Les télévisions africaines en mal de contenu local
Faut-il brûler les télénovelas ? Tel aurait pu être le sous-titre du vingtième "Séminaire de formation" (SEFOR), organisé, du 1er au 3 décembre derniers à Niamey, à l’i
Le thème de cette rencontre (« Médias de service public : la marque à renforcer ») a en effet donné lieu à des débats passionnés sur l’insuffisance des contenus locaux, dont le symptôme le plus voyant est la prolifération des feuilletons importés. D’un bout à l’autre de l’Afrique francophone, les télénovelas envahissent les grilles des télévisions et ce sont les chaînes publiques qui en font la plus grande consommation. Sur la chaîne nationale béninoise, on peut compter, chaque semaine, cinq télénovelas différentes, auxquelles vient s’ajouter un feuilleton indien. Du Cameroun à la Mauritanie, le constat est le même : les programmes locaux sont réduits à la portion congrue et ni les cahiers des charges, ni les quotas instaurés ici et là n’y changent rien. Est-ce le résultat d’une addiction du public, manifestement « accroché » aux feuilletons de TV Globo ou TV Azteca ? Les directeurs des programmes qui remplissent leur grille avec ces productions ont beau jeu de prétendre qu’ils ne font que répondre à la demande des téléspectateurs. Pourtant, ces derniers plébiscitent les séries africaines lorsqu’on veut bien leur en proposer. En témoigne le succès phénoménal rencontré par le feuilleton ivoirien « Ma famille » dans toute l’Afrique francophone. Une exception ? Sans doute, car avant cette série, aucune fiction africaine n’avait atteint le seuil critique des 300 épisodes. Pour concurrencer les télénovelas, la recette est simple. Il suffit de produire des séries africaines longues, bien faites et pas chères. Plus facile à dire qu’à faire. Les producteurs des feuilletons étrangers qui passionnent tant les téléspectateurs africains ont l’avantage d’amortir leurs productions sur un marché intérieur immense (203 millions d’habitants au Brésil, 113 millions au Mexique, 1 milliard deux cents millions en Inde). Ils peuvent ensuite revendre ces programmes à bas prix à travers le monde.
LES FICTIONS AFRICAINES ATTIRENT LES ANNONCEURS
Pour autant, faut-il se résigner à la non-compétitivité des productions africaines ? Faut-il tourner le dos aux cahiers des charges qui imposent aux télévisions publiques une majorité de programmes locaux ? Quelques exemples cités à l’occasion du SEFOR de Niamey montrent qu’une autre voie est possible. L’argument de la non-compétitivité des fictions africaines ne tient plus si l’on prend en compte les recettes publicitaires qu’elles permettent de générer. Une étude réalisée fin 2010 par le cabinet français Media Consulting Group pour Canal France International apporte un éclairage nouveau sur la question. Au Sénégal, les programmes qui attirent les spots publicitaires les plus rémunérateurs sont les téléfilms programmés le mardi soir (tournés en wolof par des producteurs indépendants qui les diffusent en vidéo auprès de la diaspora, ces programmes ne sont pas achetés par la télévision nationale mais donnent lieu à un partage des recettes publicitaires). En Côte d’Ivoire, en 2010, les séries locales de la RTI (« Faut pas fâcher » et « Quoi de neuf ?» attiraient deux fois plus de spots publicitaires que les télénovelas. Enfin, cette étude révèle que, contrairement à une idée reçue, les télénovelas ne rapportent pas grand-chose aux télévisions africaines. Pour la télévision sénégalaise, le système du « bartering » (abandon de recettes publicitaires contre l’obtention gratuite d’un programme) se traduirait par une perte de 35 000 euros de recettes pour chaque télénovela de 200 épisodes diffusée. Lorsque les responsables des télévisions africaines se plaignent du manque de moyens qui leur interdirait d’investir dans l’achat ou la production de programmes locaux, on est tenté de leur opposer cette regrettable déperdition de recettes. Plus caricatural encore est le cas du Cameroun, où les enquêteurs de Media Consulting Group[i] estiment qu’en 2010, la série mexicaine « La fille du jardinier » a coûté à la CRTV bien plus qu’elle ne lui a rapporté en raison du niveau étrangement bas des tarifs publicitaires.
