Le fonds d’aide au scénario (FADS) du festival d’Amiens : les projets africains à l’épreuve de la compétition internationale
Pourquoi si peu de films africains au festival d’Amiens et plus largement, dans les salles de cinéma ? On peut se tourner vers la question du scénario.
Le point de vue de Thierry Lenouvel
Le FADS (Fonds d’aide au développement du scénario), parrainé notamment par le CNC, l’OIF, le CCM (Centre du cinéma marocain) est un des temps forts du festival. Chaque année, vingt projets venus des quatre coins du monde sont présentés à l’oral, pour 5 bourses attribuées (quatre de 10.000 euros chacune, et une de 7.000).
Sur 100 projets accueillis par le fonds, 20 sont sélectionnés pour le « pitch », un grand oral solennel, qui se déroule pendant deux jours dans les bureaux lambrissés de la mairie d’Amiens, sous les regards exigeants de messieurs Gilles Duval, Georges Goldenstern, Gareth Jones, Martial Knaebel, Nour Eddine Saïl, et mesdames Anne Defendini, Marianne Dumoulin et Rosanna Seregni.
Des films comme Bamako, d’Abderrahmane Sissako ont bénéficié de ce premier coup de pouce, qui permet parfois à un projet de voir le jour sous de bons augures. Parmi quelques lauréats du fonds, citons également : Zulu Love Letter (Lettre d'amour zoulou), de Ramadan Suleman (2000, filmé réalisé en 2006), Daratt (Saison sèche) de Mahamat-Saleh Haroun (2003, film réalisé en 2006), ou encore, Sur la planche de Leïla Kilani (2007, film sorti en France en 2012). Comme on le voit, entre le début de l’écriture d’un film et sa sortie en salles, il peut s’écouler plusieurs années.
Thierry Lenouvel, fondateur de ce fonds d’aide à l’écriture, retrace pour nous l’esprit d’un tel dispositif et son évolution depuis sa création. « Nous avons été les premiers à créer une telle aide au développement, en France, en 1996. J’ai créé ce fonds, pour tenter de répondre à un manque dont j’avais fait le constat au festival de Montpellier, un festival du cinéma méditerranéen. Quelques années passées à promouvoir un cinéma qui a du mal à être montré m’ont fait arriver à deux constats. Un : inutile de donner « une médaille en chocolat » à un film, c’est à dire un prix dans un festival qui ne permettrait pas au film d’exister par la suite. Deux : un festival ne peut pas aider à la production des films. Il n’en a ni les moyens, ni le dispositif. En revanche, un festival peut soutenir les projets de film en amont. »
Autre constat : « il y a souvent des histoires très intéressantes mais... pas toujours bien « gaulées » au plan du scénario ! » C’est en participant à des discussions et des pitchs qu’il prend aussi conscience que les scénarios sont à des stades d’avancement très différents. « Certains pitchent - c’est à dire soutiennent à l’oral -, un projet dont le scénario est déjà écrit, même s’ils ne le disent pas... ils « traquent la prime » ! Tandis que d’autres ne font que commencer à écrire. C’est ainsi que se décide le premier critère du FADS, une bourse à l’écriture, en tenant compte des moyens : « Nous avons choisi de sélectionner des projets qui sont au stade du développement et non pas des scénarios déjà prêts à tourner. » Ces aides pouvant favoriser des rencontres, aider le cinéaste à se constituer un réseau de professionnels qui pourront l’accompagner dans le développement de son projet.
« J’ai alors rejoint le festival d’Amiens, fondé et dirigé jusqu’à très récemment par Jean-Pierre Garcia. C’est un festival proche dans l’esprit de celui de Montpellier, né dans l’esprit des droits de l’Homme et rendez-vous des cinémas du sud dès sa création, en 1984. Jean-Pierre Garcia a beaucoup oeuvré pour ce fonds. » A qui ouvrir ce fonds ? L’Afrique, l’Amérique Latine ? L’Asie ? La zone d’intervention du fonds se détermine rapidement, en fonction des bailleurs soutenant le projet. « Très vite, nous nous sommes «calés » sur la zone du Fonds Sud du Ministère des Affaires Etrangères, l’un de nos principaux partenaires. Et nous sommes peu à peu devenus une étape intermédiaire du Fonds Sud, aujourd’hui Cinéma du Monde ».
