Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés : une première édition qui promet
Du 16 au 25 mars 2013, en Tunisie, l’Association Culturelle Afrique Méditerranée et [A]lliance Cinéma ont déplacé le centre du monde.
Les événements qui ont secoué la Tunisie depuis décembre 2010 ont mis le pays au devant de la scène des combats pour les libertés. Dans la foulée des débats sur les changements de fond que connaît la société tunisienne, plusieurs événements culturels ont vu le jour pour accompagner le champ gigantesque de la transition démocratique. Ainsi plusieurs festivals de cinéma ont fait des droits de l’homme leur champ de prédilection. Ceci n’est pas nouveau au pays d’Hannibal et de Jugurtha.
Un combat qui ne date pas d’aujourd’hui
Depuis plus d’une décennie, il existait déjà Le Cinéma de la Paix, un festival dédié au cinéma militant, organisé par le ciné-club de Tunis. Petit de taille, ce festival est immense à l’aune de son engagement et par son combat contre la dictature qui étouffait le pays. Le Cinéma de la Paix a le mérite d’avoir existé, plus de dix ans, dans un contexte défavorable à la culture des libertés et des droits.
Les festivals qui ont poussé comme des champignons, profitant du vent de liberté, ont l’air de marcher sur les cadavres. Ces évènements se nourrissent à certains égards de la naïveté ou de la complicité de bailleurs de fonds qui œuvrent souvent plus pour leur propre visibilité ou leur bonne conscience que pour une volonté réelle de soutenir les actions entreprises. Ce n’est heureusement pas le cas du nouveau né, Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés (16-25 mars : à Thala, Kef et Tunis).
Cette manifestation s’inscrit dans la continuité du travail entrepris par l’Association Culturelle Afrique Méditerranée dont l’action a été initiée dès 2004, dans le contexte hostile à la culture et aux libertés d’alors. L’association misait déjà sur le culturel et plus particulièrement sur le cinéma, pour promouvoir les valeurs humaines fondamentales. Afrique Méditerranée a fondé en 2005 les Rencontres Cinématographiques de Hergla (à 20 kms de la ville de Sousse) qui ont depuis constitué une plateforme, pour l’expression cinématographique libre et libérée. En juillet 2011, la manifestation a migré d’Hergla et s’est faite inviter à Thala (située à environ 300 kms de Tunis, une ville phare de la révolte contre le régime de Zine El Abidine Ben Ali dès décembre 2010, comptant plusieurs morts sous les balles des forces de répression).
Des Rencontres Cinématographiques de Hergla
Outre la programmation régulière de films indépendants, chacune des éditions des Rencontres Cinématographiques de Hergla a été dédiée à l’œuvre d’une icône du cinéma. Ainsi, Djibril Diop Mambéty, Moustapha Alassane, Roberto Rossellini, Sotigui Kouyaté, Ousmane Sembène, Ahmed Bahaeddine Attia et bien d’autres ont été célébrés dans cette ville côtière d’à peine 6.000 habitants.
Les Rencontres Cinématographiques de Hergla ont vu la participation de spécialistes du cinéma et d’artistes de renommée internationale comme l’acteur malien Sotigui Kouyaté, Tahar Chériaa fondateur des Journées Cinématographiques de Carthage, l’acteur–réalisateur palestinien Mohammed Bakri, le cinéaste tunisien Nouri Bouzid, le chanteur malien Afel Bocoum et son homologue sénégalais Wasis Diop.
Depuis 2011, l’Association Culturelle Afrique-Méditerranée s’est encore libérée, en symbiose avec le souffle de changement que connaît tout le pays. C’est ainsi qu’elle a joué un rôle très important dans Les Journées Cinématographiques de Carthage en octobre 2012, en se chargeant du programme panafricain. Ce dernier a été conçu dans le sens de la réhabilitation de la vocation africaine que la manifestation avait presque perdue. Le programme panafricain comprenait un hommage à Souleymane Cissé qui, comme plusieurs cinéastes africains, avait boudé le festival pendant plusieurs éditions, et une section consacrée à la mémoire du cinéma. Cette section spéciale a permis de redécouvrir des œuvres comme celles de Chadi Abdessalem (Egypte), d’Ahmed Al Mannouni (Maroc) et de Djibril Diop Mambéty (Sénégal) dans le contexte de la Tunisie nouvelle.
