Quatre films africains restaurés et à Cannes Classics. " Noire, ce n'est pas un métier ", pour rappel
Fad,jal de Safi Faye, Hyènes de Mambéty, Le Destin de Youssef Chahine et Lamb de Paulin Vieyra. Seize actrices noires et métisses publient un livre et se manifestent à Cannes. Le palmarès complet de Cannes 2018.
Un collectif de 16 actrices noires et métisses se manifeste
Sous le slogan "Noire n'est pas mon métier" plusieurs actrices en France se mobilisent afin de combattre la discrimination dont elles ont fait l'objet. Par ordre alphabétique, elles ont pour nom Nadége Beausson-Diagne, Mata Gabin, Maïmouna Gueye, Eye Haïdara, Rachel Khan, Aïssa Maïga, Sara Martins, Marie-Philomène NGA, Sabine Pakora, Firmine Richard, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja Touré, France Zobda. Chacune pourrait faire l'objet d'un article par son parcours, son talent et combien elle a marqué l'imaginaire.
Nadége Beausson-Diagne a joué pour Henri-Joseph Koumba Bididi (Les couilles de l'éléphant où elle joue d'une piquante arriviste qui fait tourner la tête d'Alevina, député gabonais et synecdoque de président), pour Jean-Luc Godard (Film Socialisme où figure également Eye Haïdara, membre du collectif des 16). Officier de police dans Plus belle la vie (France 3 et France Ô), elle a quitté cette série télé à succès en refusant que son métier soit aliéné à sa carnation. Signare magnétique dans le très beau film historique Les Caprices d'un fleuve tourné au Sénégal, France Zobda elle se signale davantage comme productrice (brillante) de téléfilms qui ont trait à la diversalité française (Fais danser la poussière, …). Maïmouna Guèye est d'une présence scénique époustouflante - je l'ai découverte à Bordeaux au théâtre dans deux pièces qu'elle a écrite et jouée (seule) - capable de chanter et d'une interprétation poignante elle a l'étoffe des grandes actrices américaines : multicarte et professionnelle ; elle apporte sa lumière au court métrage multiprimée Maman(s).
Cette moblisation des actrices ne renvoie pas à une nation française forcément raciste ou intolérante vis-à-vis d'une partie de sa composante, elle révèle plutôt combien ceux qui ont le pouvoir de faire bouger la société - en l'occurrence les gens de cinéma, de télévision et de théâtre - contribuent à la fois à créer des stéréotypes et à les perpétuer comme causalité magique au sens de René Girard, c'est-à-dire pour justifier la violence (symbolique et professionnelle) subie par les actrices. Avant la montée des marches à Cannes le 16 mai, il y avait dès le 03 mai la publication aux éditions Seuil du livre de témoignages, au titre éponyme, Noire n'est pas mon métier.
Safi Faye, Mambéty et Paulin Vieyra, en Cannes Classics
L'image de la nouveauté, de l'exclusivité avec sa pelleté de premières mondiales s'attache à Cannes. Pourtant le festival a aussi un versant très important : le cinéma de patrimoine, avec Cannes Classics.
La légendaire Safi Faye est dans cette section avec son film Fad,jal… (Grand-père, raconte-nous…) qui a presque 40 ans : il avait eu l'honneur d'une sélection à Cannes en 1979. Cest la chronique d'un village sérère dans le bassin arachidier du Sénégal, avec Ibou NDONG et sa famille. Les villageois témoignent avec la parole des anciens transmise par la tradition orale, de l'histoire du village et des difficultés qu'ils ont aujourd'hui à exploiter leur terre. Le film est une présentation du CNC (France) et de Safi Faye (elle est la productrice et distributrice de tous ses films), après une restauration numérique effectuée à partir de la numérisation en 2K des négatifs 16mm et réalisée par le laboratoire du CNC. Safi Faye a été conviée pour cette projection exceptionnelle (la réalisatrice sénégalaise a enchainé ensuite vers New-York pour le NYAFF, festival dirigé par Mahen Bonetti).
La lutte traditionnelle qui se dénomme "Lamb" en ouolof et qui rappelle la lutte gréco-romaine, est un sport national très prisé au Sénégal. C'est le sujet du film de feu Paulin Vieyra dont les enfants perpétuent la mémoire, ici à Cannes dans une présentation de leur structure familiale, PSV Films, avec la Cinémathèque de l'Institut français et Orange. Le court métrage de 1963 a bénéficié d'une restauration numérique réalisée par Eclair et effectuée à partir de la numérisation en 2K des négatifs 35mm.
