Madagascar initie le fonds Serasary
Une aide à la production d'environ 26.000.000 d'Ariary (9.439 €).
Voilà sept ans que les Rencontres du Film Court d'Antananarive éveillent la fibre cinématographique de nombreux malgaches. En 2011, le lancement d'une aide à la production malgache a permis la réalisation de trois courts-métrages présentés cette année durant le festival.
Annoncé durant le festival 2011, la création d'un fonds malgache d'aide à la production d'environ 26.000.000 d'Ariary (9.439 €) a permis de soutenir trois jeunes auteurs dans les domaines de la fiction, de l'animation et du documentaire.
Organisées tous les ans au mois d'avril, les Rencontres du Film Court (RFC) possèdent aujourd'hui un vivier de 250 cinéastes débrouillards et talentueux qu'il faut à présent soutenir. "L'un des objectifs de ce festival était de donner aux réalisateurs les moyens de travailler dans les meilleures conditions", nous explique Laza, directeur des RFC. Lui-même, cinéaste et producteur, connaît bien l'enjeu : "Pour un réalisateur, le but est de faire un prochain film".
3 projets soutenus sur 15
D'abord soutenue via le 3e Prix du festival (1000€ en 2009), l'initiative de financement du cinéma a petit à petit mobilisé des partenaires privés et institutionnels, sous l'impulsion de l'association Rencontres du Film Court, de l'Institut Français de Madagascar (IFM) et de la société de production de Laza, Rozifilms.
Lancé en juillet 2011, l'appel a réuni 15 projets. Sur les deux commissions de sélection tenues en novembre et décembre 2011, trois films ont été soutenus à hauteur d'environ 8.000.000 Ariary (2900€) chacun : Le zébu de Dadilahy de Luck Razanajaona (fiction) ; Iny hono izy ravorona (Berceuse) de Sitraka Randriamahaly (animation) et Tambin'ezaka (Le prix de l'effort) de Nantenaina Rakotondranivo sur une idée d'Hervé Ravalason (documentaire).
Une étape importante pour le cinéma malgache
Pour Luck Razanajaona, ancien élève de l'École Supérieure des Arts Visuels de Marrakech (ESAV) au Maroc, Le zébu de Dadilahy a failli être un film de fin d'études. Portant le scénario depuis deux ans, ce jeune réalisateur a dû réapprendre à tourner en malgache avec des acteurs amateurs : "C'est à nous de trouver notre voie" témoigne-t-il sur la scène de l'amphithéâtre Albert Camus de l'IFM. "Ce qui nous manque, c'est la petite chose qui fait que cela est du cinéma".
Pendant trois mois, Sitraka Randriamahaly a réalisé Iny hono izy ravorona (Berceuse) avec des animateurs malgaches. Grand vainqueur des dernières éditions des RFC catégorie animation, le jeune homme annonce : "C'est une étape importante dans la production du cinéma malgache et cela m'a permis de travailler avec des professionnels du métier". En 2011, Sitraka Randriamahaly avait bénéficié, grâce aux RFC, d'une formation de trois mois à l'Institut de l'image de l'océan indien (ILOI) de La Réunion.
Tambin'ezaka (Le prix de l'effort) est la première réalisation de Nantenaina Rakotondranivo qui travaille depuis cinq ans dans la société de production DDC. "J'ai dit à Hervé [son protagoniste, ndlr], que nous produirions le film si nous obtenions l'argent du fonds. Sinon, nous l'aurions auto-produit avec DDC" explique cet optimiste quant à l'avenir du cinéma malgache.
Récompenser les efforts menés
Groupe leader dans les secteurs du développement immobilier, de la construction, du service et de l'industrie du bois à Madagascar, Vision Madagascar (VIMA) est une société privée malgache créée en 2000. Elle a été la première à apporter son soutien au fonds Serasary.
"Il y a trois choses qui nous ont convaincues, témoigne Élise Rabary, responsable marketing et communication du groupe. D'abord Laza pour son parcours et sa capacité à mobiliser des partenaires autour de lui ; puis les RFC pour tous les efforts menés depuis sept ans et ensuite le fait que la production cinématographique mondiale soit soutenue par beaucoup de privés."
Locomotive pour les autres investisseurs privés malgaches en matière de cinéma, l'implication de VIMA répond à la nécessité d'encourager la talentueuse génération de cinéastes du pays. En retour de cet investissement, le groupe VIMA espère que les films "traverseront les frontières".
Un fonds "osé"
Deuxième partenaire emblématique du fonds Serasary, le projet franco-malgache ArtMada 2 est un appui au développement culturel de Madagascar financé par la coopération française. Impliqué depuis 2009 dans les Rencontres du Film Court, ArtMada 2 vient en appui à l'émergence, la consolidation ou la professionnalisation de différentes disciplines artistiques. De fait, son soutien au fonds "coulait de source" comme nous l'explique Greta Rodriguez, chef du projet depuis plus d'un an.
"Ce fonds est assez osé car c'est le premier fonds mis en place ici. Il n'est pas évident d'appuyer le secteur cinématographique à Madagascar. Il a toujours été le parent pauvre des politiques. Depuis trois ans, il se cherche, s'affine - notamment par l'envoi de réalisateurs dans différentes écoles en Afrique et en Europe - et constitue un terreau cinématographique".
Bien qu'il reste beaucoup de travail à fournir, Greta Rodriguez reconnaît que les RFC ont amorcées un vrai terrain pour le cinéma à Madagascar et que le fonds Serasary est "une vraie béquille" pour le septième art. De plus, l'apport de sociétés privées telles que VIMA dans le fonds de production donne pour elle de la "fierté" aux Malgaches.
Aux hommes de culture de prendre le relais
Troisième partenaire du fonds Serasary, l'Ambassade de Suisse soutient l'association Rencontres du Film Court depuis cinq ans. Son implication dans le nouveau fonds de production cinématographique se place donc dans la continuité d'un partenariat bien établi. "Le fonds Serasary est un soutien logique aux espaces de création, affirme Nicola Felder, attaché de coopération au développement à Madagascar. Il faut des réflexions de fond pour analyser la société, que ce soit dans le cinéma, dans la musique ou dans la danse".
Précisant que la Suisse a fait d'une priorité l'aide au développement des pays pauvres, Nicola Felder soutient que le fossé culturel entre le capitalisme et la culture malgache empêche les initiatives individuelles d'émerger. Celle de Laza et des Rencontres du Film Court correspond donc à son souhait de soutenir des projets plutôt que d'en impulser. Pour lui, "lorsque les politiques font défaut, c'est aux hommes de culture de prendre le relais".
Projetés le deuxième jour du festival, les trois films aidés ont reçu un très bon accueil de la part des spectateurs. À l'image de Madagascar par leurs thématiques (vie rurale, tradition, enfance, difficultés d'accès aux soins, débrouillardise), ces trois courts-métrages visent à présent le Fespaco 2013. Pour le directeur des RFC, le plaisir de présenter ces trois auteurs était grand : "Ils étaient sous pression. Ils savaient qu'il fallait qu'ils assurent parce que la suite de ce fonds dépendait de ce qu'ils allaient produire". L'opération, réussie, sera renouvelée en 2012 avec le soutien du Ministère de la Culture et du Patrimoine de Madagascar.
Claire Diao / Clap Noir
Avril 2012