Netflix arrive en Afrique
Le géant américain de la vidéo en ligne couvre depuis janvier 2016 (presque) toute la planète.
Nations Unies des images ?
Cofondateur et PDG de Netflix, Reed Hastings a annoncé au Consumer Electronics Show (Las Vegas, Etats-Unis), qu’il diffusait désormais dans 190 nations, soit trois de moins de l’Organisation des Nations Unies (ONU). « Avec ce lancement, les consommateurs partout dans le monde - de Singapore à St. Petersbourg, de San Francisco à Sao Paulo – pourront profiter des séries télés et films simultanément – sans plus attendre ». Netflix qui regroupait jusqu’ici 60 pays (Etats-Unis, Canada, Europe, …) a élargi son offre à 130 nouveaux marchés où l’Afrique a la part belle.
Dès l’annonce de Netflix, la Commission de censure du Kenya (Kenya Film Classification Board) a rué dans les brancards estimant que les programmes doivent se confirmer au standard local et que Netflix menacerait les valeurs morales et la sécurité nationale. Notre confrère Larry Madowo (quotidien The Nation, Nairobi, 12 janvier 2016) rappelle que la commission kenyane de censure est très tatillonne sur « l’immoralité » : Le Loup de Wall Street et 50 nuances de gris, ont été récemment interdits de diffusion. Le ministère des télécommunications a mis un holà sur cette menace de censure, par la voix de son Directeur de Cabinet Joe Mucheru, rapporte le 14 janvier 2016 dernier, Lilian Ochieng du quotidien Daily Nation, de Nairobi.
Une certaine conception de la morale n’est pas le seul frein. Malgré ses ambitions, Netflix ne peut garantir une totale diffusion simultanée. Des restrictions territoriales existent, certaines séries ayant déjà été vendues à des chaînes de télés nationales, à titre exclusif. Ainsi House of Cards, Orange is the New Black et Grey's Anatomy, séries emblématiques de Netflix ne sont pas accessibles aux abonnés sud-africains du géant américain. Le chevauchement des droits télés et internet devient une nouvelle donne dans les futures ventes des films et productions télés.
Sur le plan technique et financer
Cabinet d’analystes et de consultants spécialisé sur l’Afrique, Balancing Act annonce que la 4G a été lancée dans 24 pays d’Afrique. Ce nombre devrait doubler d’ici cinq ans : des pays comme le Sénégal lance leur appel d’offres pour l’internet de 4ème génération dite 4G, avec un résultat désastreux. A la mi-janvier, la presse sénégalaise s’est fait l’écho d’une curieuse attitude des trois grands opérateurs (Orange, Tigo, Expresso) qui n’ont pas soumissionné ; notre confrère Emile Dasylva (Wal Fadjiri, Dakar) le mettant sur le compte du montant requis de 30 milliards FCFA (environ 45 millions d’euros) pour une licence de 20 ans. Les autorités penchent sur un appel désormais plus large, donc qui ne sera plus seulement ouvert à ces 3 opérateurs. Des réactions que nous avons recueillis dans la capitale sénégalaise auprès de citoyens se dégagent un profond sens d’incompréhension et pour la plupart soulignent que la nécessité de service public n’est pas actuellement garantie par le pouvoir : il n’existe plus de société nationale de télécommunications, Orange était passé sous le giron majoritaire français.
Les explosions du nombre d’utilisateurs (téléphones portables et internet ; alors que les prévisions tablent sur environ plus d’un milliard d’Africains dans les prochaines années) et les chiffres de croissance économique à 5% en moyenne, voire à deux chiffres (plus de 10%) cachent mal une profonde disparité économique. Le service payé pour les télécommunications est à un prix exorbitant un peu partout sur le continent, malgré des innovations commerciales majeures (au Sénégal, pour 5 000 fcfa, soit 7,5 euros, il est possible d’avoir un abonnement smartphone avec accès internet durant un mois). Les coupures d’électricité y compris dans plusieurs capitales africaines et la mauvaise qualité d’internet limitent pour l’heure beaucoup de perspectives.
Plus lourde que la voix, la vidéo requiert des investissements très lourds en termes d’infrastructure et de maintenance. L’abonnement mensuel coûte en moyenne 8 dollars américains (un peu moins en euros), pour un écran. Si le client veut une qualité HD (Haute définition) et plusieurs écrans (TV, smartphone, …), il devra débourser plus.
Les acteurs en présence
Dans son rapport VoD and Africa (en anglais, mis à jour en janvier 2016), Balacing act recense 136 plateformes de Vidéo à la demande, après un travail de recherches sur treize mois. L’Afrique du Sud possède 27 plateformes alors que 20 sont liés à Nollywood (Nigeria). Si les anglophones ont pris l’ascendant, « les francophones vont rechercher des images francophones » analyse Pierre Barrot.
Pour Vincent Lagoeyte (Africa-Films.tv, Dakar), cette arrivée va permettre de mieux souligner l’existence du marché de la vidéo en ligne et attirer plus d’investissements sur les outils de diffusion. Ce n’est pas une concurrence en soit estime-t-il car « Netflix apporte du global et nous Africa Films.tv nous sommes attentifs à ce global et forts dans le local ». Netflix peut aider à rendre globale la production locale, poursuit-il, interrogé par Africiné, dans les locaux de la Maison Act (en marge d’un entretien avec la réalisatrice Rama Thiaw, sélectionnée à la 66ème Berlinale qui se tient cette semaine, à paraître bientôt). Netflix ne se pose pas uniquement comme diffuseur. Elle produit (Beasts of no Nations et Jadotville) et achète auprès des producteurs africains (October 1, du Nigerian Kunle Afolayan, ou Ayanda, le dernier film de Sara Blecher). Netflix prévoit d’injecter plus de 5 milliards de dollars dans la production de films et séries, il est possible de penser qu’une partie de cette manne ira en Afrique. La Chine fait partie des pays où la diffusion n’est pas encore autorisée.
Thierno I. Dia
magazine Africiné, Bordeaux
pour Images Francophones
Image : L’acteur Idriss Elba, dans Beasts of no nation
Crédit : Netflix
Cofondateur et PDG de Netflix, Reed Hastings a annoncé au Consumer Electronics Show (Las Vegas, Etats-Unis), qu’il diffusait désormais dans 190 nations, soit trois de moins de l’Organisation des Nations Unies (ONU). « Avec ce lancement, les consommateurs partout dans le monde - de Singapore à St. Petersbourg, de San Francisco à Sao Paulo – pourront profiter des séries télés et films simultanément – sans plus attendre ». Netflix qui regroupait jusqu’ici 60 pays (Etats-Unis, Canada, Europe, …) a élargi son offre à 130 nouveaux marchés où l’Afrique a la part belle.
Dès l’annonce de Netflix, la Commission de censure du Kenya (Kenya Film Classification Board) a rué dans les brancards estimant que les programmes doivent se confirmer au standard local et que Netflix menacerait les valeurs morales et la sécurité nationale. Notre confrère Larry Madowo (quotidien The Nation, Nairobi, 12 janvier 2016) rappelle que la commission kenyane de censure est très tatillonne sur « l’immoralité » : Le Loup de Wall Street et 50 nuances de gris, ont été récemment interdits de diffusion. Le ministère des télécommunications a mis un holà sur cette menace de censure, par la voix de son Directeur de Cabinet Joe Mucheru, rapporte le 14 janvier 2016 dernier, Lilian Ochieng du quotidien Daily Nation, de Nairobi.
Une certaine conception de la morale n’est pas le seul frein. Malgré ses ambitions, Netflix ne peut garantir une totale diffusion simultanée. Des restrictions territoriales existent, certaines séries ayant déjà été vendues à des chaînes de télés nationales, à titre exclusif. Ainsi House of Cards, Orange is the New Black et Grey's Anatomy, séries emblématiques de Netflix ne sont pas accessibles aux abonnés sud-africains du géant américain. Le chevauchement des droits télés et internet devient une nouvelle donne dans les futures ventes des films et productions télés.
Sur le plan technique et financer
Cabinet d’analystes et de consultants spécialisé sur l’Afrique, Balancing Act annonce que la 4G a été lancée dans 24 pays d’Afrique. Ce nombre devrait doubler d’ici cinq ans : des pays comme le Sénégal lance leur appel d’offres pour l’internet de 4ème génération dite 4G, avec un résultat désastreux. A la mi-janvier, la presse sénégalaise s’est fait l’écho d’une curieuse attitude des trois grands opérateurs (Orange, Tigo, Expresso) qui n’ont pas soumissionné ; notre confrère Emile Dasylva (Wal Fadjiri, Dakar) le mettant sur le compte du montant requis de 30 milliards FCFA (environ 45 millions d’euros) pour une licence de 20 ans. Les autorités penchent sur un appel désormais plus large, donc qui ne sera plus seulement ouvert à ces 3 opérateurs. Des réactions que nous avons recueillis dans la capitale sénégalaise auprès de citoyens se dégagent un profond sens d’incompréhension et pour la plupart soulignent que la nécessité de service public n’est pas actuellement garantie par le pouvoir : il n’existe plus de société nationale de télécommunications, Orange était passé sous le giron majoritaire français.
Les explosions du nombre d’utilisateurs (téléphones portables et internet ; alors que les prévisions tablent sur environ plus d’un milliard d’Africains dans les prochaines années) et les chiffres de croissance économique à 5% en moyenne, voire à deux chiffres (plus de 10%) cachent mal une profonde disparité économique. Le service payé pour les télécommunications est à un prix exorbitant un peu partout sur le continent, malgré des innovations commerciales majeures (au Sénégal, pour 5 000 fcfa, soit 7,5 euros, il est possible d’avoir un abonnement smartphone avec accès internet durant un mois). Les coupures d’électricité y compris dans plusieurs capitales africaines et la mauvaise qualité d’internet limitent pour l’heure beaucoup de perspectives.
Plus lourde que la voix, la vidéo requiert des investissements très lourds en termes d’infrastructure et de maintenance. L’abonnement mensuel coûte en moyenne 8 dollars américains (un peu moins en euros), pour un écran. Si le client veut une qualité HD (Haute définition) et plusieurs écrans (TV, smartphone, …), il devra débourser plus.
Les acteurs en présence
Dans son rapport VoD and Africa (en anglais, mis à jour en janvier 2016), Balacing act recense 136 plateformes de Vidéo à la demande, après un travail de recherches sur treize mois. L’Afrique du Sud possède 27 plateformes alors que 20 sont liés à Nollywood (Nigeria). Si les anglophones ont pris l’ascendant, « les francophones vont rechercher des images francophones » analyse Pierre Barrot.
Pour Vincent Lagoeyte (Africa-Films.tv, Dakar), cette arrivée va permettre de mieux souligner l’existence du marché de la vidéo en ligne et attirer plus d’investissements sur les outils de diffusion. Ce n’est pas une concurrence en soit estime-t-il car « Netflix apporte du global et nous Africa Films.tv nous sommes attentifs à ce global et forts dans le local ». Netflix peut aider à rendre globale la production locale, poursuit-il, interrogé par Africiné, dans les locaux de la Maison Act (en marge d’un entretien avec la réalisatrice Rama Thiaw, sélectionnée à la 66ème Berlinale qui se tient cette semaine, à paraître bientôt). Netflix ne se pose pas uniquement comme diffuseur. Elle produit (Beasts of no Nations et Jadotville) et achète auprès des producteurs africains (October 1, du Nigerian Kunle Afolayan, ou Ayanda, le dernier film de Sara Blecher). Netflix prévoit d’injecter plus de 5 milliards de dollars dans la production de films et séries, il est possible de penser qu’une partie de cette manne ira en Afrique. La Chine fait partie des pays où la diffusion n’est pas encore autorisée.
Thierno I. Dia
magazine Africiné, Bordeaux
pour Images Francophones
Image : L’acteur Idriss Elba, dans Beasts of no nation
Crédit : Netflix