En matière de télénovelas, le souci de satisfaire les téléspectateurs affiché par certains responsables de programmes n’explique pas tout et le souci de la rentabilité non plus. Le succès de ces programmes s’explique aussi par le fait qu’ils offrent une solution de facilité : rien de tel pour remplir une grille sans effort et à peu de frais. Et sans risque, puisque, la plupart du temps, les responsables politiques s’accommodent très bien de cet envahissement des écrans de télévision par des programmes, certes étrangers, mais qui ont l’avantage d’être à la fois populaires et anodins. Lors du SEFOR de Niamey, Ibrahim Sy Savané, président de la Haute autorité de la Communication audiovisuelle de Côte d’Ivoire, n’a pas hésité à pointer du doigt la « mauvaise gouvernance éditoriale et financière des chaînes publiques ».
LA PRODUCTION INDEPENDANTE MONTE EN PUISSANCE
Faut-il pour autant désespérer des télévisions publiques africaines en matière de contenu local ? Peut-être pas et l’espoir pourrait venir, justement, de Côte d’Ivoire. Dans ce pays, la télévision nationale (RTI) a connu une période de marasme qui l’a amenée à se livrer au « bartering » (« vente à la découpe » de la grille et du temps d’antenne, selon une formule entendue au SEFOR). Cette phase de décadence a cependant permis, jusqu’en 2007, la diffusion de la série « Ma famille » ; elle a également favorisé la création de sociétés de production indépendantes par des agents de la télévision. Par la suite, comme l’a expliqué Sanga Touré, son directeur des programmes, la RTI a « repris la main » progressivement sur sa grille de programmes. Elle a d’abord cessé de vendre son temps d’antenne pour instaurer un partage des recettes publicitaires avec les producteurs. Puis, elle a abandonné le « bartering » au profit des achats de programmes. Cette politique s’est traduite par une ouverture en direction des producteurs indépendants. La part de leurs émissions dans la grille de la RTI, qui était de 16 % en 2009, est passée à 23 % en 2010. Regroupés en association, les indépendants réclament aujourd’hui 37%. Dans le même temps, la Présidence de la Côte d’Ivoire fait pression sur la RTI pour qu’elle remplace la Télénovela de 19 h 30 par des fictions locales. Selon Sanga Touré, la RTI est encore loin de respecter son cahier des charges en matière de contenu local et il lui est difficile d’y parvenir en s’appuyant uniquement sur sa production interne car, d’une part, ses effectifs ont fondu (322 agents licenciés) et, d’autre part, les séries « Faut pas fâcher » et « Quoi de neuf ? » enregistrent une baisse tendancielle de leur audience. Dans ce contexte, ce sont les programmes des producteurs indépendants qui donnent à la télévision nationale la possibilité de remplir sa mission de service public en ce qui concerne le contenu local.
Après avoir amélioré leur présence sur la chaîne nationale, les producteurs ivoiriens montent en puissance également sur les autres marchés africains. Un exemple frappant est celui de la télévision béninoise qui, malgré sa boulimie de feuilletons latino-américains, programme aussi la série ivoirienne Sah Sandra. Gageons qu’elle saura se montrer aussi accueillante avec les séries béninoises qui ne manqueront pas de lui être proposées prochainement[ii].
Contact : pierre.barrot@francophonie.org
[i] Mamadou Baal, ancien directeur de la deuxième chaîne sénégalaise, Salomine Messio, ancienne responsable des programmes de la CRTV, Pierre Jalladeau, devenu par la suite Délégué à la politique des programmes de Canal France International et Laurent Fonnet, ancien responsable des programmes de TF1 et auteur de « La programmation d’une chaîne de télévision ».