Un Festival International du Film des Droits de l’Homme, des FIFDH
Se déroulant à Thala, Le Kef et Tunis, Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés sont le fruit d’une étroite collaboration avec [A]lliance Cinéma. Cette dernière est une association française bien connue à travers l’organisation du Festival International du Film des Droits de l’Homme (FIFDH) de Paris. Se tenant depuis une décennie, c’est le festival des droits humains le plus important dans l’hexagone. Chaque année il se transforme en une scène privilégiée pour les films documentaires sur les droits humains. Pendant sa 11ème édition (5-11 février 2013 dernier) le FIFDH a montré entre autres Bakoroman de Simplice Ganou (Burkina Faso), In My Mother's Arms de Mohammad et Attia Al-Daraji (Irak), Dans l’ombre d’un homme de Hanan Abdallah (Egypte), Ceuta, douce prison de Jonathan Millet et Loïc H. Rechi (Maroc).
L’association [A]lliance Ciné est fondatrice et animatrice depuis 2004 du Human Rights Films Network, réseau regroupant les festivals dont la programmation de films promeut la protection des droits humains. Créé il y a 11 ans, le FIFDH de Paris s’est aussi décliné en région avec des équipes locales (Strasbourg, Nantes, Metz, La Réunion, Gironde, Gard, Pays Basque, Midi-Pyrénées, Haute-Savoie, Provence) et à l’étranger avec des partenaires internationaux : à Bangui, Lomé, Yaoundé, Antananarivo,....
Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés en Tunisie s’inscrivent dans ce réseau, avec un nom propre et non pas FIFDH Tunis.
Une action qui fait sens, avec la société civile tunisienne
Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés se veut donc à l’’ecoute de cette articulation du cinéma aux débats actuels de société. Le contenu du festival émane ainsi d’une vision de l’action culturelle à deux niveaux : joindre la joie du spectacle à la didactique aux valeurs humaine fondamentales et mettre le premier au service de la seconde. Il s’agit en fait d’un évènement culturel multidisciplinaire qui se veut au diapason avec la dynamique que connait la société tunisienne qui s’active depuis plus de deux ans à réveiller ces démons dormants. Dans le contexte général d’une société qui a pris rendez-vous avec l’histoire en prenant son sort à bras le corps, une manifestation dédiée à un sujet comme “les droits et les libertés” autour du cinéma comme forme privilégiée d’expression prend son plein sens. Pourtant, il est rare que des bailleurs de fonds comme l’Union Européenne qui a soutenu cette manifestation, aient pu rendre de telles choses possibles.
L’initiative a suscité l’intérêt de la société civile tunisienne. Ainsi plusieurs associations cinématographiques ont mis la main à la pate pour enrichir le programme telle que l’Association Tunisienne pour le Promotion de la Critique Cinématographique (ATPCC), la Fédération Tunisienne des Ciné-clubs (FTCC) et la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs (FTCA). La manifestation a vu également la participation d’organisations à vocation proprement sociale et politique comme l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et la section tunisienne d’Amnesty International.
À l’échelle locale, l’initiative s’est appuyée sur le soutien d’organisations actives dans les régions intérieures du pays ou les activités ont eu lieu, en l’occurrence Thala Solidaire et Act Kef. La première est une association de développement régionale, sise à la petite ville de Thala. Celle-ci à été propulsée d’une façon extraordinaire au devant de la scène des événements en janvier 2011 lorsqu’elle a été le centre de la lutte contre la répression du soulèvement populaire. Thala a compté le plus grand nombre de martyrs de la révolution tunisienne. Quant à Act Kef, elle est active dans la ville du Kef, historiquement connue comme la capitale du Nord-Ouest Tunisien, mais en même temps pour son statut de ville marginalisé.
