Laurence Gavron tourne son premier long métrage fiction
"L'histoire de ce film, c'est celle de la violence faite aux femmes".
En plein tournage pour son premier long métrage fiction, Laurence Gavron a accepté de répondre à nos questions en rapport à son film et au cinéma en général. Celle qui souligne qu'elle est Sénégalaise d'origine française, "issue de la diversité" selon l'expression consacrée en France, a aussi écrit des romans. Elle vit au Sénégal depuis trente ans et y réside depuis quinze ans. A son compte, beaucoup de documentaires sur le patrimoine culturel sénégalais, le chanteur Ndiaga Mbaye, le cinéaste Djibril Diop Mambéty, les musiciens cap-verdiens de Dakar, la communauté sénégalo-vietnamienne. Son dernier film, qui est son premier long-métrage fiction, est une adaptation d'un de ses livres intitulé "Hivernage " (paru en 2009, aux éditions Le Masque / JC Lattès) dont il porte le même nom.
Un regard sans fard sur les tares et les combats
De quoi parle ce film ?
Ce sera un long-métrage entre 70 et 80 minutes qui s'appelle Hivernage. L'histoire de ce film, c'est celle de la violence faite aux femmes comme on en voit tous les jours dans les articles de faits divers publiés par les journaux. C'est une jeune femme qui épouse un émigré qui retourne vivre en Italie. Elle va aller vivre dans la maison de sa belle famille à la Médina - je ne vais pas tout révéler - mais elle est très mal traitée. C'est une espèce de drame social et familial comme on en voit ici au Sénégal, dans la réalité. Je crois que c'est partout.
C'est donc un film sur la condition de la femme sénégalaise ?
Ça ne concerne pas évidemment toutes les femmes. Il y a certains problèmes qui existent à la fois, c'est-à-dire les femmes qui sont seules, les maris partis à l'étranger. Les femmes qui sont utilisées par leurs belles familles comme des bonnes à tout faire ; il y a aussi les viols, etc.
N'êtes vous pas en train de parler dans votre film de la structure familiale sénégalaise telle qu'elle est et telle qu'elle devrait être ?
Je ne pense pas que ça soit la structure familiale. C'est plusieurs choses : le fait que beaucoup d'hommes partent à l'étranger ; que; et puis aussi toutes ces valeurs parfois mal comprises comme le "maslaa" ["compromis", en wolof, ndlr] qui est le fait qu'on lave le linge sale en famille et que des choses ne sont pas dites. C'est souvent beaucoup d'hypocrisie, je pense. On lit toujours dans la presse des problèmes de viols, des problèmes d'abus, etc, dont les gens ne veulent pas parler parce qu'on préfère garder ça en famille. C'est grave, parce qu'il y a de l'impunité.
De l'idée au tournage
Comment s'est déroulé le casting ?
Il s'est bien déroulé. On a trouvé tous les acteurs, entre autres, l'actrice principale qui devait être une jeune femme pas connue dans le monde des actrices, avec pas mal de personnalité. J'ai donc trouvé une jeune fille formidable qui joue bien, qui est de très bonne constitution, qui est travailleuse. Sinon on a beaucoup d'acteurs ; certains sont professionnels, d'autres nouveaux.
Pour le tournage, vous avez déjà été à la Médina ; vous avez aussi filmé certains endroits de Dakar. Et là, vous êtes en partance pour Thiès. Expliquez-nous un peu le choix des lieux…
En fait l'histoire se passe entre le village d'origine de l'actrice principale et la ville où elle vient habiter après le mariage. Là c'est juste un moment dans le film où elle retourne au village. Nous sommes à la gare routière Baux Maraîchers et elle va prendre le "7 places" (taxi-brousse) pour y aller.
Le tournage va durer combien de temps ?
Il est presque terminé, mais il a duré quatre bonnes semaines.
A combien s'élève le budget ?
Pour le savoir, faudra voir avec le producteur [Moctar Ndiouga Bâ, Médiatik Communication, en association avec Jean-Marc Giri, Veilleur de Nuit, ndlr]. On a reçu du FOPICA 80 millions de Fcfa qui nous permet de tourner et de commencer le montage. Après, on va s'arrêter pour chercher de l'argent ailleurs, en France etc. pour pouvoir faire la post-production.
