La Mostra de Venise soutient la post-production de films africains
Dans le cadre de la 2e édition du Venice Film Market de la 70e Mostra de Venise (Venezia 2013), 4 films africains en cours de finition ont été présentés aux professionnels du cinéma le 31 août 2013. Reportage.
Venise. Ses gondoles, son île du Lido, sa Mostra créée en 1932. Sous le soleil de ce 31 août, quelques professionnels franchissent la porte de la salle Pasinetti du Palazzio del Cinema pour assister aux projections de quatre films africains sélectionnés dans le cadre du programme d'aide à la post-production Final Cut Venice : le documentaire Made in Madagascar... (With almost nothing…) du Malgache Nantenaina Lova, la fiction Territorial Pissings du Sud-africain Sibs Shongwe-La Mer, le docu-fiction Challat Tunes de la Tunisienne Kaouther Ben Hania et la fiction El Ott (Le Chat) de l'Égyptien Ibrahim El Batout.
De San Sebastian à Venise
" C'est une idée qui a une histoire, recontextualise le producteur Thierry Lenouvel en charge du Fonds d'aide au développement de scénario du Festival international du film d'Amiens (France), qui a organisé Final Cut Venice avec Alessandra Speciale du festival de cinéma d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine de Milan (Italie) et Thierry Jobin du Festival international du film de Fribourg (Suisse). Une histoire qui a déjà huit ans puisque, en fait, tout a démarré à San Sebastian sur le principe d'un programme de coopération Toulouse/San Sebastian autour du cinéma latino : Cine en Construcción ".
L'Espagnol José Maria Riba, aujourd'hui membre du comité de sélection de la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes (France), a initié Cine en Construcción en 2002. Présent à la Mostra, pour la première édition de Final Cut Venice, il revient sur la genèse de ce projet : " Nous avons d'abord créé Cine en Construcción, pour associer des entreprises de post-production et des films d'Amérique Latine qui avaient pu être tournés mais avaient du mal à être terminés. Trois ou quatre ans après, nous avons décidé de décliner le même modèle pour le Moyen-Orient et l'Afrique noire, Cine en Movimiento, afin de chercher des pays émergents qui avaient du mal à finir des projets tournés et les montrer à des professionnels ".
Créé en 2005, Cine en Movimiento s'est d'abord consacré aux pays d'Afrique lusophone, avant de s'ouvrir à l'ensemble de l'Afrique. Le programme s'est finalement arrêté en décembre 2012 ; d'abord parce que San Sebastian préférait approfondir sa spécialisation autour de l'Amérique Latine, ensuite parce que Cine en Movimiento " n'a jamais vraiment décollé et qu'il était plus judicieux qu'un festival où ce programme trouverait une meilleure place prenne la relève ", concède la directrice des Relations Presse de San Sebastian, Gemma Beltran.
Une opportunité inédite
De l'avis de tous, la Mostra de Venise a justement offert une visibilité essentielle à Final Cut Venice. " Il faut dire que cette année, le fait que ce soit le festival de Venise qui organise l'atelier nous a donné davantage de prestige et nous avons reçu beaucoup plus de projets ", témoigne Alessandra Speciale. Sur la cinquantaine de dossiers reçus, les participants présents ont découvert cette opportunité, soit par le biais de la Mostra elle-même (comme Kaouther Ben Hania et Ibrahim El Batout), soit par d'autres biais (une annonce dans le magazine Variety pour Sibs Shongwe-La Mer, du bouche-à-oreille par le biais d'Africa Doc pour Nantenaina Lova).
Les partenaires techniques déjà affiliés à Cine en Movimiento (les sociétés françaises Mac'Tari, Titra TVS, Cinemage/Groupe image, les festivals internationaux du film d'Amiens et Fribourg mais aussi le Centre national du cinéma et de l'image animée, la Commission du Film d'Ile de France et l'Institut Français) ont répondu présent à l'appel, tout comme de nouvelles sociétés. L'agence de communication et d'effets visuels et spéciaux Knightworks, basée à Paris, fait partie de ceux-là. " C'est la première fois que nous participons à pareil atelier, explique Umaru Embalo, co-fondateur de cette société créée en 2009. Nous avons rencontré Pascal Diot (directeur du Venice Film Market, ndlr) au MIFA (Marché international du film d'animation d'Annecy, ndlr) et nous avons trouvé le projet très intéressant. Nous voulons soutenir les films d'Afrique car nous pensons que dans un futur proche, ils prendront place dans le marché, fait pour lequel nous souhaitons nous investir en amont des projets ".
