Semaine francophone de la critique (Dakar) : en marge du XVe Sommet de l'OIF, jardiner (ensemble) la cinéphilie
Youma Fall (photo) a présidé la cérémonie d'ouverture. Avec le marrainage de Safy Faye et de la regrettée Andrée Davanture. Montrer des films, des professionnels et des débats, pour credo.
Un court et un long métrage, chaque jour, avec l'appui de Youma Fall
Les chefs d'Etat et de gouvernement de la Francophonie ont choisi de se réunir à Dakar les 29 et 30 novembre 2015. Sept jours durant, l'Association Sénégalaise de la Critique Cinématographique (ASCC, Dakar) et Depuis Le Sud (Vanuit het Zuiden, Amsterdam) ont organisé la Semaine Francophone de la Critique 2014, en collaboration avec la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC, Dakar). La Délégation Générale du 15e Sommet de la Francophonie et la Délégation Wallonie-Bruxelles ont financé l'évènement. Les deux journalistes Fatou Kiné Sène (Dakar) et Djia Mambu (Bruxelles) en étaient les coordinatrices, assistées de Scheina Adaya et Bolé Thiaw.
Toute la semaine (du 24 au 30 novembre 2014), la projection d'un court métrage et d'un long métrage suivie d'un débat (animé par deux critiques de cinéma) avec le public était proposée dans la salle du cinéma Le Christa, entre les quartiers de Grand Yoff et Patte d'oie, à 19h00. L'entrée était gratuite.
Directrice de la diversité et du Développement à l'OIF, Youma Fall a accepté d'assister et de présider la cérémonie d'ouverture, en présence de Hugues Diaz, Directeur de la Cinématographie Nationale, lui-même accompagné de Soumahoro Alfa Yaya, Directeur de la Production à l'Office national du Cinéma de Côte d'Ivoire, ONAC-CI. Docteure en Arts, Youma Fall s'est impliquée pour que les journalistes de cinéma puissent contribuer aux manifestations culturelles du XVe Sommet de l'OIF, afin que les films soient accompagnés d'un regard critique et que les spectateurs participent à un débat fécond.
Le film d'ouverture (lundi 24 novembre) a été réalisé par Safi Faye et monté par Andrée Davanture. C'est Mossane (1996), une ode à la beauté et à l'amour. Ce long métrage de fiction a bénéficié du soutien du Fonds Francophone (OIF / CIRTEF), comme la majorité des films de la Semaine Francophone de la Critique 2014, sélectionnés avec la complicité de Souad Houssein (Responsable Cinéma de l'OIF) et Pierre Barrot (Responsable TV et Promotion de l'OIF).
Le marrainage de Safi Faye et feue Andrée Davanture
La réalisatrice sénégalaise Safi Faye et (à titre posthume) la chef monteuse française Andrée Davanture ont été choisies comme marraines de cette Semaine Francophone de la Critique 2014. La Sénégalaise est une pionnière. Actrice dans les films de Jean Rouch, elle est la première femme en Afrique subsaharienne a passé derrière la caméra (La Passante, 1972). En 1975, elle réalise Kaddu Beykat (Lettre paysanne), puis Fad'jal (1979). Ces deux films seront méchamment censurés. Président Léopold Sédar Senghor (comme ses thuriféraires) ne s'embarrassait guère de scrupules pour emprunter ses ciseaux à Dame Anastasie, sainte patronne de la censure. Dans ces 2 films, Faye traduit très bien la désillusion des populations face à la fin du joug colonial (surtout confisquée par des politiciens qui n'en voulaient pas : Senghor a voté non à l'indépendance en 1958 puis d'attendre 25 ans, voir le film Président Dia).
La regrettée Andrée Davanture a une impressionnante carrière de monteuse qui s'étale sur 52 ans et une très longue liste de collaborations à son actif (Mali, Cambodge, Iran, Sénégal, …). Jusque sur son lit de mort, elle continuait à suivre les montages de films en cours (dont Soba du Malien Souleymane Cissé), avec sa légendaire bienveillance. La palette de ses films est très large et son apport décisif (témoigne le réalisateur de Yeelen dont elle a monté tous ses films, jusqu'à donc Soba). Elle rend orpheline la grande famille du cinéma, à 81 ans, le 1er juillet 2014, avec un vivace catalogue de films. Nombre de professionnels ont dit leur douleur et loué ses qualités (lire l'article Décès de la monteuse française Andrée Davanture, par Michel Amarger). Les journalistes de cinéma ont l'avantage d'avoir une vision panoptique d'une œuvre ; celle d'Andrée Davanture embrasse plusieurs styles, époques, continents, générations. Après ses premièresexpériences en 1953, elle sera une des forces morices auprès de Jean-René Debrix au sein du Bureau Cinéma du Ministère des Affaires étrangères (France). Puis, quand le ministère français baissa son action pour ces cinémas du sud, elle fonde l'association Atria/Atriascop (où elle aidait même à la production, distribution des films des pays du Sud). Elle a promu d'autres professionnels dans son sillage telle Annabelle Thomas.
Au vu de leur parcours d'exception, le choix des deux marraines rejoint le thème du sommet de la Francophonie, "Femmes et jeunes en Francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement". Il n'a pas été difficile de trouver un film qui les lie car Andrée Davanture a monté tous les longs métrages de Faye. Retenue au festival de Rotterdam, cette dernière a sollicité Ousmane William Mbaye pour la représenter ainsi qu'Andrée Davanture (avec l'accord d'Annabelle Thomas qui a tenu informée la famille). Son témoignage particulièrement émouvant a souligné la place essentielle de ces deux professionnelles dans le cinéma.
Réalisatrice et monteuse, Angèle Diabang, toute nouvelle responsable de la Société Collective des droits d'auteurs, a accepté de venir témoigner de l'importance des modèles et comment être une femme dans un métier dominé par les hommes. Son regard affuté était ainsi triple. Au débat qui a suivi la projection, elle n'a pas manqué de dire que voir la fiction de Safi Faye sur une jeune femme qui se (dé)bat face aux passions amoureuses la renvoie d'autant vers l'adaptation qu'elle est en train de faire du roman de Mariama Bâ, Une si longue lettre.
Solidarité de la corporation et invitation du ministre ivoirien
Quand les journalistes organisent un évènement, cela se sait. La profession se mobilise sur place. Animateur de l'émission culturelle phare Les Matins de RSI (8h à 10h), Alioune Diop invite l'équipe sur son plateau, à Radio Sénégal Internationale diffusée sur le satellite et par internet. Au même moment, Oumy Régina Sambou (elle-même animatrice de Culture en fête, autre émission culturelle très écoutée, sur Sud Radio), responsable de la Communication de la Semaine de la Critique avec Abdou Rahmane Mbengue, était en direct sur la chaine de télévision privée 2S.
La télévision publique n'est pas en reste. Directrice de l'information et présentatrice vedette du journal télévision de 20h, Maïmouna Ndir offre une couverture médiatique. Maïmouna Sy et son équipe viendront couvrir l'ouverture officielle ; le reportage (avec Youma Fall) est diffusé à l'heure de grande écoute. Quelques jours plus tard, elle est là quand Maurice Bandaman, ministre ivoirien de la culture, se déplacera avec son cabinet et Hugues Diaz, le Directeur du Cinéma sénégalais. Devant les caméras de la Télévision Nationale du Sénégal, le ministre ivoirien dit son enthousiasme et invite même l'équipe de critiques d'Africiné à venir organiser en 2015, à Abidjan, une semaine de cinéma. La Côte d'Ivoire fait partie des pays où la FACC a une association affiliée, ce qui rendra l'opération motivante.
