Le Cinef des femmes qui osent !
Entretien avec Clarisse Muvuba, directrice du festival Cinéma au Féminin (CINEF, Kinshasa)
Après une année et demie d'interruption, le festival Cinéma au Féminin Kinshasa (CINEF) fait son grand retour. Du 10 au 15 juillet prochain, la capitale congolaise va vibrer au rythme de cette grande rencontre cinématographique. Pour sa quatrième édition, le Cinef innove. Rencontre avec Clarisse Muvuba, directrice et initiatrice de l'événement.
Clarisse Muvuba, la semaine prochaine la quatrième édition du Cinef, Cinéma au Féminin que vous avez créé à Kinshasa reprend du service. Que pouvez-vous nous dire à propos de cette quatrième édition.
Comme vous le dites, le 10 juillet prochain nous allons lancer ici à Kinshasa la quatrième édition du Cinef [Festival du cinéma au féminin - Cinéf 2018]. Après une année et demie d'interruption, je suis heureuse de revenir avec une quatrième session qui se veut innovante bien qu'elle s'inscrive dans la continuité des précédentes éditions. Cette année nous avons mis l'accent sur la programmation. La production cinématographique sur le continent connaît un réel essor tant en matière de quantité que de qualité. Il est de notre devoir en tant que festival de mettre en lumière toutes ces productions. Le Cinef se veut être cette plateforme de promotion de nos productions mais aussi un espace d'analyse tant pour les films que les thématiques qu'ils mettent en exergue.
Justement, parlez-nous de votre programmation. Sur quoi avez-vous décidé de mettre l'accent cette année ?
Dès le départ, avec mon équipe, nous étions d'accord sur un point : montrer des films de qualité, des films qui poussent à la réflexion, qui remplissent des critères tant au niveau technique que narratif mais surtout des films faits par des femmes. Cela n'a pas été évident. Comme vous vous en doutez il est difficile de réunir tous ces critères. Nous avons dû faire des compromis, nous avons beaucoup discuté de la qualité des films et in fine je pense que nous sommes fières de notre programmation. Vous savez, au moment de l'appel à films, nous avons reçu énormément de films. J'en profite d'ailleurs pour remercier tous les réalisateurs qui nous ont envoyé leurs films. A un moment, il a été question de faire le tri. On produit beaucoup de films en Afrique mais nombreux d'entre eux ne sont pas aboutis. Un festival c'est aussi l'occasion de se rendre compte des failles dans nos productions et proposer des solutions pour pallier au manque ou rectifier parfois le tir.
Que proposez-vous concrètement au Cinef pour pallier à ce manque ?
En toute modestie, le Cinef ne se targue pas de pouvoir rectifier toutes les erreurs et autres soucis que rencontre l'industrie du cinéma en Afrique. Loin s'en faut ! Au Cinef, ce que nous proposons ce sont des ateliers, et encore je trouve que ce n'est pas assez faute de temps mais surtout de moyen ! Ceci dit, nous essayons de réunir quelques réalisateurs durant le festival et de leur prodiguer des conseils pendant les ateliers que nous proposons. De la première étape, c'est à dire, celle de faire un film, à la réalisation de ce dernier, le réalisateur a besoin d'être solidement encadré. Vous conviendrez avec moi que ce n'est pas en quatre voire cinq jours qu'on peut former tout le monde et avoir des résultats probants. Durant les ateliers, nous les invitons à venir avec leurs productions. L'idée est avant tout de parler des projets avec des réalisateurs et producteurs plus expérimentés. C'est conçu comme un moment d'échange et de réflexion visant à faire avancer les projets. Ensemble nous détectons ce qui ne va pas, ce qui aurait pu être fait et ce qui doit être fait pour améliorer le film. En quelques jours nous donnons des pistes de solution en espérant que cela puisse servir mais encore une fois faute de temps mais surtout de moyens cela n'est pas suffisant. Il nous faudrait plus de temps allouer à la formation, parce que croyez moi c'est là que le bât blesse !
Vous parlez de moyens pour la formation, quid des moyens pour organiser ce festival ?
Vous touchez une question sensible ! La culture souffre de ce manque. Ce moyen, c'est crucial et criant sur l'ensemble du continent. Je ne vous raconte pas les péripéties du Cinef. Ceci dit, je pense qu'il est réellement temps que nos États puissent mettre en place des politiques culturelles cohérentes et efficaces. Il est inadmissible et incompréhensible qu'encore aujourd'hui aucun fonds ne soit réellement alloué à la culture de manière efficiente. Dans mon pays, je ne compte pas le nombre d'initiatives qui méritent d'être soutenues mais rien ne se passe. La culture reste le parent pauvre de tous les gouvernements, c'est à se demander si nous, acteurs culturels, sommes les seuls à nous rendre compte du foisonnement au niveau culturel, tous secteurs confondus, qui ne demande qu'à être soutenu ! Du cinéma à la musique en passant par les arts plastiques, c'est tout le secteur qui ne demande qu'à être aidé et financé.
Revenons en au Cinef, quelles sont les nouveautés de cette quatrième édition ?
Comme je vous le disais en début d'entretien, nous avons décidé de donner un coup de neuf au festival. Cette année, nous avons des grands films comme Frontières de Apolline Traoré, qui a été primé au Fespaco, Ouaga girls de Theresa Traoré Dahlberg ou encore Maman Colonelle de Dieudo Hamadi. Ce sont des portraits de femmes fortes ! C'est ça le message de cette quatrième édition : parler des femmes fortes, celles qui osent !
En dehors de cela, la grande nouveauté c'est notre section jeunesse. Je suis indubitablement convaincue que nous devons initier les plus jeunes à la lecture des images et les familiariser avec nos propres productions. C'est pour cette raison que nous avons programmé des films comme Petite lumière d'Alain Gomis, Mines de rien de Douglas Masamuna [Ntimasiemi] qui parle du travail des enfants dans les mines au Katanga, un sujet ô combien sensible ou encore Petits métiers à Kinshasa de Sébastien Maitre. Il est important que les jeunes générations puissent voir des films qui se font chez eux et dont les héros sont des personnes qui leur ressemblent.
Ensuite, nous avons essayé de concevoir des ateliers thématiques qui touchent à des thèmes comme les parcours migratoires des femmes, l'albinisme et ses stéréotypes ou encore le cheveu afro. Le dénominateur commun de tous ces ateliers c'est de pouvoir ouvrir le débat sur des thématiques qui peuvent parfois encore être sensibles peu importe l'endroit du globe où l'on se trouve.
Que peut-on vous souhaiter à quelques jours du Cinef ?
(Rires) Que tout puisse se passer comme nous l'avons conçu.
Propos recueillis par Wendy BASHI
Africiné Magazine, Bruxelles
pour Images Francophones
Image : Clarisse Muvuba, directrice du Festival du cinéma au féminin - Cinéf 2018
Crédit : DR