Le grand "mercato" de l'audiovisuel africain

Discop Africa 2014, à Johannesburg, du 5 au 7 novembre, avec 1800 participants et la Côte d'Ivoire à l'honneur.
Organisé pour la troisième année consécutive à Johannesburg (du 5 au 7 novembre derniers, avec un chiffre record de 1800 participants), le Discop Africa, marché africain de la télévision, avait choisi, cette année, de mettre à l'honneur la Côte d'Ivoire. Mais ce sont les groupes français qui ont le plus attiré l'attention avec leurs investissements tous azimuts dans l'audiovisuel africain ; qu'il s'agisse d'un nouveau venu comme Lagardère ou d'un opérateur "historique" comme Canal Overseas, l'offensive française se caractérise par une volonté de brûler les étapes : on ne se contente pas de lancer de nouveaux projets ; on rachète les équipes qui gagnent et on recrute les talents confirmés. Un vrai "mercato" digne du football à la saison des transferts ! Mais dans ce grand remue-ménage, il ne faut oublier ni le rouleau compresseur chinois, ni les initiatives africaines.
Il y a quelques semaines, c'était encore le groupe Canal qui menait la danse, d'abord en lançant le 24 octobre sa nouvelle chaîne de fiction A, puis en annonçant quatre jours plus tard le rachat de la société Thema dont le "bouquet africain" compte 150 000 abonnés en France et dont la chaîne Nollywood TV est devenue, moins de deux ans après son lancement, la chaîne de fiction la plus regardée en Afrique francophone (sur le bouquet Canal Afrique). Au chapitre des transferts, on note également que le groupe Canal s'est offert les services du Franco-béninois Serge Noukoué, créateur de la Nollywood Week, le festival de films nigérians de Paris.
Le 29 octobre, c'est Lagardère Active, branche média du groupe Lagardère qui se hissait en haut de l'affiche en annonçant le lancement en 2015 d'une version africaine de la chaîne Gulli. Lagardère vient d'investir environ 25 millions d'euros pour racheter les parts de cette chaîne pour enfants qui étaient encore détenues par France Télévisions. Enfin, à l'occasion du Discop Africa 2014, c'est Lagardère Entertainment, premier groupe français de production audiovisuelle, dirigé par Takis Candilis, qui a dévoilé sa stratégie d'implantation en Afrique : plutôt que de créer de toutes pièces une unité de production au Sénégal, le groupe a choisi d'investir dans la société Keewu Production, dirigée par le Français Alexandre Rideau (1). Dans le domaine de la distribution, Lagardère s'apprête à prendre une participation majoritaire dans DIFFA (2), structure fondée en 2011 par Alain Modot (Media Consulting Group, France) et Jean Hubert Nankam (Martika Productions, Côte d'Ivoire). Cette alliance avec Lagardère ne remet pas en cause la spécialisation africaine de DIFFA (500 heures de fiction, principalement francophone, dans le catalogue actuel) mais elle doit lui permettre de développer ses activités sur tout le continent en installant des bureaux en Côte d'Ivoire, au Maroc et en Afrique du Sud.
Avec Keewu Production, Lagardère compte miser sur la série "C'est la vie " (en cours de production, avec le soutien de l'OIF, après des ateliers d'écriture encadrés par Marguerite Abouet), mais aussi sur de nouveaux projets comme l'adaptation en série (12 épisodes d'une heure) des romans policiers du Malien Moussa Konaté ("La malédiction du lamantin" et "Meurtre à Tombouctou"). A terme, Lagardère Entertainment, bientôt représenté à Dakar par la Franco-Sénégalaise Anna Gomis, devrait investir dans des sociétés de production en Côte d'Ivoire et au Maghreb. Takis Candilis annonce également un engagement dans la formation des professionnels africains à travers une "Lagardère Entertainment Académie".
Si cette frénésie d'investissements concerne d'abord le secteur privé, TV5 Monde n'est pas en reste et espère lancer en 2015 une déclinaison africaine de la chaîne enfants qu'elle a développé aux Etats-Unis sous le label "Tivi5Monde".