Thierry Lenouvel constitue alors une équipe fidèle. Il s’associe à des personnalités importantes du cinéma : Nour Eddine Saïl, à l’époque directeur de Canal horizon, aujourd’hui directeur du CNC marocain, Georges Goldenstern, responsable d’Arte France cinéma, qui s’occupe aujourd’hui de la Cinéfondation au festival de Cannes. « Ils sont présents dès le début et sont encore à mes côtés ». S’y ajoutent des personnes comme les productrices Marianne Dumoulin (JBA Production), Rosanna Seregni (Dream films), Garreth Jones (Scenario films), Martial Knaebel (Trigon Film), ou des partenaires liés à la Fondation GAN ou au Fonds Hubert Bals. Tous des professionnels que les candidats seront peut-être amenés à retrouver sur leur chemin et qui pourront les soutenir, d’une manière ou d’une autre. « Nous essayons de croiser nos subjectivités, dans la passion qui nous réunit. Le principe de est celui d’une convivialité. Le festival d’Amiens invite les réalisateurs du monde entier pour venir présenter leur projet. »
Les projets africains
Le Fonds d’aide au développement a reçu peu de projets venant de l’Afrique Noire, mais beaucoup venant du Maghreb, ce qui n’était pas le cas les autres années. Thierry Lenouvel, dirige le FADS depuis 18 ans explique : « Il y a quelques années, au début des années 2000, on a vu arriver une « vague » de projets argentins. C’était un pays en pointe, dans lequel les formations au cinéma sont très efficaces. Aujourd’hui, la Colombie a une cinématographie émergente étonnante. »
Géraldine Goldenstern, membre du comité de sélection de la bourse d’aide à l’écriture confirme cette analyse : « les projets que nous recevons d’Amérique Latine sont souvent de facture plus aboutie. La technique scénaristique est maîtrisée. Il y a tout de suite une dimension cinématographique dans les projets qu’on reçoit. » Selon elle, les écoles de cinéma, en Argentine ou au Mexique, forment bien au scénario et à la conception de projets. « Les cinéastes en devenir venant d’Amérique Latine sont habitués à pitcher leurs projets, à l’oral comme à l’écrit ».
Le diagnostic de Thierry Lenouvel à propos des projets africains est nuancé. «On dit toujours que l’Afrique est un parent pauvre. En fait, cela dépend des années. Ce que je peux dire, c’est que l’on demande des projets rédigés en français (essentiellement du fait de nos modestes moyens). Cela crée peut-être un barrage de langue. En tout cas, nous recevons principalement des projets venant de l’Afrique francophone. Nous ne recevons pas de projets nigérians, malgré l’existence d’une cinématographie riche au Nigéria. Mais on a reçu un beau projet du Kenya. On a aidé des projets venus d’Afrique du Sud, comme ceux de Ramadan Suleman.
Ce que je constate aussi, c’est l’apparition de nouveaux talents, de nouveaux noms. Il y a un petit renouveau, on sent une relève. Philippe Lacôte [réalisateur franco-ivoirien, ndlr], qui est venu défendre son film, cela fait du bien. Il défend son projet. Les nouveaux réalisateurs me semblent impliqués vis à vis de leur pays et engagés politiquement. Ce n’est plus le temps du « cinéma calebasse ».
Le spécialiste du scénario confie que les réalisateurs africains qui maîtrisent le mieux le langage cinématographique s’avèrent souvent avoir fait au moins leurs études en Angleterre, en France, ou aux Etats-Unis. « Déposer un dossier qui répond aux demandes, ce n’est pas toujours évident. Les projets venant d’Afrique noire sont parfois « légers », même si ce n’est pas homogène. Ceux venant d’Asie aussi. On voit certains projets venant de pays anglophones qui ont sans doute été traduits avec google, ce qui donne parfois des choses illisibles ! Au comité de sélection, on a parfois le sentiment de scénarios écrits pour la télévision et non des projets porteurs d’un regard cinématographique original. Ou encore, on lit des scénarios « à la manière de » (polar français, film d’auteur français...). Il semble difficile de garder son identité, tout en la traduisant de manière scénarisée, avec la distance nécessaire. »
Un jeu d’écriture...
Concernant les thèmes abordés, Géraldine Goldernstern analyse : « Les années précédentes, on a reçu des films sur les guerres civiles, le viol, les problèmes liés au Sida, aux maladies. Cette année, les projets semblent ancrés dans un quotidien contemporain, qu’il soit urbain ou villageois, avec des regards d’auteur sur la famille. Sans être du « film calebasse » pour autant : un projet kenyan aborde l’homosexualité féminine, par exemple ».
