Rencontre avec Haifaa Al Mansour, réalisatrice d’Arabie Saoudite
Plébiscitée au 6ème Gulf Film Festival (11-17 avril 2013, Dubaï. Emirats Arabes Unis), la Saoudienne – scénariste et réalisatrice de Wadjda – est Présidente du Jury International de la Première œuvre à la 70ème Mostra de Venise (28 août – 07 septembre 2013, Italie).
Le 6ème Gulf Film festival s’est ouvert à Dubaï, avec le long métrage de fiction Wadjda de Haifaa Al Mansour. Cette coproduction aux couleurs de l’Arabie Saoudite et l’Allemagne a déjà été remarquée au Festival de Venise et d’autres manifestations où elle a décroché des prix. Le sujet s’attache à Wadjda, une fillette qui aspire à posséder une bicyclette dans un pays où c’est interdit aux femmes.
L’opportunité d’un concours scolaire la motive à devenir studieuse pour empocher la récompense qui permettrait d’acheter le vélo. Mais lorsque ce plan est connu, le projet est compromis. Wadjda trouve alors un soutien après de sa mère, une femme blessée par le départ du mari qui prend une seconde épouse. En filigrane, la condition des femmes saoudiennes se révèle avec ses limites.
Le style simple de Haifaa Al Mansour est au service de ses personnages. On a apprécié le regard piquant de son documentaire Women without shadows (Femmes sans ombre, 2005), et les trois courts-métrages qu’elle a réalisés après sa formation à l’Université de Sydney, en Australie. Cette année, elle reçoit le Prix du Meilleur Film à Dubaï.
Dans cet entretien, Haifaa Al Mansour revient sur son rapport au Festival du Cinéma du Golfe (Émirats Arabes Unis) où le scénario avait été travaillé. Pour rappel, les Émirats Arabes Unis ont adhéré en 2010 à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), avec le statut d’État observateur.
- Comment le film a-t-il grandi au Festival du Cinéma du Golfe (Gulf Film festival) ?
J’avais soumis une sorte de pilote et le scénario a été sélectionné. J’ai essayé de le développer pour trouver des fonds pour le film. Puis ça a été retenu à la session de scénario à la Berlinale et ensuite à l’aide à l’écriture de Sundance. Ces étapes ont été importantes. En tant que réalisatrice, il est important de travailler avec des gens qui ont fait des films et apprendre de leur part. Quand vous écrivez, vous pensez que c’est le meilleur scénario du monde. Il faut réévaluer votre travail, le revoir, le rendre meilleur chaque fois qu’on le réécrit. C’est ce que j’ai fait en suivant un atelier [d’écriture, ndlr] ici, à Dubaï.
- Pouvez-vous trouver tous les moyens de production dans les pays arabes ou devez-vous obligatoirement engager une collaboration avec l’Occident ?
Je pense que les coproductions sont très importantes dans cette partie du monde. Mon film est une coproduction entre l’Allemagne et l’Arabie Saoudite. Les expériences ne sont pas très développées ici et c’est important de travailler avec des gens d’autres cultures. Ça évite au film d’avoir un aspect trop local ; ça lui donne un statut plus international. Il est important de sortir du marché arabe. C’est une bonne approche du marché, pour y développer nos histoires. Je pense qu’il y a beaucoup de choses intéressantes dans cette partie du monde et les gens ne le comprennent pas. On en a presque honte. On n’en parle pas vraiment, on reste entre nous, surtout dans les pays du Golfe en général. Avec les films, on peut élargir l’horizon, faire que les gens comprennent ce qui se passe dans nos têtes. C’est important de partager tout ça avec le reste du monde.
- Pouvez-vous trouver des moyens de production aisément dans les pays francophones notamment ?
La France, par exemple, est assez structurée dans ses coproductions. Je crois qu’il y en a beaucoup avec le Liban, le Maroc, l’Egypte mais je ne suis pas sûre qu’il y en ait beaucoup avec les pays du Golfe. Je pense qu’il faut engager des expériences avec l’Europe. Sur le plan de la distribution, j’ai un distributeur en France, Pretty Pictures, qui a été intéressé par le scénario avant le tournage et ses responsables sont venus vers moi. C’est fantastique de voir comment, en France, les gens apprécient ce médium qu’est le cinéma. C’est fou de voir comment les gens adhérent à des films d’autres cultures qui ne sont pas dans les cinémathèques, qui ne sont pas connus dans le monde du cinéma. Je suis très respectueuse de ça. C’est un endroit qui m’a permis de développer la carrière du film. Et les gens l’apprécient.
- Pourquoi peut-on être attiré par ce film selon vous ?
J’ai essayé de faire une histoire qui soit le plus simple possible. C’est une histoire sincère qui parle de ma culture, de ma société. Je n’ai voulu accuser personne mais essayer de compatir à la situation. C’est assez difficile. J’ai essayé de faire entendre ma voix et garder mon point de vue sur les tentatives d’accéder au bonheur, la joie, la liberté et toutes les possibilités, en respectant la culture d’où je viens et tous ses aspects. Les gens veulent en savoir plus sur l’Arabie Saoudite. C’est un message qui peut être perçu par plus de gens ainsi.