Pour Pascal Diot, fondateur du Venice Film Market créé en 2012, Final Cut Venice est un projet idéal pour faire connaître ce marché vénitien en pleine expansion. " Je pense qu'il est indispensable qu'il y ait des ponts entre l'Afrique et le reste du monde. Venise est un festival international, nous avons des professionnels qui viennent du monde entier donc leur faire découvrir une cinématographie qu'ils n'ont pas trop l'habitude de voir dans d'autres festivals très importants comme Cannes ou Berlin - où ils se concentrent sur les sections officielles - est une façon d'aider les cinémas d'Afrique ".
Le directeur de la Mostra de Venise, Alberto Barbera, est la personne-clé qui a permis à Final Cut Venice de se tenir dès 2013. " Je pense que l'une des responsabilités d'un grand festival comme Venise n'est pas seulement d'être une importante vitrine pour les réalisateurs reconnus mais une nouvelle manière de soutenir les nouveaux cinéastes qui émergent à travers le monde, en particulier ceux qui viennent de pays où il n'y a pas assez d'argent et de soutien public. L'année dernière, nous avons initié la Biennale Collège-Cinéma pour soutenir les jeunes cinéastes et nous souhaitons de plus en plus établir des projets dédiés à des thématiques spéciales. Il y a eu une fantastique tradition cinématographique en Afrique dans les années 1960-70 et aujourd'hui que le continent est en grande difficulté, j'ai estimé qu'il était juste de trouver le moyen de soutenir quelques réalisateurs ".
Travail en cours
Du côté des réalisateurs, l'enthousiasme est grand. Pris en charge par le festival, ils se sont vus accueillir en Maserati (voiture de luxe italienne, ndlr), ont été logés à l'hôtel et ont même pu observer le drapeau de leur pays flotter parmi ceux des autres nations sur l'île du Lido où se tient le festival.
La journée du 31 août a été consacrée aux projections des films en cours de finition et à des débats avec les réalisateurs et producteurs présents (seul l'Égyptien Ibrahim El Batout était absent, en plein montage de son film El Ott). La salle comptait une trentaine de spectateurs, inscrits au Marché du Film, pour la plupart issus de sociétés de post-production, de distribution ou de festivals de cinéma comme Cannes et Berlin.
Les films présentés avaient l'avantage d'être assez variés. Il y avait une fiction classique sur le trafic d'organes pour El Ott (Le Chat) - dont l'action se passe au Caire, en, Égypte - toujours en tournage, présentée sous forme d'un assemblage de séquences de 42 minutes. On comptait aussi un docu-fiction, quasiment terminé de 92 minutes, sur un agresseur sexuel tunisien (plus précisément un intégriste qui lacère les fesses des femmes avec son rasoir) pour Challat Tunes, film monté différemment qu'à l'époque du Marché de co-production de la Berlinale où il avait été présenté en 2011 sous son titre anglais, Challatt of Tunis. Documentaire quasiment définitif de 77 minutes sur le système D malgache, Made in Madagascar, présenté sans mixage son, était sur la liste également. Enfin, le quatrième film sélectionné est un essai cinématographique sur la jeunesse désoeuvrée sud-africaine de 41 minutes pour Territorial Pissings, alliant images noir et blanc, super 8 et voix-off non mixée, encore au stade du tournage.
Pour tous, être sélectionné(e) à Final Cut Venice était déjà une victoire ; même s'il est toujours difficile de montrer un film non terminé à des professionnels du cinéma. " On se rend assez vite compte de la proposition artistique qui est faite et de si on adhère ou pas, indépendamment du fait que le film soit abouti ou non, constate la productrice française de Challat Tunes, Julie Paratian. C'était un moment très important pour nous, car c'était la première fois que l'on montrait le film dans cet état à un public qui ne connaissait pas le projet ".
