Ouverture du 68° Festival de Cannes (13 - 24 Mai)
Un tourbillon d’images, un réel vent africain et une pluie d’étoiles d’Afrique sur la Croisette.
Quand il pleut des images
Sur le vieux port de Cannes, un bâtiment monumental, sans grand caractère toutefois, accueille les projections-marathon. C'est le palais du festival, appelé "le Bunker". C'est une sorte de monastère cinématographique moderne où l'on parle toutes les langues de la planète et d'où l'on ne sort pas du matin jusqu'à tard dans la nuit. Pendant dix jours, la ville laisse sa vie de province, son rythme endormi. Sous les néons, les affiches et le clinquant de la Croisette, le changement est radical. Des milliers de journalistes, photographes, cameramen, professionnels du 7°art, debout aux aurores, se glissent entre les barrières en exhibant leurs badges. Ils n'ont (tous) littéralement pas un instant de libre. Au festival de Cannes, le programme est forcené. Tout ce beau monde est sur la brèche. Il se produit un enivrant rituel d'accélération de la fonction de critiques, de marchands de pellicules ou de capteurs d'images. Dès le matin, les photographes, certains ont gardé leur smoking, hantent les couloirs des palaces de la Croisette. Les journalistes, envoyés spéciaux des quotidiens, savourent leur chance d'éviter à l'entrée des salles les énormes bousculades. Leurs badges avec pastille rose leur donnent un sentiment de supériorité puisqu'ils prennent le couloir prioritaire et ont tout loisir de choisir leur siège dans la grande salle Lumière ou au cinéma Debussy.
À la tombée du jour, débute la cérémonie, à la pompe spectaculaire, de la montée des marches. Rituel ahurissant où les stars arborent bijoux et robes haute couture toutes voiles dehors. Au même moment, songeant aux éditions du matin, les journalistes, qui ont mené une journée monastique, cloués devant les écrans, pas très heureux d'avoir raté les réceptions qui se tiennent sur les plages et où pétillent les bulles de grandes marques, font retraite dans la salle de presse pour entamer l'envoi de leurs articles.
Money , Money ...
Thierry Frémaux, le Délégué Général du Festival de Cannes 2015, a sélectionné 19 films pour la compétition officielle et 19 autres pour Un Certain Regard. Sans compter le programme hors compétition, le cinéma classique et populaire (sur grand écran à la plage). Harassante mais combien stimulante, commence alors la ruée sur les salles. Le Festival de Cannes est un évènement colossal, comme les jeux olympiques, couvert par plus de 4000 journalistes, attirant 35.000 professionnels. Au marché international du film chaque jour des centaines de millions de dollars passent de main en main dans des contrats de production, d'achat de films, de sponsoring. André Malraux disait :"le cinéma est un art et par ailleurs une industrie".
C'est "money, money" [« argent, argent », en anglais, ndlr] ! Au marché, 5200 films sont montrés cette année dans 34 salles ,1500 projections pour les 2000 acheteurs qui viennent de 108 pays représentants 5000 sociétés de production et distribution.
Les contrats juteux sont signés dans les grands palaces de Cannes : Carlton, Majestic et Martinez. Mais le marché se déroule au sous-sol du "Bunker" et dans les stands du Riviera et au Village International le long du rivage. Comme le Maroc, la Tunisie, le Liban, l'Égypte, Abu Dhabi, Dubai, la Jordanie, depuis des années déjà, l'Algérie anime un pavillon au Village International, une vitrine des activités de la production nationale.
Vitrine des cinématographies nationales
À l'ouverture, La Tête Haute d'Emmanuelle Bercot (France), l'histoire d'un jeune qui ne trouve pas sa place dans la société en dépit du soutien de la juge pour enfants (jouée par Catherine Deneuve). À propos de Gérard Depardieu, Thierry Frémaux a dit : "certains donnent leur corps à la médecine, Gérard Depardieu a donné le sien au cinéma", en parlant d'un autre film français en compétition : The Valley Of Love de Guillaume Nicloux. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, couple désuni, vivent un drame avec la disparition de leur fils qui leur envoie un message et leur donne rendez-vous dans La Vallée de la Mort, en plein coeur de l'Amérique. Ils font le voyage.
