Le succès des JCC 2017, une sélection de qualité et une moisson de prix pour la Francophonie.
Près de la moitié des prix ont été décernés à des productions soutenues par l'OIF, dont deux Tanits documentaires, le Prix de la meilleure interprétation féminine et le Prix Tahar Chériaa de la 1ère œuvre.
Les Journées Cinématographiques de Carthage - JCC 2017 sont un incontestable succès. Le public a été nombreux, les films de qualité, le programme riche et le palmarès solide. Il y a eu des larmes de bonheur (pouvoir enfin montrer son film) et de tristesse (face au décès brutal du mentor Abdel Aziz Boye). Les longues files d'attente ont été récompensées dans des salles chaleureuses. La nouvelle équipe avec Néjib Ayed (Directeur Général) et Lamia Guiga (Déléguée Générale), soutenue par des collaborateurs sur la brèche, a pris des risques qui se sont révélés payants. Le travail entrepris par les équipes précédentes est ainsi consolidé.
Larmes, émotions, dignité
C'est dans un gargouillis retenu au dernier moment que les derniers mots de Nadia El Fani se sont perdus, avant le lancement de son film Même pas mal (2012, grand Prix Documentaire au Fespaco 2013). Comme pour lutter contre la nervosité qui l'envahissait, elle marche, va vers la porte pour presser les spectateurs de vite prendre place afin que la séance débute sans tarder. La salle de cinéma Le Palace était remplie. Quand les lumières se sont rallumées, les applaudissements et bravos fusent. La réalisatrice franco-tunisienne s'avance et lance au micro : "cela faisait cinq ans que je voulais vous montrer ce film !". Sa voix se fracasse, elle ne réussit pas à retenir ses larmes qui ajoutent à l'émotion vécue par les spectateurs devant son film qui montre un parcours empreint de courage et de dignité. Coréalisé avec Alina Isabel Perez, Même pas mal est une puissante réponse cinématographique au déferlement de haine qui avait subi la diffusion de son précédent film Laïcité Inch'Allah : la salle de cinéma Africa avait été saccagée par des fondamentalistes qui avaient poursuivi leur campagne d'agressions sur les réseaux sociaux avec des menaces de mort, ainsi que six plaintes au pénal. Le Palace est situé à 500 mètres de la salle saccagée et qui vient de rouvrir. La cinéaste livre ici une analyse de la société tunisienne post-révolutionnaire en proie à des cellules (islamistes, terroristes) alors que son corps à elle est envahi par un début de cancer. Si le constat est sévère, la conclusion est positive : Nadia tient tête aux cellules (cancéreuses et islamistes) et souhaite que la Tunisie vainque le fondamentalisme qui cherche à l'étrangler (lire la critique du film par Sunjata Koly).
Des larmes il y en a eu aussi lors de la remise du Tanit d'Argent du court métrage aux réalisateurs de Dem Dem ! (Sénégal / France / Belgique). Aux côtés de Christophe Rolin, coréalisateur français, très ému (il préfère céder le micro), le coréalisateur sénégalais Pape Bouname Lopy est dévasté par l'émotion quand il dédie le prix à Abdel Aziz Boye, "mon tuteur" dit-il dans une voix pleine de larmes. Son mentor est mort le jeudi soir à Dakar, soit 2 jours avant la cérémonie de remise des prix des JCC 2017, au Théâtre Municipal de Tunis, le samedi 12 novembre. D'une grande simplicité, affable, très discret, Abdel Aziz Boye n'en est pas moins une personne importante pour le cinéma : dans la banlieue de Dakar, il a formé - à ses propres frais (en transformant sa maison en école de cinéma et lieu de projections) toute une génération de réalisateurs (Moly Kane, Mamadou Khouma Guèye,.... ainsi qu'à l'Université de Dakar où il fonde Ciné UCAD). "Avant de quitter le Sénégal pour venir ici à Tunis, je suis allé lui dire au-revoir et il m'a dit "tu reviendras avec un Tanit"" nous a confié Pape Lopy dans un entretien au siège du festival, à l'hôtel Africa. Christophe Rolin nous dit que du reste leur film parle aussi du deuil, du fait de voir partir un être cher (Matar implorant sa dulcinée de le laisser aller émigrer, avec à un passeport belge qu'il a repêché et dont le propriétaire est son portrait craché). Le troisième coréalisateur, Marc Recchia est reparti avant la cérémonie de clôture.