L’un des points forts de cette manifestation : avoir su impliquer réellement les régions oubliées même par l’effort international pour la transition démocratique en Tunisie. C’est probablement ce qui explique la mobilisation de cette grande énergie de la société civile. En dehors de ce type d’action, même des films tunisiens qui ont du succès à l’étranger comme Maudit soit le Phosphate de Sami Tlili (primé à Abu Dhabi) et C’était mieux demain de Hinde Boujemaa (sacrée à Namur) n’auraient pas été aisément accessibles à ces régions éloignées pourtant proches.
Plusieurs manifestations ont eu lieu dans la Tunisie de l’après Ben Ali. Nombreuses sont celles qui ont affiché la volonté d’impliquer les régions regroupées sous l’appellation symbolique de la “Ligne Bouazizi”. Le fait d’associer le nom de Mohamed Bouazizi, jeune homme qui, un 17 décembre 2010, s’est immolé sans savoir qu’il s’érigeait ainsi en une flamme qui enclenchera le processus de la fin d’une époque de marginalisation, dit en fait le mauvais sort qui a mis plus des deux tiers du pays sous le poids d’une injustice absurde pendant des décennies.
Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés ne se sont pas contentées de se servir des régions comme slogans pour attirer les bailleurs de fonds en les impliquant accessoirement. Les initiateurs de cette manifestation ont fait des activités dans les régions l’essentiel de leur programme et y ont mis l’essentiel de leurs énergies. Ceci est complètement à l’opposé de nombreuses autres manifestations qui préfèrent le confort des grandes villes, voire tout simplement celui de la capitale.
Le coup d’envoi des Journées du Cinéma des Droits et des Libertés a été lancé en revanche et précisément à partir de Thala. Cette petite ville martyre du Centre Ouest était presque oubliée par le passé.
La caravane de la justice passa ensuite par la ville du Kef ou les militants en compagnie de cinéastes et de musiciens venant des quatre coins du mondes marquèrent une pause. Cet arrêt ne constitue guère un repos du guerrier mais une série d’activités cinématographiques et musicales accompagnées de débats sur le sens des valeurs humaines et leur sort dans des endroits éloignés que seul le combat et le sens du droit rapprochent.
Au temple de la parole libérée
La destination finale sera contrairement à l’habitude la capitale où l’apothéose a été atteinte dans la soirée du lundi 25 mars avec un concert Tuniso-Palestino-Burkinabé. Ainsi, dans un moment de symbiose extrême, mais de célébration au sens presque religieux, l’Art aura contribué à la commémoration d’un moment historique qu’a été la révolution tunisienne en retraçant son parcours par l’image et la musique.
Comme si le chemin qu’ont parcouru les jeunes désespérés mais libérés les premiers jours de janvier 2011 dans leur marche vers le renversement de la tyrannie était parsemé des fleurs les plus belles. Un festival de ce genre n’a en effet de sens que s’il est capable de remettre les pendules à l’heure en rectifiant le cours de l’histoire et en relançant un débat de fond sur le devenir d’un peuple et de tous les peuples.
Le contenu du festival est allé précisément dans ce sens. Dans une atmosphère des langues déliées et des esprits débridés, place était faite aux débats et aux leçons de tous genres. L’activisme de terrain se voyait traduit en concepts et en discours touchant le font de la cause humaine. Cela se passe dans la petite Maison de Culture de Thala ou dans le petit Centre Historique des Arts Dramatiques du Kef. Cela en dit assez sur l’aspect profondément engagé d’une manifestation qui a pu mener des artistes et des activistes jusqu’au bout de leurs convictions et de leur engagement. Même certains artistes et activistes tunisiens ont fini par mettre les pieds dans des régions désertées et ignorées pendant longtemps.
Déplaçant le centre, pour mieux voir la périphérie
Ce n’est pas souvent en effet que les jeunes paumés des régions oubliées, auxquels s’appliquerait à juste titre le mot de Frantz Fanon, les Damnés de la Terre, ont eu droit à des moments sublimes où la musique de la Tunisie rurale du groupe Janahat a rencontré les notes de groupes comme Darg Team (Palestine), Mama Afrika (Sénégal) et Wissem & Co (Comores). C’est aussi une aubaine pour ces jeunes assoiffés de culture et de liberté que de s’abreuver au ruisseau des combats que des hommes et des femmes ont toujours et partout menés au nom des valeurs fondamentales.
