La Tunisie à Cannes
Une participation contre vents et marées.
Il s'en est fallu de très peu pour que la Tunisie ne soit pas présente au festival de Cannes 2012. Si les voies de Dieu sont impénétrables, celles de Cannes ne le sont pas moins. Elles sont surtout assez multiples pour que chacun puisse - d'une façon ou d'une autre - s'y retrouver. Les trois longs métrages proposés au festival n'ayant été pris dans aucune des sections, il ne restait que les voies officielles pour que la Tunisie prenne part au rendez-vous le plus important du cinéma mondial. Outre l'effort étatique, il y avait une chance supplémentaire pour que de jeunes tunisiens fassent leur pèlerinage à la Mecque du cinéma : celle de la coopération française, à travers le Pavillon des Cinémas du Monde. Toujours est-il la question fondamentale qui reste sans réponse est celle de la force du septième art tunisien. Que les institutions, quelles qu'elles soient, se mettent au service d'une quelconque présence cela n'a pas de rapport concret, avec ce qui se fait sous nos cieux comme images.
La Tunisie a eu son pavillon à Cannes in extremis. Quelques semaines avant l'ouverture du festival, un débat très animé a eu lieu entre le syndicat des producteurs tunisiens d'une part et le ministère de tutelle. L'un défendait la nécessité de ne pas rompre avec cette tradition initiée il y a cinq ans; l'autre faisait valoir le contexte difficile par lequel le pays est en train de passer, en plus de l'absence de résultats concrets qui étaient en vain attendus des participations passées. A cela s'ajoute le fait qu'aucun des trois films tunisiens proposés au festival n'ait été retenu. Il s'agissait de Mille feuilles de Nouri Bouzid, Dégage de Mohamed Zran, Nessma de Houmeïda Béhi.
La voie de la sélection officielle n'ayant pas abouti, celle de la participation institutionnelle ayant failli ne pas avoir lieu non plus, la Tunisie aurait pu se trouver en hors-jeu. Pire encore, les Tunisiens se seraient trouvés en dépendance de la seule voie des services de l'ambassade de France, une petite ouverture que le Ministère Français des affaires étrangères utilise pour canaliser les énergies créatives des pays du Sud à travers son réseau d'Instituts de Coopération. Il s'en est fallu de très peu qu'on ne se trouve dans le scénario classique de l'absence d'effort national soutenant nos créateurs et de sa substitution par le repêchage d'instances étrangères de quelques heureux élus, qui ne sont pas nécessairement toujours les meilleurs. Mais ce mal a été évité de justesse, lorsque le Ministère est revenu à la raison et a doté les professionnels de moyens pour garantir leur présence, grâce d'abord à un effort national.
Ceci est le minimum pour un pays qui se veut visible et pour rendre aux créateurs le service le plus élémentaire. Le reste, c'est aux créateurs eux-mêmes de le compléter par leur propre énergie. Un Etat de droit est au service de sa culture en créant, dans la plus grande neutralité, les conditions de sa promotion et de son développement.
C'est dans ce cadre que s'inscrivait peut-être aussi la participation de la Tunisie au projet de création d'un fonds panafricain d'aide à la production soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et qui sera hébergé par la Tunisie. Ce fonds qui vient au soutien de sa sœur aînée, la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) est supposé être un outil supplémentaire de financement pour les projets de films africains.
Mahdi Mabrouk, Ministre tunisien de la Culture et de la sauvegarde du patrimoine, a bien pris part à cette rencontre mais les mécanismes de la mise en place de ce fonds ainsi que surtout ceux de son fonctionnement font encore l'objet d'interrogations sérieuses quant à leur efficacité et leur impact réel sur la production du continent noir.