Ebola toi-même (des voyageurs braqués à l'aéroport de Dakar)
Parmi les curiosités de Dakar quand on y débarque en avion, ce sont les passagers qui applaudissent le pilote quand il pose le train d'atterrissage sur le tarmac de la capitale sénégalaise. Il y a aussi ces voyageurs qui se précipitent hors du bus qui conduit au hall d'arrivée et enfin ces personnages qui veulent grapiller quelques sous en squattant les charriots (gratuits) vous forçant presque la main pour vous en donner l'usufruit (même si ce dernier phénomène a baissé en intensité).
Une majorité de blasés ? En tout cas, ce 20 novembre 2014, les applaudissements sont mous dans l'avion en provenance de Casablanca (après un premier Bordeaux-Casablanca), peut-être pour garder la force de s'éjecter du bus. Le premier flux bondit, avale la dizaine de marche, avec leur multitude de bagages à main (un couple de Bissau Guinéens ayant parlé très fort tout le trajet a damé le pion aux Sénégalais). Aussitôt, se produit un phénomène sans précédent : le groupe de tête reflue ostensiblement. Le double motif de leur effroi : là où se tiennent de coutume les cabines de la Police des Airs, des étincelles volent au milieu d'un vacarme assourdissant, tandis que trois personnes barrent le passage et pointent ce qui ressemblent à des armes sur la tempe des voyageurs qui se sont résolus à avancer (à leur invitation insistante). Le signe de la main est autoritaire, on ne peut savoir s'il est adouci par un sourire (extra peu ordinaire). La dame exhibe une grande feuille blanche où il est écrit à la main de s'adresser à elle (pour ceux qui n'ont pas le visa). Les deux hommes qui l'entourent appliquent mécaniquement leur "arme" sur le front des voyageurs qui passent un(e) à un(e) sans un mot.
Les ouvriers mettent les bouchées doubles avec leurs scies électriques. Les trois personnes sont gantées de blanc, outre un gilet fluorescent (comme ceux de chantier, sans aucune indication sur leur affiliation) portent un masque qui leur recouvre bouche et nez. Au bout des deux bras qui se tendent vers les arrivants, ce n'étaient pas des armes, plutôt comme des inhalateurs gris (ceux qui vivent avec l'asthme savent). On pourrait penser presque à un simulacre, tant l'objet a la même forme que celui qui soulagent les asthmatiques et leurs proches, si les deux hommes ne scrutaient scrupuleusement l'appareil après un premier regard suspicieux sur ces hôtes du pays de la Téranga ("hospitalité" en langue wolove).
Les médias internationaux présentaient ce pays à risque, à l'instar de la Guinée Conakry, de la Sierra Leone et du Libéria. De fortes rumeurs ont esquissé voire défendu le report du XVème Sommet qui devait réunir Chefs d'Etat et de Gouvernement de la Francophonie (une consoeur entendra un journaliste français convié faire une blague douteuse, pour ne pas dire raciste, sur la propreté des Africains). Le renversement de la peur s'effectuait dès l'accueil et autour de minuit (la trompette de Miles Davis n'aurait pas été de trop, tant la scène était surréaliste). Nous étions potentiellement des importateurs de virus Ebola. Et voilà !
Une capitale sans cinéma(s), vraiment ?
Les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale) ont imposé un programme drastique à la fin des années 80, début des années 90, qui a conduit de nombreux états africains à réduire les dépenses publiques (dans la culture, l'éducation et la santé principalement). Le cinéma a payé un lourd tribut. Des 76 salles recensées par Paulin Vieyra en 1983, il ne reste au Sénégal qu'une poignée environ, dont 3 à Dakar (Badaciné, à la Gueule Tapée, Le Christa à Patte d'Oie et 5th Avenue Theater, depuis octobre 2012, une salle équipée en projection 3D, dans le quartier huppé des Almadies). Peut-être même les seules du pays, car, "les salles Agora de Thiès, Hollywood de Mbour, Unité 3 des Parcelles assainies, Rex de Saint-Louis, Vox de Kaolack, ont […] mis les clés sous le paillasson", nous renseigne S.M.S. Cissé dans le quotidien Le Soleil (Dakar), du 29 juin 2013.
Pendant un bon moment, le réalisateur Ousmane William Mbaye s'est révélé un merveilleux architecte de la cinéphilie dans le patio du restaurant Bideew bi (Institut français), avec la complicité de Baba Diop, journaliste et Président de la Fédération panafricaine de la Critique (FACC). Son Cinéma de Nuit pouvait programmer Moloch Tropical (Raoul Peck) ou Questions à la terre Natale (Samba Félix Ndiaye). Pendant les 5 ans de son existence (2007 à 2011), ce ciné club était un creuset et une école du cinéma. Africiné en était partenaire (comme pour le cinéclub d'AfricAvenir à Berlin, ou celui de Windhoek en Namibie). Quant à la salle Samba Félix Ndiaye (Institut Français), elle a une programmation régulière et relativement diversifiée, avec des avant-premières ; l'entrée est parfois gratuite.
Situé au Camp Jeremy, en face de la porte principale de l'Université de Dakar, sur l'avenue Cheikh Anta Diop, Aula Cervantes Dakar, le centre culturel espagnol, dispose d'une solide programmation. Son ciné club CineRek diffuse chaque jeudi (sauf exception), des films (espagnols ou sénégalais) à 19h00, avec des formations (dont un atelier de la critique en mai 2014) et la 1ère édition de Cortos Rek 2014, festival de courts métrages.
Le Goethe Institut a une programmation plus discrète, moins systématique pour le moment. Le centre culturel allemand collabore avec la coopération belge. Autre institution germanique, La Fondation Konrad Adenauer se différencie : elle organise chaque dernier jeudi du mois, à 18h00, route de Mermoz, son Ciné Club de la FKA (Fondation Konrad Adenauer), avec des films nationaux, africains ou du pays de Hölderlin.
Le Centre Culturel Blaise Senghor de Dakar (en face du grand Lycée Blaise Diagne) offre aussi un cinéclub le vendredi, à 19h. Sa régularité est liée à la disponibilité due cinéaste et acteur Ismaël Thiam (L'Absence de Mama Keita, Jaay Jap) qui en est le programmateur. Loin des faubourgs de Dakar, aux Parcelles Assainies, Ciné banlieue organise des projections de films les week-ends (le programme ne nous est pas connu). Dans la salle Badaciné (quartier Gueule Tapée), le grand distributeur Khalilou Ndiaye essaie d'innover, en proposant des productions télévisuelles à succès. Il vient de lancer un ciné club. À l'orée de la nouvelle année, le doué cinéaste Joseph GAÏ Ramaka lance sur l'île des esclaves Gorée Island Cinema, un Espace de Rencontres et de Créations Cinématographiques (page facebook ici).
80 000 euros, des films et des exonérations
Ces différents lieux (sans que le panorama soit exhaustif) diffusent des films et presque tous gratuitement. Ils ne sont pas toujours connus. La route qui serpente de l'aéroport jusqu'aux contreforts de la banlieue mène au cinéma Le Christa et à la nouvelle autoroute (une bretelle de rocade en vérité). Les chauffeurs de taxi dakarois déclarent souvent crânement savoir où est Le Christa. Il n'en est rien, malgré son emplacement exceptionnel, en face de la clinique Nabil Choucair (séparée par la voie rapide) et mitoyenne de l'agence Orange (anciennement Sonatel). Surtout durant la période du sommet où, les services de sécurité ont exigé de Malick Aw (fils et successeur du cinéaste Tidiane Aw, auteur du film Le Bracelet de Bronze) d'enlever le panneau qui signale son cinéma.
