La production de courts-métrages en Afrique
Tour d'horizon au Festival de Clermont-Ferrand, avec 21 films africains sélectionnés et 14 réalisateurs présents
Le 34e Festival International du Court-métrage de Clermont-Ferrand (France) est le rendez-vous mondial des professionnels du court-métrage. Avec 21 films africains sélectionnés et 14 réalisateurs présents, l'édition 2012 a couronné (prix SACD et prix ACSE) Mollement un samedi matin, film franco-algérien de Sofia Djama concourant en catégorie nationale.
« Alors que le monde entier célébrait les 100 ans du cinéma, le Tchad est entré pour la première fois en compétition à Clermont-Ferrand avec mon film Maral Tanié en 1995 » énonçait le réalisateur Mahamat-Saleh Haroun lors de la cérémonie d'ouverture du 27 janvier 2012.
Membre du jury international de cette 34e édition, le réalisateur d'Abouna et Daratt explique son désir de « prendre des leçons de la jeunesse » en vue de la création d'une école de cinéma d'ici 2014, grâce à la coquette somme d'1.800.000 € (1.180.722.600 FCFA) que le gouvernement de son pays lui a confiée.
6 films africains sur 134 en compétition
Si le Tchad s'est lancé dans le soutien aux jeunes cinéastes suite au succès cannois d'Un homme qui crie, force est de constater que la présence minime de courts-métrages africains dans la compétition clermontoise reflète une tendance plus que marginale de la production du continent.
En effet, sur les 75 films sélectionnés en compétition internationale, seuls 4 représentaient l'Afrique : Al-Hesab de l'Égyptien Omar Khaled, Demain, Alger ? de l'Algérien Amin Sidi-Boumédienne, Umkhongo du Sud-africain Matthew Jankes et Vivre du Tunisien Walid Tayaa.
Côté national, sur les 59 films présentés, 2 coproductions se sont distinguées : le film franco-tunisien Soubresaut de Leyla Bouzid (La Fémis), Grand prix des écoles européennes de cinéma au festival Premiers Plans d'Angers en janvier dernier et le franco-algérien Mollement un samedi matin de Sofia Djama (Praxis Films), vainqueur du prix SACD et du prix ACSE de cette 34e édition.
Dans la section parallèle, le programme Regards d'Afrique – initié en 1989 par le programmateur Jacques Curtil en faveur des cinémas d'Afrique subsaharienne francophone – réunissait cette année 15 courts-métrages avec une nette dominance des productions malgaches (5) et mauriciennes (4).
Côté marché du film, les 18 pays africains présents sur les 120 inscrits n'ont présenté que 131 courts-métrages sur les 6.528 mondiaux, alors que 153 avaient été envoyés en sélection. Tandis que la France (1322 films), les États-Unis (595) et le Royaume-Uni (391) dominent cet espace, c'est à l'Égypte (34 films), le Maroc (21) et la Tunisie (17) que reviennent le plus grand nombre de courts-métrages inscrits.
Au total, ce sont donc 4 pays anglophones (l'Afrique du Sud, le Ghana, le Kenya, la Namibie), 4 pays arabophones (l'Algérie, l'Égypte, le Maroc, la Tunisie) et 1 pays lusophone (le Mozambique) que l'on retrouve sur le Marché, celui-ci réunissant une majorité de pays francophones (9) tels que le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, le Gabon, Madagascar, le Mali, l'Île Maurice et le Sénégal.
Un seul stand africain au Marché du Film : la Tunisie
Seul stand africain sur les 40 du Marché de Clermont-Ferrand, celui de la Chambre syndicale nationale des producteurs de films (Tunisie). Interrogé sur ce phénomène, le producteur tunisien Mohamed Ali Ben Hamra ne s'étonne pas : « L'Afrique est peut-être le continent le moins présent, mais c'est normal, car il n'y a pas beaucoup de productions, surtout en courts-métrages. »
Pour Mohamed Ali Ben Hamra, cette présence est justifiée par le fait que « Clermont-Ferrand est le festival le plus important du court-métrage. C'est notre première année au Marché, mais beaucoup de Tunisiens ont eu leurs films sélectionnés en compétition, en hommage ou ont été membres d'un jury ».
Initiative privée lancée par des producteurs indépendants, ce déplacement professionnel correspond au désir de promouvoir la Tunisie, son cinéma, ses producteurs et ses réalisateurs. Non soutenu par leur Ministère de la Culture, les producteurs tunisiens témoignent qu' « Il y a en Tunisie des initiatives privées de producteurs indépendants et surtout de réalisateurs qui ont fait des écoles de cinéma et qui réalisent des courts-métrages à petit budget ».