Qu’il s’agisse de Lumumba et le combat titanesque contre le colonialisme dépeint par Raoul Peck (dans le film éponyme) à la lutte des Palestiniens pour le droit à la liberté et à la dignité à travers les films de réalisateurs militants comme Rashid Masharawi (La Terre de l’Histoire) et Michel Khleifi (Route 181) ou encore l’Éthiopien vivant en Italie, Dagmawi Yimer dont le film C.A.R.A. Italia était au programme, pour ne citer qu’eux.
À ceux-là, le programme a joint des films nationaux : Coloquinte de Mahmoud Jemni, Le Monde d’Inès de Fatma Skandrani, Militantes de Sonia Chamkhi, Nous sommes ici de Abdallah Yahya, Sit-in, Rihla documentaire de Kamel Regaya. Autant d’images qui retracent les exploits réalisés par les Tunisiens au nom de leur dignité ainsi que de leur droit à la justice. Ces films inscrivent les actes des Tunisiens dans l’histoire glorieuse des grands combats nobles. De la sorte, d’aucuns se sentiront rassurés de ne pas être seuls à souffrir ni à s’attribuer la gloire absolue de la lutte. Après, ceux qui veulent se considérer comme le centre du monde sont libres.
En déplaçant le centre, on finit par mieux voir le monde. Depuis les soulèvements de décembre 2010, la Tunisie aura été au centre de l’attention mondiale. Plusieurs programmes d’aides économiques et politiques ont été mobilisés et beaucoup de projets de sensibilisation et de promotion des valeurs démocratiques ont été réalisés. Très peu de toute cette énergie aura été pensée en termes d’efficacité effective c’est-à-dire en se demandant si cela allait aux gens et aux régions qui en ont vraiment besoin et si cela permettait d’ouvrir de nouvelles perspectives au lieu d’enfoncer des portes qui étaient toutes ouvertes.
De ce point de vue les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés ont réussi le pari et ont mené leur action là où elle devait aller et là où la graine d’un espoir effectif pourra croître. Il faudra seulement espérer que la prochaine fois, les gens de Thala ne se contenteront pas d’écouter les discours qu’on viendra leur prêcher mais qu’ils auront leurs propres discours et montreront leur propres images.
par Hassouna Mansouri
Africiné / Amsterdam
Un combat qui ne date pas d’aujourd’hui
Depuis plus d’une décennie, il existait déjà Le Cinéma de la Paix, un festival dédié au cinéma militant, organisé par le ciné-club de Tunis. Petit de taille, ce festival est immense à l’aune de son engagement et par son combat contre la dictature qui étouffait le pays. Le Cinéma de la Paix a le mérite d’avoir existé, plus de dix ans, dans un contexte défavorable à la culture des libertés et des droits.
Les festivals qui ont poussé comme des champignons, profitant du vent de liberté, ont l’air de marcher sur les cadavres. Ces évènements se nourrissent à certains égards de la naïveté ou de la complicité de bailleurs de fonds qui œuvrent souvent plus pour leur propre visibilité ou leur bonne conscience que pour une volonté réelle de soutenir les actions entreprises. Ce n’est heureusement pas le cas du nouveau né, Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés (16-25 mars : à Thala, Kef et Tunis).
Cette manifestation s’inscrit dans la continuité du travail entrepris par l’Association Culturelle Afrique Méditerranée dont l’action a été initiée dès 2004, dans le contexte hostile à la culture et aux libertés d’alors. L’association misait déjà sur le culturel et plus particulièrement sur le cinéma, pour promouvoir les valeurs humaines fondamentales. Afrique Méditerranée a fondé en 2005 les Rencontres Cinématographiques de Hergla (à 20 kms de la ville de Sousse) qui ont depuis constitué une plateforme, pour l’expression cinématographique libre et libérée. En juillet 2011, la manifestation a migré d’Hergla et s’est faite inviter à Thala (située à environ 300 kms de Tunis, une ville phare de la révolte contre le régime de Zine El Abidine Ben Ali dès décembre 2010, comptant plusieurs morts sous les balles des forces de répression).