État du cinéma national
Maintenant, je voudrais que l'on parle un peu du cinéma sénégalais. L'on constate que depuis quelques années, il collectionne les succès. Quel commentaire vous en avez ?
Moi je pense qu'il y a beaucoup de gens dans le cinéma sénégalais qui ont du talent et qui reçoivent des prix à l'image d'Alain Gomis, et aussi de mon amie Dyana Gaye qui fait de très beaux films et beaucoup d'autres moins connus qui font des documentaires, des court-métrages. Je pense que c'est assez vivant. Il y a un nid d'auteurs et que ça va se développer. Maintenant ce que je trouve dommage, c'est le fait que les gens ne peuvent pas voir des films. Ensuite du point de vue formation, il n'y a que de petites écoles. C'est cela le problème ; parce que pour devenir cinéaste, il faut en grande partie avoir vu beaucoup de films. Les gens voient de moins en moins de films et surtout de bons films. Ce ne sont pas les séries télé qui vont les pousser à faire de bons films. Il faut une culture cinématographique de base. C'est dommage ! En même temps, c'est facile aujourd'hui parce qu'il y a plein de choses sur internet.
Il y a Ousmane William Mbaye qui a obtenu plusieurs fois des prix pour ses documentaires. C'est vrai que le FOPICA, c'est formidable parce qu'on s'est battu pendant de années pour l'avoir. Grâce à ce fonds, beaucoup de films peuvent se faire. Des films qui avaient du mal à voir le jour. Je crois que c'est important pour le cinéma qui d'ailleurs crée beaucoup de métiers.
Certains pensent qu'avant de financer la production, il fallait commencer par construire des salles de cinéma. Etes vous de cet avis ?
Mêmes si on les construisait, je me demande si les gens iront au cinéma. Au contraire du Sénégal, dans plein de pays, les gens vont encore au cinéma. A Dakar, le peu de films que l'on peut voir, c'est à l'Institut Français et paradoxalement, quand j'y vais, je ne vois pas les cinéastes sénégalais. Je suis étonnée parce que je pense qu'ils devraient y aller. Après, il y a d'autres endroits comme le Sea Plaza, mais ça coûte très cher, n'étant pas accessible à tout le monde. Parallèlement, pour qu'on ait une vraie industrie, il faudrait construire des salles à des prix abordables avec des films récents à projeter. Et aussi que nos télévisions passent les films africains. Ces télés disent ne pas avoir les moyens d'acheter nos films ; enfin, c'est ce qu'elles disent. Du coup, il y a un problème quelque part. Je ne sais pas si c'est parce qu'elles n'ont pas d'argent ou qu'elles ne veulent pas en dépenser pour acheter des films africains. Mais, si les télévisions africaines elles-mêmes ne montrent pas les films africains, où est-ce qu'on aller voir ceux-ci ?
La formation et l'écho international
Au Sénégal, il n'y a pas vraiment des écoles de cinéma de renommée. Que préconisez-vous à l'Etat pour ce qui est de la formation ?
Il faut dire qu'il y a quelques initiatives. A l'Université de Saint-Louis, il y a un master qui se fait en partenariat avec un institut français. Il faudrait que dans les facultés qu'il y ait des départements cinéma. Il y a le Média Centre qui est une petite école qui aide quand même à former des gens. Il y en a une autre - je ne sais plus comment ça s'appelle [SUP'I MAX, Dakar, Ndlr] - où enseignent Christian Thiam et autres. Après, il y a une bonne école à Marrakech ; il y a des Sénégalais qui réussissent à aller là-bas. De façon générale, pour la musique, pour ce qui est artistique, culturel, il faut créer des écoles. On ne peut pas former que sur le tas. La formation fait partie des choses de base.
Quel regard vous posez sur le cinéma africain ? Il n'est pas très représentatif au plan mondial…
Déjà si l'on voit bien, en Afrique, les pays ont déjà du mal à collaborer avec eux. Moi je pense que quand un film est bon, il pourra aller dans plusieurs festivals. Les films de Dyana Gaye, ceux d'Ousmane William Mbaye sont montrés partout. Je pense qu'il y a un problème de fond, de formation et de culture cinématographique. Quand on est producteur et qu'on fait des films qui sont bons, ils sont regardés partout. Oumar Sall a eu un film à Berlin [Félicité, réalisé par Alain Gomis, ndlr], un autre au festival du court métrage [à Clermont-Ferrand, Xale bu rerr / Un enfant perdu, réalisé par Abdou Khadir Ndiaye, ndlr]. Personne n'est contre l'Afrique. Au contraire, les festivals sont en demande. Il faut avoir les moyens, faire de bons films qui soient compétitifs.