Film d'atelier, un tremplin cinématographique
Le budget, justement, est le fer de lance de la production de courts-métrages sur le continent. Trois équipes présentes dans la section Regards d'Afrique ont produit les leurs dans le cadre d'un atelier.
Le film documentaire Yvette (2011, 21'), première co-réalisation des agriculteurs Marie Bassolé et Ferdinand Bassono, a été autoproduit dans le village burkinabè de Perkouan grâce au soutien de l'association Caïcedra, de l'association Images de l'Autre et du Mouvement Burkinabè des Droits de l'Homme et du Peuple (MBDHP) avec le soutien technique de deux Français : Ivan Frohberg et Mickaël Damperon. Dans cette région touchée par le chômage, la réalisation de films et leur diffusion au Village CNA (note 1) durant le dernier Fespaco a créé un déclic : « C'est là que des ouvriers se sont rendus compte de la portée d'un film, que cela pouvait mener à des discussions intéressantes » témoigne Mickaël Damperon, monteur du film.
Associatif aussi, le film documentaire malgache Le grand parcours vers l'avenir (2011, 11'10) a été réalisé par le jeune Tianjato Gatien Rajaoarinarivo grâce à l'association La bande à Mada. Créée en 2010 suite à la formation d'un Canadien sur la réalisation de documentaire, cette structure a permis de tourner ce premier film sans moyens avec une équipe réduite (cadreur, réalisateur et monteur). Le grand parcours vers l'avenir a remporté le Prix du Public des dernières Rencontres du Film Court de Madagascar. Ce festival a permis à Tianjato Gatien Rajaoarinarivo d'assister au festival Off-Courts de Trouville en septembre 2011 et à cette édition du festival de Clermont-Ferrand.
Autre film d'atelier, la fiction Kaso du Mauricien Ritvik Neerburn (2011, 9') a été réalisé à la suite d'un atelier d'écriture initié par l'association Porteurs d'Images avec le soutien de l'Institut Français de Maurice. Grâce au festival de cinéma Îles Courts créé en 2006, le film a bénéficié d'un budget de 1.000€. Hélas, la Mauritius Film Development Corporation (MFDC) [agence de développement de l'industrie de l'image sous la tutelle du Ministère des Arts et de la Culture mauricien, ndlr] ne soutient pas toujours les productions nationales. Pour Ritvik Neerburn, cet organisme qui existe depuis 25 ans soutient davantage l'accueil de tournages indiens ou étrangers que les films locaux. De plus, même si l'île possède des multiplexes et des salles de cinéma confortables, il manque « des écoles de cinéma, des producteurs, des acteurs et des mécènes ».
L'autoproduction, possible indépendance de réalisation ?
D'autres réalisateurs présents se sont appuyés sur leur société de production pour autoproduire leur court-métrage. C'est le cas de Christophe Tardy, réalisateur français de publicité ayant créé la société sénégalaise Cinékap en 1993 : « En Afrique, les producteurs viennent de Paris et s'appuient sur des producteurs exécutifs locaux. Quand je dis maison de production, je ne parle pas d'un gars avec une caméra et une souris dans la main qui dit « je monte une boite de prod » ! ». Son film de fiction Cirage (2011, 24') a été réalisé à Dakar avec un chef opérateur français et une équipe à 99,9% sénégalaise. Si le réalisateur a bénéficié sur place d'un soutien matériel, c'est à Paris qu'il a préféré peaufiner la post-production du film où 90% du son a été refait durant trois semaines de travail en auditorium.
Fragments de vie (2011, 25') du Malgache Laza, a lui aussi été autoproduit par la société Rozifilms. Si quelques aides ont été reçues, c'est plutôt à la faveur d'un projet de long-métrage sur le même sujet que le réalisateur s'est tourné vers le court. En présentant à différents guichets une version courte de son travail, Laza soutient qu'il faut dans ce milieu « d'abord démontrer pour être aidé par des fonds importants ». Il considère qu'il est impossible pour un réalisateur d'attendre des financements pendant plusieurs années. Fondateur depuis 2006 du festival Rencontres du Film Court, Laza prône deux façons de produire un film : « le dépôt de dossier pour recevoir des financements et les tournages sans trop de moyens pour que les films voient le jour ».
