Le fonds panafricain du cinéma et de l’audiovisuel
Au festival de Cannes, la Tunisie a annoncé qu'elle accueillerait le siège du futur fonds.
Lancé il y a deux ans à la demande de feu Charles Mensah au nom des cinéastes de la Fepaci (Fédération Panafricaine des Cinéastes), le projet d’un fonds panafricain de cinéma et de l’audiovisuel (FPCA) a été défendu auprès des chefs d’État africains par le Président Abdou Diouf et rejoint par l’Unesco comme partenaire.
Présentée lors des JCC 2010, puis du FESPACO 2011 et récemment à Quintessence en janvier 2012, l’étude de faisabilité menée par l’OIF a donné des résultats positifs.
La présentation officielle du fonds a été faite à Cannes, le 19 mai, en présence de plusieurs ministres et de M. Clément Duhaime, Administrateur de l’OIF. Le cinéaste Moussa Touré, dont le film « La pirogue » a été projeté dans la sélection Un certain regard, a accepté de devenir le parrain du fonds : « J’ai été obligé de faire parler des comédiens en français dans mes films. Ils appelaient nos langues des dialectes. Nous souhaitons parler nos langues dans nos films. »
Avancées concrètes : l’engagement de la Tunisie pour offrir un siège au fonds
Le Ministre de la culture de Tunisie, M. Mehdi Mabrouk a annoncé que la Tunisie s’est engagée à « offrir un siège en terre africaine » à ce fonds, après un engagement de longue date pour le cinéma africain avec, en 1966, les JCC de Carthage, dont le premier prix fut attribué à Sembène Ousmane. C’est à Carthage qu’est née la Fepaci. « Ce projet peut sembler utopique. Il faut contredire ce pessimisme ! ». Il s'est tourné vers l’OIF : pour la remercier de cette initiative et aussi pour demander « de concrétiser davantage le projet en créant un conseil d’orientation et en dotant le fonds d’un cadre juridique ». On s’achemine vers la création d’une fondation, préconisée par l’étude menée par l’OIF. Selon la Responsable des projets cinéma de l’Organisation internationale de la Francophonie, Mme Souad Houssein, le fonds pourrait, dans un premier temps, se concentrer sur des aides au développement et à la finition.
Le Ministre de la culture de Côte d’Ivoire, M. Maurice Kouakou Bandama, a rappelé que le président Ouattara n’a pas hésité à se joindre à l’initiative à l’appel de l’OIF. « Nous croyons à l’industrie du cinéma ». Cela commence par la décision de favoriser un cinéma national. Il a évoqué la création d’un office national du cinéma, dirigé par le cinéaste Kitia Touré. Un montant de 250 millions de francs CFA (soit 500 000 dollars, environ 300 000 euros) sera attribué. Philippe Lacôte sera l’un des premiers jeunes cinéastes à bénéficier de cette subvention.
Des pays qui s’engagent, d’autres que l’on attend
Ont annoncé leur soutien au fonds : Bénin, Burkina Faso, Burundi, République centrafricaine, RDC, Côte d’Ivoire, Gabon, Gambie, Madagascar, Maroc, Sénégal, Tchad, Tunisie. Le cinéaste tunisien Férid Boughédir refuse le pessimisme. « On dit souvent que les États africains ont du mal à financer leur propre cinéma, alors, comment mettre en place une subvention panafricaine ? ». Pour lui, c’est une longue route. L’annonce de ce fonds, en présence des ministres, « est un jour historique ». Plusieurs pays sont déjà engagés. Michel Ouédraogo, délégué général du Fespaco, a apporté aussi son soutien à la démarche et a donné rendez-vous à tous au Fespaco 2013.
Catherine Ruelle, journaliste à RFI, a rappelé qu'« il a fallu des années pour mettre en place un fonds d’aide européen pour le cinéma ». Elle a rappelé également, dans le passé, de nombreuses coproductions ou aides Sud-Sud, qui ont eu lieu de manières peu organisées, notamment entre l’Algérie et le Sénégal, le Burkina et le Mali, et a rappelé l’importance du Maroc, qui coproduit de nombreux films sur le continent.