Le Directeur de la salle Le Christa nous laisse ébaubis : la semaine de la critique est sa seconde recette de l'année 2014. Quand il détaille les prélèvements (salaires, taxes,..), il lui reste bien peu. Il nous confie que c'est son activité de juriste qui permette de tenir les murs, ainsi que le produit de locaux locatifs. La salle ouvre peu et donc ne remplit pas totalement les chaises pour des programmes comme la semaine de la critique, en dépit du grand intérêt. "J'ai juste besoin de 80 000 euros pour équiper la salle en DCP et de films pour projeter plus régulièrement", soupire Malick Aw. Dans son discours d'ouverture, Youma Fall a rendu un hommage appuyé à son père qui a vaillamment construit ce temple de la culture il y a vingt ans. À la mort de Tidiane Aw, son fils a quitté la France où il était établi pour prendre le flambeau. Le consultant en droit interpelle les autorités : le soutien le plus important n'est pas forément un financement direct : l'exonération de certaines taxes peut être une action concrète pour ce secteur si fragile. La salle fait 400 places, en trois catégories de confort (et donc de prix d'entrée habituellement, un malheureux héritage du temps colonial où les colons ne se mélangeaient ni aux "évolués" ni aux indigènes).
Institut français et TV5 Monde
Une insupportable hypothèque a pesé sur l'organisation, jusqu'à une heure avant la cérémonie officielle présidée par Youma Fall. Malgré l'accord cordial de Safi Faye pour être marraine de la semaine, il n'a pas du tout été aisé d'obtenir copie du film d'ouverture, Mossane. Alors même qu'il était très facile d'avoir une copie du film à Paris (avec les droits afférents). Pour ne rien arranger, Johnny Spencer Diop nous prévient que les cinéastes sénégalais qu'il a contactés risquent majoritairement de ne pas venir, l'Institut Français Léopold Sédar Senghor de Dakar et TV5 Monde ayant programmé la Première Ouest-Africaine du film Timbuktu (diffusé en juillet déjà à Durban, en Afrique du Sud où il a remporté le Grand Prix). Le même jour que l'hommage à Faye et Andrée Davanture, et sur invitation, pour des happy few. Quelques heures avant, on nous conseille de renvoyer notre ouverture au lendemain, mardi. Un évènement que nous avions déposé depuis février et cherché la collaboration de l'Institut français de Dakar. Surtout que les critiques de cinéma regrettaient que le Sénégal n'ait jamais rendu à Safi Faye l'honneur à sa mesure, par la même occasion témoigner une juste reconnaissance à Andrée Davanture.
Cette avant-première impromptue et en comité restreint se révélait autrement dommageable : elle est passée inaperçue, pour un film si important. Que Timbuktu se retrouve ainsi reclus et noyé au milieu d'une semaine trop étoffée ne sert pas le cinéma, ni la belle vision du monde que défend ce film. Une simple communication entre opérateurs culturels aurait pu permettre d'obtenir (ensemble) une grande salle belle par la cinéphilie repue des spectateurs qui s'y donneraient rendez-vous, avec les journalistes apportant leur pierre critique. Face à la barbarie que dénonce Timbuktu, le psychanalyste Bruno Bettelheim nous enseigne que c'est en évitant la dispersion et avec un cœur conscient (titre de son livre éponyme) que l'on résiste, non pas en cédant à l'émotion et à la contemplation, ni aux logiques d'appareil.
Le jour même, lundi, le problème du film Mossane était comme une écharde au talon, avec le risque de le déprogrammer sine die (la réalisatrice Mariette Monpierre ayant accepté la possibilité de projeter sa très belle fiction Elza qui sera diffusé par notre partenaire AfricAvenir, à Berlin le 28 janvier 2015, en présence de la Guadeloupéenne et son actrice principale, la lumineuse Stana Roumillac).
Romain Masson (Attaché audiovisuel régional, Ambassade de France), ainsi que Amadou Sène (Responsable Culturel de l'Institut Français) et Ibrahima Traoré (Responsable de la Médiathèque) ont déployé un incroyable trésor de mobilisation, afin d'aider la Semaine Francophone de la Critique 2014 à respecter son programme. Difficilement bouclée par des sélectionneurs africains éparpillés entre Dakar, Bruxelles, Amsterdam et Bordeaux, la programmation pouvait enfin être partagée avec le public. Place au cinéma !
Finalement, la soirée d'ouverture au Cinéma Le Christa ne fut pas un coup d'épée dans l'eau : plusieurs personnalités sénégalaises du cinéma se sont déplacées dont Khalilou Ndiaye (distributeur), Laurence Attali (réalisatrice), Imane Dionne (réalisatrice), …. Des cinéphiles sont venus de loin, certains du Cameroun et sont restés toute la semaine. Le public s'est révélé néanmoins moins nombreux qu'espéré, en dépit du battage médiatique, dans une salle qui gagne à être plus connue.
Une programmation éclectique (Journée du Documentaire)
Africiné est le plus grand site internet au monde uniquement spécialisé autour des cinémas africains et Diaspora. Il est le magazine électronique de la Fédération Africaine de la Critique, avec 350 journalistes répartis dans 33 pays du continent, donc un des plus grands médias africains et un des plus importants organismes panafricains). Africiné soutient (médiatiquement) quelques films. Le Leader Mondial suit Dialemi de la Gabonaise Nadine Otsobogo, W.A.K.A. premier long métrage de la réalisatrice camerounaise Françoise Ellong et Imaginaires en exil. Cinq cinéastes d'Afrique se racontent, le documentaire de la réalisatrice italienne Daniela Ricci. Cette dernière, établie à Paris, est membre rédactrice d'Africiné. Ce qui explique encore plus la sélection de ces 3 films, nonobstant leur qualité.
Grâce à l'appui de Wallonie Bruxelles, le cinéaste belge Patric Jean est venu présenter son film La Domination masculine (2009, Documentaire, 1h43 mins), où il réduit en miettes l'illusion de l'égalité entre hommes et femmes qui cache un abîme d'injustices quotidiennes. Malgré une dizaine de procès annoncés et des menaces de mort, il a sorti le film en salles. Une séquence épique est celle où Eric Zemmour, auteur médiatique français, défend un patriarcat abscons, de la manière la plus caricaturale et outrancière qui soit.
C'est à ses frais que la réalisatrice et productrice Nadine Otsobogo s'est organisée pour assister à la projection de son film Dialemi (et tourner à Dakar un épisode de sa série documentaire, Suis-moi si tu peux). Le budget limité n'a pas pu permettre de prendre en charge beaucoup d'invités (cinéastes / critiques, acteurs ou autre représentant de la famille d'Andrée Davanture). Le projet de base était de convier autour de chaque film (long ou court) un cinéaste, avec une critique africain et un critique francophone non africain (libanais, canadien, suisse, …).
Les films retenus sont aussi un reflet des tendances. Le Challat de Tunis, mocumentaire de la réalisatrice Kaouther Ben Hania qui mélange fiction et documentaire sous le ton de la moquerie, incise avec talent la société tunisienne pour analyser le contrôle des corps et donc des esprits. Comme, un poisson d'avril, la sortie en France est prévue le 1er Avril.