Comme pour le fonds Cinémas du Monde, qui a remplacé le Fonds Sud en 2012 (CNC, Ministère des Affaires Etrangères, Institut Français), les projets de long-métrage africains, doivent lutter avec leurs homologues asiatiques, latino-américains et français (avec une thématique ouverte sur le monde). Sur vingt candidats, seuls trois cinéastes d’Afrique noire concouraient cette année, Idriss Diabaté (Côte d’Ivoire), Gentille Assih (Togo) et Rungano Nyoni (Zambie). Les quatre prix ont été attribués à un Vénézuelien, une Syrienne, une Arménienne, un Indien vivant en France et à l’Ivoirien Idrissa Diabaté.
Ce dernier commente : « Obtenir ce prix me fait plaisir sur trois plans. D’une part, cet argent me permettra d’aller sur le terrain et de revenir à l’écriture. D’autre part, en tant que cinéaste francophone, puisque mon scénario est soutenu par l’OIF (l’organisation internationale de la francophonie) à travers le FADS, cela permet d’élargir le champ de mes possibles spectateurs, via la télévision ou via l’écran - pour les pays où il reste des écrans ! Et puis, j’ai été touché de voir Jean-Pierre Garcia. Je l’avais vu chercher des partenaires pour ce fonds depuis bien longtemps. En plus, j’ai trouvé la méthode de sélection, qui pour moi évite toute tricherie, d’abord lecture de projets par des lecteurs, puis rencontre avec le jury et défense du projet par le réalisateur. »
Il semble évident que l’écriture fait ici barrage : soit on passe la rampe d’une aide à l’écriture qui a des chances de déboucher sur une aide à la production (OIF, CNC, MAE), soit les difficultés à monter le projet peuvent s’avérer rédhibitoires et condamner un projet de film à faire « avec les moyens du bord »... Il semble donc impératif de rappeler à quel point l’écriture scénaristique, la maîtrise de ses codes et le travail de longue haleine qu’il nécessite, souvent à une étape non rémunérée, est le véritable « goulet d’étranglement » pour beaucoup de cinéastes africains. Cette bourse, trop rare initiative d’encouragement à l’étape cruciale de l’écriture, le montre bien. Même si un bon scénario ne fera pas forcément un bon film, un bon film émerge rarement d’un piètre scénario.
Géraldine Goldenstern travaille également au comité de sélection du fonds Images du Monde. Elle précise : « A l’étape du fond d’aide à l’écriture, on peut encourager un projet, même s’il ne maîtrise pas parfaitement la technique scénaristique, parce qu’on se dit que par la suite, il sera accompagné par un scénariste pour modeler ou moduler l’écriture en direction de la réalisation. A cette étape, contrairement à Images du Monde, on ne se pose pas encore la question de la faisabilité. Mais on apprécie déjà la précision ». Et il faut le rappeler, c’est sur le scénario qu’un film sera produit. C’est donc dès ce moment que beaucoup de choses se jouent.
L’écriture ne coûte rien : du temps, de la réflexion, du désir qui prend forme et s’écrit, se réécrit, de la sueur et des conflits à résoudre, à mettre en dialogues, à imaginer. Pour Géraldine Goldenstern, faire un film avec ces aides n’est pas la seule voie envisageable. Mais... « Le dilemme pour les réalisateurs, c’est que si l’on n’écrit pas, on n’obtient pas d’aides pour faire un film. Il y a donc un jeu d’écriture auquel il faut se contraindre, de manière professionnelle. Cela prend du temps et cela nécessite de bien s’entourer et de s’inscrire dans un processus de création qui ouvrira ensuite l’accès à la distribution et aux diffuseurs. »
Benoît Tiprez / Caroline Pochon
Clap Noir
www.clapnoir.org
pour Images Francophones
Les lauréats de la bourse du FADS 2013
- La famille, de Gustavo Rondon Cordova (Vénézuela)
Bourse attribuée par le CNAC (centre du cinéma vénézuelien)
- La cour de ma mère, de Idriss Diabaté (Côte d'Ivoire)
Bourse attribuée par l'OIF (organisation internationale de la francophonie)
- Mon tissu préféré, de Gaya Jiji (Syrie)
- Territoria, de Nora Martirosyan (Arménie)
et une bourse de 7000 euros au projet français :
Danse silencieuse, de Pradeepan Raveendran (France)
Photo : Une vue du FADS, Amiens 2013
© Jean-Marie Faucillon / FIFAM