La troisième présentation sénégalaise à Cannes Classics est faite par Thelma Film AG, avec le soutien de la Cinémathèque Suisse. Il s'agit du troisième long métrage de Djibril DIOP Mambéty (Badou Boy, son premier long métrage est souvent pris pour un moyen voire court métrage), Hyènes. Travaux de restauration ont été menés par Eclair Cinéma SAS, à partir du négatif original (en 35 mm), nettoyage et correction colorimétrie en 2K. La société Thelma Film AG (Pierre-Alain Meier) assure les ventes internationales, tandis que la distribution en France devrait revenir à JHR Films (discussion en cours). C'est le fils du réalisateur, Teemour Diop Mambéty qui présentait le film qui raconte la revanche de Linguère Ramatou : elle demande aux habitants de Colobane de tuer son ancien amant, Dramaan Drameh contre la promesse d'une forte somme. Le linguiste Papa Amadou Dia a débusque la triple euphonie du titre et sa dimension symbolique : l'animal charogne qui se déplce en meute (hyènes), la monnaie japonaise (Yen) et la responsabilité de certains africains ("yèn", vous en wolof) dans les malheurs de leur continent, pour ce film dont le cinéaste a voulu faire une métaphore des dégats causés par la Banque Mondiale et le Front Monétaire Internationale.
Youssef Chahine sur la plage et à la Cinémathèque Française
Autre Africain sélectioné à Cannes Classics : l'Egyptien Youssef Chahine. LE DESTIN (AL MASSIR) était projeté au Cinéma de la Plage. Les projections du Cinéma de la Plage, qui se jouent chaque soir sous les étoiles, sont ouvertes au public. Au XIIe siècle, en Languedoc, un traducteur d'Averroès, médecin et philosophe andalou (né en 1126 à Cordoue et mort en 1198 à Marrakech, appelé Ibn Rushd et latinisé en Averroës), est brûlé vif comme hérétique. Son fils s'enfuit rejoindre la famille d'Averroès, tandis qu'une secte de fanatiques endoctrine l'entourage du calife et complote pour détruire l'œuvre du philosophe. Notre collaborateur Hans-Christian Mahnke (Africiné Magazine) souligne combien le propos de Chahine concerne notre époque, même s'il s'agit d'un film historique. Rappelant la citation d'Averroes qui clôt Le Destin : "Les idées ont des ailes. Personne ne peut arrêter leur vol", le critique panafricain allemand-namibien poursuit en se demandant si les idées volent ou s'enfuient à tire d'ailes, et invoque l'injonction de la raison promue par le célèbre penseur andalou arabe : "que le champ politique soit nourri par les idées de progrés social, de justice, de diaogue intellectuel et de libertés humaines".
Ce film était du reste à Cannes en 1997, section Hors Compétition où Chahine reçoit le Grand Prix du 50ème anniversaire du Festival pour l'ensemble de son œuvre. Le cinéaste égyptien figure depuis 1952 sur les tablettes du festival cannois où il était déjà en Compétition avec Le fils du Nil (Ibn el Nil). À l'instar des trois autres films africains de Cannes Classics, Le Destin sort d'une restauration (en 4K, faite au laboratoire Éclair Ymagis, par Orange Studio, MISR International Films et la Cinémathèque française avec le soutien du CNC).
Cette présentation d'Orange Studio (son distributeur en France) et MISR International films (producteur du film avec Ognon Pictures et Orange Studios), avec le soutien du CNC, encouragée par La Cinémathèque française, est en avant-première de la rétrospective intégrale Youssef Chahine qui se tiendra dans la capitale, à la Cinémathèque française, en octobre 2018.
Venant la diaspora africaine et se déroulant en grande partie dans un pays imaginaire situé sur le continent originel, Black Panther de l'Africain-Américain Ryan Coogler était dans cette ssection Cinéma de la plage. Le film évènement a explosé nombre de records au box office (de Los Angeles à Bordeaux en passant par Dakar avec le complexe Sembène Ousmane en 3D et 5D) ainsi que certaines visions misérabilistes sur l'Afrique (souvent portées par Hollywood du reste). D'une réalisation aussi impressionante que le casting, il s'ancre dans le mouvement afro-futuriste et prône une profonde tolérance, comme Le Destin de Chahine.
