Le match cinéma contre télévision ?
Après le rendez-vous raté d'avril à Douala, un colloque ainsi qu'une rencontre ont permis un échange vigoureux entre professionnels du cinéma et la télé à Yaoundé.
Un colloque et une rencontre professionnelle ont été organisés au cours du Festival Ecrans noirs 2012 (du 30 juin au 7 juillet à Yaoundé, puis à Libreville du 09 au 13 juillet) pour interroger la nature des rapports entre producteurs et diffuseurs, et proposer des solutions pour une meilleure collaboration.
Le thème de cette 16ème édition des Écrans noirs, "Le développement de la télévision africaine, atout ou frein pour le cinéma du continent?", recelait déjà un piège. Délégué à la politique des programmes de la chaîne Canal France International (CFI), Pierre Jalladeau a pris la question à bras le corps, en déclarant d'emblée que la télévision était le bouc émissaire de l'agonie du cinéma et que c'était là un bien mauvais procès.
Autre "mauvais" procès, les cinéastes accusent Cfi d'acquérir des œuvres cinématographiques à bas prix pour les mettre à la disposition des chaînes francophones, dans le cadre de la coopération. Cfi se réjouit pourtant de payer environ 7.000 euros pour 18 mois d'exploitation télévisuelle, avec un contrat non exclusif.
Par ailleurs délégué général des Écrans noirs depuis 1997, le cinéaste Bassek Ba Kobhio s'est souvenu avec nostalgie de l'époque où les cinéastes narguaient la télévision. En ces temps pas si lointains, les cinéastes (entendez créateurs) considéraient, non sans dédain, "ceux d'en face" comme des ouvriers. Mais très vite, ils sont tombés de leur piédestal avec la fermeture des salles qui les a privés d'un public important. Un public qui désormais ne distingue pas un film de télévision et un film de cinéma, pour lui c'est un film et c'est tout.
"Il y a eu une banalisation des frontières entre le cinéma et la télévision, nous avons depuis longtemps perdu la bataille. On ne baisse pas les bras mais, quand, dans un pays comme le Cameroun, on fait 4 ans sans voir un long-métrage de qualité, on s'interroge", explique Bassek Ba Kobhio.
Sous cette volonté d'ouverture, il demeure un reste d'amertume : "À la télévision, on ne regarde pas un film avec la même attention qu'au cinéma et cela nous pénalise en tant que créateur. Nous sommes obligés d'être réalistes, mais il reste que faire du cinéma avoir l'avantage de l'exigence de rigueur ; c'est en tout cas la prétention, la volonté, d’une plus grande exigence de qualité et de rigueur".
Documentaire, le parent pauvre
N'empêche, la télévision savoure pleinement sa revanche aujourd'hui que les cinéastes en sont réduits à se réjouir quand elle veut bien diffuser leurs œuvres. Car, à la télévision, les portes ne sont pas toujours promptes à s'ouvrir aux cinéastes qui la considèrent tardivement comme une chance. Pour faire pression sur les premiers, afin qu'ils achètent plus d'œuvres chez les seconds, l'Association des producteurs indépendants du Cameroun (Apic) a organisé une rencontre professionnelle entre producteurs et diffuseurs autour du thème "Le documentaire et la télévision en Afrique". C'était en partenariat avec l'association allemande des professionnels du documentaire AGDOK et l'Institut Goethe de Yaoundé. Président de l'Apic, Cyrille Masso a fait un zoom sur le documentaire qu'il qualifie de "parent pauvre des grilles de télévision", principal diffuseur de ce genre cinématographique.
La troisième édition des Rencontres audiovisuelles de Douala (RADO : du 24 au 29 avril 2012) avait annoncé un "face à face producteurs-diffuseurs". « Le match a bien eu lieu mais il n'a pas tenu toutes ses promesses, faute de combattants du côté des diffuseurs », écrit Pierre Barrot sur le site Images Francophones. Le match a eu lieu quelques mois plus tard à Yaoundé, malgré encore des absences.