Une analyse lucide et sereine
Pour sa première édition, en tant que Directeur Général des JCC, Nejib Ayed s'est lancé dans un numéro d'équilibriste. Appuyé sur des béquilles, il a commencé par remercier tous ceux qui ont rendu possible ce festival, autorités, professionnels et cinéphiles. Le producteur de profession a d'abord fait acte de contrition, en s'excusant des désagréments qui se sont produits. Devant les salles de cinéma, les files d'attentes se sont allongées, à la fois conséquences et causes. Un système très original centralisant les réservations de toutes les salles de cinéma (même pour les accrédités : invités, professionnels des médias, ….) a été mis en place, sans doute pas assez rodé auparavant. Le premier jour, les informations étaient contradictoires concernant le bureau de réservation ; la faute à une connexion instable. Il aurait fallu un amplificateur de signal wifi voire une connexion réseau par câble, et aussi plus d'opérateurs : le festival n'en avait prévu qu'un par desk (invités au siège du festival ou médias au bureau de presse, au Cinéma Le Mondial). L'émission des billets en était fortement retardée. Par ailleurs, la première diffusion du film L'insulte, de Ziad Doueiri a provoqué des poussées d'urticaires chez des manifestants qui ont créé un attroupement, reprochant au cinéaste de supposés sympathies sionistes, entraînant des retards et une intervention policière. Une projection a démarré avec deux heures de retard, il s'agit de El Jaida, le nouveau film de Selma Baccar. Le fait que le film soit en séance spéciale et pour une projection unique, cela a contribué à provoquer à un afflux important à la salle Le Colisée.
C'est rare qu'un responsable de festival fasse ainsi amende honorable et lucide, dans la sérénité, surtout que "les défaillances", mot utilisé par Néjib Ayed, s'ils étaient une cause de désagréments étaient aussi conséquence d'une forte affluence du public qui a dépassé les espérances. Le Colisée, la salle paquebot de 1 720 places, était régulièrement prise d'assaut, l'animation était de mise : le public n'hésitant pas à réagir, rire bruyamment et aussi surtout applaudir les talents (acteurs, cinéastes, producteurs, techniciens) et les films présents.
Les grands vainqueurs des 28èmes JCC et des Oscarisables
Chaque nominé aux JCC 2017 peut s'estimer vainqueur tant la sélection était de qualité. Les sélectionneurs des JCC n'ont pas cédé l'affreuse mode de l'exclusivité qui tend à enterrer très vite les films après leurs premières mondiales dans le circuit des festivals. Beaucoup de films disparaissent ainsi presque au bout de quelques mois seulement. Quand ils n'ont pas de distributeurs, ils n'accèdent pas aux salles de cinéma. Ainsi le Grand Prix 2017, le Tanit d'Or (catégorie longs métrages fictions), The train of salt and sugar (Le convoi de sel et de sucre) du Mozambicain Licinio Azevedo qui était il y a un an au festival du Caire. Malgré tout et tant mieux, le film a séduit le jury longs métrages de Tunis présidé par le Palestinien Michel Khleifi (avec Félicité Wouassi, actrice camerounaise, Rabiaa Ben Abdallah, actrice tunisienne, Kamla Abou Zekry, réalisatrice égyptienne, Mama Keïta, réalisateur franco-sénégalais-guinéen, Pablo César, réalisateur argentin et Hassan Ben Jelloun, réalisateur marocain), ainsi que les deux jurys de la critique (africaine, qui lui a décerné son Prix Paulin Soumanou Vieyra, et internationale qui lui a remis son Prix Fipresci) et les cinéphiles. Dans ce train, des femmes échangent du sel contre du sucre, en dépit de la guerre qui a dévasté le Mozambique ; né au Brésil et installé depuis des décennies dans son pays d'adoption, le cinéaste a instillé encore plus de drame et aussi de la magie dans cette histoire vraie nourrie de tragédie.