Des Rencontres Cinématographiques de Hergla
Outre la programmation régulière de films indépendants, chacune des éditions des Rencontres Cinématographiques de Hergla a été dédiée à l’œuvre d’une icône du cinéma. Ainsi, Djibril Diop Mambéty, Moustapha Alassane, Roberto Rossellini, Sotigui Kouyaté, Ousmane Sembène, Ahmed Bahaeddine Attia et bien d’autres ont été célébrés dans cette ville côtière d’à peine 6.000 habitants.
Les Rencontres Cinématographiques de Hergla ont vu la participation de spécialistes du cinéma et d’artistes de renommée internationale comme l’acteur malien Sotigui Kouyaté, Tahar Chériaa fondateur des Journées Cinématographiques de Carthage, l’acteur–réalisateur palestinien Mohammed Bakri, le cinéaste tunisien Nouri Bouzid, le chanteur malien Afel Bocoum et son homologue sénégalais Wasis Diop.
Depuis 2011, l’Association Culturelle Afrique-Méditerranée s’est encore libérée, en symbiose avec le souffle de changement que connaît tout le pays. C’est ainsi qu’elle a joué un rôle très important dans Les Journées Cinématographiques de Carthage en octobre 2012, en se chargeant du programme panafricain. Ce dernier a été conçu dans le sens de la réhabilitation de la vocation africaine que la manifestation avait presque perdue. Le programme panafricain comprenait un hommage à Souleymane Cissé qui, comme plusieurs cinéastes africains, avait boudé le festival pendant plusieurs éditions, et une section consacrée à la mémoire du cinéma. Cette section spéciale a permis de redécouvrir des œuvres comme celles de Chadi Abdessalem (Egypte), d’Ahmed Al Mannouni (Maroc) et de Djibril Diop Mambéty (Sénégal) dans le contexte de la Tunisie nouvelle.
Un Festival International du Film des Droits de l’Homme, des FIFDH
Se déroulant à Thala, Le Kef et Tunis, Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés sont le fruit d’une étroite collaboration avec [A]lliance Cinéma. Cette dernière est une association française bien connue à travers l’organisation du Festival International du Film des Droits de l’Homme (FIFDH) de Paris. Se tenant depuis une décennie, c’est le festival des droits humains le plus important dans l’hexagone. Chaque année il se transforme en une scène privilégiée pour les films documentaires sur les droits humains. Pendant sa 11ème édition (5-11 février 2013 dernier) le FIFDH a montré entre autres Bakoroman de Simplice Ganou (Burkina Faso), In My Mother's Arms de Mohammad et Attia Al-Daraji (Irak), Dans l’ombre d’un homme de Hanan Abdallah (Egypte), Ceuta, douce prison de Jonathan Millet et Loïc H. Rechi (Maroc).
L’association [A]lliance Ciné est fondatrice et animatrice depuis 2004 du Human Rights Films Network, réseau regroupant les festivals dont la programmation de films promeut la protection des droits humains. Créé il y a 11 ans, le FIFDH de Paris s’est aussi décliné en région avec des équipes locales (Strasbourg, Nantes, Metz, La Réunion, Gironde, Gard, Pays Basque, Midi-Pyrénées, Haute-Savoie, Provence) et à l’étranger avec des partenaires internationaux : à Bangui, Lomé, Yaoundé, Antananarivo,....
Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés en Tunisie s’inscrivent dans ce réseau, avec un nom propre et non pas FIFDH Tunis.
Une action qui fait sens, avec la société civile tunisienne
Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés se veut donc à l’’ecoute de cette articulation du cinéma aux débats actuels de société. Le contenu du festival émane ainsi d’une vision de l’action culturelle à deux niveaux : joindre la joie du spectacle à la didactique aux valeurs humaine fondamentales et mettre le premier au service de la seconde. Il s’agit en fait d’un évènement culturel multidisciplinaire qui se veut au diapason avec la dynamique que connait la société tunisienne qui s’active depuis plus de deux ans à réveiller ces démons dormants. Dans le contexte général d’une société qui a pris rendez-vous avec l’histoire en prenant son sort à bras le corps, une manifestation dédiée à un sujet comme “les droits et les libertés” autour du cinéma comme forme privilégiée d’expression prend son plein sens. Pourtant, il est rare que des bailleurs de fonds comme l’Union Européenne qui a soutenu cette manifestation, aient pu rendre de telles choses possibles.