" Sans étalonnage, sans mixage, on est avec la structure mais pas avec l'objet fini, confirme son co-producteur tunisien, Habib Attia. Pour des professionnels avertis, ça ne pose pas de problème ; mais quand il y a un avis critique qui doit être émis et qu'on a un public très large, ça peut devenir très compliqué, voire délicat ".
Selon Luc Pourrinet de la société française Cinemage/Groupe Image, partenaire de Final Cut Venice, participer à ce genre d'initiatives est justement un réel plaisir. " Je comprends bien qu'ils soient stressés, parce qu'ils pensent qu'à un moment donné on n'a pas les moyens de se projeter dans les œuvres et de comprendre la manière dont elles sont construites et réfléchies. Pourtant, pour nous, c'est une manière comme une autre d'intégrer un projet alors qu'il a été écrit, réfléchi, un peu financé et qu'ils ont commencé à travailler. Nous industriels, ce qu'on aime faire, c'est arriver le plus possible en amont des projets, amener notre savoir-faire et nos compétences techniques et allier cela à l'artistique et à la vision qu'ils ont du film ".
4 projets retenus, 3 films soutenus
Si cette première édition était largement représentée par des industries françaises, espérons que la seconde édition s'ouvre à des partenaires d'autres pays, Italie en tête, et que les sociétés africaines ne se tiendront pas à l'écart de pareille opportunité. L'idée d'ouvrir cette section au Moyen-Orient a également été émise par les organisateurs, même si cette ouverture pourrait conduire à une diminution des projets africains sélectionnés.
Au final, les projets les plus aboutis (Challat Tunes et Made in Madagascar) ont été soutenus, tout comme El Ott qui porte un potentiel international conséquent : le précédent film d'Ibrahim El Batout - L'Hiver du mécontentement (Winter of discontent)- avait été présenté dans la section Orizzonti de la Mostra de Venise 2012 et son acteur principal - également producteur - Amr Waked, était cette année membre du jury Orizzonti du festival.
Est-ce à dire que les industriels préfèrent soutenir des films qui ont un potentiel commercial plus que des projets novateurs totalement indépendants comme Territorial Pissings ? La question est posée. Mais si Sibs Shongwe-La Mer est reparti les mains vides, il n'est pas dit que son passage vénitien n'ait aucune répercussion sur sa carrière.
Claire Diao / Clap Noir
www.clapnoir.org
5 septembre 2013
pour Images Francophones
Prestations offertes durant la première édition de Final Cut Venice 2013 :
Challat Tunes de la Tunisienne Kaouther Ben Hania a remporté 16 800€ de travaux pour un étalonnage numérique de 56 heures, étalonneur compris, offert par Cinémage/Groupe Image (France) ainsi que le tirage d'une copie 35mm de série sans sous-titres ou une participation au coût de fabrication d'un DCP, offert par le Festival International du film de Fribourg (Suisse).
Le documentaire Made in Madagascar du Malgache Nantenaina Lova a reçu 15 000€ de crédit sur des travaux de mixage son offerts par la société Mac'Tari (France) ainsi que 6 000€ de crédit pour la fabrication d'un master DCP et du sous-titrage français de la part de Titra TVS (France).
La fiction El Ott (Le Chat) de l'Égyptien Ibrahim El Batout a reçu 10 000€ pour la participation à des travaux de post-production effectués en France offerts par le Centre National du Cinéma et de l'image animée (France), 10 000€ de travaux sur des effets visuels et des effets spéciaux offerts par Knightworks (France) et le tirage d'une copie 35mm de série sans sous-titres ou une participation au coût de fabrication d'un DCP offert par le Festival International du Film d'Amiens (France).
Illustration - De gauche à droite : Éva Lova-Bely (productrice France/Madagascar), Habib Attia (producteur, Tunisie), Julie Paratian (productrice, France), Sibs Shongwe-La Mer (réalisateur, Afrique du Sud), Nantenaina Lova (réalisateur, Madagascar), Maurice Turk (producteur, Afrique du Sud), Kaouther Ben Hania (réalisatrice, Tunisie), Amr Waked (acteur et producteur, Egypte) / Crédit Photo : Mostra de Venise, 2013.