Le niveau de qualité de la production italienne est si haut cette année qu'on retrouve pas moins de trois films italiens en course pour la Palme d'Or. À commencer par Mia Madre (Ma mère) de Nanni Moretti. Un récit autobiographique : une jeune cinéaste en plein tournage apprend que sa mère est à l'hôpital, sur son lit de mort. En faisant Habemus Papam, en 2011, Nanni Moretti avait perdu sa mère. Les deux autres films italiens sont : Il Racconto di Racconti, tourné en anglais sous le titre The Tales of Tales par Mario Garrone. Selma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones et JC Reilley font partie du casting de contes du XVII° siècle, une adaptation d'un recueil du Napolitain Granbattista Basile, qu'en Italie on compare à William Shakespeare. Les trois épisodes sont intitulés : The Queen, The Flee, The Two Old Women. Quant à Youth de Paolo Sorrentino, tourné en anglais aussi, c'est l'histoire d'un chef d'orchestre à la retraite et en vacances en Italie appelé à Londres à l'occasion de l'anniversaire du Prince Philip. Michael Caine, Jane Fonda, Harvey Keitel, Rachel Weisz sont ici dirigés par Paolo Sorrentino, l'auteur de La Bellezza (La beauté) oeuvre magnifique montrée à Cannes il y a deux ans.
Tourné à la frontière du Mexique et du Texas (Ciudad Juarez), Sicario du Canadien Denis Villeneuve a pour héros un tueur à gages et pour interprètes Benicio Del Toro, Emily Brant, Josh Brolin. Le dossier de presse dit ceci :"a very dark film, a dark poem, quite violent" ["un film très noir, un poème sombre, assez violent", ndlr]. Sur la guerre civile du Liban, Denis Villeneuve avait fait en 2010 Incendies, nommé la même année aux Oscars du meilleur film étranger.
Une bonne dizaine de films d'Asie sont au programme de la compétition et d'Un Certain Regard. C'est la très talentueuse cinéaste japonaise Naomi Kawase qui ouvre Un Certain Regard avec An : Sweet Red Bean Past, sur la peur et la méfiance de la société japonaise par rapport à la maladie. Dans une pâtisserie, une employée fait des gâteaux à base de haricots rouges. Son affaire marche très bien. Mais une rumeur se répand selon laquelle elle serait atteinte par la lèpre.
De Taiwan, en compétition, Assassins de Hou Hsiao Hsien, film d'arts martiaux qui se passe à l'époque des Tang. L'héroïne jouée par Shu Qi est une guerrière, une mercenaire. Un jour, elle tombe amoureuse de l'homme qu'elle est chargée d'exécuter.
Mountains May Depart (Les montagnes peuvent bouger) du Chinois Jia Zhang-ke, l'auteur de Touch Of Sin et Still Life (Lion d'Or à la Mostra de Venise en 2006), c'est l'histoire d'un mariage arrangé, où la femme mariée contre son gré finit par retrouver l'homme qu'elle aime.
Our Little Sister (Notre petite soeur) du Sud Coréen Kore Eda Hirokazu montre le retour à Séoul de deux soeurs pour l'enterrement de leur père et qui découvrent qu'elles ont une demi-soeur . Celle-ci ira vivre avec elles.
D'Inde, de Philippines et d'Ethiopie, l'enrichissant programme d'Un Certain Regard montre : Fly Away Solo (Masaan) de Neeraj Ghaywan tourné à Bénares, The Fourth Direction (Chauthi Koot) de Gurvinder Singh, sur le Penjab après l'assassinat d'Indira Gandhi. Taklub de Brillante Mendoza (Philippines) sur les terribles ravages du typhon Yolanda. Il y a aussi Lamb de Yared Zeleke (Ethiopie) sur un jeune garçon nommé Ephraim qui vit avec son mouton. Il a perdu sa mère et va vivre avec son oncle loin de sa famille, toujours avec son mouton auquel il est très attaché. Mais un jour l'oncle décide de sacrifier le mouton... Un désastre qui va gâcher la vie du petit Ephraim. ce n'est pas la seule présence africaine, loin de là.