L’initiative a suscité l’intérêt de la société civile tunisienne. Ainsi plusieurs associations cinématographiques ont mis la main à la pate pour enrichir le programme telle que l’Association Tunisienne pour le Promotion de la Critique Cinématographique (ATPCC), la Fédération Tunisienne des Ciné-clubs (FTCC) et la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs (FTCA). La manifestation a vu également la participation d’organisations à vocation proprement sociale et politique comme l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et la section tunisienne d’Amnesty International.
À l’échelle locale, l’initiative s’est appuyée sur le soutien d’organisations actives dans les régions intérieures du pays ou les activités ont eu lieu, en l’occurrence Thala Solidaire et Act Kef. La première est une association de développement régionale, sise à la petite ville de Thala. Celle-ci à été propulsée d’une façon extraordinaire au devant de la scène des événements en janvier 2011 lorsqu’elle a été le centre de la lutte contre la répression du soulèvement populaire. Thala a compté le plus grand nombre de martyrs de la révolution tunisienne. Quant à Act Kef, elle est active dans la ville du Kef, historiquement connue comme la capitale du Nord-Ouest Tunisien, mais en même temps pour son statut de ville marginalisé.
L’un des points forts de cette manifestation : avoir su impliquer réellement les régions oubliées même par l’effort international pour la transition démocratique en Tunisie. C’est probablement ce qui explique la mobilisation de cette grande énergie de la société civile. En dehors de ce type d’action, même des films tunisiens qui ont du succès à l’étranger comme Maudit soit le Phosphate de Sami Tlili (primé à Abu Dhabi) et C’était mieux demain de Hinde Boujemaa (sacrée à Namur) n’auraient pas été aisément accessibles à ces régions éloignées pourtant proches.
Plusieurs manifestations ont eu lieu dans la Tunisie de l’après Ben Ali. Nombreuses sont celles qui ont affiché la volonté d’impliquer les régions regroupées sous l’appellation symbolique de la “Ligne Bouazizi”. Le fait d’associer le nom de Mohamed Bouazizi, jeune homme qui, un 17 décembre 2010, s’est immolé sans savoir qu’il s’érigeait ainsi en une flamme qui enclenchera le processus de la fin d’une époque de marginalisation, dit en fait le mauvais sort qui a mis plus des deux tiers du pays sous le poids d’une injustice absurde pendant des décennies.
Les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés ne se sont pas contentées de se servir des régions comme slogans pour attirer les bailleurs de fonds en les impliquant accessoirement. Les initiateurs de cette manifestation ont fait des activités dans les régions l’essentiel de leur programme et y ont mis l’essentiel de leurs énergies. Ceci est complètement à l’opposé de nombreuses autres manifestations qui préfèrent le confort des grandes villes, voire tout simplement celui de la capitale.
Le coup d’envoi des Journées du Cinéma des Droits et des Libertés a été lancé en revanche et précisément à partir de Thala. Cette petite ville martyre du Centre Ouest était presque oubliée par le passé.
La caravane de la justice passa ensuite par la ville du Kef ou les militants en compagnie de cinéastes et de musiciens venant des quatre coins du mondes marquèrent une pause. Cet arrêt ne constitue guère un repos du guerrier mais une série d’activités cinématographiques et musicales accompagnées de débats sur le sens des valeurs humaines et leur sort dans des endroits éloignés que seul le combat et le sens du droit rapprochent.
Au temple de la parole libérée
La destination finale sera contrairement à l’habitude la capitale où l’apothéose a été atteinte dans la soirée du lundi 25 mars avec un concert Tuniso-Palestino-Burkinabé. Ainsi, dans un moment de symbiose extrême, mais de célébration au sens presque religieux, l’Art aura contribué à la commémoration d’un moment historique qu’a été la révolution tunisienne en retraçant son parcours par l’image et la musique.
