Se former sur le continent
À l'occasion du festival Afrikamera de Berlin (Allemagne) qui se tenait du 12 au 17 novembre 2013, il s'est tenu un symposium sur « L'Art de la collaboration » entre professionnels du cinéma africains et allemands. L'occasion de revenir sur la formation en matière de cinéma sur le continent.
Il fut un temps où les réalisateurs africains partaient étudier à l'étranger. Lorsque les gouvernements retrouvèrent successivement leur Indépendance, c'est en toute légitimité que le besoin de professionnels de l'audiovisuel eu besoin d'être comblé.
De par des alliances diplomatiques et/ou idéologiques - Guerre Froide oblige - nombre de cinéastes africains partirent se former en France (IDHEC), Belgique (INSAS), URSS (VGIK), Angleterre (London Film School), États-Unis (UCLA) ou Cuba (EICTV), à défaut de pouvoir se former sur le continent.
De 1959 à 1995, peu de formation cinématographique locale
Pour cause, côté francophone, un décret fut instauré en 1934 par Pierre Laval, alors ministre des Colonies, limitant les tournages des « indigènes » sur leur propre territoire. Une situation qui mena des cinéastes comme Paulin Soumanou Vieyra, Mamadou Sarr et Jacques Mélo Kane [avec Robert Caristan, ndlr] à tourner le premier film sénégalais Afrique-sur-Seine (1955) à Paris, alors qu'ils se formaient à l'Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC, devenu depuis La Fémis, NDLR).
Côté arabophone, le problème se posa moins puisque le premier long-métrage égyptien remonte à 1927 : Layla, réalisé par un Égyptien né Italien, Stephan Rosi, et produit par l'Égyptien Amir Aziza. L'importance du cinéma dans ce pays et son impact sur la sous-région (Moyen-Orient inclus) était tel que l'Égypte fonda en 1959 la première école de cinéma du continent : le High Cinema Institute – Cairo (Institut Supérieur du Cinéma du Caire).
Les pays anglophones tels que l'Afrique du Sud (avec la Pretoria Technikon Film and Television School en 1964 – devenu en 2004 la Tshwane University of Technology) et le Ghana (avec le National Film and Television Institute en 1978) furent les premiers pays africains à investir dans des formations cinématographiques, tout comme la Haute-Volta (actuel Burkina Faso, NDLR) qui créa en 1976 l'Institut Africain d'Études Cinématographiques (INAFEC). Jusqu'à sa fermeture en 1987, cette école demeura le principal lieu de formation au 7e art en Afrique de l'Ouest.
Les années 1980 virent la naissance de deux autres centres de formation dans deux sphères différentes : l'Institut de L'image de l'Océan Indien (ILOI) de La Réunion, fondé en 1983 par l'association Village Titan dans la ville du Port et l'Institut de formation aux techniques de l'information et de la communication (IFTIC) du Niger, créé en 1989.
Les années 1990 donnèrent ensuite l'opportunité à d'autres pays anglophones tels que la South African School of Film, Television and Dramatic Art (AFDA) de voir le jour après l'abolition de l'apartheid (1994) et le National Film Institute du Nigéria, en 1995.
Ère numérique : plus de 19 établissements voient le jour en Afrique
Avec l'arrivée du numérique, de nombreuses écoles virent le jour sur le continent à l'aune des années 2000, de la Tunisie (Institut supérieur d'art et de multimédia, ISAMM, 2000) aux Ateliers Actions Zuka en République Démocratique du Congo (2012). Plus d'une vingtaine d'établissements privés ou publics émergèrent au Burkina Faso, Sénégal, Bénin Maroc, Burundi, Afrique du Sud, Tunisie, Tanzanie, Ethiopie, Rwanda, Kenya et Cameroun, attestant ainsi du besoin de se former sur le continent plutôt qu'à l'étranger - les étudiants ayant accès à des bourses ou de haut revenus continuant tout de même d'étudier dans des écoles hors d'Afrique.
Aujourd'hui, si seulement cinq centres de formation en Afrique sont membres du Centre international de liaison des écoles de cinéma et de la télévision (CILECT)[1] sur les 160 recensés à travers le monde, force est de constater qu'une bonne partie des écoles privées émergentes le sont du fait de l'investissement de professionnels du cinéma.
Ainsi l'Institut Imagine de Ouagadougou a vu le jour sous l'impulsion du cinéaste Gaston Kaboré en 2003, la Blue Nile and TV Academy d'Addis-Abbeba a été fondée en 2009 par le chef opérateur Abraham Haile Biru ; le Burundi Film Center de Bujumbura a été créé en 2007 par le réalisateur rwandais Raymond Kalisa et le Canadien Christopher Redmond ; la Big Fish School of Digital Filmmaking de Johannesburg a été ouverte en 2007 par la réalisatrice Melanie Chait ; le Kwetu Film Institute (KFI) de Kigali a été initié en 2009 par le réalisateur Eric Kabera tout comme la Kibera Film School de Nairobi l'a été la même année par l'Américain Nathan Collet ; l'Institut de formation au cinéma et à l'audiovisuel d'Afrique centrale a été initié en 2011 par le réalisateur Bassek Ba Kobhio et les Ateliers Actions Zuka de Kinshasa, créés en 2012, sont à l'initiative du cinéaste Djo Tunda wa Munga.
