Les directeurs du cinéma parlent…
Niger, Bénin : ne pas se plaindre mais "arracher les moyens".
Lors d’une rencontre organisée à Cotonou, les directeurs du cinéma du Niger et du Bénin se confient.
Niger : l’État s'organise
Comment se porte le cinéma au Niger ?
Monsieur Ali DAMBA, Directeur du Centre national de la cinématographie du Niger (CNCN) : (…) il y a un certain nombre de difficultés qui freinent la promotion du cinéma au Niger. Aujourd’hui, cinq à six films sortent par an. On est passé de quatre salles de cinéma à une seule salle à Niamey, qui ne tourne même pas à 100%. Toutes les autres salles ont été transformées pour d’autres activités. Les gens ne les fréquentaient plus et les films arrivaient avec du retard. Les salles de cinéma privées connaissaient beaucoup de difficultés d’exploitation et de gestion.
Les projections de films, ça coûte excessivement cher et le prix de la place ne peut pas, pour le moment, excéder 500 francs Cfa. Ce qui n’arrive pas à faire fonctionner les salles. Aujourd’hui, les activités cinématographiques ont été relancées au Palais des congrès. Le Centre [National du Cinéma, ndrl] a été créé à cet effet, pour justement contribuer à la promotion du cinéma et créer les conditions d’une bonne gouvernance cinématographique.
Le Niger a connu sa période de gloire, avec des cinéastes comme Oumarou Ganda qui a reçu le premier Étalon d’or de Yenenga au Fespaco en 1972 pour son film « Le Wazzou polygame ». Que s’est-il passé après pour que le cinéma nigérien perde ses lettres de noblesse ?
Quand la volonté politique n’accompagne pas un secteur, c’est très difficile que ce secteur puisse s’épanouir dans la mesure où, dans nos pays, c’est l’État qui fait tout. Cette situation ne permet pas vraiment de prendre en charge des secteurs qui ne sont pas prioritaires dans la vision globale de l’État. C’est ce qui fait qu’il y a eu un blocage puisque, pour le gouvernement, le cinéma n’est pas une priorité. On alloue les subventions à d’autres secteurs qui sont dits prioritaires. Donc, le cinéma ne peut que végéter. La volonté politique a certainement dû manquer.
Il y a aussi que les professionnels de ce secteur ne se sont pas organisés correctement pour faire marcher leurs activités. La rhétorique financière qui consiste à dire qu’on n’a pas les moyens me choque énormément, j’essaie de l’éviter. Je pense que les moyens ne peuvent venir que si les gens croient en ce qu’ils font et s’ils pensent à mettre en place une organisation digne de ce nom pour leur permettre de réussir ce qu’ils font. Les cinéastes s’attendent toujours à ce que ce soit l’État qui donne de l’argent pour les aider. Ça ne pourra pas marcher ainsi.
Y a-t-il aujourd’hui une véritable volonté politique de relance du cinéma au Niger ?
Oui, bien plus que les années antérieures, puisque l’État a décidé de créer cet établissement public à caractère professionnel [le CNCN, Ndlr]. Il y a aussi eu une ordonnance qui régularise tous les métiers du cinéma et de la vidéo, et on a tout l’arsenal juridique en place pour pouvoir mener à bien nos activités. Pour le développement du secteur du cinéma, il y a un fond national est en train d’être créé avec le ministère de la Culture et le ministère des Finances pour l’alimenter.
Bénin : le cinéma, outil de la diplomatie
Quel appui le gouvernement béninois apporte-t-il au cinéma ?
Monsieur Dorothée DOGNON (Directeur de la cinématographie au Bénin) : Le gouvernement soutient des projets, à l’exemple du film de Sylvestre Amoussou [Un pas en avant… les dessous de la corruption, Ndlr]. Moi, je voudrais que les professionnels du cinéma se regroupent, car on dit que l’union fait la force. La culture est reléguée au second rang, pas seulement au Bénin.
Au Tchad, par exemple, Mahamat Saleh Haroun a fait un film qui a connu du succès [Un homme qui crie, Ndlr]. A partir de là, le gouvernement tchadien a commencé à s’intéresser au cinéma. Moi, je suis dans cette option-là. Je dis aux cinéastes : faisons quelque chose pour montrer que nous sommes là. Si les Béninois peuvent aller gagner le 1er prix au Fespaco, ils vont voir comment le gouvernement va mettre la main à la pâte.
Est-ce qu’un cinéaste comme Sylvestre Amoussou, qui a eu un certain succès avec ses films, peut réussir à intéresser le gouvernement béninois au cinéma ?
Sylvestre gagne des prix, c’est vrai. Mais gagner le 1er prix de Yenenga, ce n’est pas la même chose que de gagner le 3ème prix. Et c’est ça que je voudrais faire comprendre aux cinéastes. A mon arrivée il y a presque un an à la direction de la cinématographie, j’ai réuni toutes les associations. On a signé une convention de co-production et on s’est dit que cette année, on va faire un seul film d’auteur. On a lancé un appel à scénario et on va sélectionner le plus porteur.
Notre objectif est d’aller gagner le 1er prix de Yenenga. En ce moment-là, le gouvernement va changer. Nous sommes dans un pays où il y a des problèmes d’eau, de santé et d’éducation. Mais si les artistes peuvent montrer que le cinéma est le meilleur moyen de la diplomatie, le gouvernement va y investir un peu d’argent. Moi je dis aux cinéastes de ne plus se plaindre du manque de moyens, qui est une réalité. Mais qu’ils se demandent comment faire pour arracher ces moyens.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo (Africiné) lors d’une réunion organisée par le Cinéma numérique ambulant Afrique à Cotonou, Bénin, les 17 et 18 janvier 2012.
Le blog de Stéphanie Dongmo : http://stephaniedongmo.blogspot.com/
Stéphanie Dongmo sur Africiné : www.africine.org/?menu=fiche&no=23716