Un léger vent d'Afrique
Cette année le festival de Cannes a eu bien du mal à montrer des films africains. Au Nigéria, la production est certes abondante néanmoins sans espoir. Le niveau reste en dessous du seuil minimum de qualité dans ce qui est maintenant appelé Nollywood à Lagos. L'an dernier à Cannes c'était la grande surprise de Timbuktu de Abderrahmane Sissako. Et en 2010 et 2013, autre bonne surprise d'Afrique : Un Homme qui crie et Grigris de Mahamat-Saleh Haroun (Tchad).
Miné en amont et en aval par le manque de moyens de production et les difficultés de distribution, le cinéma d'Afrique (54 nations) n'est toutefois pas poussé à l'échec. Un léger vent d'Afrique souffle sur la Croisette. Souleymane Cissé vient du Mali présenter en séance spéciale son long métrage de fiction O Ka, tourné à Bamako, l'histoire de quatre femmes sommées par la justice de quitter leur maison qui appartient à leur famille depuis des générations.
Souleymane Cissé est l'auteur de la trilogie Finyè (Le Vent), Yeleen (La Lumière), Waati (Le Temps) qui avaient provoqué des moments d'émotion et d'enthousiasme lors des projections à la Cinémathèque d'Alger il ya quelques années. Il a été formé au VGIK, l'école de cinéma de Moscou, comme ses compatriotes Abdoulaye Ascofaré et Abderrahmane Sissako. Ce dernier est de retour au festival de Cannes pour présider le jury de Cinéfondation et courts métrages. Pour ajouter à l'ambiance toute malienne de la Croisette, on retrouve la grande musicienne Rokia Traoré au jury international, présidé par les frères américains Coen.
Parmi le riche programme de Un Certain Regard, une simple histoire éthiopienne d'un garçon attaché à son mouton après la mort de sa mère, dans Lamb de Yared Zeleke, fait partie de la présence africaine. Le succès de La Quinzaine des Réalisateurs est dû à sa bonne sélection parfois délibérément expérimentale mais aussi à son public cinéphile, nombreux et très fidèle. Cette année, deux cinéastes maghrébins et qui font aussi passer un petit air d'Afrique apparaissent au programme. Il y a le Marocain Nabil Ayouch pour son long métrage Much Loved (Très aimées) sur la vie de quatre femmes de Marrakech qui pratiquent le plus vieux métier du monde. C'est une fiction jouée par Loubna Adibar, Asma Lazrak, Sara Elhamdi, Halima Karaouane. Et l'acteur algérien passé derrière la caméra Réda Kateb qui montre son court métrage Pitchoun. Déjà célèbre, Réda Kateb a derrière lui de grands rôles (Loin des Hommes, Gare du Nord, Qui Vive) et un César pour Hippocrate.
Cannes Classics
Alger est à l'honneur au programme Cannes Classics des films restaurés. Avec Z de Costa Gavras tourné à Alger en 1968 et coproduit par l'ONCIC (Ahmed Rachedi) et Jacques Perrin. Z a décroché le prix du jury à Cannes en 1969 et a eu une carrière fabuleuse en Amérique : Oscar du meilleur film étranger en 1970 (pour l'Algérie) et primé aux Golden Globe la même année pour l'Algérie aussi. Ce qui s'ajoute au Lion d'Or de la Mostra de Venise pour La Bataille d'Alger en 1966, produit par Casbah films de Youssef Saâdi et la Palme d'or de 1974 pour Chronique des Années de Braise de Mohamed-Lakhdar Hamina (ONCIC).
