La Miséricorde de la jungle, Au temps où les Arabes dansaient et Regarde-moi, à Toronto 2018
Joel Karekezi et Jawad Rhalib sont en Première Nord-Américaine au festival canadien. Le Tunisien Nejib Belkadhi y est en Première Mondiale avec Regarde-moi.
"La Miséricorde de la jungle met en lumière les guerres congolaises à travers deux soldats perdus, soulignant leurs combats, leurs faiblesses et leurs espoirs.", résume bien le réalisateur rwandais Joël Karékézi. Pour son second long métrage, il explore les limites de la vengeance (même après un génocide). De manière subtile, il montre la jungle comme un personnage à part entière. Ici (surtout, dans le contexte africain, avec tous les stéréotypes forgés par les cinémas coloniaux) la nature n'est pas un ennemi, ennemi devient une force pour l'individu (ici deux militaires) qui ose s'accrocher au moindre souffle de vie.
Au début de la deuxième guerre du Congo (en 1998), Xavier, un sergent rwandais (joué par le Belge Marc Zinga), est envoyé au cœur du bassin du fleuve Congo pour y retrouver les auteurs du génocide qui a eu lieu quatre ans auparavant. Lorsque sa compagnie part en l'oubliant lui et un jeune soldat (Faustin, interprété par Stéphane Bak), dans la jungle, leur quête de vengeance devient une lutte pour la survie.
Produit par Aurélien Bodinaux (Neon Rouge Production, Bruxelles), Oualid Baha (Tact Production, Paris) et Joel Karekezi (Karekezi Film Production, Rwanda), tourné en swahili et français, La Miséricorde de la jungle (The Mercy of the Jungle) est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), ainsi que le long métrage documentaire Au temps où les Arabes dansaient de Jawad Rhalib, également en Première nord-américaine à Toronto, comme le film de Joël Karékézi.
En mêlant archives rares, témoignages d'artistes et mise en lumière de la haine intégriste envers les artistes, Au temps où les Arabes dansaient (When Arabs danced) retrace le parcours épineux des artistes arabo-musulmans dans ce siècle du fascisme islamique. Le film est d'ors et déjà sélectionné au festival de Göteborg 2019, en Suède.
La Première Mondiale de Regarde-Moi (Look at Me) se fait au Festival International du Film de Toronto (TIFF) qui est le tremplin par excellence pour le marché mondial. Le réalisateur tunisien Nejib Belkadhi l'avait déjà choisi en 2013 pour son premier long métrage fiction Bastardo (après le décapant VHS-Kahloucha, long métrage documentaire). