Moussa Touré : "Le cinéma que j'ai appris, c'est la lumière"
Rencontre avec le cinéaste sénégalais, en marge des JCC, Tunis. Son film Bois d'Ebène est sélectionné au Fespaco 2017.
Difficile de légitimer son statut de cinéaste dans un pays où le cinéma, pour ne pas dire la culture, est la dernière roue du carrosse. Et pourtant, à regarder dans le rétroviseur, le cinéma sénégalais a été d'un dynamisme prenant qui lui valut respect et considération. Alors comment lui écrire un nouveau destin ? La question est soulevée avec le cinéaste Moussa Touré, présent à la 27è édition des Journées Cinématographiques de Carthage - JCC 2016 (28 oct - 5 nov 2016), pour présenter son dernier film, Bois d'ébène, un documentaire-fiction de 90 minutes, réalisé en 2016. Le film est en Compétition officielle Documentaires, au FESPACO 2017 (Festival Panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou) qui a lieu du 25 février au 4 mars 2017.
Quel est votre regard sur les JCC ?
Moussa Touré : Nous en sommes au 50e anniversaire. C'est un héritage qui est bien consommé. 75% des gens qui ont rempli les salles de cinéma sont des jeunes. Si l'on avait des salles pareilles au Sénégal avec des jeunes qui les fréquent… Dans un anniversaire, il peut y avoir des couacs dans l'organisation, mais le plus important pour moi c'est qu'il y a une jeunesse enthousiasmée qui a hérité de la fondation de ce festival.
Quel a été le prétexte de Bois d'ébène ?
Prétexte ? Il n'y a pas eu de prétexte. Quand vous faites une fiction, vous avez un prétexte, mais ici nous sommes dans l'historique, avec une histoire vraie, écrite noir sur blanc. Vous ne pouvez que le projeter sur un écran, en y mettant votre cinématographie. Dans ce film, je n'ai même pas eu droit au dialogue ; c'est un livre qui a été adopté. C'est un esclave qui parle au début du film à travers un soliloque. C'est la voix off du film. Même ce que disent les blancs est raconté par elle. C'est comme aujourd'hui un griot qui assiste à un baptême et qui raconte par la suite comment celui-ci s'est déroulé.
Comment s'est fait le choix des lieux de tournage ?
Cela fait longtemps que je fais du cinéma. Et j'étais plus un technicien du cinéma. Quand quelqu'un arrivait avec son projet de film, je l'aidais à trouver les décors. Comme ce que j'ai fait dans La Pirogue, je sais trouver les décors. C'est là où le cinéma commence. Ton film commence au moment où tu trouves les décors et les acteurs. Les décors s'invitent au moment où tu entames la rédaction de ton scénario. Quand je devais faire ce film, je suis allé dans des endroits comme La Nouvelle Guinée où j'ai pris des photos. Mais ce que vous devez savoir, c'est qu'en Afrique les décors sont presque pareils. Par la suite, j'ai envoyé mon fils en Guadeloupe pour les besoins d'un repérage. A son retour, il m'a dit ceci : " Papa, là-bas, c'est comme si on était à Dionwar (localité sérère au Sénégal). Alors, c'est comme cela que j'ai pu trouver un décor pour Bois d'ébène, un décor qui ressemble aux Antilles.
Comment êtes-vous arrivé, dans le choix des comédiens, à rassembler des gens d'ethnies différentes (Peuls, Wolofs, Bédiks, etc.) ?
Il faut dire que je bouge beaucoup. Je suis un solitaire qui voyage beaucoup. Même quand je voyage je fais du cinéma. Je regarde les décors. Ensuite, je tiens à dire que je connais les ethnies ; à travers mes recherches, j'ai su lesquelles parmi les ethnies étaient impliquées oui ou non à l'esclavage. Certaines d'entre elles n'ont jamais été victimes de ce trafic.
Pour ce qui est des acteurs, cela fait longtemps que je regarde les visages pour repérer les bons comédiens, à l'image de Leïty qui raconte dans une anecdote que lui et ses compagnons, je les ai ramassés dans la rue. Le cinéma que j'ai appris, c'est la lumière ; et la lumière, on la met sur les acteurs. J'ai appris à diriger des acteurs. Cela fait quatorze ans que je travaille avec de grands acteurs, y compris avec ceux qui ont joué dans mon film TGV.
Dans Bois d'ébène, l'esthétique a une grande place : vues panoramiques de beaux paysages, formes des cases, costumes attrayants. Vous cherchiez à insister sur la beauté pour ne pas rendre trop violent le récit d'une histoire tragique ?
Le cinéma, c'est d'abord le regard. Un regard que tu poses sur quelqu'un et qui doit te revenir. C'est le choix que j'ai fait. Et moi, je tourne vite. De l'image filmée à l'écran, je prends le temps de faire des choix sur les lieux, sur les personnages. Chacun a son propre regard. Ce que vous avez vu dans Bois d'ébène, c'est mon regard. Beaucoup me parlent de la beauté des images. Je ne peux pas me réveiller le matin et penser du mal. C'est dans ma nature ! Même s'il y a de la violence dans le film, il faut dire que j'ai essayé de l'allier à ce qui est beau.
Vous a-t-il été facile d'aider les acteurs à entrer dans la peau des personnages ?
Ils ont dit que j'étais dur. Je suis dur ; mais ce n'est que pour un moment. En général, je sais ce que je veux, et je sais comment l'inculquer à mes acteurs. Je ne suis pas acteur, à vrai dire, mais je le suis un petit peu. Je sais ce que doit être la direction d'acteurs, et je sais comment mettre à l'aise mes acteurs.
Le budget n'a pas été trop lourd ?
Ah, si ! il était d'un million six cent cinquante cinq (1.655.000) d'euros. Presque 1 milliard de Fcfa. C'est un film d'époque (1823) que j'ai tourné en 18 jours. Les costumes, c'est déjà un sacré somme.
Comment êtes-vous arrivé à allier images filmiques et images d'archives ?
Mais c'est cela le cinéma ! La force de ce film, c'est cela ! Pour moi, la difficulté, c'était d'allier fiction, documentaire et archives. Mais il m'a fallu travailler avec des gens qui en étaient à des niveaux élevés dans leur domaine. Et puis, vous savez, un film, ce sont des niveaux.
En combien de langues se fera le sous-titrage ?
Il se fera en français et en anglais. Comme un film grandit, prend de l'ampleur, on verra avec le temps parce que les Allemands s'intéressent à Bois d'ébène. Beaucoup de gens, de façon générale, me disent que ce film est un chef-d'œuvre. Partout c'est la même réaction : les gens me disent que le film est beau et qu'il leur fait beaucoup plaisir.
Moi, je suis quand même assez humble. J'ai appris le cinéma très jeune. De grands noms comme Sembène [Ousmane], William [Mbaye], [Mahama] Johnson, Ben Diogaye [Bèye], Faty Sow, etc. m'ont appris le cinéma. Je leur dis toujours : " au cas où vous seriez tenté de me critiquer, je vous fais savoir que c'est vous qui m'avez initié à cet art ". C'est toute la différence avec cette jeunesse d'aujourd'hui qui n'a pas envie d'apprendre. Ici, en Tunisie, les jeunes fréquentent l'école de cinéma. Il faut dire que dans ce pays, il y a de jeunes cinéastes amateurs. Au passage, je viens de signer un accord de partenariat entre mon festival [Moussa invite, Rufisque] et celui du film amateur de Kélibia (FIFAK). Allez à Dakar et appelez un jeune qui fait du cinéma " cinéaste amateur " et observez sa réaction. Les jeunes de chez nous préfèrent prendre des raccourcis.
Est-ce que les Sénégalais auront l'occasion de voir Bois d'ébène ?
Je vais le montrer au public de Dakar et aussi de sa banlieue (Pikine, Mbao, etc.) avec des projections en plein air. Après, je compte faire le tour des régions du Sénégal pour faire découvrir ce film.
A travers votre film, quel est le message que vous avez voulu faire passer ?
Mais il n'y a pas de message dans ce film qui parle de l'esclavage. Et l'esclavage, c'est une histoire. Moi, je ne suis pas un messager. Ce film révèle comment nous les Noirs étions utilisés comme du bétail. C'était comme faire du commerce de sucre. C'est cela que je voulais montrer.
"Le seul endroit au monde où les gens ne connaissant rien du cinéma s'en occupent, c'est en Afrique"
Revenons à la question du cinéma sénégalais. Comment faire pour qu'il retrouve son image d'antan, dans un pays où il n'y a presque plus de salles de projection ?
Vous savez, personnellement, mon problème c'est le choix que l'on porte sur les gens qui doivent diriger le cinéma dans notre pays. On prend un agriculteur ou un charbonnier pour le nommer ministre de la culture. N'importe qui est nommé ministre de la culture. Mon ami Youssou Ndour a occupé ce poste, mais il faut quand dire qu'au moins, lui, fait partie du milieu de la culture.
En France, ce sont les cinéastes qui s'occupent du cinéma. Ce sont des gens qui connaissent le cinéma. Le seul endroit au monde où les gens ne connaissant rien du cinéma s'en occupent, c'est en Afrique. Voilà pourquoi ils font beaucoup d'erreurs.
Si j'étais en face du président de la République du Sénégal, je lui demanderai, au lieu de débloquer un milliard de Fcfa à distribuer aux cinéastes, de construire d'abord des salles de cinéma parce qu'il y a des films qui n'ont jamais été vus par les Sénégalais, avant de passer à la production. Un milliard de Fcfa pour la production alors qu'il n'y a pas de salles de cinéma, ce n'est pas intelligent. Il faut donc faire des salles, mais des salles plus adéquates à nos besoins.
Et puis, on nous parle de droits d'auteur. Ça n'a aucun sens ! Récemment, un de mes compatriotes me disait qu'il ne m'avait pas vu à la réunion du Bureau des droits d'auteur ; je lui ai rétorqué que du moment où je n'ai pas de films qui passent à la télévision au Sénégal, je n'ai pas à parler de droits d'auteur.
Actuellement, nous avons produit au Sénégal 31 films, mais ça a servi à quoi ? Qui va les montrer ? S'agissant des télévisions sénégalaises, ce sont elles-mêmes qui font leurs propres productions à montrer aux Sénégalais parce que ce sont les sponsors qui leur donnent de l'argent. C'est avec cela qu'elles payent leurs employés. Donc, cette histoire de droits d'auteur peut bien marcher avec la musique, mais pas avec le cinéma. L'État devrait discuter avec ces télévisions, leur donner un peu de sous, avec la condition de faire passer des films sénégalais. Un pays qui n'a pas un État qui s'occupe de son cinéma ne va jamais avancer dans ce domaine.
Je préfère ne pas être présent dans les festivals et que le gouvernement de mon pays s'occupe de nos films et les Sénégalais aient la possibilité de les voir. Si nous ne sommes pas forts dans nos pays, nous ne le serons pas non plus ailleurs. Jamais ! Ensuite, il faut penser aux jeunes parce que ce sont eux qui remplissent les salles.
Mon film Bois d'ébène a été produit par la France, et aujourd'hui, je le présente aux JCC pour représenter le Sénégal. Et si je remportais un prix et que je retournais dans mon pays, tout le monde dira que c'est un Sénégalais qui a remporté un prix. Et le Chef de l'État va me recevoir et me donner de l'argent. Ce n'est pas comme cela que ça doit marcher.
Aujourd'hui, quels sont les projets de Moussa Touré ?
J'ai un projet de film : l'histoire d'un chef de village africain qui va aller sous l'arbre à palabre dans le but d'unifier les Belges. Suivront l'adaptation d'une bande dessinée et un film sur un policier.
Entretien réalisé à Carthage par
Bassirou NIANG Dakar, Africiné Magazine
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
À lire : Bois d'Ébène, de Moussa Touré. Un film maîtrisé et utile, par Tarek Ben Chaabane (Tunis, Africiné Magazine)
Image : Moussa Touré, réalisateur et producteur sénégalais
Crédit : DR
Quel est votre regard sur les JCC ?
Moussa Touré : Nous en sommes au 50e anniversaire. C'est un héritage qui est bien consommé. 75% des gens qui ont rempli les salles de cinéma sont des jeunes. Si l'on avait des salles pareilles au Sénégal avec des jeunes qui les fréquent… Dans un anniversaire, il peut y avoir des couacs dans l'organisation, mais le plus important pour moi c'est qu'il y a une jeunesse enthousiasmée qui a hérité de la fondation de ce festival.
Quel a été le prétexte de Bois d'ébène ?
Prétexte ? Il n'y a pas eu de prétexte. Quand vous faites une fiction, vous avez un prétexte, mais ici nous sommes dans l'historique, avec une histoire vraie, écrite noir sur blanc. Vous ne pouvez que le projeter sur un écran, en y mettant votre cinématographie. Dans ce film, je n'ai même pas eu droit au dialogue ; c'est un livre qui a été adopté. C'est un esclave qui parle au début du film à travers un soliloque. C'est la voix off du film. Même ce que disent les blancs est raconté par elle. C'est comme aujourd'hui un griot qui assiste à un baptême et qui raconte par la suite comment celui-ci s'est déroulé.
Comment s'est fait le choix des lieux de tournage ?
Cela fait longtemps que je fais du cinéma. Et j'étais plus un technicien du cinéma. Quand quelqu'un arrivait avec son projet de film, je l'aidais à trouver les décors. Comme ce que j'ai fait dans La Pirogue, je sais trouver les décors. C'est là où le cinéma commence. Ton film commence au moment où tu trouves les décors et les acteurs. Les décors s'invitent au moment où tu entames la rédaction de ton scénario. Quand je devais faire ce film, je suis allé dans des endroits comme La Nouvelle Guinée où j'ai pris des photos. Mais ce que vous devez savoir, c'est qu'en Afrique les décors sont presque pareils. Par la suite, j'ai envoyé mon fils en Guadeloupe pour les besoins d'un repérage. A son retour, il m'a dit ceci : " Papa, là-bas, c'est comme si on était à Dionwar (localité sérère au Sénégal). Alors, c'est comme cela que j'ai pu trouver un décor pour Bois d'ébène, un décor qui ressemble aux Antilles.
Comment êtes-vous arrivé, dans le choix des comédiens, à rassembler des gens d'ethnies différentes (Peuls, Wolofs, Bédiks, etc.) ?
Il faut dire que je bouge beaucoup. Je suis un solitaire qui voyage beaucoup. Même quand je voyage je fais du cinéma. Je regarde les décors. Ensuite, je tiens à dire que je connais les ethnies ; à travers mes recherches, j'ai su lesquelles parmi les ethnies étaient impliquées oui ou non à l'esclavage. Certaines d'entre elles n'ont jamais été victimes de ce trafic.
Pour ce qui est des acteurs, cela fait longtemps que je regarde les visages pour repérer les bons comédiens, à l'image de Leïty qui raconte dans une anecdote que lui et ses compagnons, je les ai ramassés dans la rue. Le cinéma que j'ai appris, c'est la lumière ; et la lumière, on la met sur les acteurs. J'ai appris à diriger des acteurs. Cela fait quatorze ans que je travaille avec de grands acteurs, y compris avec ceux qui ont joué dans mon film TGV.
