Le frère disparu : Burkinabè partis travailler en Côte d'Ivoire
"Espoir-voyage" : un éclairage sensible et personnel sur la question de l'immigration burkinabè en Côte d'Ivoire, sur fond de crise politique ...
Images africaines au cinéma du réel
Au coeur de Paris, au Centre Pompidou, au MK2 Beaubourg et au Nouveau Latina, du 22 mars au 3 avril 2012, le festival Cinéma du Réel (34ème édition) revient nous enchanter de formes documentaires originales, dans des durées non formatées, avec des images provenant de tous les coins du monde.
Cette année, plusieurs titres évoquent l'Afrique, comme le film Habiter/construire, tourné au Tchad par la Française Clémence Ancelin, entre la réflexion architecturale et ethnographique : comment vivent les personnes venues travailler sur un chantier au milieu du désert, de Guinée, de France ou de la région proche. Le camp, du Belge Jean-Frédéric de Hasque, est une évocation poétique de la vie rurale africaine, sorte de tableau vivant où chaque plan a sa beauté. Citons aussi l'édition en DVD de l'oeuvre du réalisateur algérien Malek Bensmail. À cette occasion, son magnifique film Aliénations est projeté.
Un film attendu : Espoir-voyage, de Michel Zongo et l'exil des Burkinabè en Côte d'Ivoire
Espoir-voyage du réalisateur burkinabè Michel Zongo, déjà connu pour son travail de cadreur sur de nombreux documentaires et pour un premier documentaire, Sibi, l'âme du violon, mention spéciale du jury au Fespaco 2011.
Découvert en 2012 au Festival de Berlin, le film ne fait que commencer sa carrière en festivals. Il nous entraîne dans un voyage, celui du réalisateur, sur les traces d'un grand frère parti travailler en Côte d'Ivoire et jamais revenu, dit mort. "Si l'immigré n'atteint pas ses objectifs, il a du mal à communiquer ou entre carrément dans un processus de rupture de liens, ne donne plus de nouvelles..." explique Michel Zongo, présent pour soutenir son film. "Dans notre famille, il y avait trop de préjugés sur son décès, tout cela n'était pas... joli, quoi ! Alors, je me suis donné pour mission d'aller savoir comment il était mort". Le film cherche à retisser du lien.
Ce parcours intime - quête de soi, quête de l'autre, menant de rencontres en rencontres, à travers les zones difficiles qui séparent le Burkina d'Abidjan, au nord de la Côte d'Ivoire - a pour toile de fond l'exil de nombreux Burkinabè vers le riche voisin ivoirien. C'est souvent de l'exploitation dans les plantations, c'est "mourir-cadeau" raconte l'un des témoins rencontrés sur le chemin. "En Côte d'Ivoire, 80% des Burkinabés qui viennent travailler, surtout dans les plantations, ou pour de petits boulots, sont des Mossis. Les Ivoiriens portent sur eux un regard de mépris. "Mossi", en Côte d'Ivoire, est un terme méprisant, presque une insulte ! Un "baramoro", c'est quelqu'un venu de la brousse pour travailler en brousse... Avec la crise économique que traverse la Côte d'Ivoire, les Ivoiriens ont dû à leur tour accepter ces petits boulots et la réaction de rejet s'est développée vis à vis de ces immigrés burkinabè, notamment autour du repli sur la notion d'ivoirité", rajoute Michel Zongo. C'est tout cela que nous fait découvrir et partager le film.
Le film est aussi un chemin initiatique, un parcours d'homme à homme, pour se mesurer à son destin et tenter de renouer des liens détachés, faire du sens. La réalisation est parfois inégale, sans musique, sans artifices, dans un dispositif en fait très pensé où l'on devine la touche Africadoc, il y a des pépites d'or, dès qu'on est en entretien avec un témoin, toujours filmé de près au plus vif par le regard pénétrant du cinéaste, qui s'est personnellement impliqué dans la relation à l'autre, l'émotion est là. La dignité est un mot-clé de ce film.
Et puis, cette scène incroyable de nuit dans un bus, où tout à coup, le réel se transfigure, entre surnaturel et film d'horreur. On plonge au coeur des ténèbres, la référence à Joseph Conrad étant ici assumée. "Dans ce car, les hommes, qui vont chercher du travail, sont comme s'ils partaient en guerre, c'est un voyage où l'on sait qu'il y a danger au bout. Les gens sont prêts. Personne ne se plaint. Mais la tension est là".
Un tournage au coeur des ténèbres
Ce film intime, qui retrace la relation complexe qui lie Burkina Faso et Côte d'Ivoire, une histoire d'immigration et les tensions qui peuvent s'ensuivre, est d'abord une histoire de fidélité entre Michel Zongo et son producteur, Christian Lelong, avec qui Michel Zongo travailla d'abord comme cadreur. Michel Zongo a d'abord créé sa propre société de production pour le film et a pu le produire avec le soutien de l'OIF, "c'est le seul guichet pour tourner en Afrique et on a obtenu 35.000 euros ..." CFI a préacheté le film. "Presque tout le financement de ce film franco-burkinabè vient de France... mais cela permet au film d'exister". Pour cela, il s'est associé, en coproduction, avec Christian Lelong, qui produit déjà quatre à cinq films par an, souvent en Afrique.
Pour le réalisateur-producteur français, c'est "une belle réussite de collaboration qui s'inscrit dans une histoire". Il rappelle que le projet, "bien écrit et bien pensé" par Michel Zongo, a été très bien perçu dans les diverses commissions où il a été présenté ou pitché. Il n'en reste pas moins vrai que le film était un sacré pari. "Jusqu'au dernier moment du tournage, rien n'était sûr. Soit je trouvais des traces de mon frère, soit je ne trouvais pas, soit... je ne revenais pas ! "
Le réalisateur évoque un tournage difficile, à six mois des élections présidentielles qui ont justement opposé Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara. Dans un pays en guerre civile, dans les zones rebelles aussi bien que dans les zones loyalistes, un tel tournage a été un véritable parcours du combattant, avec danger physique, difficultés administratives et moult difficultés, pour une équipe pourtant réduite au minimum (Michel Zongo à la réalisation et à l'image, un ingénieur du son et un assistant).
Caroline Pochon / Clap Noir
PALMARES 2012 du Festival Cinéma du réel
Prix Louis-Marcorelles :
Five Broken Cameras de Emad Burnat et Guy Davidi
Mention spéciale du Prix Louis-Marcorelles : Dusty Night de Ali Hazara
Prix du Patrimoine de l'Immatériel :
Habiter / Construire de Clémence Ancelin
Mention spéciale du Prix du Patrimoine de l'Immatériel : River Rites de Ben Russell
Prix des Bibliothèques :
La Cause et l'usage de Dorine Brun et Julien Meunier
Mention spéciale du Prix des Bibliothèques : Habiter / Construire de Clémence Ancelin
Prix des Jeunes :
East Punk Memories de Lucile Chaufour
Mention spéciale du Jury des Jeunes : La Cause et l'usage de Dorine Brun et Julien Meunier
Prix Joris Ivens :
The Vanishing Spring Light de Xun Yu
Mention spéciale du Prix Joris Ivens : A Nossa forma de vida de Pedro Filipe Marques
Prix du court métrage : Dusty Night de Ali Hazara
Prix International de la Scam : Earth de Victor Asliuk
Grand Prix Cinéma du réel : Autrement, la Molussie de Nicolas Rey
Claire Diao Clap Noir