Autre autoproduction présentée, le film Conter les feuilles des arbres (2011, 5') du Malgache Lova Nantenaina a été écrit avec l'aide de sa femme et productrice Eva Nantenaina. Formé à l’École Supérieure des Arts Visuels de Toulouse (France), le réalisateur favorise les coproductions pour produire ses films par le biais de sa société malgache, aussi basée en France en tant qu'association, Autantic Films. Tourné en 7D (note 2) avec une équipe locale formée sur le tas, Conter les feuilles des arbres visait, entre autres objectifs, à créer une équipe de techniciens fidèles qui pourront travailler sur les autres projets de la société.
Sur l'Île Maurice aussi, le réalisateur Wassim Sookia a sollicité sa société Donkey Shot Films pour tourner la fiction Home away (2011, 17’). Pour ce concepteur-rédacteur publicitaire débordé, les tournages s'effectuent durant les week-ends, les jours fériés ou les pauses déjeuner. Pas de temps pour les demandes de subvention ni pour le casting, Wassim Sookia a tourné son court-métrage en un jour et demi grâce à la mobilisation de ses amis et à du matériel publicitaire. D'où provient son énergie débordante ? « Le fait de venir présenter un film me motive. Je fais un film et je viens me reposer à Clermont-Ferrand. » Sélectionné depuis 5 ans dans le programme Regards d'Afrique, Wassim Sookia a été repéré par le festival de Sundance à Clermont-Ferrand et a vendu deux de ses films à TV5 Monde.
La production, essor essentiel pour le continent
Parmi les réalisateurs en compétition internationale à Clermont-Ferrand, trois ont bénéficié de soutien financier extérieur pour produire leur court-métrage.
Seul africain anglophone de cette 34e édition, le Sud-africain Matthew Jankes présentait son court-métrage Umkhongo (2011, 28'44). Pour lui, « L'Afrique du Sud possède une énorme industrie de films publicitaires télévisés, mais il n'y a pas de culture du court-métrage. Avoir accès aux studios et aux techniciens coûte vraiment cher et trouver des financements est incroyablement difficile ». Pour preuve, si son film n'avait pas bénéficié de l'apport de 10.000$ du programme américain Africa First [développé par la société Focus Features, ndlr], la société Mannequin Pictures n'aurait pas bénéficié du soutien de la National Film and Video Foundation (NFVF) et de sa province du Gauteng pour obtenir un budget total de 28.000$. Mélangeant équipe professionnelle et amateure « car nous ne pouvions pas payer les gens aussi bien que sur une publicité », Umkhongo a été tourné en 8 jours sur pellicule car un tournage en argentique revenait moins cher qu'en haute définition. Vivant de la publicité pour tourner des films d'auteur, Matthew Jankes espère faire de grands films avec des petits moyens.
Les petits moyens sont le lot de tous et c'est pour cela que le réalisateur tunisien Walid Tayaa soutient les propos de Laza : « Je ne trouve pas normal d'attendre 3 ou 4 ans pour faire un court-métrage. Ce n'est pas possible. Nous avons un regard à poser sur nos sociétés, sur nos pays, sur notre continent. Nous sommes cinéastes, nous sommes censés faire des images. Cette procédure n'est plus possible. Vivement la 5D et les amis ! ».
Pour son quatrième court-métrage Vivre (2010, 18'), Walid Tayaa a obtenu 30.000€ du gouvernement tunisien après trois tentatives : un refus en 2006, une note de lecture critiquant l'image de la société donnée en 2007 et un accord en 2008. Satisfait des conditions de tournages dans son pays (matériel, techniciens, écoles de cinéma et un centre national du cinéma et de l'image en préparation), Walid Tayaa reproche à son gouvernement de prôner le copinage dans l'attribution des subventions. « Le Ministère de la Culture finance 11 à 15 courts-métrages avec 30.000€, 6 longs-métrages par an environ avec 250.000€ chacun. Il n'y a pas de couloir séparé, tout le monde est dans la même marmite. Nous ne pouvons pas faire la queue avec Nouri Bouzid qui a fait 7 longs-métrages ! ». Walid Tayaa espère donc que des coproductions Sud-Sud pourront se développer pour déjouer l'attente trop longue de subventions.
Son homologue, le réalisateur algérien Amin Sidi-Boumédine dont le film Demain Alger ? (2011, 20') a été produit par la jeune société algérienne de production Thala Films Production, a quant à lui été sponsorisé pour la première fois par une banque privée algérienne, la Gulf Bank Algeria.
