"Le djassa a pris feu" à Berlin, Milan, New-York
Rencontre avec Philippe Lacôte, producteur du film « Le Djassa a pris feu » (sélectionné dans la section panorama de la Berlinale) et réalisateur de « Run », long-métrage en pré-production.
Philippe Lacôte est un producteur heureux. « On n’a pas à se plaindre » avoue-t-il à propos du film « Le djassa a pris feu », qui sera présenté à partir du 8 février à Berlin avant d’aller au festival de Milan, puis au New York African Film festival. Pour ce film atypique, la reconnaissance internationale a commencé en 2012 avec le Toronto Film Festival : « « Rasha Salti, programmatrice chargée de l’Afrique et du monde arabe nous a contactés pour nous demander trois films. C’est « Le Djassa » qui a été retenu sans doute parce qu’ils l’ont relié au slam. » Etonnant parcours pour ce « film d’urgence, inventé sans scénario ni repérage, avec une trame narrative écrite en dix jours », puis tourné sans budget et dont le réalisateur (Lonesome Solo, 27 ans, autodidacte) a, par la suite, quitté la Côte d’Ivoire pour tenter l’aventure à travers le désert ! Après avoir échoué dans sa tentative de passer en Europe à partir du Maroc, il s’est installé en Mauritanie. Une première version du « djassa » a été montée en 2009 grâce à une aide à la finition de 15 000 euros accordée par le Fonds francophone. Puis, le film a été repris en 2012 : nouveau montage et tournage de scènes additionnelles avec un narrateur au style inimitable, entre slam et founè (type de griot mandingue pratiquant l’art de la déclamation).
La force du film tient à la vérité des personnages. On se croirait, le plus souvent, dans un documentaire. Il est vrai que quelques figurants jouent plus ou moins leur propre rôle. Mais dans la plupart des scènes, on a bel et bien affaire à des comédiens qui se sont déjà produits au théâtre ou à la télévision. Tous manient avec aisance le nouchi, l’argot des banlieues populaires d’Abidjan (« une langue très vivante avec des mots qui s’inventent tous les jours » précise Philippe Lacôte, qui rappelle que cette langue était déjà présente dans « Bronx-Barbès » d’Éliane de Latour). L’action du « Djassa » (le ghetto, en nouchi) se situe à Wassakara, un quartier de Yopougon : Tony, alias « Dabagaou », et sa sœur Ange vivent sous le même toit que leur grand frère policier. Ce qui n’empêche pas Ange de s’adonner, entre deux petits larcins, à la prostitution. A l’insu du grand frère mais aussi de Tony. Lorsqu’un ancien client d’Ange accuse celle-ci de lui avoir volé son téléphone portable après une passe, Tony s’emporte et le poignarde, avant d’apprendre que l’homme disait vrai…
Le fait le plus curieux avec « Le djassa a pris feu », c’est que ce film d’auteur audacieux, qui plaît aux festivals, ravit tout autant le public populaire, à Abidjan et même à Dakar (le film a été projeté dans le réseau de projections itinérantes Mobiciné). En Côte d’Ivoire, le succès est tel que la sortie vidéo du film a dû être annulée, les pirates ayant pris de vitesse le producteur. Parmi les explications de de ce succès, Philippe Lacôte voit l’utilisation du nouchi, mais aussi cette « énergie de nouvelle vague » qui, pour lui, n’est pas sans rappeler les premières œuvres de Spike Lee, notamment « Boyz n the hood ».
Tout en suivant la carrière festivalière du film de Lonesome Solo, Philippe Lacôte se prépare à tourner des films dont le financement et le mode de production se situent à des années-lumière du « djassa ». « Toutes les expériences cinématographiques m’intéressent » explique-t-il. Pour comprendre cet éclectisme, un flashback s’impose : Philippe Lacôte a grandi à Abidjan avant de rejoindre la France pour des études supérieures, puis un début de carrière de journaliste de radio suivi d’une bifurcation vers le cinéma (collaboration avec l’association ATRIA d’Andrée Davanture et la société JBA Productions de Jacques Bidou). En 2006, après quelques courts-métrages, il retourne à Abidjan et tourne « Chroniques de guerre en Côte d'Ivoire », un documentaire qui sera diffusé en Allemagne par la ZDF.
Aujourd'hui, il se prépare à tourner (en avril 2013) le court-métrage de fiction « To Repel Ghosts » (Comment chasser les fantômes), produit par le Sud-Africain Steven Markovitz dans le cadre de la série « African Metropolis Short Film Project ». Le film s’inspire d’un voyage à Abidjan effectué par le peintre Jean-Michel Basquiat en 1986.