Autour de la table, une dizaine de producteurs face à trois chaînes de télévision camerounaises, dont deux privées, sur les 17 officiellement enregistrées au Cameroun. Comme toujours lors de ce type de rencontre, les accusations ont fusé de toutes parts. Les chaînes de télévision ont été accusées de ne pas acheter d'oeuvres de producteurs indépendants et de leur préférer des programmes étrangers, au mépris du quota légal qui est de 70% de programmes camerounais et 30% de programmes étrangers. Le réalisateur Arthur Si Bita (Les Coopérants, 1983) noircit le tableau avec une exagération délibérée, en situant le taux de consommation des productions audiovisuelles locales à seulement 1%.
À ce sujet, Pierre Jalladeau révèle que les chaînes africaines sont peu enclines à demander des films africains. Scénariste, réalisateur, producteur et promoteur du site Cinemaducameroun.com qui a l'ambition de vendre des films sur internet, Gervais Djimeli Lekpa s'étonne : "nos meilleures productions cinématographiques sont destinées au marché étranger et seules les oeuvres sans valeur sont diffusées sur les chaînes locales", privées en majorité. Ce sont des films tournés sans scénario, avec un caméscope et des acteurs bénévoles recrutés dans l'entourage immédiat du réalisateur. Robert Ekukolé, le directeur des programmes et de la production à la Crtv, la télévision nationale camerounaise, reconnaît pourtant la nécessité pour les chaînes africaines d'avoir des programmes qui reflètent nos réalités, car "si tu ne peux pas montrer ta propre image, quelqu'un d'autre le fera en la déformant".
Sur la défensive, les représentants des télévisions ont accusé à leur tour les producteurs indépendants de faire des films de moindre qualité, qu'elles acceptent souvent de diffuser quand même, pour meubler leurs grilles de programmes. Mais surtout, elles se sont justifiées, en arguant, pour les privés, de l'étroitesse de leur budget qui arrive déjà à peine à couvrir les salaires du personnel. C'est une esquive, quand on sait que ces télévisions qui diffusent des films de producteurs indépendants sans rien payer investissent dans la production des télé-réalités qui, selon elles, attirent plus d'annonceurs.
Les responsables des chaînes de télévision reconnaissent unanimement que des productions indépendantes de qualité vont apporter de la valeur ajoutée à leurs grilles de programmes. D'où la nécessité de trouver un terrain d'entente entre deux entités qui ont besoin l'une de l'autre : d'une part, la télévision qui a besoin d'oeuvres pour améliorer sa programmation, de l'autre, les producteurs indépendants qui ont besoin d'un espace de diffusion. La réconciliation entre les deux parties passe par un partenariat "gagnant-gagnant" dont des contours ont été dessinés.
Il est question d'encourager les co-productions entre les producteurs et les chaînes qui pourraient ne pas investir de l'argent mais juste engager du matériel (à condition que ce matériel soit de qualité et d'actualité) et d’amener les chaînes de télévision à payer, même une somme modique, pour obtenir les droits d'exploitation des films. Il est aussi question d'inciter les producteurs indépendants à créer des entreprises pour porter leurs projets, et leur faire comprendre la nécessité de faire des films de qualité.
Pour essayer de matérialiser ces voeux que les participants ne souhaitent pas pieux, la rencontre entre les producteurs et les diffuseurs a accouché d'un réseau constitué de professionnels des deux camps chargés de suivre l'application des bonnes résolutions prises en salle. Un réseau de plus dont le risque est qu'il ne vienne gonfler les rangs des mort-nés des rencontres, face à la difficulté de trouver les moyens de ses ambitions.
Stéphanie Dongmo
Africiné, Yaoundé
Palmarès de la 16è édition du festival Ecrans noirs 2012
* Ecran d'honneur - Prix spécial décerné à Hichem ROSTOM, comédien marocain pour l'ensemble de son œuvre.
* Ecran d'or - décerné à Boubakar Diallo pour son film "Julie et Roméo" (Burkina Faso)
* Ecran du Meilleur Film Etranger - décerné à "Ainom", de Lorenzo Cella Valla et Mario Garofalo (Italie)
* Ecran du meilleur comédien - décerné à Yonas Perou pour son rôle dans le film "Le Collier de Makoko" du réalisateur gabonais Henri Joseph Koumba Bididi
* Ecran du documentaire - décerné à Ramadan Suleman pour son film "Zwelidumile" (Afrique du Sud)
* Ecran du Court métrage - décerné à Soffo Simo pour son film "Animtest" (Cameroun)
* Ecrans de l'espoir spécial Apic-Ecrans Noirs - décerné à Jean-Jacques Ndoumbè pour son film "Sur le chemin de mon rêve" (Cameroun)
Photo : De gauche à droite : Bassek ba Kobhio, Gaston Kelman (modérateur du colloque) et Pierre Jalladeau.