La sélection était d'un tel niveau que les pronostics variaient d'un spectateur à l'autre (cinéphile, critique de cinéma ou cinéaste). Certains étaient touchés par Wallay du Burkinabè Berni Goldblat avec son adolescent sur un chemin initiatique, d'autres par Félicité ou bien Sheikh Jackson où en pleine prière un imam voit Michael Jackon et des fidèles danser le moonwalk (derrière l'apparente légèreté du propos, c'est la construction de l'image de soi qui est en jeu ici). Les Armes miraculeuses de Jean-Pierre Bekolo qui faisait sa Première Mondiale (c'est aussi la richesse des JCC 2017, en montrant des exclusivités et des films déjà primés à des festivaliers curieux, attentifs) avaient aussi ses fervents défenseurs (surtout ceux qui avaient pu revoir le film dont la première projection avait pâti d'effroyables conditions techniques sonores et du cadre de l'image). Parmi les 14 films sélectionnés en compétition longs métrages fictions, plusieurs ont été retenus pour l'Oscar du Meilleur film en langue étrangère (les nominations seront la prochaine étape).
Plus de dix prix à des films du catalogue OIF
Sur les 25 prix remis à la soirée de clôture, près de la moitié, soit 11 très exactement, sont allés à des productions soutenus par le Fonds Image de la Francophonie (OIF). Dans la catégorie des longs métrages fictions Vent du nord du cinéaste tunisien Walid Mattar amasse trois récompenses : Prix du meilleur scénario, Prix spécial TV5 Monde et Prix Tahar Chériaa de la 1ère œuvre de long métrage (Tanit d'Or). Félicité d'Alain Gomis (Sénégal/France) décroche deux trophées : le Prix de la meilleure musique originale et le Prix de la meilleure interprétation féminine, pour Véro Tchanda Beya. Toujours pour les longs métrages fictions, le Tanit de Bronze a été décerné à Volubilis de Faouzi Bensaïdi (Maroc) et le prix UGTT du meilleur scénario de film tunisien de long métrage de fiction a été remporté par Kaouther Ben Hania pour le magnifique La Belle et la Meute qu'elle a réalisé. En courts métrages fictions, le Tanit d'Or a été remis à Aya de Moufida Fedhila (Tunisie).
En documentaires, le Tanit d'Or est revenu au film Le Koro du Bakoro de Simplice Ganou (photo) et le Tanit d'Argent à Kemtiyu-Séex Anta d'Ousmane William Mbaye (Sénégal). Quant à Mohamed Siam (Egypte), il repart avec le Prix spécial CNCI de l'image "Ali Ben Abdallah" pour son film Force majeure qu'il a lui-même photographié, réalisé et produit (Talal Al-Muhanna est coproducteur).
Le palmarès officiel des JCC 2017
1. Tanit d'Or - longs métrages fictions : "The train of salt and sugar", de Licinio Azevedo (Mozambique)
2. Tanit d'Argent - longs métrages fictions : "Inxeba" ("Les initiés"), de John Trengove (Afrique du Sud)
3. Tanit de Bronze - longs métrages fictions :"Volubilis", de Faouzi Bensaidi (Maroc)
4. Prix du meilleur Montage - longs métrages fictions : "En attendant les hirondelles" de Karim Moussaoui (Algérie)
5. Prix de la meilleure image - longs métrages fictions : "The train of salt and sugar", de Licinio Azevedo (Mozambique)
6. Prix de la meilleure musique originale - longs métrages fictions : "Félicité", d'Alain Gomis (Sénégal)
7. Prix du meilleur scénario - longs métrages fictions : "Vent du Nord", de Walid Mattar (Tunisie)
8. Prix de la meilleure interprétation féminine - longs métrages fictions : Véro Tchanda Beya pour "Félicité" d'Alain Gomis (Sénégal)
9. Prix de la meilleure interprétation Masculine - longs métrages fictions : Adel Moneem Chwayet pour son rôle dans "Mustapha Z" de Nidhal Chatta (Tunisie)
10. Tanit d'Or - courts métrages fictions : "Aya" de Moufida Fedhila (Tunisie)