Moustapha Mesnaoui, conseiller audiovisuel du Ministre de la culture du Maroc, a rendu hommage au travail mené par Noureddine Saïl, responsable du centre cinématographique marocain et a rappelé l’importance de la question de la diffusion et de la distribution des films.
Le réalisateur Imunga Ivanga, directeur de l’Institut Gabonais de l’Image et du Son, qui fut dirigé par Charles Mensah, promoteur de ce fonds, a souligné l’implication du Gabon dans des démarches panafricanistes. Des coproductions ont déjà eu lieu (avec le Cameroun, la Centrafrique, le Tchad, des discussions sont en cours avec l’Afrique du sud ; la coopération avec le Maroc reste une perspective, mais des contacts sont déjà établis en termes de formation ; il attend l’ouverture avec le Nigeria. « Les barrières linguistiques – avec les anglophones, les lusophones – ne sont pas des barrières infranchissables ».
Imunga Ivanga a évoqué également une préoccupation de conservation des films. « On peut prendre ce fonds comme un investissement. Il n’y a pas d’incompatibilité entre ce fonds et des politiques nationales. Le but n’est pas de rassembler tout le monde immédiatement, mais de donner une réalité collective à ce fonds, ce qui convaincra d’autres pays. Il faut quelques locomotives ».
Le représentant égyptien a déclaré qu’il ignorait l’existence de ce fonds. « Les Français sont restés trois ans en Égypte mais ils y ont laissé plus de traces que les Anglais qui sont restés soixante-dix ans ». Il a critiqué l’idée fausse selon laquelle l’Égypte ferait un cinéma commercial et n’aurait pas besoin d’aides. Le cinéma d’art souffre en Égypte.
Longue route ou arlésienne : qu’en pensent les cinéastes ?
La cinéaste algérienne Yamina Chouikh s'est dite «peinée que l’Algérie ne fasse pas partie de cette liste », mais elle a affirmé le soutien de ce projet de la part des cinéastes. Elle a rappelé que le panafricanisme a connu son heure de gloire en Algérie en 1969 : le Manifeste d’Alger appelait déjà de ses vœux un fonds d’aide panafricain pour le cinéma. Elle a évoqué les nombreuses coproductions menées par l’Algérie, en particulier durant les années 60 et 70. Cependant, le point de vue des cinéastes présents à Cannes est partagé entre espoir et pessimisme. On attend de voir. « C’est comme l’Arlésienne, tous les deux ans, on en parle ! » a glissé un cinéaste camerounais.
Mohamed Said-Ouma, cinéaste comorien et responsable de festival : « Les rêves sont toujours excitants, mais la réalité est plus lucide. On a l’impression que c’est le rêve panafricain des années soixante-dix que l’on remet au goût du jour. Si chaque État ne s’implique pas, je ne vois pas comment on peut forcer des États à s’impliquer dans un projet international. Pour moi, le cinéma est d’abord une affaire d’État, et pas de plusieurs États ». Le cinéaste ivoirien Philippe Lacôte, bénéficiaire d’une aide nationale, confirme : « Sur l’espoir panafricain, j’ai peu d’information...».
Mais l’espoir panafricain existe déjà à Cannes. Jean Odoutan, réalisateur et directeur du festival Quintessence au Bénin affirme « Cela permet de croiser les cinéastes et les réalisateurs. Souad Houssein, de la Francophonie, est venue au Bénin ; le Bénin soutient cette initiative. Je pense que ce fonds viendra compléter les aides existantes ». La comédienne ivoirienne Naky Sy Savané, présente dans plusieurs grands films africains (dont « Bal poussière » et « Moolaadé ») affirme : « C’est quelque chose que nous avons espéré depuis longtemps. Maintenant que le fonds est né, j’espère qu’il sera utilisé à bon escient pour l’avancement de notre cinéma ».
A noter, enfin, que l'Administrateur de l'OIF s'est engagé, lors de la réunion du 19 mai, sur une mise en route effective du fonds panafricain en 2013.
Caroline Pochon
Clap Noir