Enjeux de la collaboration
La reconnaissance des diplômes des différents instituts mais surtout, l'accès à des sources de financements et des partenariats solides sont encore aujourd'hui le combat quotidien de nombreuses écoles installées en Afrique. Les frais d'inscription et l'accès à des bourses de scolarité sont également des enjeux rencontrés par nombre d'étudiants tout comme l'adéquation entre les cours fournis et les besoins du marché du travail qui attendent les élèves à leur sortie de formation.
Au festival Afrikamera 2013 de Berlin, nombreux étaient les professionnels à venir débattre de la formation sur le continent. Autour de Peter Rorvik (secrétaire général d'Arterial Network, Afrique du Sud), Mohamed Saïd Ouma (directeur du Festival international d'Afrique et des Iles de La Réunion et du Comoros International Film Festival) et Eric Van Grasdorff (président de la section allemande d'AfricAvenir), de nombreuses pistes ont été évoquées pour développer des collaborations entre écoles et festivals de cinéma entre l'Europe et l'Afrique. Partenariats, visibilité des films africains dans les réseaux existants et coopération avec la société civile ont été autant de sujets abordés par les participants.
En attendant que des réponses concrètes soient émises par les écoles elles-mêmes, soulignons la création, par le biais du programme Image Afrique-Formation du Fonds Spécial Prioritaire (FSP) du Ministère français des affaires étrangères et européennes pour le développement de l'audiovisuel en Afrique, d'un budget d'un million d'euros à destination des écoles africaines de cinéma.
Annoncé lors du FESPACO 2013 par la Ministre déléguée à la coopération et à la francophonie Yamina Benguigui, ce programme qui soutiendra 7 écoles africaines[2] et sera piloté par Canal France International (CFI), a organisé sa réunion de lancement du 21 au 23 novembre 2013 à l'Institut Imagine de Ouagadougou.
Claire Diao / Clap Noir
www.clapnoir.org
pour Images Francophones
[1] L'Institut Supérieur de l'Image et du Son (ISIS) du Burkina Faso, le National Film and Institute du Ghana, le National Film Institute et le National Television College du Nigéria ainsi que le Centre de Formation Professionnelle de l'Audiovisuel du Cameroun. [2] L'AFDA de l'Afrique du sud, l'ISCAC du Cameroun, la Blue Nile and TV Academy d'Ethiopie le NAFTI du Ghana, l'IFTIC du Niger, l'ISIS et IMAGINE du Burkina Faso.
Photo : Le symposium d'Afrikaméra 2013.
Crédit : Claire Diao
De par des alliances diplomatiques et/ou idéologiques - Guerre Froide oblige - nombre de cinéastes africains partirent se former en France (IDHEC), Belgique (INSAS), URSS (VGIK), Angleterre (London Film School), États-Unis (UCLA) ou Cuba (EICTV), à défaut de pouvoir se former sur le continent.
De 1959 à 1995, peu de formation cinématographique locale
Pour cause, côté francophone, un décret fut instauré en 1934 par Pierre Laval, alors ministre des Colonies, limitant les tournages des « indigènes » sur leur propre territoire. Une situation qui mena des cinéastes comme Paulin Soumanou Vieyra, Mamadou Sarr et Jacques Mélo Kane [avec Robert Caristan, ndlr] à tourner le premier film sénégalais Afrique-sur-Seine (1955) à Paris, alors qu'ils se formaient à l'Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC, devenu depuis La Fémis, NDLR).
Côté arabophone, le problème se posa moins puisque le premier long-métrage égyptien remonte à 1927 : Layla, réalisé par un Égyptien né Italien, Stephan Rosi, et produit par l'Égyptien Amir Aziza. L'importance du cinéma dans ce pays et son impact sur la sous-région (Moyen-Orient inclus) était tel que l'Égypte fonda en 1959 la première école de cinéma du continent : le High Cinema Institute – Cairo (Institut Supérieur du Cinéma du Caire).
Les pays anglophones tels que l'Afrique du Sud (avec la Pretoria Technikon Film and Television School en 1964 – devenu en 2004 la Tshwane University of Technology) et le Ghana (avec le National Film and Television Institute en 1978) furent les premiers pays africains à investir dans des formations cinématographiques, tout comme la Haute-Volta (actuel Burkina Faso, NDLR) qui créa en 1976 l'Institut Africain d'Études Cinématographiques (INAFEC). Jusqu'à sa fermeture en 1987, cette école demeura le principal lieu de formation au 7e art en Afrique de l'Ouest.
Les années 1980 virent la naissance de deux autres centres de formation dans deux sphères différentes : l'Institut de L'image de l'Océan Indien (ILOI) de La Réunion, fondé en 1983 par l'association Village Titan dans la ville du Port et l'Institut de formation aux techniques de l'information et de la communication (IFTIC) du Niger, créé en 1989.