11. Tanit d'Argent - courts métrages fictions : "Dem Dem !", de Pape Bounama Lopy, Christophe Rolin et Marc Recchia (Sénégal/Belgique /France)
12. Tanit de Bronze - courts métrages fictions : "Affability", d'Ahmed Nader (Egypte)
13. Mention spéciale - courts métrages fictions :"Secrets des vents", d'Imène Al Nasiri (Tunisie)
14. Tanit d'Or - longs métrages documentaires : "Koro du Bakoro", de Simplice Ganou (Burkina Faso)
15. Tanit d'Argent - longs métrages documentaires : "Kemtiyu-Séex Anta", d'Ousmane William Mbaye (Sénégal)
16. Le Tanit de Bronze - longs métrages documentaires : "Au-delà de l'ombre",de Nada Mezni Hefaiedh (Tunisie)
17. Mention spéciale - longs métrages documentaires : "Ghost hunting", de Raed Andoni (Palestine)
18. Tanit d'Or - courts métrages documentaires : "Jackenson-from street kid to champion", de Linda Leila Diatta et Jean Marc Poteau (Niger)
19. Tanit d'Argent - courts métrages documentaires : "Pas de port pour les petits bateaux", de Joëlle Abou Chabke (Liban)
20. Tanit de Bronze - courts métrages documentaires : "Gaza by her", de May Odeh et Riham Al Ghazali(Palestine)
21. Prix Tahar Chériaa de la 1ère œuvre de long métrage (Tanit d'Or) : "Vent du Nord", de Walid Mattar (Tunisie)
22. Prix Tahar Chériaa de la 1ère œuvre de long métrage (Mention spéciale) : "Cloch'Art", de Manel Katri (Tunisie)
23. Prix spécial TV5 Monde : ‘'Vent du nord", de Walid Mattar (Tunisie)
24. Prix spécial CNCI de l'image "Ali Ben Abdallah" pour un film de long métrage en compétition : "Force majeure" de Mohamed Sia (Egypte)
25. Le prix UGTT du meilleur scénario de film tunisien de long métrage de fiction : "La Belle et la Meute" de Kaouther Ben Hania (Tunisie).
Thierno I. Dia
Bordeaux, Africiné Magazine
en collaboration avec Fatou Kiné SÈNE
Dakar, Africiné Magazine
pour Images Francophones
Image : Le Burkinabè Simplice Ganou, réalisateur du film Le Koro du Bakoro, Tanit d'Or Documentaire, aux JCC 2017.
Crédit : Thierno I. Dia / Africiné Magazine
Larmes, émotions, dignité
C'est dans un gargouillis retenu au dernier moment que les derniers mots de Nadia El Fani se sont perdus, avant le lancement de son film Même pas mal (2012, grand Prix Documentaire au Fespaco 2013). Comme pour lutter contre la nervosité qui l'envahissait, elle marche, va vers la porte pour presser les spectateurs de vite prendre place afin que la séance débute sans tarder. La salle de cinéma Le Palace était remplie. Quand les lumières se sont rallumées, les applaudissements et bravos fusent. La réalisatrice franco-tunisienne s'avance et lance au micro : "cela faisait cinq ans que je voulais vous montrer ce film !". Sa voix se fracasse, elle ne réussit pas à retenir ses larmes qui ajoutent à l'émotion vécue par les spectateurs devant son film qui montre un parcours empreint de courage et de dignité. Coréalisé avec Alina Isabel Perez, Même pas mal est une puissante réponse cinématographique au déferlement de haine qui avait subi la diffusion de son précédent film Laïcité Inch'Allah : la salle de cinéma Africa avait été saccagée par des fondamentalistes qui avaient poursuivi leur campagne d'agressions sur les réseaux sociaux avec des menaces de mort, ainsi que six plaintes au pénal. Le Palace est situé à 500 mètres de la salle saccagée et qui vient de rouvrir. La cinéaste livre ici une analyse de la société tunisienne post-révolutionnaire en proie à des cellules (islamistes, terroristes) alors que son corps à elle est envahi par un début de cancer. Si le constat est sévère, la conclusion est positive : Nadia tient tête aux cellules (cancéreuses et islamistes) et souhaite que la Tunisie vainque le fondamentalisme qui cherche à l'étrangler (lire la critique du film par Sunjata Koly).