Dans Bois d'ébène, l'esthétique a une grande place : vues panoramiques de beaux paysages, formes des cases, costumes attrayants. Vous cherchiez à insister sur la beauté pour ne pas rendre trop violent le récit d'une histoire tragique ?
Le cinéma, c'est d'abord le regard. Un regard que tu poses sur quelqu'un et qui doit te revenir. C'est le choix que j'ai fait. Et moi, je tourne vite. De l'image filmée à l'écran, je prends le temps de faire des choix sur les lieux, sur les personnages. Chacun a son propre regard. Ce que vous avez vu dans Bois d'ébène, c'est mon regard. Beaucoup me parlent de la beauté des images. Je ne peux pas me réveiller le matin et penser du mal. C'est dans ma nature ! Même s'il y a de la violence dans le film, il faut dire que j'ai essayé de l'allier à ce qui est beau.
Vous a-t-il été facile d'aider les acteurs à entrer dans la peau des personnages ?
Ils ont dit que j'étais dur. Je suis dur ; mais ce n'est que pour un moment. En général, je sais ce que je veux, et je sais comment l'inculquer à mes acteurs. Je ne suis pas acteur, à vrai dire, mais je le suis un petit peu. Je sais ce que doit être la direction d'acteurs, et je sais comment mettre à l'aise mes acteurs.
Le budget n'a pas été trop lourd ?
Ah, si ! il était d'un million six cent cinquante cinq (1.655.000) d'euros. Presque 1 milliard de Fcfa. C'est un film d'époque (1823) que j'ai tourné en 18 jours. Les costumes, c'est déjà un sacré somme.
Comment êtes-vous arrivé à allier images filmiques et images d'archives ?
Mais c'est cela le cinéma ! La force de ce film, c'est cela ! Pour moi, la difficulté, c'était d'allier fiction, documentaire et archives. Mais il m'a fallu travailler avec des gens qui en étaient à des niveaux élevés dans leur domaine. Et puis, vous savez, un film, ce sont des niveaux.
En combien de langues se fera le sous-titrage ?
Il se fera en français et en anglais. Comme un film grandit, prend de l'ampleur, on verra avec le temps parce que les Allemands s'intéressent à Bois d'ébène. Beaucoup de gens, de façon générale, me disent que ce film est un chef-d'œuvre. Partout c'est la même réaction : les gens me disent que le film est beau et qu'il leur fait beaucoup plaisir.
Moi, je suis quand même assez humble. J'ai appris le cinéma très jeune. De grands noms comme Sembène [Ousmane], William [Mbaye], [Mahama] Johnson, Ben Diogaye [Bèye], Faty Sow, etc. m'ont appris le cinéma. Je leur dis toujours : " au cas où vous seriez tenté de me critiquer, je vous fais savoir que c'est vous qui m'avez initié à cet art ". C'est toute la différence avec cette jeunesse d'aujourd'hui qui n'a pas envie d'apprendre. Ici, en Tunisie, les jeunes fréquentent l'école de cinéma. Il faut dire que dans ce pays, il y a de jeunes cinéastes amateurs. Au passage, je viens de signer un accord de partenariat entre mon festival [Moussa invite, Rufisque] et celui du film amateur de Kélibia (FIFAK). Allez à Dakar et appelez un jeune qui fait du cinéma " cinéaste amateur " et observez sa réaction. Les jeunes de chez nous préfèrent prendre des raccourcis.
Est-ce que les Sénégalais auront l'occasion de voir Bois d'ébène ?
Je vais le montrer au public de Dakar et aussi de sa banlieue (Pikine, Mbao, etc.) avec des projections en plein air. Après, je compte faire le tour des régions du Sénégal pour faire découvrir ce film.
A travers votre film, quel est le message que vous avez voulu faire passer ?
Mais il n'y a pas de message dans ce film qui parle de l'esclavage. Et l'esclavage, c'est une histoire. Moi, je ne suis pas un messager. Ce film révèle comment nous les Noirs étions utilisés comme du bétail. C'était comme faire du commerce de sucre. C'est cela que je voulais montrer.