Reste à se demander d'ailleurs à quel point cette participation a servi d'argument pour que la Tunisie ait son pavillon à Cannes en 2012. Dans ce cas, l'administration n'aura pas encore rompu avec la tradition des initiatives qui cultivent les apparences politiciennes, au lieu de développer une vraie politique de la culture. Une politique culturelle devrait être mise au service du talent tunisien, loin des calculs partisans. Les cinéastes tunisiens n'ont que trop souffert d'être forcés de courber l'échine face à un système de censure qui ne leur laissait pas d'alternative à la marginalisation et à la castration.
Que des films tunisiens figurent dans les autres allées du labyrinthe cannois n'est qu'un plus. Le pavillon des Cinémas du Monde, une initiative de la diplomatie française essentiellement, mais soutenue par différentes institutions et organisations inter-gouvernementales comme celle de la francophonie, a fait cette année place à la Tunisie. Le jeune réalisateur Majdi Lakhdar - accompagné de son jeune producteur, Mohamed Ali Ben Hamra (Polimovie International Pictures, Tunisie) - a participé avec son projet de long métrage Please Yourself with the Worst (Contente-toi du pire) à la Fabrique du pavillon. Il s'agit d'un atelier qui regroupe 10 projets venant du Sud qui ont l'opportunité de chercher des possibilités de développement en termes d'écriture et de financement profitant de l'extraordinaire énergie qui anime le festival. On ne peut dire que ces deux jeunes Tunisiens n'aient pas de la chance sachant que leur projet a été retenu parmi 150 qui ont été proposés à la commission de sélection. Si les chevronnés se sont vus refuser la grande voie traditionnelle, les plus jeunes se voient là peut-être ouvrir la voie libre pour entrer dans le monde du succès par une "moins grande" porte.
Ailleurs, d'autres jeunes font aussi leurs chemins lentement mais surement. Loin du glamour et loin des initiatives de soutien institutionnel, certains essaient de se défendre dans un champ plus difficile dans le monde du cinéma, celui des affaires. Si les honneurs de la sélection officielle sont l'apparence du festival de Cannes, le marché du film est la partie immergée de l'iceberg. C'est là que se joue l'essentiel des tractations vitales pour le septième art. Dans ce cadre, plusieurs cinéastes tunisiens ont tenté leur chance dans le Short Film Corner, un espace de commercialisation des courts métrages. Il s'agit entre autres de Walid Mattar, Mustapha Teïb, Hassen Amri et Hazem Berrabah.
En l'absence d'une sélection officielle, la présence des professionnels tunisiens à un tel événement cinématographique est vitale. Aucune instance officielle ne décide des choix d'un festival comme celui de Cannes. Par contre, ce qui est nécessaire c'est de profiter des entrées multiples qu'il offre pour permettre aux professionnels de se positionner par rapport aux réseaux mondiaux et pouvoir sortir de leur isolement, faire évoluer leur projets tout en s'inscrivant dans une dynamique mondiale.
La Tunisie passe par une période exceptionnelle de tous points de vue. Après une année 2011 particulièrement difficile pour ce qui est du cinéma, l'année 2012 est un vrai test pour le septième art dans le pays. Les Journées Cinématographiques de Carthage sont prévues pour bientôt, la production nationale aurait atteint un chiffre honorable de 12 longs métrages et de plusieurs dizaines de courts. Comment faire face à de tels défis, dans un contexte social et politique au bord du chaos ? Certes pas en créant des conditions supplémentaires de frustration. La Tunisie nouvelle devrait utiliser le peu de moyens dont elle dispose au service de la libération des talents. C'est là qu'il faudra investir pour le long terme, sinon on ratera encore le coche et on devra attendre un autre rendez-vous avec l'histoire. Mais n'a-t-on pas assez attendu jusqu'à maintenant !!!
par Hassouna Mansouri
Africiné (Amsterdam)
Légende photo :
M. Mahdi Mabrouk, Ministre tunisien de la Culture et de la sauvegarde du patrimoine, à la droite du cinéaste sénégalais Moussa Touré, parrain du Fonds Panafricain du Cinéma et de l'Audiovisuel (FPCA), à Cannes.
Photo prise par Mohamed Boughalleb.