Des larmes il y en a eu aussi lors de la remise du Tanit d'Argent du court métrage aux réalisateurs de Dem Dem ! (Sénégal / France / Belgique). Aux côtés de Christophe Rolin, coréalisateur français, très ému (il préfère céder le micro), le coréalisateur sénégalais Pape Bouname Lopy est dévasté par l'émotion quand il dédie le prix à Abdel Aziz Boye, "mon tuteur" dit-il dans une voix pleine de larmes. Son mentor est mort le jeudi soir à Dakar, soit 2 jours avant la cérémonie de remise des prix des JCC 2017, au Théâtre Municipal de Tunis, le samedi 12 novembre. D'une grande simplicité, affable, très discret, Abdel Aziz Boye n'en est pas moins une personne importante pour le cinéma : dans la banlieue de Dakar, il a formé - à ses propres frais (en transformant sa maison en école de cinéma et lieu de projections) toute une génération de réalisateurs (Moly Kane, Mamadou Khouma Guèye,.... ainsi qu'à l'Université de Dakar où il fonde Ciné UCAD). "Avant de quitter le Sénégal pour venir ici à Tunis, je suis allé lui dire au-revoir et il m'a dit "tu reviendras avec un Tanit"" nous a confié Pape Lopy dans un entretien au siège du festival, à l'hôtel Africa. Christophe Rolin nous dit que du reste leur film parle aussi du deuil, du fait de voir partir un être cher (Matar implorant sa dulcinée de le laisser aller émigrer, avec à un passeport belge qu'il a repêché et dont le propriétaire est son portrait craché). Le troisième coréalisateur, Marc Recchia est reparti avant la cérémonie de clôture.
Une analyse lucide et sereine
Pour sa première édition, en tant que Directeur Général des JCC, Nejib Ayed s'est lancé dans un numéro d'équilibriste. Appuyé sur des béquilles, il a commencé par remercier tous ceux qui ont rendu possible ce festival, autorités, professionnels et cinéphiles. Le producteur de profession a d'abord fait acte de contrition, en s'excusant des désagréments qui se sont produits. Devant les salles de cinéma, les files d'attentes se sont allongées, à la fois conséquences et causes. Un système très original centralisant les réservations de toutes les salles de cinéma (même pour les accrédités : invités, professionnels des médias, ….) a été mis en place, sans doute pas assez rodé auparavant. Le premier jour, les informations étaient contradictoires concernant le bureau de réservation ; la faute à une connexion instable. Il aurait fallu un amplificateur de signal wifi voire une connexion réseau par câble, et aussi plus d'opérateurs : le festival n'en avait prévu qu'un par desk (invités au siège du festival ou médias au bureau de presse, au Cinéma Le Mondial). L'émission des billets en était fortement retardée. Par ailleurs, la première diffusion du film L'insulte, de Ziad Doueiri a provoqué des poussées d'urticaires chez des manifestants qui ont créé un attroupement, reprochant au cinéaste de supposés sympathies sionistes, entraînant des retards et une intervention policière. Une projection a démarré avec deux heures de retard, il s'agit de El Jaida, le nouveau film de Selma Baccar. Le fait que le film soit en séance spéciale et pour une projection unique, cela a contribué à provoquer à un afflux important à la salle Le Colisée.
C'est rare qu'un responsable de festival fasse ainsi amende honorable et lucide, dans la sérénité, surtout que "les défaillances", mot utilisé par Néjib Ayed, s'ils étaient une cause de désagréments étaient aussi conséquence d'une forte affluence du public qui a dépassé les espérances. Le Colisée, la salle paquebot de 1 720 places, était régulièrement prise d'assaut, l'animation était de mise : le public n'hésitant pas à réagir, rire bruyamment et aussi surtout applaudir les talents (acteurs, cinéastes, producteurs, techniciens) et les films présents.