Z ("il vit", en grec) est adapté du roman de Vassili Vassilikos et raconte un fait authentique : l'assassinat en 1963 à Salonique (Thessalonique aujourd'hui) du député de gauche Grigoris Lambrakis, renversé par un triporteur à la sortie d'un meeting. Un juge intègre mène son enquête jusqu'au bout et met en cause la police et la gendarmerie.
Les acteurs de Z sont Jean Louis Trintignant (le juge), Irène Papas (sa femme), Yves Montand (Lambrakis), Sid Ahmed Agoumi (chauffeur), Hassen El Hassani (gendarme), Rénato Salvatori, le conducteur du triporteur. La musique est composée par le célèbre Mikis Théodorakis.
Cannes Classics montre aussi La Noire de...à l'occasion du 50° anniversaire de sa sortie, Tanit d'Or à Carthage, adapté de son propre recueil de nouvelles, Voltaïque, par Sembène Ousmane.
La copie restaurée du film de Sembène, comme celles de Rocco et ses Frères de Luchino Visconti et Insiang de Lino Brocka (Philippines), c'est le travail de Martin Scorsese qui dirige la World Cinema Foundation.
Dans le même programme , hommage est rendu à Orson Welles avec la projection de Citizen Kane (1941) et La Dame de Shanghai (1948). [Le cinéaste américain a valu à l’Afrique sa Première Palme d’Or, qui s’appelait encore Grand Prix du Festival de Cannes, avec Othello, dont les scènes extérieurs ont été tournées à Essaouira anciennement Mogador, qu’il a présenté sous nationalité marocaine, en 1952, ndlr]. Ainsi qu'à Ingrid Bergman dont c'est le centenaire et qui apparait cette année sur l'affiche du festival. Quant à sa fille Isabella Rossellini, actrice et réalisatrice, elle préside la section Un Certain Regard.
Azzedine Mabrouki
Africiné, Alger (Correspondant spécial, à Cannes)
pour Images Francophones
Illustration : scène du film Much Loved, de Nabil Ayouch (Maroc / France)
Crédit image : Virginie Surdej
Sur le vieux port de Cannes, un bâtiment monumental, sans grand caractère toutefois, accueille les projections-marathon. C'est le palais du festival, appelé "le Bunker". C'est une sorte de monastère cinématographique moderne où l'on parle toutes les langues de la planète et d'où l'on ne sort pas du matin jusqu'à tard dans la nuit. Pendant dix jours, la ville laisse sa vie de province, son rythme endormi. Sous les néons, les affiches et le clinquant de la Croisette, le changement est radical. Des milliers de journalistes, photographes, cameramen, professionnels du 7°art, debout aux aurores, se glissent entre les barrières en exhibant leurs badges. Ils n'ont (tous) littéralement pas un instant de libre. Au festival de Cannes, le programme est forcené. Tout ce beau monde est sur la brèche. Il se produit un enivrant rituel d'accélération de la fonction de critiques, de marchands de pellicules ou de capteurs d'images. Dès le matin, les photographes, certains ont gardé leur smoking, hantent les couloirs des palaces de la Croisette. Les journalistes, envoyés spéciaux des quotidiens, savourent leur chance d'éviter à l'entrée des salles les énormes bousculades. Leurs badges avec pastille rose leur donnent un sentiment de supériorité puisqu'ils prennent le couloir prioritaire et ont tout loisir de choisir leur siège dans la grande salle Lumière ou au cinéma Debussy.
À la tombée du jour, débute la cérémonie, à la pompe spectaculaire, de la montée des marches. Rituel ahurissant où les stars arborent bijoux et robes haute couture toutes voiles dehors. Au même moment, songeant aux éditions du matin, les journalistes, qui ont mené une journée monastique, cloués devant les écrans, pas très heureux d'avoir raté les réceptions qui se tiennent sur les plages et où pétillent les bulles de grandes marques, font retraite dans la salle de presse pour entamer l'envoi de leurs articles.