- On dit souvent que c’est un film sur une petite fille, qu’il traite de l’émancipation de la femme dans un pays arabe… Mais pour vous qu’est-ce qui est au centre du film ?
C’est surtout sur la possibilité de rêver et de ne pas lâcher son rêve, de résister. Pour moi, c’est le message essentiel. C’est de ne pas s’arrêter quand les choses sont difficiles car elles sont dures partout que ce soit en France, en Arabie Saoudite ou n’importe où ailleurs. Mais le plus important, c’est d’avoir un rêve. Le pouvoir de rêver, d’aller de l’avant, c’est le message du film.
- Quelle était votre état d’esprit quand vous avez mis le film en scène dans votre pays ?
Je voulais que l’histoire emporte le film. Je voulais que les gens sentent les émotions, soient proches des personnages, les ressentent. Je n’ai pas voulu être plus intelligente que la caméra et j’ai cherché à faire un film avec le cœur. L’histoire est ce qu’elle est. C’est comme ça que j’ai voulu faire ce film.
- Et pourquoi avez-vous choisi de faire du cinéma dans un pays où il est si peu développé ?
Parce que j’aime les films. J’ai grandi dans une petite ville d’Arabie Saoudite. J’ai vu beaucoup de films commerciaux, Bruce Lee, Jackie Chan, des films américains… Ça m’a permis de découvrir le monde à partir de ma petite ville. Ça a eu beaucoup d’impact sur moi. Je n’aurais pas pensé devenir réalisatrice mais maintenant ça y est.
- Estimez-vous que votre cinéma s’inscrit dans le genre de films faits dans les pays arabes ?
Je pense que ce n’est pas très courant de faire un film comme ça dans les pays arabes. Je crois qu’il est différent. Il y a une petite file qui veut une bicyclette et ce n’est pas une histoire ordinaire dans les pays arabes. J’espère que les gens comprennent les choses comme elles sont et qu’ils partagent une nouvelle manière de penser. Je veux leur raconter leurs propres histoires en tant qu’individus. Ce qui est le plus difficile, c’est que les gens y croient car ce n’est pas typique du monde arabe. Ce qui arrive, ce n’est pas ce qu’on voyait avant. Je suis contente que mon film soit apprécié comme ça.
Propos recueillis et traduits (de l’anglais)
par Michel AMARGER
Africiné / Paris
pour Images Francophones
Plus d'infos
Mostra de Venise 2013 - www.africine.org/?menu=evt&no=30411
Gulf Film Festival 2013 - http://www.africine.org/?menu=evt&no=30060
Illustration : Haifaa AL MANSOUR. Crédit : Doha Film Institute
L’opportunité d’un concours scolaire la motive à devenir studieuse pour empocher la récompense qui permettrait d’acheter le vélo. Mais lorsque ce plan est connu, le projet est compromis. Wadjda trouve alors un soutien après de sa mère, une femme blessée par le départ du mari qui prend une seconde épouse. En filigrane, la condition des femmes saoudiennes se révèle avec ses limites.
Le style simple de Haifaa Al Mansour est au service de ses personnages. On a apprécié le regard piquant de son documentaire Women without shadows (Femmes sans ombre, 2005), et les trois courts-métrages qu’elle a réalisés après sa formation à l’Université de Sydney, en Australie. Cette année, elle reçoit le Prix du Meilleur Film à Dubaï.
Dans cet entretien, Haifaa Al Mansour revient sur son rapport au Festival du Cinéma du Golfe (Émirats Arabes Unis) où le scénario avait été travaillé. Pour rappel, les Émirats Arabes Unis ont adhéré en 2010 à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), avec le statut d’État observateur.
- Comment le film a-t-il grandi au Festival du Cinéma du Golfe (Gulf Film festival) ?
J’avais soumis une sorte de pilote et le scénario a été sélectionné. J’ai essayé de le développer pour trouver des fonds pour le film. Puis ça a été retenu à la session de scénario à la Berlinale et ensuite à l’aide à l’écriture de Sundance. Ces étapes ont été importantes. En tant que réalisatrice, il est important de travailler avec des gens qui ont fait des films et apprendre de leur part. Quand vous écrivez, vous pensez que c’est le meilleur scénario du monde. Il faut réévaluer votre travail, le revoir, le rendre meilleur chaque fois qu’on le réécrit. C’est ce que j’ai fait en suivant un atelier [d’écriture, ndlr] ici, à Dubaï.
- Pouvez-vous trouver tous les moyens de production dans les pays arabes ou devez-vous obligatoirement engager une collaboration avec l’Occident ?
