des Nigérians sur eux-mêmes.
Interview réalisée par François NDENGWE
Femmes d'Afrique, Août 2014
Dans de nombreuses villes africaines, y compris des capitales, les salles de cinéma ont disparu. Comment s'explique ce phénomène ? Que faut-il faire? Qui doit agir en premier?
La disparition progressive et inquiétante des salles de cinéma en Afrique francophone, n'est pas un phénomène récent. Ce fut une des conséquences des politiques d'ajustement structurel imposées à l'Afrique dans les années 1980. L'introduction des vidéoclubs et les projections de films vidéo dans des lieux publics ont aggravé la situation.
Mais la tendance est en train de s'inverser. Je pense qu'aujourd'hui après les années des salles désertées, on redécouvre les avantages aussi bien économiques que sociaux du rendez-vous au cinéma. Aller voir ensemble un film en famille ou avec des amis et en parler ensuite devient un fait culturel. L'Afrique s'urbanise à grande vitesse. Le cinéma est considéré comme produit d'appel pour les promoteurs de centres commerciaux et partout les multiplexes apparaissent. Le cinéma redevient un lieu fréquentable pouvant attirer les jeunes et les moins jeunes. Le Maroc a donné le ton en implantant des multiplexes dans les grandes villes. Il est suivi par bon nombre d'autres pays : Sénégal, Côte d'ivoire, Gabon etc. Elles arrivent aussi au Burkina Faso et au Cameroun etc. Partout c'est à travers un partenariat Etat/Secteur privé que cette renaissance des salles de cinéma s'opère.
Vous avez lancé il ya quelques années, un projet de fonds panafricain pour le cinéma et l'audiovisuel. Comment est née l'idée de ce projet ? Pourquoi ne l'avez-vous pas encore réalisé?
Le projet de Fonds panafricain pour le cinéma et l'audiovisuel a été présenté pour la première fois en 2010 à Cannes par l'OIF en partenariat avec la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) et la Chambre des producteurs tunisiens. Mais c'est en 2012, que le projet a été officiellement lancé à Cannes par l'Administrateur de l'OIF, M. Clément Duhaime, en présence des Ministres de la culture de la Tunisie et de la Cote d'Ivoire de plusieurs Directeurs de la cinématographie de plusieurs pays africains. Ce fut un moment émouvant et fort où l'enthousiasme était palpable. Ce projet est le résultat d'une longue maturation qui remonte aux pionniers et visionnaires du cinéma africain. La première recommandation d'un mécanisme de cette sorte date du premier festival panafricain des arts d'Alger en 1969.
L'Union africaine a adopté il y a quelques années une résolution sur la mise en place d'une commission du film et sur un fonds d'aide au cinéma africains. Enfin, s'agissant de l'OIF les prémisses de ces réflexions remontent à 2007 notamment à Bruxelles (2007) et à Ouagadougou (2009). C'est à la suite de cela que la FEPACI avait mandaté l'OIF pour l'aider à concrétiser cette belle idée. Depuis son lancement, ce projet a été présenté dans plus de 15 pays lors d'événements cinématographiques, mais surtout à Carthage et au FESPACO. Lors du dernier FESPACO une recommandation avait même été adoptée par les professionnels pour soutenir cette initiative. Enfin l'OIF a présenté ce projet au dernier Congrès de la FEPACI à Johannesburg en mai 2013.
Pourquoi l'OIF s'est investie dans ce projet et a initié les premières actions ?
Tout d'abord, parce qu'on lui reconnait une longue expertise et expérience de plus 25 années dans la gestion d'un Fonds de soutien au cinéma et à l'audiovisuel des pays du sud. Ce Fonds francophone créé en 1988, a soutenu près de 2000 œuvres cinématographiques et télévisuelles dont la quasi-majorité vient d'Afrique francophone. Ensuite, parce que l'OIF en tant qu'acteur incontournable de la coopération internationale du cinéma africain était à la recherche d'un nouveau souffle pour répondre à la situation particulière de ce cinéma. Vous savez, dans ce domaine, l'OIF est aussi un acteur de terrain qui est à l'écoute des professionnels et qui est reconnu pour cela. Enfin, ce projet, est l'occasion pour l'OIF de renouer avec la vision et les idéaux des bâtisseurs de la coopération cinématographique francophone comme Tahar Chériaa, Sembène Ousmane, Paulin Soumanou Vieyra et d'autres qui ont milité pour une approche panafricaine du cinéma.