W.A.K.A. de Françoise Ellong est une plongée dans le monde de la prostitution, sa violence et la résilience des femmes. Le film est porté par des acteurs qu'on aimerait beaucoup revoir (Patricia Bakalack, Bruno Henry, Alain Bomo Bomo, …). Il est sélectionné au prochain FESPACO 2015 (Festival Panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou). Dakar trottoirs et Des étoiles jouaient à domicile. Le public s'est pressé avec la présence de la rayonnante Marème Demba Ly (Trophée Francophone de la Meilleure actrice 2014) qui a bien voulu accompagner la projection du film de Dyana Gaye. Son glamour et sa simplicité nous rappelle que ce sont les actrices et actrices qui font mousser la magie de l'écran, l'Afrique proposant un peu trop un cinéma de cinéastes.
Hubert Laba Ndao a écourté son séjour à Abidjan, pour venir présenter son film au cinéma Le Christa. La bande annonce de son film sur Youtube (avec Prudence Maïdou, Eriq Ebouaney et Ibrahima Mbaye) dépasse les 6 millions de vues, chiffre exceptionnel.
Courts métrages et Journée Documentaire (Samba Félix Ndiaye)
Quant aux courts métrages, c'est Sunnay qui a ouvert le bal. Primé par Africiné au Festival Cortos rek de Dakar, en mai dernier, il était normal de le programmer (ce qui n'a pas pu être le cas pour le long métrage No Man's Land de Newton Aduaka, primé en 2013 au Fespaco). Le court métrage a été diffusé dans de regrettables conditions de projection (problèmes de fenêtre de cadrage), comme l'a souligné Laurence Attali, réalisatrice et monteuse. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir fait de longs essais sur tous les films. Fiction de 19 minutes, ce court métrage montre le difficile chemin vers l'abandon de l'excision et surtout le double langage de ce qui font mine de le condamner. Film d'études, il laisse entrevoir de belles dispositions de réalisation dans le futur, malgré certains défauts.
Avec Soeur Oyo, la documentariste belgo-congolaise Monique Phoba saute à pieds joints dans la fiction et réinterroge l'histoire. Elle portraiture une de ces rares Congolaises à avoir été instruites à l'école (primaire, la colonisation et ses prétentions de civiliser ont des limites). Le résultat est touchant, poétique, concédant au monde des enfants toute sa cruauté et aux colons des nuances dans le paternalisme. Twaaga ("Invincible", en langue morée) de Cédric Ido disjoint de manière magistrale fiction et documentaire, en empruntant les bandes dessinées avec leur lot de super héros qui défient la mort. Le portrait qu'il fait de Thomas Sankara est craquant (au propre comme au figuré). Mbote ! (Congo RDC) ou La Radio (Côte d'Ivoire / Cameroun), ou aussi Laan (Djibouti) interrogent, tous les trois, les urbanités africaines qui elles également créent de l'angoisse, comme dans les films de Woody Allen sur Manhattan.
Au cœur de la Semaine de la critique se greffe la Journée du Documentaire organisée par les critiques sénégalais depuis 2010. Le nom de Samba Félix Ndiaye, grand cinéaste, qui a fait exclusivement des documentaires, a été donné à cette journée (comme à la salle de cinéma de l'institut français, partenaire traditionnel de l'Association sénégalaise). Il a quitté la France, pour venir s'installer en 2004 à Dakar, afin de contribuer à former les cinéastes en apportant son savoir faire et son carnet d'adresses (F. Wiseman, A. Kiarostami,...).
En 2005, je me suis retrouvé membre du Jury (présidé par Ben Diogaye Bèye) au festival du Film de Quartier, Dakar. Dans le bureau de Modibo Diawara, le réalisateur suisse Thomas Thümena qui venait montrer son film tourné au pays des Elephants (dans la famille de sa femme ivoirienne) lança : "C'est facile de filmer". Le visage de Samba Félix, d'ordinaire si souriant, se pétrifia, se décomposant sous nos yeux. "C'est facile ? Cela dépend de ce que tu appelles filmer et de ce que tu filmes. Tu crois que c'est facile de filmer des corps figés dans la mort alors qu'ils embrassaient à peine la vie ? Des femmes violées par milliers."
Chaque mot semblait éperonner sa voix qui montait, s'élevait, un peu plus, le plafond arrêtant bientôt la cavalcade. Alors, elle se cogna contre les murs et vint s'éparpiller sur nos épaules et dans nos coeurs, pendant que des larmes se brisaient sur la poitrine de grand Samba. Olivier Barlet se précipita le premier pour l'entourer de ses bras et le sortir de la pièce. Lui qui avait filmé le génocide du Rwanda venait de nous flanquer une humble et courte leçon de cinéma. C'est à Oualata (ville jumelle de la Cité aux 136 mausolées) que Abderrahmane Sissako a filmé, sous la protection de l'armée mauritanienne, l'absurdité des criminels qui se parent de la religion. Un attentat a eu lieu devant la caserne militaire de Toumbouctou, un mois avant le début de son tournage prévue dans la ville sainte malienne. Hélas, ce n'est pas facile de filmer ni de perdre un être cher. (à lire Rwanda, pour mémoire, de Samba Félix Ndiaye, une critique philosophique par Bassirou Niang et le témoignage de la réalisatrice franco-congolaise Claude Haffner qui cite le cinéaste sénégalais : "Dites simplement la vérité").
Une expertise à pérenniser, pour jardiner les esprits (sans pesticides)
Cette expérience montre que l'expertise existe ainsi que la demande de cinéma. À ce propos, Cinéwax lance un appel sur Kisskissbankbank, jusqu'au 31 janvier 2015, afin de financer un ciné club qui oeuvre pour le développement du cinéma et de la culture au Sénégal. La marge de manœuvre est très grande, avec une semaine de la critique annualisée au Sénégal voire itinérante (pas forcément liée à la francophonie. Les Rencontres Cinématographiques de Dakar (RECIDAK) pourraient être confiées aux critiques. Comme Carthage, le Fespaco gagnerait à créer, aux côtés du Délégué Général, un véritable poste de Directeur artistique confié à un critique (pas forcément d'extraction burkinabèe), pour penser et panser les films. Revenue du Festival International de film du Caire - CIFF 2014 où nos confrères égyptiens ont créé une semaine de la critique sur le modèle de Cannes, Djia Mambu a lancé l'idée à creuser d'une Semaine de la critique au Fespaco et d'autres (Carthage). Cela pose de manière encore plus cruciale la question vitale d'une structuration administrative de la Fédération panafricaine de la critique basée à Dakar, afin de maintenir à flots un regard critique et sans complaisance sur les cinémas d'Afrique et diaspora. Chaque association nationale a sa partition à jouer. Prendre à son compte l'initiative et responsabiliser les autorités étatiques.
L'heure est aussi grave. Faire une image, exprimer sa pensée, peut provoquer la mort (sans pour autant être absolument d'accord avec les motivations de toutes les satires, car la surenchère face aux extrémismes n'aide pas toujours un vrai débat d'idées). Il y a peu, notre collègue camerounais Jacques Bessala Manga est mort, agressé en pleine rue, à Yaoundé, dans des circonstances toujours non élucidées. Le corps des femmes est encagoulé, avec des arguments aussi absurdes que criminels, comme si leur sexe était denté alors que c'est l'inconséquence de certains hommes qui les mord. Alors, l'éducation à l'image (et le dépassement de la blague potache qui reste en surface), est essentielle. Les journalistes sont en première ligne. Car le cinéma c'est du divertissement et de la propédeutique.