Réalisé dans le cadre d'un projet de 5 courts-métrages, ce film est le premier d'Amin Sidi-Boumédine a avoir été produit dans de vraies conditions de tournage avec le soutien de l'Office National Des Droits d'Auteur (ONDA). Alors que la majorité des courts-métrages algériens sont des coproductions françaises, Demain Alger ? a réuni une équipe 100% algérienne. N'ayant pas obtenu de soutien du ministère algérien de la Culture, le réalisateur déplore que l'Algérie – qui ne possède pas d'écoles de cinéma et a perdu la plus grande partie de ses salles de cinéma – développe deux sortes de productions : « les films fauchés et les films avec un budget confortable, plus étiquetés français à l'arrivée. »
Les coproductions françaises, sources réelles de financement
Cette étiquette française, le film franco-algérien Mollement un samedi matin en a hérité. Sélectionné dans la catégorie nationale du festival de Clermont-Ferrand, ce film provient, pour la réalisatrice Sofia Djama, avant tout de l'autre côté de la Méditerranée : « Son énergie est algérienne, l'équipe de tournage vit en Algérie. J'aurais voulu qu'on reconnaisse aussi le travail d'une équipe algérienne ».
Produit par la société française Praxis Films avec près de 100.000€ de budget (apport du CNC français, de la chaîne ARTE et du SCAC de l'Ambassade de France à Alger), Mollement un samedi matin est le résultat d'un long combat entre la réalisatrice et sa société de production. Comédienne algérienne indisponible, casting d'une actrice française, difficultés de tournage, retrait de la production algérienne au générique et négociations serrées pour la post-production : « Le film était en algérien et la comédienne ne parlait pas un mot d'arabe. Il fallait vraiment un monteur son qui parle algérien et j'ai dû batailler sec avec la production qui considérait que ce n'était pas une nécessité » témoigne la réalisatrice.
Si une demande auprès du Fonds de Développement de l'Art, de la Technique et de l'Industrie Cinématographique [FDATIC, créé en 1968, ndlr] était espérée, les demandes de réécriture du scénario ont définitivement clos la demande de subvention algérienne. Pour cette conceptrice-rédactrice publicitaire, Mollement un samedi matin était le premier film produit et le plus difficile. Mais couronnée du prix de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) et du prix de l'Agence de la Cohésion Sociale et de l'Égalité des chances (ACSE) de cette 34e édition, force est de constater que c'est le film africain le mieux financé qui a retenu les faveurs des jurés.
Elle aussi primée mais au festival Premiers Plans d'Angers 2012 dans la catégorie Écoles européennes, la réalisatrice tunisienne Leyla Bouzid a bénéficié du soutien de son école de cinéma La Fémis (Paris) pour produire son court-métrage de fin d'études Soubresaut.
Avec un budget global de 13.000€, ce film tourné en 16mm a mobilisé des chefs de poste français et une équipe tunisienne. Après huit ans passés en France, Leyla Bouzid se réjouit de l'ouverture d'esprit de La Fémis : « Par rapport aux élèves étrangers, il y a une très grande liberté d'aller tourner dans son pays ». Interrogée sur la place de son film en compétition nationale et non internationale, la réalisatrice – qui regrette que les techniciens tunisiens prennent de mauvais réflexes en travaillant pour la télévision – répond simplement : « L'école, qui a produit le film, est française. C'est cela qui m'a permis de tourner puisque le film est financé par l'école. Cela reflète l'idée qu'un film tunisien peut être français, qu'un film français peut être en langue étrangère... à l'image de la mobilité qui caractérise notre monde aujourd'hui. »
Manque de formation sur le continent, dominance de la télévision et de la publicité sur la production de films d'auteurs, sociétés de production cinématographique minoritaires et difficultés de financement sont donc les principaux problèmes rencontrés par les réalisateurs de courts-métrages. Mais la présence, même minoritaire, de films africains sur la scène mondiale du court-métrage et le dynamisme d'associations et de festivals de cinémas locaux font des jeunes cinéastes du continent une génération dynamique et passionnée à suivre absolument.
Claire Diao / Clap Noir
12 février 2012
NOTES
(1) Le Village CNA est un espace de diffusion animé au Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (FESPACO) par l’association Cinéma Numérique Ambulant, CNA.
(2) Canon 7D : famille (avec le 5D) d’appareils photos numériques utilisés pour la vidéo.