Les grands vainqueurs des 28èmes JCC et des Oscarisables
Chaque nominé aux JCC 2017 peut s'estimer vainqueur tant la sélection était de qualité. Les sélectionneurs des JCC n'ont pas cédé l'affreuse mode de l'exclusivité qui tend à enterrer très vite les films après leurs premières mondiales dans le circuit des festivals. Beaucoup de films disparaissent ainsi presque au bout de quelques mois seulement. Quand ils n'ont pas de distributeurs, ils n'accèdent pas aux salles de cinéma. Ainsi le Grand Prix 2017, le Tanit d'Or (catégorie longs métrages fictions), The train of salt and sugar (Le convoi de sel et de sucre) du Mozambicain Licinio Azevedo qui était il y a un an au festival du Caire. Malgré tout et tant mieux, le film a séduit le jury longs métrages de Tunis présidé par le Palestinien Michel Khleifi (avec Félicité Wouassi, actrice camerounaise, Rabiaa Ben Abdallah, actrice tunisienne, Kamla Abou Zekry, réalisatrice égyptienne, Mama Keïta, réalisateur franco-sénégalais-guinéen, Pablo César, réalisateur argentin et Hassan Ben Jelloun, réalisateur marocain), ainsi que les deux jurys de la critique (africaine, qui lui a décerné son Prix Paulin Soumanou Vieyra, et internationale qui lui a remis son Prix Fipresci) et les cinéphiles. Dans ce train, des femmes échangent du sel contre du sucre, en dépit de la guerre qui a dévasté le Mozambique ; né au Brésil et installé depuis des décennies dans son pays d'adoption, le cinéaste a instillé encore plus de drame et aussi de la magie dans cette histoire vraie nourrie de tragédie.
La sélection était d'un tel niveau que les pronostics variaient d'un spectateur à l'autre (cinéphile, critique de cinéma ou cinéaste). Certains étaient touchés par Wallay du Burkinabè Berni Goldblat avec son adolescent sur un chemin initiatique, d'autres par Félicité ou bien Sheikh Jackson où en pleine prière un imam voit Michael Jackon et des fidèles danser le moonwalk (derrière l'apparente légèreté du propos, c'est la construction de l'image de soi qui est en jeu ici). Les Armes miraculeuses de Jean-Pierre Bekolo qui faisait sa Première Mondiale (c'est aussi la richesse des JCC 2017, en montrant des exclusivités et des films déjà primés à des festivaliers curieux, attentifs) avaient aussi ses fervents défenseurs (surtout ceux qui avaient pu revoir le film dont la première projection avait pâti d'effroyables conditions techniques sonores et du cadre de l'image). Parmi les 14 films sélectionnés en compétition longs métrages fictions, plusieurs ont été retenus pour l'Oscar du Meilleur film en langue étrangère (les nominations seront la prochaine étape).
Plus de dix prix à des films du catalogue OIF
Sur les 25 prix remis à la soirée de clôture, près de la moitié, soit 11 très exactement, sont allés à des productions soutenus par le Fonds Image de la Francophonie (OIF). Dans la catégorie des longs métrages fictions Vent du nord du cinéaste tunisien Walid Mattar amasse trois récompenses : Prix du meilleur scénario, Prix spécial TV5 Monde et Prix Tahar Chériaa de la 1ère œuvre de long métrage (Tanit d'Or). Félicité d'Alain Gomis (Sénégal/France) décroche deux trophées : le Prix de la meilleure musique originale et le Prix de la meilleure interprétation féminine, pour Véro Tchanda Beya. Toujours pour les longs métrages fictions, le Tanit de Bronze a été décerné à Volubilis de Faouzi Bensaïdi (Maroc) et le prix UGTT du meilleur scénario de film tunisien de long métrage de fiction a été remporté par Kaouther Ben Hania pour le magnifique La Belle et la Meute qu'elle a réalisé. En courts métrages fictions, le Tanit d'Or a été remis à Aya de Moufida Fedhila (Tunisie).
En documentaires, le Tanit d'Or est revenu au film Le Koro du Bakoro de Simplice Ganou (photo) et le Tanit d'Argent à Kemtiyu-Séex Anta d'Ousmane William Mbaye (Sénégal). Quant à Mohamed Siam (Egypte), il repart avec le Prix spécial CNCI de l'image "Ali Ben Abdallah" pour son film Force majeure qu'il a lui-même photographié, réalisé et produit (Talal Al-Muhanna est coproducteur).