Thierno I. Dia
Africiné / Bordeaux
pour Images Francophones
Photo : Youma Fall, Directrice de la diversité et du Développement (OIF, Paris), à Dakar.
Crédit : DR
Les chefs d'Etat et de gouvernement de la Francophonie ont choisi de se réunir à Dakar les 29 et 30 novembre 2015. Sept jours durant, l'Association Sénégalaise de la Critique Cinématographique (ASCC, Dakar) et Depuis Le Sud (Vanuit het Zuiden, Amsterdam) ont organisé la Semaine Francophone de la Critique 2014, en collaboration avec la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC, Dakar). La Délégation Générale du 15e Sommet de la Francophonie et la Délégation Wallonie-Bruxelles ont financé l'évènement. Les deux journalistes Fatou Kiné Sène (Dakar) et Djia Mambu (Bruxelles) en étaient les coordinatrices, assistées de Scheina Adaya et Bolé Thiaw.
Toute la semaine (du 24 au 30 novembre 2014), la projection d'un court métrage et d'un long métrage suivie d'un débat (animé par deux critiques de cinéma) avec le public était proposée dans la salle du cinéma Le Christa, entre les quartiers de Grand Yoff et Patte d'oie, à 19h00. L'entrée était gratuite.
Directrice de la diversité et du Développement à l'OIF, Youma Fall a accepté d'assister et de présider la cérémonie d'ouverture, en présence de Hugues Diaz, Directeur de la Cinématographie Nationale, lui-même accompagné de Soumahoro Alfa Yaya, Directeur de la Production à l'Office national du Cinéma de Côte d'Ivoire, ONAC-CI. Docteure en Arts, Youma Fall s'est impliquée pour que les journalistes de cinéma puissent contribuer aux manifestations culturelles du XVe Sommet de l'OIF, afin que les films soient accompagnés d'un regard critique et que les spectateurs participent à un débat fécond.
Le film d'ouverture (lundi 24 novembre) a été réalisé par Safi Faye et monté par Andrée Davanture. C'est Mossane (1996), une ode à la beauté et à l'amour. Ce long métrage de fiction a bénéficié du soutien du Fonds Francophone (OIF / CIRTEF), comme la majorité des films de la Semaine Francophone de la Critique 2014, sélectionnés avec la complicité de Souad Houssein (Responsable Cinéma de l'OIF) et Pierre Barrot (Responsable TV et Promotion de l'OIF).
Le marrainage de Safi Faye et feue Andrée Davanture
La réalisatrice sénégalaise Safi Faye et (à titre posthume) la chef monteuse française Andrée Davanture ont été choisies comme marraines de cette Semaine Francophone de la Critique 2014. La Sénégalaise est une pionnière. Actrice dans les films de Jean Rouch, elle est la première femme en Afrique subsaharienne a passé derrière la caméra (La Passante, 1972). En 1975, elle réalise Kaddu Beykat (Lettre paysanne), puis Fad'jal (1979). Ces deux films seront méchamment censurés. Président Léopold Sédar Senghor (comme ses thuriféraires) ne s'embarrassait guère de scrupules pour emprunter ses ciseaux à Dame Anastasie, sainte patronne de la censure. Dans ces 2 films, Faye traduit très bien la désillusion des populations face à la fin du joug colonial (surtout confisquée par des politiciens qui n'en voulaient pas : Senghor a voté non à l'indépendance en 1958 puis d'attendre 25 ans, voir le film Président Dia).
La regrettée Andrée Davanture a une impressionnante carrière de monteuse qui s'étale sur 52 ans et une très longue liste de collaborations à son actif (Mali, Cambodge, Iran, Sénégal, …). Jusque sur son lit de mort, elle continuait à suivre les montages de films en cours (dont Soba du Malien Souleymane Cissé), avec sa légendaire bienveillance. La palette de ses films est très large et son apport décisif (témoigne le réalisateur de Yeelen dont elle a monté tous ses films, jusqu'à donc Soba). Elle rend orpheline la grande famille du cinéma, à 81 ans, le 1er juillet 2014, avec un vivace catalogue de films. Nombre de professionnels ont dit leur douleur et loué ses qualités (lire l'article Décès de la monteuse française Andrée Davanture, par Michel Amarger). Les journalistes de cinéma ont l'avantage d'avoir une vision panoptique d'une œuvre ; celle d'Andrée Davanture embrasse plusieurs styles, époques, continents, générations. Après ses premièresexpériences en 1953, elle sera une des forces morices auprès de Jean-René Debrix au sein du Bureau Cinéma du Ministère des Affaires étrangères (France). Puis, quand le ministère français baissa son action pour ces cinémas du sud, elle fonde l'association Atria/Atriascop (où elle aidait même à la production, distribution des films des pays du Sud). Elle a promu d'autres professionnels dans son sillage telle Annabelle Thomas.
Au vu de leur parcours d'exception, le choix des deux marraines rejoint le thème du sommet de la Francophonie, "Femmes et jeunes en Francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement". Il n'a pas été difficile de trouver un film qui les lie car Andrée Davanture a monté tous les longs métrages de Faye. Retenue au festival de Rotterdam, cette dernière a sollicité Ousmane William Mbaye pour la représenter ainsi qu'Andrée Davanture (avec l'accord d'Annabelle Thomas qui a tenu informée la famille). Son témoignage particulièrement émouvant a souligné la place essentielle de ces deux professionnelles dans le cinéma.
Réalisatrice et monteuse, Angèle Diabang, toute nouvelle responsable de la Société Collective des droits d'auteurs, a accepté de venir témoigner de l'importance des modèles et comment être une femme dans un métier dominé par les hommes. Son regard affuté était ainsi triple. Au débat qui a suivi la projection, elle n'a pas manqué de dire que voir la fiction de Safi Faye sur une jeune femme qui se (dé)bat face aux passions amoureuses la renvoie d'autant vers l'adaptation qu'elle est en train de faire du roman de Mariama Bâ, Une si longue lettre.
Solidarité de la corporation et invitation du ministre ivoirien
Quand les journalistes organisent un évènement, cela se sait. La profession se mobilise sur place. Animateur de l'émission culturelle phare Les Matins de RSI (8h à 10h), Alioune Diop invite l'équipe sur son plateau, à Radio Sénégal Internationale diffusée sur le satellite et par internet. Au même moment, Oumy Régina Sambou (elle-même animatrice de Culture en fête, autre émission culturelle très écoutée, sur Sud Radio), responsable de la Communication de la Semaine de la Critique avec Abdou Rahmane Mbengue, était en direct sur la chaine de télévision privée 2S.
La télévision publique n'est pas en reste. Directrice de l'information et présentatrice vedette du journal télévision de 20h, Maïmouna Ndir offre une couverture médiatique. Maïmouna Sy et son équipe viendront couvrir l'ouverture officielle ; le reportage (avec Youma Fall) est diffusé à l'heure de grande écoute. Quelques jours plus tard, elle est là quand Maurice Bandaman, ministre ivoirien de la culture, se déplacera avec son cabinet et Hugues Diaz, le Directeur du Cinéma sénégalais. Devant les caméras de la Télévision Nationale du Sénégal, le ministre ivoirien dit son enthousiasme et invite même l'équipe de critiques d'Africiné à venir organiser en 2015, à Abidjan, une semaine de cinéma. La Côte d'Ivoire fait partie des pays où la FACC a une association affiliée, ce qui rendra l'opération motivante.