Si ce sont les Francophones qui ont "fait le buzz" - une fois n'est pas coutume - en Afrique du Sud, les investissements les plus constants viennent toujours de Chine, avec le groupe Star Times, qui a recruté au printemps dernier le Sud-africain Mike Dearham (venu de Côte Ouest Audiovisuel) et qui vient d'annoncer un investissement supplémentaire de 15 millions de dollars en Afrique en 2015. Depuis 2007, le Fonds de développement Chine-Afrique et la Banque de Développement de Chine ont investi 150 millions de dollars dans les activités des opérateurs audiovisuels chinois en Afrique. En ce qui concerne les pays membres de la Francophonie, Star Times, déjà présent au Rwanda, au Burundi, en Guinée, en République centrafricaine et en RDC, affiche également des négociations avec la RTS au Sénégal et l'ORTB au Bénin.
On ne saurait conclure ce panorama des investissements dans l'audiovisuel africain sans parler des investissements africains eux-mêmes. A l'occasion du DISCOP, la Radio-Télévision Ivoirienne (RTI) a fait ses premiers pas sur le chemin de la distribution internationale de ses programmes, avec un catalogue composé de huit séries et plusieurs épisodes doublés ou sous-titrés en anglais. La Côte d'Ivoire, invité d'honneur du Discop Africa 2014 (avec une forte délégation conduite par la ministre de la Communication Affoussiata Bamba-Lamine) s'affirme comme le plus conquérant des pays francophones et aussi le plus attractif pour les investisseurs extérieurs, grâce au 8 et 9 % de croissance économique affichés par le pays ces deux dernières années.
Parmi les autres initiatives africaines, on annonce pour 2015 le lancement de la nouvelle chaîne panafricaine créée par Mactar Silla à partir du Gabon. Le Congo-Brazzaville, quant à lui, sera le berceau de la chaîne d'information Africanews, déclinaison africaine d'Euronews. Parmi les pays pétroliers qui investissent dans l'audiovisuel, on ne saurait oublier le Tchad qui pointe le bout de son nez dans le secteur de la production. A noter la série Amina de Richardon Yonoudjim-Ngaltam (coproduite par le producteur et distributeur Franco-Camerounais Jean Patoudem) et le film " Linas " de Michel Kamuanga coproduit par le Camerounais Blaise Pascal Tanguy et Ismael Ben Chérif, ancien directeur de la télévision tchadienne. Si l'Afrique fait bouger les professionnels de la télévision d'Europe et d'Asie, elle bouge également comme jamais et la perspective du passage à la diffusion numérique en 2015 n'est bien sûr pas étrangère à cette effervescence.
Pierre Barrot
Images Francophones
Il y a quelques semaines, c'était encore le groupe Canal qui menait la danse, d'abord en lançant le 24 octobre sa nouvelle chaîne de fiction A, puis en annonçant quatre jours plus tard le rachat de la société Thema dont le "bouquet africain" compte 150 000 abonnés en France et dont la chaîne Nollywood TV est devenue, moins de deux ans après son lancement, la chaîne de fiction la plus regardée en Afrique francophone (sur le bouquet Canal Afrique). Au chapitre des transferts, on note également que le groupe Canal s'est offert les services du Franco-béninois Serge Noukoué, créateur de la Nollywood Week, le festival de films nigérians de Paris.
Le 29 octobre, c'est Lagardère Active, branche média du groupe Lagardère qui se hissait en haut de l'affiche en annonçant le lancement en 2015 d'une version africaine de la chaîne Gulli. Lagardère vient d'investir environ 25 millions d'euros pour racheter les parts de cette chaîne pour enfants qui étaient encore détenues par France Télévisions. Enfin, à l'occasion du Discop Africa 2014, c'est Lagardère Entertainment, premier groupe français de production audiovisuelle, dirigé par Takis Candilis, qui a dévoilé sa stratégie d'implantation en Afrique : plutôt que de créer de toutes pièces une unité de production au Sénégal, le groupe a choisi d'investir dans la société Keewu Production, dirigée par le Français Alexandre Rideau (1). Dans le domaine de la distribution, Lagardère s'apprête à prendre une participation majoritaire dans DIFFA (2), structure fondée en 2011 par Alain Modot (Media Consulting Group, France) et Jean Hubert Nankam (Martika Productions, Côte d'Ivoire). Cette alliance avec Lagardère ne remet pas en cause la spécialisation africaine de DIFFA (500 heures de fiction, principalement francophone, dans le catalogue actuel) mais elle doit lui permettre de développer ses activités sur tout le continent en installant des bureaux en Côte d'Ivoire, au Maroc et en Afrique du Sud.