Money , Money ...
Thierry Frémaux, le Délégué Général du Festival de Cannes 2015, a sélectionné 19 films pour la compétition officielle et 19 autres pour Un Certain Regard. Sans compter le programme hors compétition, le cinéma classique et populaire (sur grand écran à la plage). Harassante mais combien stimulante, commence alors la ruée sur les salles. Le Festival de Cannes est un évènement colossal, comme les jeux olympiques, couvert par plus de 4000 journalistes, attirant 35.000 professionnels. Au marché international du film chaque jour des centaines de millions de dollars passent de main en main dans des contrats de production, d'achat de films, de sponsoring. André Malraux disait :"le cinéma est un art et par ailleurs une industrie".
C'est "money, money" [« argent, argent », en anglais, ndlr] ! Au marché, 5200 films sont montrés cette année dans 34 salles ,1500 projections pour les 2000 acheteurs qui viennent de 108 pays représentants 5000 sociétés de production et distribution.
Les contrats juteux sont signés dans les grands palaces de Cannes : Carlton, Majestic et Martinez. Mais le marché se déroule au sous-sol du "Bunker" et dans les stands du Riviera et au Village International le long du rivage. Comme le Maroc, la Tunisie, le Liban, l'Égypte, Abu Dhabi, Dubai, la Jordanie, depuis des années déjà, l'Algérie anime un pavillon au Village International, une vitrine des activités de la production nationale.
Vitrine des cinématographies nationales
À l'ouverture, La Tête Haute d'Emmanuelle Bercot (France), l'histoire d'un jeune qui ne trouve pas sa place dans la société en dépit du soutien de la juge pour enfants (jouée par Catherine Deneuve). À propos de Gérard Depardieu, Thierry Frémaux a dit : "certains donnent leur corps à la médecine, Gérard Depardieu a donné le sien au cinéma", en parlant d'un autre film français en compétition : The Valley Of Love de Guillaume Nicloux. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, couple désuni, vivent un drame avec la disparition de leur fils qui leur envoie un message et leur donne rendez-vous dans La Vallée de la Mort, en plein coeur de l'Amérique. Ils font le voyage.
Le niveau de qualité de la production italienne est si haut cette année qu'on retrouve pas moins de trois films italiens en course pour la Palme d'Or. À commencer par Mia Madre (Ma mère) de Nanni Moretti. Un récit autobiographique : une jeune cinéaste en plein tournage apprend que sa mère est à l'hôpital, sur son lit de mort. En faisant Habemus Papam, en 2011, Nanni Moretti avait perdu sa mère. Les deux autres films italiens sont : Il Racconto di Racconti, tourné en anglais sous le titre The Tales of Tales par Mario Garrone. Selma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones et JC Reilley font partie du casting de contes du XVII° siècle, une adaptation d'un recueil du Napolitain Granbattista Basile, qu'en Italie on compare à William Shakespeare. Les trois épisodes sont intitulés : The Queen, The Flee, The Two Old Women. Quant à Youth de Paolo Sorrentino, tourné en anglais aussi, c'est l'histoire d'un chef d'orchestre à la retraite et en vacances en Italie appelé à Londres à l'occasion de l'anniversaire du Prince Philip. Michael Caine, Jane Fonda, Harvey Keitel, Rachel Weisz sont ici dirigés par Paolo Sorrentino, l'auteur de La Bellezza (La beauté) oeuvre magnifique montrée à Cannes il y a deux ans.
Tourné à la frontière du Mexique et du Texas (Ciudad Juarez), Sicario du Canadien Denis Villeneuve a pour héros un tueur à gages et pour interprètes Benicio Del Toro, Emily Brant, Josh Brolin. Le dossier de presse dit ceci :"a very dark film, a dark poem, quite violent" ["un film très noir, un poème sombre, assez violent", ndlr]. Sur la guerre civile du Liban, Denis Villeneuve avait fait en 2010 Incendies, nommé la même année aux Oscars du meilleur film étranger.