Crédit photo: Stéphanie Dongmo, 2012.
Le thème de cette 16ème édition des Écrans noirs, "Le développement de la télévision africaine, atout ou frein pour le cinéma du continent?", recelait déjà un piège. Délégué à la politique des programmes de la chaîne Canal France International (CFI), Pierre Jalladeau a pris la question à bras le corps, en déclarant d'emblée que la télévision était le bouc émissaire de l'agonie du cinéma et que c'était là un bien mauvais procès.
Autre "mauvais" procès, les cinéastes accusent Cfi d'acquérir des œuvres cinématographiques à bas prix pour les mettre à la disposition des chaînes francophones, dans le cadre de la coopération. Cfi se réjouit pourtant de payer environ 7.000 euros pour 18 mois d'exploitation télévisuelle, avec un contrat non exclusif.
Par ailleurs délégué général des Écrans noirs depuis 1997, le cinéaste Bassek Ba Kobhio s'est souvenu avec nostalgie de l'époque où les cinéastes narguaient la télévision. En ces temps pas si lointains, les cinéastes (entendez créateurs) considéraient, non sans dédain, "ceux d'en face" comme des ouvriers. Mais très vite, ils sont tombés de leur piédestal avec la fermeture des salles qui les a privés d'un public important. Un public qui désormais ne distingue pas un film de télévision et un film de cinéma, pour lui c'est un film et c'est tout.
"Il y a eu une banalisation des frontières entre le cinéma et la télévision, nous avons depuis longtemps perdu la bataille. On ne baisse pas les bras mais, quand, dans un pays comme le Cameroun, on fait 4 ans sans voir un long-métrage de qualité, on s'interroge", explique Bassek Ba Kobhio.
Sous cette volonté d'ouverture, il demeure un reste d'amertume : "À la télévision, on ne regarde pas un film avec la même attention qu'au cinéma et cela nous pénalise en tant que créateur. Nous sommes obligés d'être réalistes, mais il reste que faire du cinéma avoir l'avantage de l'exigence de rigueur ; c'est en tout cas la prétention, la volonté, d’une plus grande exigence de qualité et de rigueur".
Documentaire, le parent pauvre
N'empêche, la télévision savoure pleinement sa revanche aujourd'hui que les cinéastes en sont réduits à se réjouir quand elle veut bien diffuser leurs œuvres. Car, à la télévision, les portes ne sont pas toujours promptes à s'ouvrir aux cinéastes qui la considèrent tardivement comme une chance. Pour faire pression sur les premiers, afin qu'ils achètent plus d'œuvres chez les seconds, l'Association des producteurs indépendants du Cameroun (Apic) a organisé une rencontre professionnelle entre producteurs et diffuseurs autour du thème "Le documentaire et la télévision en Afrique". C'était en partenariat avec l'association allemande des professionnels du documentaire AGDOK et l'Institut Goethe de Yaoundé. Président de l'Apic, Cyrille Masso a fait un zoom sur le documentaire qu'il qualifie de "parent pauvre des grilles de télévision", principal diffuseur de ce genre cinématographique.
La troisième édition des Rencontres audiovisuelles de Douala (RADO : du 24 au 29 avril 2012) avait annoncé un "face à face producteurs-diffuseurs". « Le match a bien eu lieu mais il n'a pas tenu toutes ses promesses, faute de combattants du côté des diffuseurs », écrit Pierre Barrot sur le site Images Francophones. Le match a eu lieu quelques mois plus tard à Yaoundé, malgré encore des absences.
Autour de la table, une dizaine de producteurs face à trois chaînes de télévision camerounaises, dont deux privées, sur les 17 officiellement enregistrées au Cameroun. Comme toujours lors de ce type de rencontre, les accusations ont fusé de toutes parts. Les chaînes de télévision ont été accusées de ne pas acheter d'oeuvres de producteurs indépendants et de leur préférer des programmes étrangers, au mépris du quota légal qui est de 70% de programmes camerounais et 30% de programmes étrangers. Le réalisateur Arthur Si Bita (Les Coopérants, 1983) noircit le tableau avec une exagération délibérée, en situant le taux de consommation des productions audiovisuelles locales à seulement 1%.