Le 15 juillet, débutera le tournage de « Run », premier long-métrage de Philippe Lacôte, co-produit par Wassakara Productions (Côte d’Ivoire) et Banshee Films (France) et soutenu par la Cinéfondation, le Jerusalem Film Lab, le Festival d’Amiens (bourse de développement de long-métrage), le CNC (aide à l’écriture, en attendant un passage en commission plénière pour l’avance sur recettes), la Francophonie, le FONSIC (Fonds de soutien à l’industrie cinématographique de Côte d’Ivoire), Arte et Canal Afrique. Philippe Lacôte a également présenté une demande de financement au programme ACP Cultures . Le budget définitif du film devrait se situer entre 1,2 et 1,8 millions d’euros. Philippe Lacôte définit le film comme un « polar politique ». L’histoire est celle d’un Jeune patriote qui, après avoir refusé de donner la mort pendant des années, finit par se déguiser en fou pour assassiner le Premier ministre de son pays. Cette scène ouvre le film, qui revient ensuite, sur les dix années de crise qu’a connues la Côte-d’Ivoire. « Ce n’est pas un questionnement sur qui a tort et qui a raison mais plutôt sur ‘’comment a-t-on basculé dans la violence ?’’ » Pour écrire ce scénario, Philippe Lacôte a exploité des éléments qu’il n’avait pu intégrer (« faute de preuves ») dans son documentaire « Chroniques de guerre ». Ses références ? Les films politiques de Raoul Peck, en particulier « L’homme sur les quais », et aussi ceux de Costa Gavras.
Quel degré de familiarité avec la crise ivoirienne faudra-t-il au public pour aborder le film « Run » ? Aucun, selon Philippe Lacôte, car, selon lui, « Le système politique en Afrique est très cru ; il permet de comprendre la politique partout. Voyez Copé et Fillon : s’ils avaient pu se tirer dessus… »
On verra dans « Run » Isaach de Bankolé mais aussi Abdoul Karim Konaté, l’acteur principal du « Djassa » mais aussi du premier film de Lonesome Solo, « Un cri dans le ghetto », long-métrage inachevé.
Au-delà de « Run », Philippe Lacôte a déjà d’autres projets. Un documentaire - soutenu par le Fonds francophone - sur le musicien Hass Keita, un ami d’enfance. Il produira également un documentaire de Melissa Thackway sur Nollywood, l’industrie nigériane du film, un phénomène qui l’intéresse « parce qu’il touche les populations, même s’il est snobé par une certaine intelligentsia culturelle ». Compte tenu du public et des conditions économiques en Afrique, pour Philippe Lacôte, « Il est plus cohérent de regarder vers Nollywood et de s’en inspirer pour faire autrement. Je trouve que c’est une bonne piste. ». Une piste qui rejoint sa préoccupation, déjà abordée avec « Le djassa » et « Run » : « inscrire des films urbains dans une esthétique de films de genre. »
Pierre Barrot (OIF)
Photo : Adelaïde Ouattara et Abdoul Karim Konaté dans Le djassa a pris feu.
La force du film tient à la vérité des personnages. On se croirait, le plus souvent, dans un documentaire. Il est vrai que quelques figurants jouent plus ou moins leur propre rôle. Mais dans la plupart des scènes, on a bel et bien affaire à des comédiens qui se sont déjà produits au théâtre ou à la télévision. Tous manient avec aisance le nouchi, l’argot des banlieues populaires d’Abidjan (« une langue très vivante avec des mots qui s’inventent tous les jours » précise Philippe Lacôte, qui rappelle que cette langue était déjà présente dans « Bronx-Barbès » d’Éliane de Latour). L’action du « Djassa » (le ghetto, en nouchi) se situe à Wassakara, un quartier de Yopougon : Tony, alias « Dabagaou », et sa sœur Ange vivent sous le même toit que leur grand frère policier. Ce qui n’empêche pas Ange de s’adonner, entre deux petits larcins, à la prostitution. A l’insu du grand frère mais aussi de Tony. Lorsqu’un ancien client d’Ange accuse celle-ci de lui avoir volé son téléphone portable après une passe, Tony s’emporte et le poignarde, avant d’apprendre que l’homme disait vrai…
Le fait le plus curieux avec « Le djassa a pris feu », c’est que ce film d’auteur audacieux, qui plaît aux festivals, ravit tout autant le public populaire, à Abidjan et même à Dakar (le film a été projeté dans le réseau de projections itinérantes Mobiciné). En Côte d’Ivoire, le succès est tel que la sortie vidéo du film a dû être annulée, les pirates ayant pris de vitesse le producteur. Parmi les explications de de ce succès, Philippe Lacôte voit l’utilisation du nouchi, mais aussi cette « énergie de nouvelle vague » qui, pour lui, n’est pas sans rappeler les premières œuvres de Spike Lee, notamment « Boyz n the hood ».