Comme si le chemin qu’ont parcouru les jeunes désespérés mais libérés les premiers jours de janvier 2011 dans leur marche vers le renversement de la tyrannie était parsemé des fleurs les plus belles. Un festival de ce genre n’a en effet de sens que s’il est capable de remettre les pendules à l’heure en rectifiant le cours de l’histoire et en relançant un débat de fond sur le devenir d’un peuple et de tous les peuples.
Le contenu du festival est allé précisément dans ce sens. Dans une atmosphère des langues déliées et des esprits débridés, place était faite aux débats et aux leçons de tous genres. L’activisme de terrain se voyait traduit en concepts et en discours touchant le font de la cause humaine. Cela se passe dans la petite Maison de Culture de Thala ou dans le petit Centre Historique des Arts Dramatiques du Kef. Cela en dit assez sur l’aspect profondément engagé d’une manifestation qui a pu mener des artistes et des activistes jusqu’au bout de leurs convictions et de leur engagement. Même certains artistes et activistes tunisiens ont fini par mettre les pieds dans des régions désertées et ignorées pendant longtemps.
Déplaçant le centre, pour mieux voir la périphérie
Ce n’est pas souvent en effet que les jeunes paumés des régions oubliées, auxquels s’appliquerait à juste titre le mot de Frantz Fanon, les Damnés de la Terre, ont eu droit à des moments sublimes où la musique de la Tunisie rurale du groupe Janahat a rencontré les notes de groupes comme Darg Team (Palestine), Mama Afrika (Sénégal) et Wissem & Co (Comores). C’est aussi une aubaine pour ces jeunes assoiffés de culture et de liberté que de s’abreuver au ruisseau des combats que des hommes et des femmes ont toujours et partout menés au nom des valeurs fondamentales.
Qu’il s’agisse de Lumumba et le combat titanesque contre le colonialisme dépeint par Raoul Peck (dans le film éponyme) à la lutte des Palestiniens pour le droit à la liberté et à la dignité à travers les films de réalisateurs militants comme Rashid Masharawi (La Terre de l’Histoire) et Michel Khleifi (Route 181) ou encore l’Éthiopien vivant en Italie, Dagmawi Yimer dont le film C.A.R.A. Italia était au programme, pour ne citer qu’eux.
À ceux-là, le programme a joint des films nationaux : Coloquinte de Mahmoud Jemni, Le Monde d’Inès de Fatma Skandrani, Militantes de Sonia Chamkhi, Nous sommes ici de Abdallah Yahya, Sit-in, Rihla documentaire de Kamel Regaya. Autant d’images qui retracent les exploits réalisés par les Tunisiens au nom de leur dignité ainsi que de leur droit à la justice. Ces films inscrivent les actes des Tunisiens dans l’histoire glorieuse des grands combats nobles. De la sorte, d’aucuns se sentiront rassurés de ne pas être seuls à souffrir ni à s’attribuer la gloire absolue de la lutte. Après, ceux qui veulent se considérer comme le centre du monde sont libres.
En déplaçant le centre, on finit par mieux voir le monde. Depuis les soulèvements de décembre 2010, la Tunisie aura été au centre de l’attention mondiale. Plusieurs programmes d’aides économiques et politiques ont été mobilisés et beaucoup de projets de sensibilisation et de promotion des valeurs démocratiques ont été réalisés. Très peu de toute cette énergie aura été pensée en termes d’efficacité effective c’est-à-dire en se demandant si cela allait aux gens et aux régions qui en ont vraiment besoin et si cela permettait d’ouvrir de nouvelles perspectives au lieu d’enfoncer des portes qui étaient toutes ouvertes.
De ce point de vue les Journées du Cinéma des Droits et des Libertés ont réussi le pari et ont mené leur action là où elle devait aller et là où la graine d’un espoir effectif pourra croître. Il faudra seulement espérer que la prochaine fois, les gens de Thala ne se contenteront pas d’écouter les discours qu’on viendra leur prêcher mais qu’ils auront leurs propres discours et montreront leur propres images.
par Hassouna Mansouri
Africiné / Amsterdam