Je pense que les coproductions sont très importantes dans cette partie du monde. Mon film est une coproduction entre l’Allemagne et l’Arabie Saoudite. Les expériences ne sont pas très développées ici et c’est important de travailler avec des gens d’autres cultures. Ça évite au film d’avoir un aspect trop local ; ça lui donne un statut plus international. Il est important de sortir du marché arabe. C’est une bonne approche du marché, pour y développer nos histoires. Je pense qu’il y a beaucoup de choses intéressantes dans cette partie du monde et les gens ne le comprennent pas. On en a presque honte. On n’en parle pas vraiment, on reste entre nous, surtout dans les pays du Golfe en général. Avec les films, on peut élargir l’horizon, faire que les gens comprennent ce qui se passe dans nos têtes. C’est important de partager tout ça avec le reste du monde.
- Pouvez-vous trouver des moyens de production aisément dans les pays francophones notamment ?
La France, par exemple, est assez structurée dans ses coproductions. Je crois qu’il y en a beaucoup avec le Liban, le Maroc, l’Egypte mais je ne suis pas sûre qu’il y en ait beaucoup avec les pays du Golfe. Je pense qu’il faut engager des expériences avec l’Europe. Sur le plan de la distribution, j’ai un distributeur en France, Pretty Pictures, qui a été intéressé par le scénario avant le tournage et ses responsables sont venus vers moi. C’est fantastique de voir comment, en France, les gens apprécient ce médium qu’est le cinéma. C’est fou de voir comment les gens adhérent à des films d’autres cultures qui ne sont pas dans les cinémathèques, qui ne sont pas connus dans le monde du cinéma. Je suis très respectueuse de ça. C’est un endroit qui m’a permis de développer la carrière du film. Et les gens l’apprécient.
- Pourquoi peut-on être attiré par ce film selon vous ?
J’ai essayé de faire une histoire qui soit le plus simple possible. C’est une histoire sincère qui parle de ma culture, de ma société. Je n’ai voulu accuser personne mais essayer de compatir à la situation. C’est assez difficile. J’ai essayé de faire entendre ma voix et garder mon point de vue sur les tentatives d’accéder au bonheur, la joie, la liberté et toutes les possibilités, en respectant la culture d’où je viens et tous ses aspects. Les gens veulent en savoir plus sur l’Arabie Saoudite. C’est un message qui peut être perçu par plus de gens ainsi.
- On dit souvent que c’est un film sur une petite fille, qu’il traite de l’émancipation de la femme dans un pays arabe… Mais pour vous qu’est-ce qui est au centre du film ?
C’est surtout sur la possibilité de rêver et de ne pas lâcher son rêve, de résister. Pour moi, c’est le message essentiel. C’est de ne pas s’arrêter quand les choses sont difficiles car elles sont dures partout que ce soit en France, en Arabie Saoudite ou n’importe où ailleurs. Mais le plus important, c’est d’avoir un rêve. Le pouvoir de rêver, d’aller de l’avant, c’est le message du film.
- Quelle était votre état d’esprit quand vous avez mis le film en scène dans votre pays ?
Je voulais que l’histoire emporte le film. Je voulais que les gens sentent les émotions, soient proches des personnages, les ressentent. Je n’ai pas voulu être plus intelligente que la caméra et j’ai cherché à faire un film avec le cœur. L’histoire est ce qu’elle est. C’est comme ça que j’ai voulu faire ce film.
- Et pourquoi avez-vous choisi de faire du cinéma dans un pays où il est si peu développé ?
Parce que j’aime les films. J’ai grandi dans une petite ville d’Arabie Saoudite. J’ai vu beaucoup de films commerciaux, Bruce Lee, Jackie Chan, des films américains… Ça m’a permis de découvrir le monde à partir de ma petite ville. Ça a eu beaucoup d’impact sur moi. Je n’aurais pas pensé devenir réalisatrice mais maintenant ça y est.
- Estimez-vous que votre cinéma s’inscrit dans le genre de films faits dans les pays arabes ?
Je pense que ce n’est pas très courant de faire un film comme ça dans les pays arabes. Je crois qu’il est différent. Il y a une petite file qui veut une bicyclette et ce n’est pas une histoire ordinaire dans les pays arabes. J’espère que les gens comprennent les choses comme elles sont et qu’ils partagent une nouvelle manière de penser. Je veux leur raconter leurs propres histoires en tant qu’individus. Ce qui est le plus difficile, c’est que les gens y croient car ce n’est pas typique du monde arabe. Ce qui arrive, ce n’est pas ce qu’on voyait avant. Je suis contente que mon film soit apprécié comme ça.
Propos recueillis et traduits (de l’anglais)
par Michel AMARGER
Africiné / Paris
pour Images Francophones
Plus d'infos
Mostra de Venise 2013 - www.africine.org/?menu=evt&no=30411
Gulf Film Festival 2013 - http://www.africine.org/?menu=evt&no=30060
Illustration : Haifaa AL MANSOUR. Crédit : Doha Film Institute