Ebola toi-même (des voyageurs braqués à l'aéroport de Dakar)
Parmi les curiosités de Dakar quand on y débarque en avion, ce sont les passagers qui applaudissent le pilote quand il pose le train d'atterrissage sur le tarmac de la capitale sénégalaise. Il y a aussi ces voyageurs qui se précipitent hors du bus qui conduit au hall d'arrivée et enfin ces personnages qui veulent grapiller quelques sous en squattant les charriots (gratuits) vous forçant presque la main pour vous en donner l'usufruit (même si ce dernier phénomène a baissé en intensité).
Une majorité de blasés ? En tout cas, ce 20 novembre 2014, les applaudissements sont mous dans l'avion en provenance de Casablanca (après un premier Bordeaux-Casablanca), peut-être pour garder la force de s'éjecter du bus. Le premier flux bondit, avale la dizaine de marche, avec leur multitude de bagages à main (un couple de Bissau Guinéens ayant parlé très fort tout le trajet a damé le pion aux Sénégalais). Aussitôt, se produit un phénomène sans précédent : le groupe de tête reflue ostensiblement. Le double motif de leur effroi : là où se tiennent de coutume les cabines de la Police des Airs, des étincelles volent au milieu d'un vacarme assourdissant, tandis que trois personnes barrent le passage et pointent ce qui ressemblent à des armes sur la tempe des voyageurs qui se sont résolus à avancer (à leur invitation insistante). Le signe de la main est autoritaire, on ne peut savoir s'il est adouci par un sourire (extra peu ordinaire). La dame exhibe une grande feuille blanche où il est écrit à la main de s'adresser à elle (pour ceux qui n'ont pas le visa). Les deux hommes qui l'entourent appliquent mécaniquement leur "arme" sur le front des voyageurs qui passent un(e) à un(e) sans un mot.
Les ouvriers mettent les bouchées doubles avec leurs scies électriques. Les trois personnes sont gantées de blanc, outre un gilet fluorescent (comme ceux de chantier, sans aucune indication sur leur affiliation) portent un masque qui leur recouvre bouche et nez. Au bout des deux bras qui se tendent vers les arrivants, ce n'étaient pas des armes, plutôt comme des inhalateurs gris (ceux qui vivent avec l'asthme savent). On pourrait penser presque à un simulacre, tant l'objet a la même forme que celui qui soulagent les asthmatiques et leurs proches, si les deux hommes ne scrutaient scrupuleusement l'appareil après un premier regard suspicieux sur ces hôtes du pays de la Téranga ("hospitalité" en langue wolove).
Les médias internationaux présentaient ce pays à risque, à l'instar de la Guinée Conakry, de la Sierra Leone et du Libéria. De fortes rumeurs ont esquissé voire défendu le report du XVème Sommet qui devait réunir Chefs d'Etat et de Gouvernement de la Francophonie (une consoeur entendra un journaliste français convié faire une blague douteuse, pour ne pas dire raciste, sur la propreté des Africains). Le renversement de la peur s'effectuait dès l'accueil et autour de minuit (la trompette de Miles Davis n'aurait pas été de trop, tant la scène était surréaliste). Nous étions potentiellement des importateurs de virus Ebola. Et voilà !
Une capitale sans cinéma(s), vraiment ?
Les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale) ont imposé un programme drastique à la fin des années 80, début des années 90, qui a conduit de nombreux états africains à réduire les dépenses publiques (dans la culture, l'éducation et la santé principalement). Le cinéma a payé un lourd tribut. Des 76 salles recensées par Paulin Vieyra en 1983, il ne reste au Sénégal qu'une poignée environ, dont 3 à Dakar (Badaciné, à la Gueule Tapée, Le Christa à Patte d'Oie et 5th Avenue Theater, depuis octobre 2012, une salle équipée en projection 3D, dans le quartier huppé des Almadies). Peut-être même les seules du pays, car, "les salles Agora de Thiès, Hollywood de Mbour, Unité 3 des Parcelles assainies, Rex de Saint-Louis, Vox de Kaolack, ont […] mis les clés sous le paillasson", nous renseigne S.M.S. Cissé dans le quotidien Le Soleil (Dakar), du 29 juin 2013.
Pendant un bon moment, le réalisateur Ousmane William Mbaye s'est révélé un merveilleux architecte de la cinéphilie dans le patio du restaurant Bideew bi (Institut français), avec la complicité de Baba Diop, journaliste et Président de la Fédération panafricaine de la Critique (FACC). Son Cinéma de Nuit pouvait programmer Moloch Tropical (Raoul Peck) ou Questions à la terre Natale (Samba Félix Ndiaye). Pendant les 5 ans de son existence (2007 à 2011), ce ciné club était un creuset et une école du cinéma. Africiné en était partenaire (comme pour le cinéclub d'AfricAvenir à Berlin, ou celui de Windhoek en Namibie). Quant à la salle Samba Félix Ndiaye (Institut Français), elle a une programmation régulière et relativement diversifiée, avec des avant-premières ; l'entrée est parfois gratuite.
Situé au Camp Jeremy, en face de la porte principale de l'Université de Dakar, sur l'avenue Cheikh Anta Diop, Aula Cervantes Dakar, le centre culturel espagnol, dispose d'une solide programmation. Son ciné club CineRek diffuse chaque jeudi (sauf exception), des films (espagnols ou sénégalais) à 19h00, avec des formations (dont un atelier de la critique en mai 2014) et la 1ère édition de Cortos Rek 2014, festival de courts métrages.
Le Goethe Institut a une programmation plus discrète, moins systématique pour le moment. Le centre culturel allemand collabore avec la coopération belge. Autre institution germanique, La Fondation Konrad Adenauer se différencie : elle organise chaque dernier jeudi du mois, à 18h00, route de Mermoz, son Ciné Club de la FKA (Fondation Konrad Adenauer), avec des films nationaux, africains ou du pays de Hölderlin.
Le Centre Culturel Blaise Senghor de Dakar (en face du grand Lycée Blaise Diagne) offre aussi un cinéclub le vendredi, à 19h. Sa régularité est liée à la disponibilité due cinéaste et acteur Ismaël Thiam (L'Absence de Mama Keita, Jaay Jap) qui en est le programmateur. Loin des faubourgs de Dakar, aux Parcelles Assainies, Ciné banlieue organise des projections de films les week-ends (le programme ne nous est pas connu). Dans la salle Badaciné (quartier Gueule Tapée), le grand distributeur Khalilou Ndiaye essaie d'innover, en proposant des productions télévisuelles à succès. Il vient de lancer un ciné club. À l'orée de la nouvelle année, le doué cinéaste Joseph GAÏ Ramaka lance sur l'île des esclaves Gorée Island Cinema, un Espace de Rencontres et de Créations Cinématographiques (page facebook ici).
80 000 euros, des films et des exonérations
Ces différents lieux (sans que le panorama soit exhaustif) diffusent des films et presque tous gratuitement. Ils ne sont pas toujours connus. La route qui serpente de l'aéroport jusqu'aux contreforts de la banlieue mène au cinéma Le Christa et à la nouvelle autoroute (une bretelle de rocade en vérité). Les chauffeurs de taxi dakarois déclarent souvent crânement savoir où est Le Christa. Il n'en est rien, malgré son emplacement exceptionnel, en face de la clinique Nabil Choucair (séparée par la voie rapide) et mitoyenne de l'agence Orange (anciennement Sonatel). Surtout durant la période du sommet où, les services de sécurité ont exigé de Malick Aw (fils et successeur du cinéaste Tidiane Aw, auteur du film Le Bracelet de Bronze) d'enlever le panneau qui signale son cinéma.