À ce sujet, Pierre Jalladeau révèle que les chaînes africaines sont peu enclines à demander des films africains. Scénariste, réalisateur, producteur et promoteur du site Cinemaducameroun.com qui a l'ambition de vendre des films sur internet, Gervais Djimeli Lekpa s'étonne : "nos meilleures productions cinématographiques sont destinées au marché étranger et seules les oeuvres sans valeur sont diffusées sur les chaînes locales", privées en majorité. Ce sont des films tournés sans scénario, avec un caméscope et des acteurs bénévoles recrutés dans l'entourage immédiat du réalisateur. Robert Ekukolé, le directeur des programmes et de la production à la Crtv, la télévision nationale camerounaise, reconnaît pourtant la nécessité pour les chaînes africaines d'avoir des programmes qui reflètent nos réalités, car "si tu ne peux pas montrer ta propre image, quelqu'un d'autre le fera en la déformant".
Sur la défensive, les représentants des télévisions ont accusé à leur tour les producteurs indépendants de faire des films de moindre qualité, qu'elles acceptent souvent de diffuser quand même, pour meubler leurs grilles de programmes. Mais surtout, elles se sont justifiées, en arguant, pour les privés, de l'étroitesse de leur budget qui arrive déjà à peine à couvrir les salaires du personnel. C'est une esquive, quand on sait que ces télévisions qui diffusent des films de producteurs indépendants sans rien payer investissent dans la production des télé-réalités qui, selon elles, attirent plus d'annonceurs.
Les responsables des chaînes de télévision reconnaissent unanimement que des productions indépendantes de qualité vont apporter de la valeur ajoutée à leurs grilles de programmes. D'où la nécessité de trouver un terrain d'entente entre deux entités qui ont besoin l'une de l'autre : d'une part, la télévision qui a besoin d'oeuvres pour améliorer sa programmation, de l'autre, les producteurs indépendants qui ont besoin d'un espace de diffusion. La réconciliation entre les deux parties passe par un partenariat "gagnant-gagnant" dont des contours ont été dessinés.
Il est question d'encourager les co-productions entre les producteurs et les chaînes qui pourraient ne pas investir de l'argent mais juste engager du matériel (à condition que ce matériel soit de qualité et d'actualité) et d’amener les chaînes de télévision à payer, même une somme modique, pour obtenir les droits d'exploitation des films. Il est aussi question d'inciter les producteurs indépendants à créer des entreprises pour porter leurs projets, et leur faire comprendre la nécessité de faire des films de qualité.
Pour essayer de matérialiser ces voeux que les participants ne souhaitent pas pieux, la rencontre entre les producteurs et les diffuseurs a accouché d'un réseau constitué de professionnels des deux camps chargés de suivre l'application des bonnes résolutions prises en salle. Un réseau de plus dont le risque est qu'il ne vienne gonfler les rangs des mort-nés des rencontres, face à la difficulté de trouver les moyens de ses ambitions.
Stéphanie Dongmo
Africiné, Yaoundé
Palmarès de la 16è édition du festival Ecrans noirs 2012
* Ecran d'honneur - Prix spécial décerné à Hichem ROSTOM, comédien marocain pour l'ensemble de son œuvre.
* Ecran d'or - décerné à Boubakar Diallo pour son film "Julie et Roméo" (Burkina Faso)
* Ecran du Meilleur Film Etranger - décerné à "Ainom", de Lorenzo Cella Valla et Mario Garofalo (Italie)
* Ecran du meilleur comédien - décerné à Yonas Perou pour son rôle dans le film "Le Collier de Makoko" du réalisateur gabonais Henri Joseph Koumba Bididi
* Ecran du documentaire - décerné à Ramadan Suleman pour son film "Zwelidumile" (Afrique du Sud)
* Ecran du Court métrage - décerné à Soffo Simo pour son film "Animtest" (Cameroun)
* Ecrans de l'espoir spécial Apic-Ecrans Noirs - décerné à Jean-Jacques Ndoumbè pour son film "Sur le chemin de mon rêve" (Cameroun)
Photo : De gauche à droite : Bassek ba Kobhio, Gaston Kelman (modérateur du colloque) et Pierre Jalladeau.
Crédit photo: Stéphanie Dongmo, 2012.