Une bonne dizaine de films d'Asie sont au programme de la compétition et d'Un Certain Regard. C'est la très talentueuse cinéaste japonaise Naomi Kawase qui ouvre Un Certain Regard avec An : Sweet Red Bean Past, sur la peur et la méfiance de la société japonaise par rapport à la maladie. Dans une pâtisserie, une employée fait des gâteaux à base de haricots rouges. Son affaire marche très bien. Mais une rumeur se répand selon laquelle elle serait atteinte par la lèpre.
De Taiwan, en compétition, Assassins de Hou Hsiao Hsien, film d'arts martiaux qui se passe à l'époque des Tang. L'héroïne jouée par Shu Qi est une guerrière, une mercenaire. Un jour, elle tombe amoureuse de l'homme qu'elle est chargée d'exécuter.
Mountains May Depart (Les montagnes peuvent bouger) du Chinois Jia Zhang-ke, l'auteur de Touch Of Sin et Still Life (Lion d'Or à la Mostra de Venise en 2006), c'est l'histoire d'un mariage arrangé, où la femme mariée contre son gré finit par retrouver l'homme qu'elle aime.
Our Little Sister (Notre petite soeur) du Sud Coréen Kore Eda Hirokazu montre le retour à Séoul de deux soeurs pour l'enterrement de leur père et qui découvrent qu'elles ont une demi-soeur . Celle-ci ira vivre avec elles.
D'Inde, de Philippines et d'Ethiopie, l'enrichissant programme d'Un Certain Regard montre : Fly Away Solo (Masaan) de Neeraj Ghaywan tourné à Bénares, The Fourth Direction (Chauthi Koot) de Gurvinder Singh, sur le Penjab après l'assassinat d'Indira Gandhi. Taklub de Brillante Mendoza (Philippines) sur les terribles ravages du typhon Yolanda. Il y a aussi Lamb de Yared Zeleke (Ethiopie) sur un jeune garçon nommé Ephraim qui vit avec son mouton. Il a perdu sa mère et va vivre avec son oncle loin de sa famille, toujours avec son mouton auquel il est très attaché. Mais un jour l'oncle décide de sacrifier le mouton... Un désastre qui va gâcher la vie du petit Ephraim. ce n'est pas la seule présence africaine, loin de là.
Un léger vent d'Afrique
Cette année le festival de Cannes a eu bien du mal à montrer des films africains. Au Nigéria, la production est certes abondante néanmoins sans espoir. Le niveau reste en dessous du seuil minimum de qualité dans ce qui est maintenant appelé Nollywood à Lagos. L'an dernier à Cannes c'était la grande surprise de Timbuktu de Abderrahmane Sissako. Et en 2010 et 2013, autre bonne surprise d'Afrique : Un Homme qui crie et Grigris de Mahamat-Saleh Haroun (Tchad).
Miné en amont et en aval par le manque de moyens de production et les difficultés de distribution, le cinéma d'Afrique (54 nations) n'est toutefois pas poussé à l'échec. Un léger vent d'Afrique souffle sur la Croisette. Souleymane Cissé vient du Mali présenter en séance spéciale son long métrage de fiction O Ka, tourné à Bamako, l'histoire de quatre femmes sommées par la justice de quitter leur maison qui appartient à leur famille depuis des générations.
Souleymane Cissé est l'auteur de la trilogie Finyè (Le Vent), Yeleen (La Lumière), Waati (Le Temps) qui avaient provoqué des moments d'émotion et d'enthousiasme lors des projections à la Cinémathèque d'Alger il ya quelques années. Il a été formé au VGIK, l'école de cinéma de Moscou, comme ses compatriotes Abdoulaye Ascofaré et Abderrahmane Sissako. Ce dernier est de retour au festival de Cannes pour présider le jury de Cinéfondation et courts métrages. Pour ajouter à l'ambiance toute malienne de la Croisette, on retrouve la grande musicienne Rokia Traoré au jury international, présidé par les frères américains Coen.