Les années 1990 donnèrent ensuite l'opportunité à d'autres pays anglophones tels que la South African School of Film, Television and Dramatic Art (AFDA) de voir le jour après l'abolition de l'apartheid (1994) et le National Film Institute du Nigéria, en 1995.
Ère numérique : plus de 19 établissements voient le jour en Afrique
Avec l'arrivée du numérique, de nombreuses écoles virent le jour sur le continent à l'aune des années 2000, de la Tunisie (Institut supérieur d'art et de multimédia, ISAMM, 2000) aux Ateliers Actions Zuka en République Démocratique du Congo (2012). Plus d'une vingtaine d'établissements privés ou publics émergèrent au Burkina Faso, Sénégal, Bénin Maroc, Burundi, Afrique du Sud, Tunisie, Tanzanie, Ethiopie, Rwanda, Kenya et Cameroun, attestant ainsi du besoin de se former sur le continent plutôt qu'à l'étranger - les étudiants ayant accès à des bourses ou de haut revenus continuant tout de même d'étudier dans des écoles hors d'Afrique.
Aujourd'hui, si seulement cinq centres de formation en Afrique sont membres du Centre international de liaison des écoles de cinéma et de la télévision (CILECT)[1] sur les 160 recensés à travers le monde, force est de constater qu'une bonne partie des écoles privées émergentes le sont du fait de l'investissement de professionnels du cinéma.
Ainsi l'Institut Imagine de Ouagadougou a vu le jour sous l'impulsion du cinéaste Gaston Kaboré en 2003, la Blue Nile and TV Academy d'Addis-Abbeba a été fondée en 2009 par le chef opérateur Abraham Haile Biru ; le Burundi Film Center de Bujumbura a été créé en 2007 par le réalisateur rwandais Raymond Kalisa et le Canadien Christopher Redmond ; la Big Fish School of Digital Filmmaking de Johannesburg a été ouverte en 2007 par la réalisatrice Melanie Chait ; le Kwetu Film Institute (KFI) de Kigali a été initié en 2009 par le réalisateur Eric Kabera tout comme la Kibera Film School de Nairobi l'a été la même année par l'Américain Nathan Collet ; l'Institut de formation au cinéma et à l'audiovisuel d'Afrique centrale a été initié en 2011 par le réalisateur Bassek Ba Kobhio et les Ateliers Actions Zuka de Kinshasa, créés en 2012, sont à l'initiative du cinéaste Djo Tunda wa Munga.
Enjeux de la collaboration
La reconnaissance des diplômes des différents instituts mais surtout, l'accès à des sources de financements et des partenariats solides sont encore aujourd'hui le combat quotidien de nombreuses écoles installées en Afrique. Les frais d'inscription et l'accès à des bourses de scolarité sont également des enjeux rencontrés par nombre d'étudiants tout comme l'adéquation entre les cours fournis et les besoins du marché du travail qui attendent les élèves à leur sortie de formation.
Au festival Afrikamera 2013 de Berlin, nombreux étaient les professionnels à venir débattre de la formation sur le continent. Autour de Peter Rorvik (secrétaire général d'Arterial Network, Afrique du Sud), Mohamed Saïd Ouma (directeur du Festival international d'Afrique et des Iles de La Réunion et du Comoros International Film Festival) et Eric Van Grasdorff (président de la section allemande d'AfricAvenir), de nombreuses pistes ont été évoquées pour développer des collaborations entre écoles et festivals de cinéma entre l'Europe et l'Afrique. Partenariats, visibilité des films africains dans les réseaux existants et coopération avec la société civile ont été autant de sujets abordés par les participants.
En attendant que des réponses concrètes soient émises par les écoles elles-mêmes, soulignons la création, par le biais du programme Image Afrique-Formation du Fonds Spécial Prioritaire (FSP) du Ministère français des affaires étrangères et européennes pour le développement de l'audiovisuel en Afrique, d'un budget d'un million d'euros à destination des écoles africaines de cinéma.
Annoncé lors du FESPACO 2013 par la Ministre déléguée à la coopération et à la francophonie Yamina Benguigui, ce programme qui soutiendra 7 écoles africaines[2] et sera piloté par Canal France International (CFI), a organisé sa réunion de lancement du 21 au 23 novembre 2013 à l'Institut Imagine de Ouagadougou.
Claire Diao / Clap Noir
www.clapnoir.org
pour Images Francophones
[1] L'Institut Supérieur de l'Image et du Son (ISIS) du Burkina Faso, le National Film and Institute du Ghana, le National Film Institute et le National Television College du Nigéria ainsi que le Centre de Formation Professionnelle de l'Audiovisuel du Cameroun. [2] L'AFDA de l'Afrique du sud, l'ISCAC du Cameroun, la Blue Nile and TV Academy d'Ethiopie le NAFTI du Ghana, l'IFTIC du Niger, l'ISIS et IMAGINE du Burkina Faso.
Photo : Le symposium d'Afrikaméra 2013.
Crédit : Claire Diao