Entretien réalisé par Bassirou NIANG
Dakar, Africiné Magazine
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
Image : La cinéaste Laurence Gavron, entourée par une partie de l'équipe technique, sur le tournage de son film Hivernage.
Crédit : DR
Un regard sans fard sur les tares et les combats
De quoi parle ce film ?
Ce sera un long-métrage entre 70 et 80 minutes qui s'appelle Hivernage. L'histoire de ce film, c'est celle de la violence faite aux femmes comme on en voit tous les jours dans les articles de faits divers publiés par les journaux. C'est une jeune femme qui épouse un émigré qui retourne vivre en Italie. Elle va aller vivre dans la maison de sa belle famille à la Médina - je ne vais pas tout révéler - mais elle est très mal traitée. C'est une espèce de drame social et familial comme on en voit ici au Sénégal, dans la réalité. Je crois que c'est partout.
C'est donc un film sur la condition de la femme sénégalaise ?
Ça ne concerne pas évidemment toutes les femmes. Il y a certains problèmes qui existent à la fois, c'est-à-dire les femmes qui sont seules, les maris partis à l'étranger. Les femmes qui sont utilisées par leurs belles familles comme des bonnes à tout faire ; il y a aussi les viols, etc.
N'êtes vous pas en train de parler dans votre film de la structure familiale sénégalaise telle qu'elle est et telle qu'elle devrait être ?
Je ne pense pas que ça soit la structure familiale. C'est plusieurs choses : le fait que beaucoup d'hommes partent à l'étranger ; que; et puis aussi toutes ces valeurs parfois mal comprises comme le "maslaa" ["compromis", en wolof, ndlr] qui est le fait qu'on lave le linge sale en famille et que des choses ne sont pas dites. C'est souvent beaucoup d'hypocrisie, je pense. On lit toujours dans la presse des problèmes de viols, des problèmes d'abus, etc, dont les gens ne veulent pas parler parce qu'on préfère garder ça en famille. C'est grave, parce qu'il y a de l'impunité.
De l'idée au tournage
Comment s'est déroulé le casting ?
Il s'est bien déroulé. On a trouvé tous les acteurs, entre autres, l'actrice principale qui devait être une jeune femme pas connue dans le monde des actrices, avec pas mal de personnalité. J'ai donc trouvé une jeune fille formidable qui joue bien, qui est de très bonne constitution, qui est travailleuse. Sinon on a beaucoup d'acteurs ; certains sont professionnels, d'autres nouveaux.
Pour le tournage, vous avez déjà été à la Médina ; vous avez aussi filmé certains endroits de Dakar. Et là, vous êtes en partance pour Thiès. Expliquez-nous un peu le choix des lieux…
En fait l'histoire se passe entre le village d'origine de l'actrice principale et la ville où elle vient habiter après le mariage. Là c'est juste un moment dans le film où elle retourne au village. Nous sommes à la gare routière Baux Maraîchers et elle va prendre le "7 places" (taxi-brousse) pour y aller.
Le tournage va durer combien de temps ?
Il est presque terminé, mais il a duré quatre bonnes semaines.
A combien s'élève le budget ?
Pour le savoir, faudra voir avec le producteur [Moctar Ndiouga Bâ, Médiatik Communication, en association avec Jean-Marc Giri, Veilleur de Nuit, ndlr]. On a reçu du FOPICA 80 millions de Fcfa qui nous permet de tourner et de commencer le montage. Après, on va s'arrêter pour chercher de l'argent ailleurs, en France etc. pour pouvoir faire la post-production.
État du cinéma national
Maintenant, je voudrais que l'on parle un peu du cinéma sénégalais. L'on constate que depuis quelques années, il collectionne les succès. Quel commentaire vous en avez ?