Le palmarès officiel des JCC 2017
1. Tanit d'Or - longs métrages fictions : "The train of salt and sugar", de Licinio Azevedo (Mozambique)
2. Tanit d'Argent - longs métrages fictions : "Inxeba" ("Les initiés"), de John Trengove (Afrique du Sud)
3. Tanit de Bronze - longs métrages fictions :"Volubilis", de Faouzi Bensaidi (Maroc)
4. Prix du meilleur Montage - longs métrages fictions : "En attendant les hirondelles" de Karim Moussaoui (Algérie)
5. Prix de la meilleure image - longs métrages fictions : "The train of salt and sugar", de Licinio Azevedo (Mozambique)
6. Prix de la meilleure musique originale - longs métrages fictions : "Félicité", d'Alain Gomis (Sénégal)
7. Prix du meilleur scénario - longs métrages fictions : "Vent du Nord", de Walid Mattar (Tunisie)
8. Prix de la meilleure interprétation féminine - longs métrages fictions : Véro Tchanda Beya pour "Félicité" d'Alain Gomis (Sénégal)
9. Prix de la meilleure interprétation Masculine - longs métrages fictions : Adel Moneem Chwayet pour son rôle dans "Mustapha Z" de Nidhal Chatta (Tunisie)
10. Tanit d'Or - courts métrages fictions : "Aya" de Moufida Fedhila (Tunisie)
11. Tanit d'Argent - courts métrages fictions : "Dem Dem !", de Pape Bounama Lopy, Christophe Rolin et Marc Recchia (Sénégal/Belgique /France)
12. Tanit de Bronze - courts métrages fictions : "Affability", d'Ahmed Nader (Egypte)
13. Mention spéciale - courts métrages fictions :"Secrets des vents", d'Imène Al Nasiri (Tunisie)
14. Tanit d'Or - longs métrages documentaires : "Koro du Bakoro", de Simplice Ganou (Burkina Faso)
15. Tanit d'Argent - longs métrages documentaires : "Kemtiyu-Séex Anta", d'Ousmane William Mbaye (Sénégal)
16. Le Tanit de Bronze - longs métrages documentaires : "Au-delà de l'ombre",de Nada Mezni Hefaiedh (Tunisie)
17. Mention spéciale - longs métrages documentaires : "Ghost hunting", de Raed Andoni (Palestine)
18. Tanit d'Or - courts métrages documentaires : "Jackenson-from street kid to champion", de Linda Leila Diatta et Jean Marc Poteau (Niger)
19. Tanit d'Argent - courts métrages documentaires : "Pas de port pour les petits bateaux", de Joëlle Abou Chabke (Liban)
20. Tanit de Bronze - courts métrages documentaires : "Gaza by her", de May Odeh et Riham Al Ghazali(Palestine)
21. Prix Tahar Chériaa de la 1ère œuvre de long métrage (Tanit d'Or) : "Vent du Nord", de Walid Mattar (Tunisie)
22. Prix Tahar Chériaa de la 1ère œuvre de long métrage (Mention spéciale) : "Cloch'Art", de Manel Katri (Tunisie)
23. Prix spécial TV5 Monde : ‘'Vent du nord", de Walid Mattar (Tunisie)
24. Prix spécial CNCI de l'image "Ali Ben Abdallah" pour un film de long métrage en compétition : "Force majeure" de Mohamed Sia (Egypte)
25. Le prix UGTT du meilleur scénario de film tunisien de long métrage de fiction : "La Belle et la Meute" de Kaouther Ben Hania (Tunisie).
Thierno I. Dia
Bordeaux, Africiné Magazine
en collaboration avec Fatou Kiné SÈNE
Dakar, Africiné Magazine
pour Images Francophones
Image : Le Burkinabè Simplice Ganou, réalisateur du film Le Koro du Bakoro, Tanit d'Or Documentaire, aux JCC 2017.
Crédit : Thierno I. Dia / Africiné Magazine