"Le seul endroit au monde où les gens ne connaissant rien du cinéma s'en occupent, c'est en Afrique"
Revenons à la question du cinéma sénégalais. Comment faire pour qu'il retrouve son image d'antan, dans un pays où il n'y a presque plus de salles de projection ?
Vous savez, personnellement, mon problème c'est le choix que l'on porte sur les gens qui doivent diriger le cinéma dans notre pays. On prend un agriculteur ou un charbonnier pour le nommer ministre de la culture. N'importe qui est nommé ministre de la culture. Mon ami Youssou Ndour a occupé ce poste, mais il faut quand dire qu'au moins, lui, fait partie du milieu de la culture.
En France, ce sont les cinéastes qui s'occupent du cinéma. Ce sont des gens qui connaissent le cinéma. Le seul endroit au monde où les gens ne connaissant rien du cinéma s'en occupent, c'est en Afrique. Voilà pourquoi ils font beaucoup d'erreurs.
Si j'étais en face du président de la République du Sénégal, je lui demanderai, au lieu de débloquer un milliard de Fcfa à distribuer aux cinéastes, de construire d'abord des salles de cinéma parce qu'il y a des films qui n'ont jamais été vus par les Sénégalais, avant de passer à la production. Un milliard de Fcfa pour la production alors qu'il n'y a pas de salles de cinéma, ce n'est pas intelligent. Il faut donc faire des salles, mais des salles plus adéquates à nos besoins.
Et puis, on nous parle de droits d'auteur. Ça n'a aucun sens ! Récemment, un de mes compatriotes me disait qu'il ne m'avait pas vu à la réunion du Bureau des droits d'auteur ; je lui ai rétorqué que du moment où je n'ai pas de films qui passent à la télévision au Sénégal, je n'ai pas à parler de droits d'auteur.
Actuellement, nous avons produit au Sénégal 31 films, mais ça a servi à quoi ? Qui va les montrer ? S'agissant des télévisions sénégalaises, ce sont elles-mêmes qui font leurs propres productions à montrer aux Sénégalais parce que ce sont les sponsors qui leur donnent de l'argent. C'est avec cela qu'elles payent leurs employés. Donc, cette histoire de droits d'auteur peut bien marcher avec la musique, mais pas avec le cinéma. L'État devrait discuter avec ces télévisions, leur donner un peu de sous, avec la condition de faire passer des films sénégalais. Un pays qui n'a pas un État qui s'occupe de son cinéma ne va jamais avancer dans ce domaine.
Je préfère ne pas être présent dans les festivals et que le gouvernement de mon pays s'occupe de nos films et les Sénégalais aient la possibilité de les voir. Si nous ne sommes pas forts dans nos pays, nous ne le serons pas non plus ailleurs. Jamais ! Ensuite, il faut penser aux jeunes parce que ce sont eux qui remplissent les salles.
Mon film Bois d'ébène a été produit par la France, et aujourd'hui, je le présente aux JCC pour représenter le Sénégal. Et si je remportais un prix et que je retournais dans mon pays, tout le monde dira que c'est un Sénégalais qui a remporté un prix. Et le Chef de l'État va me recevoir et me donner de l'argent. Ce n'est pas comme cela que ça doit marcher.
Aujourd'hui, quels sont les projets de Moussa Touré ?
J'ai un projet de film : l'histoire d'un chef de village africain qui va aller sous l'arbre à palabre dans le but d'unifier les Belges. Suivront l'adaptation d'une bande dessinée et un film sur un policier.
Entretien réalisé à Carthage par
Bassirou NIANG Dakar, Africiné Magazine
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
À lire : Bois d'Ébène, de Moussa Touré. Un film maîtrisé et utile, par Tarek Ben Chaabane (Tunis, Africiné Magazine)
Image : Moussa Touré, réalisateur et producteur sénégalais
Crédit : DR