La série qui révolutionne les télévisions arabes
« Abwab al Khouf » (Les portes de la peur), de l'Égyptien Ahmed Khaled, est la première série d'horreur diffusée dans le monde arabe. Son auteur est un peintre reconnu.
Parmi les curiosités présentées au festival de Rotterdam, figure une série télévisée égyptienne conçue et réalisée par un peintre diplômé de la Faculté des Beaux-Arts de l’université Helwan du Caire. Peut-on être à la fois un artiste reconnu (dans les domaines de la peinture, de la photographie et de l’art-vidéo) et l’auteur de séries télévisées populaires ? Peut-on concilier esthétique et finesse avec les codes si particuliers du film d’épouvante ? Ahmed Khaled montre que c’est possible, avec une série de 15 épisodes (« Abwab al Khouf » : Les portes de la peur) que le public du 41è festival de cinéma de Rotterdam a découverte avec étonnement.
Un seul épisode (« El Naddaha ») a été projeté aux Pays-Bas, dans le cadre d’une sélection de courts-métrages égyptiens, mais tous les autres peuvent être visionnés en flux sur plusieurs sites internet (notamment Daily motion et You Tube). « El Naddaha » raconte l’histoire d’un jeune médecin envoyé, pour son stage de fin d’études, dans un lointain village où l’ignorance et la superstition font bon ménage. Après la noyade d’un étranger de passage, dont la mort inexplicable succède à plusieurs autres, le médecin change d’attitude. Les récits extravagants des villageois ne le font plus sourire, ils l’exaspèrent. Leurs histoires d’ensorceleuse qui attire les hommes pour mieux les noyer dans les eaux du Nil se heurtent à son esprit rationaliste. Pourtant, le mythe de l’ensorceleuse lui inspire des cauchemars de plus en plus violents, et lui procure même des hallucinations. Lorsque le cheikh du village prétend lui infliger une séance d’exorcisme, le docteur s’emporte et rejette toute idée de phénomène surnaturel ou simplement paranormal. Mais, dans la nuit, c’est bien l’appel de l’ensorceleuse qui va le conduire au bord du fleuve…
La série « Les portes de la peur » est présentée comme la première série d’épouvante jamais diffusée dans le monde arabe. On aurait pu s’attendre à une esthétique kitsch et à de lourds effets spéciaux, le genre « film d’horreur » n’étant réputé, généralement, ni pour sa subtilité, ni pour son raffinement.
Mais Ahmed Khaled (qui avoue n’avoir aucun goût particulier pour les films d’horreur) a produit, en réalité, une série de contes fantastiques où l’on s’attache non seulement aux histoires mais aussi à la beauté des images (éclairages soignés, décors et costumes dignes d’une production cinématographique), au jeu des comédiens (on trouve dans l’épisode « El Naddaha » une étonnante palette de caractères allant du plus sobre au plus burlesque) et à la mise en scène, souvent brillante (mais jamais tape-à-l’œil).
L’un des nombreux mérites de la série « Abwab al khouf » est de montrer que liberté, inventivité, audace et ambition artistique peuvent parfois être conciliés avec un format extrêmement codifié et un mode de production conforme aux standards internationaux : à partir des idées d’Ahmed Khaled, la série est passée par l’étape obligée des ateliers d’écritures, avec intervention de neuf scénaristes différents.
Quant à sa diffusion, elle n’a rien à envier aux séries les plus commerciales de l’industrie audiovisuelle égyptienne. « Les portes de la peur » sont programmées notamment sur la chaîne saoudienne MBC. Ce diffuseur a tout de même exigé quelques coupes : le chanvre indien et la bière, réconforts « naturels » de certains personnages en proie à l’angoisse, ont été pudiquement éliminés, alors que ces mêmes accessoires, comme le fait remarquer Ahmed Khaled, ne gênent nullement les censeurs lorsqu’ils apparaissent dans les séries occidentales diffusées par MBC.
Pierre Barrot
Pour en savoir plus :
www.ahmedkhaled.com
http://www.alkarma.com/abwab.asp
Ahmed Khaled, sur Africiné