Tout en suivant la carrière festivalière du film de Lonesome Solo, Philippe Lacôte se prépare à tourner des films dont le financement et le mode de production se situent à des années-lumière du « djassa ». « Toutes les expériences cinématographiques m’intéressent » explique-t-il. Pour comprendre cet éclectisme, un flashback s’impose : Philippe Lacôte a grandi à Abidjan avant de rejoindre la France pour des études supérieures, puis un début de carrière de journaliste de radio suivi d’une bifurcation vers le cinéma (collaboration avec l’association ATRIA d’Andrée Davanture et la société JBA Productions de Jacques Bidou). En 2006, après quelques courts-métrages, il retourne à Abidjan et tourne « Chroniques de guerre en Côte d'Ivoire », un documentaire qui sera diffusé en Allemagne par la ZDF.
Aujourd'hui, il se prépare à tourner (en avril 2013) le court-métrage de fiction « To Repel Ghosts » (Comment chasser les fantômes), produit par le Sud-Africain Steven Markovitz dans le cadre de la série « African Metropolis Short Film Project ». Le film s’inspire d’un voyage à Abidjan effectué par le peintre Jean-Michel Basquiat en 1986.
Le 15 juillet, débutera le tournage de « Run », premier long-métrage de Philippe Lacôte, co-produit par Wassakara Productions (Côte d’Ivoire) et Banshee Films (France) et soutenu par la Cinéfondation, le Jerusalem Film Lab, le Festival d’Amiens (bourse de développement de long-métrage), le CNC (aide à l’écriture, en attendant un passage en commission plénière pour l’avance sur recettes), la Francophonie, le FONSIC (Fonds de soutien à l’industrie cinématographique de Côte d’Ivoire), Arte et Canal Afrique. Philippe Lacôte a également présenté une demande de financement au programme ACP Cultures . Le budget définitif du film devrait se situer entre 1,2 et 1,8 millions d’euros. Philippe Lacôte définit le film comme un « polar politique ». L’histoire est celle d’un Jeune patriote qui, après avoir refusé de donner la mort pendant des années, finit par se déguiser en fou pour assassiner le Premier ministre de son pays. Cette scène ouvre le film, qui revient ensuite, sur les dix années de crise qu’a connues la Côte-d’Ivoire. « Ce n’est pas un questionnement sur qui a tort et qui a raison mais plutôt sur ‘’comment a-t-on basculé dans la violence ?’’ » Pour écrire ce scénario, Philippe Lacôte a exploité des éléments qu’il n’avait pu intégrer (« faute de preuves ») dans son documentaire « Chroniques de guerre ». Ses références ? Les films politiques de Raoul Peck, en particulier « L’homme sur les quais », et aussi ceux de Costa Gavras.
Quel degré de familiarité avec la crise ivoirienne faudra-t-il au public pour aborder le film « Run » ? Aucun, selon Philippe Lacôte, car, selon lui, « Le système politique en Afrique est très cru ; il permet de comprendre la politique partout. Voyez Copé et Fillon : s’ils avaient pu se tirer dessus… »
On verra dans « Run » Isaach de Bankolé mais aussi Abdoul Karim Konaté, l’acteur principal du « Djassa » mais aussi du premier film de Lonesome Solo, « Un cri dans le ghetto », long-métrage inachevé.
Au-delà de « Run », Philippe Lacôte a déjà d’autres projets. Un documentaire - soutenu par le Fonds francophone - sur le musicien Hass Keita, un ami d’enfance. Il produira également un documentaire de Melissa Thackway sur Nollywood, l’industrie nigériane du film, un phénomène qui l’intéresse « parce qu’il touche les populations, même s’il est snobé par une certaine intelligentsia culturelle ». Compte tenu du public et des conditions économiques en Afrique, pour Philippe Lacôte, « Il est plus cohérent de regarder vers Nollywood et de s’en inspirer pour faire autrement. Je trouve que c’est une bonne piste. ». Une piste qui rejoint sa préoccupation, déjà abordée avec « Le djassa » et « Run » : « inscrire des films urbains dans une esthétique de films de genre. »
Pierre Barrot (OIF)
Photo : Adelaïde Ouattara et Abdoul Karim Konaté dans Le djassa a pris feu.