Moi je pense qu'il y a beaucoup de gens dans le cinéma sénégalais qui ont du talent et qui reçoivent des prix à l'image d'Alain Gomis, et aussi de mon amie Dyana Gaye qui fait de très beaux films et beaucoup d'autres moins connus qui font des documentaires, des court-métrages. Je pense que c'est assez vivant. Il y a un nid d'auteurs et que ça va se développer. Maintenant ce que je trouve dommage, c'est le fait que les gens ne peuvent pas voir des films. Ensuite du point de vue formation, il n'y a que de petites écoles. C'est cela le problème ; parce que pour devenir cinéaste, il faut en grande partie avoir vu beaucoup de films. Les gens voient de moins en moins de films et surtout de bons films. Ce ne sont pas les séries télé qui vont les pousser à faire de bons films. Il faut une culture cinématographique de base. C'est dommage ! En même temps, c'est facile aujourd'hui parce qu'il y a plein de choses sur internet.
Il y a Ousmane William Mbaye qui a obtenu plusieurs fois des prix pour ses documentaires. C'est vrai que le FOPICA, c'est formidable parce qu'on s'est battu pendant de années pour l'avoir. Grâce à ce fonds, beaucoup de films peuvent se faire. Des films qui avaient du mal à voir le jour. Je crois que c'est important pour le cinéma qui d'ailleurs crée beaucoup de métiers.
Certains pensent qu'avant de financer la production, il fallait commencer par construire des salles de cinéma. Etes vous de cet avis ?
Mêmes si on les construisait, je me demande si les gens iront au cinéma. Au contraire du Sénégal, dans plein de pays, les gens vont encore au cinéma. A Dakar, le peu de films que l'on peut voir, c'est à l'Institut Français et paradoxalement, quand j'y vais, je ne vois pas les cinéastes sénégalais. Je suis étonnée parce que je pense qu'ils devraient y aller. Après, il y a d'autres endroits comme le Sea Plaza, mais ça coûte très cher, n'étant pas accessible à tout le monde. Parallèlement, pour qu'on ait une vraie industrie, il faudrait construire des salles à des prix abordables avec des films récents à projeter. Et aussi que nos télévisions passent les films africains. Ces télés disent ne pas avoir les moyens d'acheter nos films ; enfin, c'est ce qu'elles disent. Du coup, il y a un problème quelque part. Je ne sais pas si c'est parce qu'elles n'ont pas d'argent ou qu'elles ne veulent pas en dépenser pour acheter des films africains. Mais, si les télévisions africaines elles-mêmes ne montrent pas les films africains, où est-ce qu'on aller voir ceux-ci ?
La formation et l'écho international
Au Sénégal, il n'y a pas vraiment des écoles de cinéma de renommée. Que préconisez-vous à l'Etat pour ce qui est de la formation ?
Il faut dire qu'il y a quelques initiatives. A l'Université de Saint-Louis, il y a un master qui se fait en partenariat avec un institut français. Il faudrait que dans les facultés qu'il y ait des départements cinéma. Il y a le Média Centre qui est une petite école qui aide quand même à former des gens. Il y en a une autre - je ne sais plus comment ça s'appelle [SUP'I MAX, Dakar, Ndlr] - où enseignent Christian Thiam et autres. Après, il y a une bonne école à Marrakech ; il y a des Sénégalais qui réussissent à aller là-bas. De façon générale, pour la musique, pour ce qui est artistique, culturel, il faut créer des écoles. On ne peut pas former que sur le tas. La formation fait partie des choses de base.
Quel regard vous posez sur le cinéma africain ? Il n'est pas très représentatif au plan mondial…
Déjà si l'on voit bien, en Afrique, les pays ont déjà du mal à collaborer avec eux. Moi je pense que quand un film est bon, il pourra aller dans plusieurs festivals. Les films de Dyana Gaye, ceux d'Ousmane William Mbaye sont montrés partout. Je pense qu'il y a un problème de fond, de formation et de culture cinématographique. Quand on est producteur et qu'on fait des films qui sont bons, ils sont regardés partout. Oumar Sall a eu un film à Berlin [Félicité, réalisé par Alain Gomis, ndlr], un autre au festival du court métrage [à Clermont-Ferrand, Xale bu rerr / Un enfant perdu, réalisé par Abdou Khadir Ndiaye, ndlr]. Personne n'est contre l'Afrique. Au contraire, les festivals sont en demande. Il faut avoir les moyens, faire de bons films qui soient compétitifs.
Entretien réalisé par Bassirou NIANG
Dakar, Africiné Magazine
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
Image : La cinéaste Laurence Gavron, entourée par une partie de l'équipe technique, sur le tournage de son film Hivernage.
Crédit : DR