Le Directeur de la salle Le Christa nous laisse ébaubis : la semaine de la critique est sa seconde recette de l'année 2014. Quand il détaille les prélèvements (salaires, taxes,..), il lui reste bien peu. Il nous confie que c'est son activité de juriste qui permette de tenir les murs, ainsi que le produit de locaux locatifs. La salle ouvre peu et donc ne remplit pas totalement les chaises pour des programmes comme la semaine de la critique, en dépit du grand intérêt. "J'ai juste besoin de 80 000 euros pour équiper la salle en DCP et de films pour projeter plus régulièrement", soupire Malick Aw. Dans son discours d'ouverture, Youma Fall a rendu un hommage appuyé à son père qui a vaillamment construit ce temple de la culture il y a vingt ans. À la mort de Tidiane Aw, son fils a quitté la France où il était établi pour prendre le flambeau. Le consultant en droit interpelle les autorités : le soutien le plus important n'est pas forément un financement direct : l'exonération de certaines taxes peut être une action concrète pour ce secteur si fragile. La salle fait 400 places, en trois catégories de confort (et donc de prix d'entrée habituellement, un malheureux héritage du temps colonial où les colons ne se mélangeaient ni aux "évolués" ni aux indigènes).
Institut français et TV5 Monde
Une insupportable hypothèque a pesé sur l'organisation, jusqu'à une heure avant la cérémonie officielle présidée par Youma Fall. Malgré l'accord cordial de Safi Faye pour être marraine de la semaine, il n'a pas du tout été aisé d'obtenir copie du film d'ouverture, Mossane. Alors même qu'il était très facile d'avoir une copie du film à Paris (avec les droits afférents). Pour ne rien arranger, Johnny Spencer Diop nous prévient que les cinéastes sénégalais qu'il a contactés risquent majoritairement de ne pas venir, l'Institut Français Léopold Sédar Senghor de Dakar et TV5 Monde ayant programmé la Première Ouest-Africaine du film Timbuktu (diffusé en juillet déjà à Durban, en Afrique du Sud où il a remporté le Grand Prix). Le même jour que l'hommage à Faye et Andrée Davanture, et sur invitation, pour des happy few. Quelques heures avant, on nous conseille de renvoyer notre ouverture au lendemain, mardi. Un évènement que nous avions déposé depuis février et cherché la collaboration de l'Institut français de Dakar. Surtout que les critiques de cinéma regrettaient que le Sénégal n'ait jamais rendu à Safi Faye l'honneur à sa mesure, par la même occasion témoigner une juste reconnaissance à Andrée Davanture.
Cette avant-première impromptue et en comité restreint se révélait autrement dommageable : elle est passée inaperçue, pour un film si important. Que Timbuktu se retrouve ainsi reclus et noyé au milieu d'une semaine trop étoffée ne sert pas le cinéma, ni la belle vision du monde que défend ce film. Une simple communication entre opérateurs culturels aurait pu permettre d'obtenir (ensemble) une grande salle belle par la cinéphilie repue des spectateurs qui s'y donneraient rendez-vous, avec les journalistes apportant leur pierre critique. Face à la barbarie que dénonce Timbuktu, le psychanalyste Bruno Bettelheim nous enseigne que c'est en évitant la dispersion et avec un cœur conscient (titre de son livre éponyme) que l'on résiste, non pas en cédant à l'émotion et à la contemplation, ni aux logiques d'appareil.
Le jour même, lundi, le problème du film Mossane était comme une écharde au talon, avec le risque de le déprogrammer sine die (la réalisatrice Mariette Monpierre ayant accepté la possibilité de projeter sa très belle fiction Elza qui sera diffusé par notre partenaire AfricAvenir, à Berlin le 28 janvier 2015, en présence de la Guadeloupéenne et son actrice principale, la lumineuse Stana Roumillac).
Romain Masson (Attaché audiovisuel régional, Ambassade de France), ainsi que Amadou Sène (Responsable Culturel de l'Institut Français) et Ibrahima Traoré (Responsable de la Médiathèque) ont déployé un incroyable trésor de mobilisation, afin d'aider la Semaine Francophone de la Critique 2014 à respecter son programme. Difficilement bouclée par des sélectionneurs africains éparpillés entre Dakar, Bruxelles, Amsterdam et Bordeaux, la programmation pouvait enfin être partagée avec le public. Place au cinéma !
Finalement, la soirée d'ouverture au Cinéma Le Christa ne fut pas un coup d'épée dans l'eau : plusieurs personnalités sénégalaises du cinéma se sont déplacées dont Khalilou Ndiaye (distributeur), Laurence Attali (réalisatrice), Imane Dionne (réalisatrice), …. Des cinéphiles sont venus de loin, certains du Cameroun et sont restés toute la semaine. Le public s'est révélé néanmoins moins nombreux qu'espéré, en dépit du battage médiatique, dans une salle qui gagne à être plus connue.
Une programmation éclectique (Journée du Documentaire)
Africiné est le plus grand site internet au monde uniquement spécialisé autour des cinémas africains et Diaspora. Il est le magazine électronique de la Fédération Africaine de la Critique, avec 350 journalistes répartis dans 33 pays du continent, donc un des plus grands médias africains et un des plus importants organismes panafricains). Africiné soutient (médiatiquement) quelques films. Le Leader Mondial suit Dialemi de la Gabonaise Nadine Otsobogo, W.A.K.A. premier long métrage de la réalisatrice camerounaise Françoise Ellong et Imaginaires en exil. Cinq cinéastes d'Afrique se racontent, le documentaire de la réalisatrice italienne Daniela Ricci. Cette dernière, établie à Paris, est membre rédactrice d'Africiné. Ce qui explique encore plus la sélection de ces 3 films, nonobstant leur qualité.
Grâce à l'appui de Wallonie Bruxelles, le cinéaste belge Patric Jean est venu présenter son film La Domination masculine (2009, Documentaire, 1h43 mins), où il réduit en miettes l'illusion de l'égalité entre hommes et femmes qui cache un abîme d'injustices quotidiennes. Malgré une dizaine de procès annoncés et des menaces de mort, il a sorti le film en salles. Une séquence épique est celle où Eric Zemmour, auteur médiatique français, défend un patriarcat abscons, de la manière la plus caricaturale et outrancière qui soit.
C'est à ses frais que la réalisatrice et productrice Nadine Otsobogo s'est organisée pour assister à la projection de son film Dialemi (et tourner à Dakar un épisode de sa série documentaire, Suis-moi si tu peux). Le budget limité n'a pas pu permettre de prendre en charge beaucoup d'invités (cinéastes / critiques, acteurs ou autre représentant de la famille d'Andrée Davanture). Le projet de base était de convier autour de chaque film (long ou court) un cinéaste, avec une critique africain et un critique francophone non africain (libanais, canadien, suisse, …).
Les films retenus sont aussi un reflet des tendances. Le Challat de Tunis, mocumentaire de la réalisatrice Kaouther Ben Hania qui mélange fiction et documentaire sous le ton de la moquerie, incise avec talent la société tunisienne pour analyser le contrôle des corps et donc des esprits. Comme, un poisson d'avril, la sortie en France est prévue le 1er Avril.