Avec Keewu Production, Lagardère compte miser sur la série "C'est la vie " (en cours de production, avec le soutien de l'OIF, après des ateliers d'écriture encadrés par Marguerite Abouet), mais aussi sur de nouveaux projets comme l'adaptation en série (12 épisodes d'une heure) des romans policiers du Malien Moussa Konaté ("La malédiction du lamantin" et "Meurtre à Tombouctou"). A terme, Lagardère Entertainment, bientôt représenté à Dakar par la Franco-Sénégalaise Anna Gomis, devrait investir dans des sociétés de production en Côte d'Ivoire et au Maghreb. Takis Candilis annonce également un engagement dans la formation des professionnels africains à travers une "Lagardère Entertainment Académie".
Si cette frénésie d'investissements concerne d'abord le secteur privé, TV5 Monde n'est pas en reste et espère lancer en 2015 une déclinaison africaine de la chaîne enfants qu'elle a développé aux Etats-Unis sous le label "Tivi5Monde".
Si ce sont les Francophones qui ont "fait le buzz" - une fois n'est pas coutume - en Afrique du Sud, les investissements les plus constants viennent toujours de Chine, avec le groupe Star Times, qui a recruté au printemps dernier le Sud-africain Mike Dearham (venu de Côte Ouest Audiovisuel) et qui vient d'annoncer un investissement supplémentaire de 15 millions de dollars en Afrique en 2015. Depuis 2007, le Fonds de développement Chine-Afrique et la Banque de Développement de Chine ont investi 150 millions de dollars dans les activités des opérateurs audiovisuels chinois en Afrique. En ce qui concerne les pays membres de la Francophonie, Star Times, déjà présent au Rwanda, au Burundi, en Guinée, en République centrafricaine et en RDC, affiche également des négociations avec la RTS au Sénégal et l'ORTB au Bénin.
On ne saurait conclure ce panorama des investissements dans l'audiovisuel africain sans parler des investissements africains eux-mêmes. A l'occasion du DISCOP, la Radio-Télévision Ivoirienne (RTI) a fait ses premiers pas sur le chemin de la distribution internationale de ses programmes, avec un catalogue composé de huit séries et plusieurs épisodes doublés ou sous-titrés en anglais. La Côte d'Ivoire, invité d'honneur du Discop Africa 2014 (avec une forte délégation conduite par la ministre de la Communication Affoussiata Bamba-Lamine) s'affirme comme le plus conquérant des pays francophones et aussi le plus attractif pour les investisseurs extérieurs, grâce au 8 et 9 % de croissance économique affichés par le pays ces deux dernières années.
Parmi les autres initiatives africaines, on annonce pour 2015 le lancement de la nouvelle chaîne panafricaine créée par Mactar Silla à partir du Gabon. Le Congo-Brazzaville, quant à lui, sera le berceau de la chaîne d'information Africanews, déclinaison africaine d'Euronews. Parmi les pays pétroliers qui investissent dans l'audiovisuel, on ne saurait oublier le Tchad qui pointe le bout de son nez dans le secteur de la production. A noter la série Amina de Richardon Yonoudjim-Ngaltam (coproduite par le producteur et distributeur Franco-Camerounais Jean Patoudem) et le film " Linas " de Michel Kamuanga coproduit par le Camerounais Blaise Pascal Tanguy et Ismael Ben Chérif, ancien directeur de la télévision tchadienne. Si l'Afrique fait bouger les professionnels de la télévision d'Europe et d'Asie, elle bouge également comme jamais et la perspective du passage à la diffusion numérique en 2015 n'est bien sûr pas étrangère à cette effervescence.
Pierre Barrot
Images Francophones
- Keewu Production a été créée en 2012 par Alexandre Rideau, responsable de l'ONG RAES (Réseau africain pour l'éducation, la santé et la citoyenneté) à l'occasion d'un appel à projets du Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud.
- DIFFA a été créée en 2011 par MCG et Martika Productions à la faveur du premier appel à projets de l'OIF sur la distribution des programmes de télévision francophones du Sud.