Mais en fin de compte ce projet répond tout simplement au bon sens : le marché de l'image africaine sera de plus en plus panafricain. Il utilisera des technologies qui l'aideront à transcender les barrières physiques et linguistiques. Les productions seront jugées avant tout pour leur qualité et non pour l'origine ou l'appartenance linguistique du réalisateur. Se demande-t-on si un joueur de football ou un grand sportif africain est francophone ou non ? La philosophie derrière ce Fonds est d'offrir à près d'un milliard d'Africains les moyens de se réapproprier leurs histoires, de consolider leur identité et de partager leurs visions avec le reste du monde. Son objectif est de marquer un véritable tournant dans la politique d'aide aux cinémas du Sud en permettant de mobiliser, en plus des financements multilatéraux, bilatéraux et nationaux existants, des nouveaux partenariats avec les gouvernements africains et le secteur privé en Afrique. Il se propose donc de fédérer tous ces efforts en vue d'orienter la création cinématographique vers les besoins et les aspirations du public africain Le projet a suscité l'intérêt de l'UNESCO et le soutien des Etats africains tels que la Tunisie, la Guinée, Gabon, Maroc, Côte d'Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, le Tchad, le Cameroun, la République démocratique du Congo, et bien d'autres, qui tous ont répondu positivement à l'appel du Secrétaire général de l'OIF, son excellence Abdou Diouf. Un pays comme le Maroc a même inscrit ce projet dans sa politique d'aide au cinéma. De son côté, l'OIF y a contribué, en effectuant une étude de faisabilité qui a recommandé la mise en place d'une Fondation pour recueillir les financements nécessaires et assurer une gestion efficace et transparente d'un tel mécanisme.
La concrétisation de cet important projet a quelque peu tardé, ce qui est normal, compte tenu de l'envergure du projet et des nombreuses contraintes. Néanmoins, plusieurs initiatives récemment lancées dans bon nombre de pays s'inspirent directement de cette dynamique de recherche de financement endogène, d'autonomisation des moyens de production cinématographique et d'intégration régionale. Pour réaliser un tel mécanisme panafricain, il faudra que nous soyons capables de transcender les intérêts corporatistes, les clivages linguistiques et offrir à ce projet la neutralité et la rigueur nécessaires à sa pérennité. Car je le rappelle, son ambition est avant tout être au service de l'excellence et des nouvelles générations. J'étais récemment au festival international du film de Durban (Afrique du Sud)et j'ai observé que les jeunes francophones étaient ravis de se frotter à d'autres méthodes de travail, d'autres sensibilités. Le projet de Fonds panafricain de cinéma anticipe en quelque sorte sur cette évolution des choses et c'est pour cela que sa mise en place est plus qu'attendue.
Le Nigeria a pu développer une industrie cinématographique, appelée Nollywood, qui figure parmi les plus importantes au monde, avec les seules ressources du secteur privé. Quelles leçons tirer de Nollywood?
Il y a beaucoup de leçons à tirer de Nollywood. Car le cas d'une industrie de cinématographique qui connait une croissance fulgurance depuis les vingt dernières années et qui génère un chiffre d'affaires de 600 millions de dollars par an avec une cadence de 50 films par semaine ne peut laisser indifférent. La première leçon à tirer c'est que le cinéma peut créer de la richesse et surtout des emplois. Nollywood a créé un million d'emplois.
Deuxième leçon, Nollywood a mis en place un modèle économique qui répond aux besoins spécifiques du marché nigérian. Ce modèle est suivi dans plusieurs autres pays. Troisième leçon: c'est de la quantité que nait la qualité qui pourrait contribuer à renouveler le cinéma africain. Dernière leçon: le développement du cinéma au Nigéria contribue à changer l'image de ce pays à l'extérieur et l'image des Nigérians sur eux-mêmes.
Interview réalisée par François NDENGWE
Femmes d'Afrique, Août 2014