W.A.K.A. de Françoise Ellong est une plongée dans le monde de la prostitution, sa violence et la résilience des femmes. Le film est porté par des acteurs qu'on aimerait beaucoup revoir (Patricia Bakalack, Bruno Henry, Alain Bomo Bomo, …). Il est sélectionné au prochain FESPACO 2015 (Festival Panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou). Dakar trottoirs et Des étoiles jouaient à domicile. Le public s'est pressé avec la présence de la rayonnante Marème Demba Ly (Trophée Francophone de la Meilleure actrice 2014) qui a bien voulu accompagner la projection du film de Dyana Gaye. Son glamour et sa simplicité nous rappelle que ce sont les actrices et actrices qui font mousser la magie de l'écran, l'Afrique proposant un peu trop un cinéma de cinéastes.
Hubert Laba Ndao a écourté son séjour à Abidjan, pour venir présenter son film au cinéma Le Christa. La bande annonce de son film sur Youtube (avec Prudence Maïdou, Eriq Ebouaney et Ibrahima Mbaye) dépasse les 6 millions de vues, chiffre exceptionnel.
Courts métrages et Journée Documentaire (Samba Félix Ndiaye)
Quant aux courts métrages, c'est Sunnay qui a ouvert le bal. Primé par Africiné au Festival Cortos rek de Dakar, en mai dernier, il était normal de le programmer (ce qui n'a pas pu être le cas pour le long métrage No Man's Land de Newton Aduaka, primé en 2013 au Fespaco). Le court métrage a été diffusé dans de regrettables conditions de projection (problèmes de fenêtre de cadrage), comme l'a souligné Laurence Attali, réalisatrice et monteuse. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir fait de longs essais sur tous les films. Fiction de 19 minutes, ce court métrage montre le difficile chemin vers l'abandon de l'excision et surtout le double langage de ce qui font mine de le condamner. Film d'études, il laisse entrevoir de belles dispositions de réalisation dans le futur, malgré certains défauts.
Avec Soeur Oyo, la documentariste belgo-congolaise Monique Phoba saute à pieds joints dans la fiction et réinterroge l'histoire. Elle portraiture une de ces rares Congolaises à avoir été instruites à l'école (primaire, la colonisation et ses prétentions de civiliser ont des limites). Le résultat est touchant, poétique, concédant au monde des enfants toute sa cruauté et aux colons des nuances dans le paternalisme. Twaaga ("Invincible", en langue morée) de Cédric Ido disjoint de manière magistrale fiction et documentaire, en empruntant les bandes dessinées avec leur lot de super héros qui défient la mort. Le portrait qu'il fait de Thomas Sankara est craquant (au propre comme au figuré). Mbote ! (Congo RDC) ou La Radio (Côte d'Ivoire / Cameroun), ou aussi Laan (Djibouti) interrogent, tous les trois, les urbanités africaines qui elles également créent de l'angoisse, comme dans les films de Woody Allen sur Manhattan.
Au cœur de la Semaine de la critique se greffe la Journée du Documentaire organisée par les critiques sénégalais depuis 2010. Le nom de Samba Félix Ndiaye, grand cinéaste, qui a fait exclusivement des documentaires, a été donné à cette journée (comme à la salle de cinéma de l'institut français, partenaire traditionnel de l'Association sénégalaise). Il a quitté la France, pour venir s'installer en 2004 à Dakar, afin de contribuer à former les cinéastes en apportant son savoir faire et son carnet d'adresses (F. Wiseman, A. Kiarostami,...).
En 2005, je me suis retrouvé membre du Jury (présidé par Ben Diogaye Bèye) au festival du Film de Quartier, Dakar. Dans le bureau de Modibo Diawara, le réalisateur suisse Thomas Thümena qui venait montrer son film tourné au pays des Elephants (dans la famille de sa femme ivoirienne) lança : "C'est facile de filmer". Le visage de Samba Félix, d'ordinaire si souriant, se pétrifia, se décomposant sous nos yeux. "C'est facile ? Cela dépend de ce que tu appelles filmer et de ce que tu filmes. Tu crois que c'est facile de filmer des corps figés dans la mort alors qu'ils embrassaient à peine la vie ? Des femmes violées par milliers."
Chaque mot semblait éperonner sa voix qui montait, s'élevait, un peu plus, le plafond arrêtant bientôt la cavalcade. Alors, elle se cogna contre les murs et vint s'éparpiller sur nos épaules et dans nos coeurs, pendant que des larmes se brisaient sur la poitrine de grand Samba. Olivier Barlet se précipita le premier pour l'entourer de ses bras et le sortir de la pièce. Lui qui avait filmé le génocide du Rwanda venait de nous flanquer une humble et courte leçon de cinéma. C'est à Oualata (ville jumelle de la Cité aux 136 mausolées) que Abderrahmane Sissako a filmé, sous la protection de l'armée mauritanienne, l'absurdité des criminels qui se parent de la religion. Un attentat a eu lieu devant la caserne militaire de Toumbouctou, un mois avant le début de son tournage prévue dans la ville sainte malienne. Hélas, ce n'est pas facile de filmer ni de perdre un être cher. (à lire Rwanda, pour mémoire, de Samba Félix Ndiaye, une critique philosophique par Bassirou Niang et le témoignage de la réalisatrice franco-congolaise Claude Haffner qui cite le cinéaste sénégalais : "Dites simplement la vérité").
Une expertise à pérenniser, pour jardiner les esprits (sans pesticides)
Cette expérience montre que l'expertise existe ainsi que la demande de cinéma. À ce propos, Cinéwax lance un appel sur Kisskissbankbank, jusqu'au 31 janvier 2015, afin de financer un ciné club qui oeuvre pour le développement du cinéma et de la culture au Sénégal. La marge de manœuvre est très grande, avec une semaine de la critique annualisée au Sénégal voire itinérante (pas forcément liée à la francophonie. Les Rencontres Cinématographiques de Dakar (RECIDAK) pourraient être confiées aux critiques. Comme Carthage, le Fespaco gagnerait à créer, aux côtés du Délégué Général, un véritable poste de Directeur artistique confié à un critique (pas forcément d'extraction burkinabèe), pour penser et panser les films. Revenue du Festival International de film du Caire - CIFF 2014 où nos confrères égyptiens ont créé une semaine de la critique sur le modèle de Cannes, Djia Mambu a lancé l'idée à creuser d'une Semaine de la critique au Fespaco et d'autres (Carthage). Cela pose de manière encore plus cruciale la question vitale d'une structuration administrative de la Fédération panafricaine de la critique basée à Dakar, afin de maintenir à flots un regard critique et sans complaisance sur les cinémas d'Afrique et diaspora. Chaque association nationale a sa partition à jouer. Prendre à son compte l'initiative et responsabiliser les autorités étatiques.
L'heure est aussi grave. Faire une image, exprimer sa pensée, peut provoquer la mort (sans pour autant être absolument d'accord avec les motivations de toutes les satires, car la surenchère face aux extrémismes n'aide pas toujours un vrai débat d'idées). Il y a peu, notre collègue camerounais Jacques Bessala Manga est mort, agressé en pleine rue, à Yaoundé, dans des circonstances toujours non élucidées. Le corps des femmes est encagoulé, avec des arguments aussi absurdes que criminels, comme si leur sexe était denté alors que c'est l'inconséquence de certains hommes qui les mord. Alors, l'éducation à l'image (et le dépassement de la blague potache qui reste en surface), est essentielle. Les journalistes sont en première ligne. Car le cinéma c'est du divertissement et de la propédeutique.
Thierno I. Dia
Africiné / Bordeaux
pour Images Francophones
Photo : Youma Fall, Directrice de la diversité et du Développement (OIF, Paris), à Dakar.
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