L'Afrique repart avec 3 prix : celui du Meilleur Scénario pour la Marocaine BENM'BAREK auteure de SOFIA qu'elle a réalisé (nominé à la caméra d'Or et sélectionné à Un Certain Regard), le Prix Canal du court métrage pour UN JOUR DE MARIAGE de Elias Belkeddar (Algérie / France) qui était à la 57ème Semaine de la Critique et le Prix François Chalais pour Yomeddine de l'Egyptien A.B Shawky (ce prix récompense une œuvre de la sélection officielle du Festival de Cannes qui "traduit au mieux la réalité du monde").
Le Palmarès complet de Cannes 2018
Palme d'or : MANBIKI KAZOKU (UNE AFFAIRE DE FAMILLE) de KORE-EDA Hirokazu, Japon
Palme d'Or spéciale : LE LIVRE D'IMAGE, de Jean-Luc GODARD, France
Grand Prix : BLACKKKLANSMAN de Spike LEE, Etats-Unis
Prix de la mise en scène : Pawel PAWLIKOWSKI pour ZIMNA WOJNA (COLD WAR) de Pawel PAWLIKOWSKI
Prix du scénario (ex-aequo) : Alice ROHRWACHER pour LAZZARO FELICE (HEUREUX COMME LAZZARO) d'Alice ROHRWACHER, Italie
Prix du scénario (ex-aequo) : Jafar PANAHI pour 3 FACES (3 VISAGES) de Jafar PANAHI, Iran
Prix du Jury : CAPHARNAÜM de Nadine LABAKI, Liban
Prix d'interprétation féminine : Samal YESLYAMOVA dans AYKA de Sergey DVORTSEVOY
Prix d'interprétation masculine : Marcello FONTE dans DOGMAN de Matteo GARRONE
Palme d'or du court métrage : ALL THESE CREATURES (TOUTES CES CRÉATURES) de Charles WILLIAMS
Mention spéciale du Jury - Court Métrage : YAN BIAN SHAO NIAN de WEI Shujun
Prix du Jury - Un Certain Regard : CHUVA É CANTORIA NA ALDEIA DOS MORTOS (LES MORTS ET LES AUTRES) de João SALAVIZA et Renée NADER MESSORA, Brésil
Prix de la mise en scène - Un Certain Regard : DONBASS de Sergei LOZNITSA
Prix du Meilleur Scénario - Un Certain Regard : Meryem BENM'BAREK pour SOFIA de Meryem BENM'BAREK, France / Maroc
Prix du meilleur acteur : Victor POLSTER pour GIRL de Lukas DHONT
Premier Prix de la Cinéfondation : EL VERANO DEL LEÓN ELÉCTRICO (L'ÉTÉ DU LION ÉLECTRIQUE), de Diego CÉSPEDES
Deuxième Prix de la Cinéfondation (ex-aequo) : KALENDAR (CALENDRIER) d‘Igor POPLAUHIN
Deuxième Prix de la Cinéfondation (ex-aequo) : DONG WU XIONG MENG (The Storms In Our Blood), de SHEN Di
Troisième Prix de la Cinéfondation : INANIMATE, de Lucia BULGHERONI
Caméra d'or : GIRL de Lukas DHONT (meilleur premier film issu de la Sélection officielle, de La Semaine de la Critique et de la Quinzaine des Réalisateurs).
50è Quinzaine des Réalisateurs - Art Cinema Award : CLIMAX de Gaspar Noé
Quinzaine des Réalisateurs - Prix SACD : EN LIBERTÉ ! de Pierre Salvadori
Quinzaine des Réalisateurs - Label Cinema Europa : TROPPA GRAZIA de Gianni Zanasi
Quinzaine des Réalisateurs - Le prix illy du court-métrage : SKIP DAY de Ivete Lucas & Patrick Bresnan
57è Semaine de la Critique - Grand Prix Nespresso : DIAMANTINO de Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt
Semaine de la Critique - Prix de la Révélation (fondation Louis Roederer) : Félix Mariteau pour SAUVAGE de Camille Vidal-Naquet
Semaine de la Critique - Prix Fondation Gan à la Diffusion : MONSIEUR (SIR) de Rohena Gera
Semaine de la Critique - Prix SACD : WOMAN AT WAR de Benedikt Erlingsson
Semaine de la Critique - Prix Découverte Leica Ciné du court métrage : EKTORAS MALO : I TELEFTEA MERA TIS CHRONIAS de Jacqueline Lentzou
Semaine de la Critique - Prix Canal du court métrage : UN JOUR DE MARIAGE de Elias Belkeddar, Algérie / France
Thierno I. Dia
Images Francophones
Image : Les 16 actrices sur les marches de Cannes, avec Khadja Nin (en bleu, membre du jury Longs métrages)
Crédit : DR