Parmi le riche programme de Un Certain Regard, une simple histoire éthiopienne d'un garçon attaché à son mouton après la mort de sa mère, dans Lamb de Yared Zeleke, fait partie de la présence africaine. Le succès de La Quinzaine des Réalisateurs est dû à sa bonne sélection parfois délibérément expérimentale mais aussi à son public cinéphile, nombreux et très fidèle. Cette année, deux cinéastes maghrébins et qui font aussi passer un petit air d'Afrique apparaissent au programme. Il y a le Marocain Nabil Ayouch pour son long métrage Much Loved (Très aimées) sur la vie de quatre femmes de Marrakech qui pratiquent le plus vieux métier du monde. C'est une fiction jouée par Loubna Adibar, Asma Lazrak, Sara Elhamdi, Halima Karaouane. Et l'acteur algérien passé derrière la caméra Réda Kateb qui montre son court métrage Pitchoun. Déjà célèbre, Réda Kateb a derrière lui de grands rôles (Loin des Hommes, Gare du Nord, Qui Vive) et un César pour Hippocrate.
Cannes Classics
Alger est à l'honneur au programme Cannes Classics des films restaurés. Avec Z de Costa Gavras tourné à Alger en 1968 et coproduit par l'ONCIC (Ahmed Rachedi) et Jacques Perrin. Z a décroché le prix du jury à Cannes en 1969 et a eu une carrière fabuleuse en Amérique : Oscar du meilleur film étranger en 1970 (pour l'Algérie) et primé aux Golden Globe la même année pour l'Algérie aussi. Ce qui s'ajoute au Lion d'Or de la Mostra de Venise pour La Bataille d'Alger en 1966, produit par Casbah films de Youssef Saâdi et la Palme d'or de 1974 pour Chronique des Années de Braise de Mohamed-Lakhdar Hamina (ONCIC).
Z ("il vit", en grec) est adapté du roman de Vassili Vassilikos et raconte un fait authentique : l'assassinat en 1963 à Salonique (Thessalonique aujourd'hui) du député de gauche Grigoris Lambrakis, renversé par un triporteur à la sortie d'un meeting. Un juge intègre mène son enquête jusqu'au bout et met en cause la police et la gendarmerie.
Les acteurs de Z sont Jean Louis Trintignant (le juge), Irène Papas (sa femme), Yves Montand (Lambrakis), Sid Ahmed Agoumi (chauffeur), Hassen El Hassani (gendarme), Rénato Salvatori, le conducteur du triporteur. La musique est composée par le célèbre Mikis Théodorakis.
Cannes Classics montre aussi La Noire de...à l'occasion du 50° anniversaire de sa sortie, Tanit d'Or à Carthage, adapté de son propre recueil de nouvelles, Voltaïque, par Sembène Ousmane.
La copie restaurée du film de Sembène, comme celles de Rocco et ses Frères de Luchino Visconti et Insiang de Lino Brocka (Philippines), c'est le travail de Martin Scorsese qui dirige la World Cinema Foundation.
Dans le même programme , hommage est rendu à Orson Welles avec la projection de Citizen Kane (1941) et La Dame de Shanghai (1948). [Le cinéaste américain a valu à l’Afrique sa Première Palme d’Or, qui s’appelait encore Grand Prix du Festival de Cannes, avec Othello, dont les scènes extérieurs ont été tournées à Essaouira anciennement Mogador, qu’il a présenté sous nationalité marocaine, en 1952, ndlr]. Ainsi qu'à Ingrid Bergman dont c'est le centenaire et qui apparait cette année sur l'affiche du festival. Quant à sa fille Isabella Rossellini, actrice et réalisatrice, elle préside la section Un Certain Regard.
Azzedine Mabrouki
Africiné, Alger (Correspondant spécial, à Cannes)
pour Images Francophones
Illustration : scène du film Much Loved, de Nabil Ayouch (Maroc / France)
Crédit image : Virginie Surdej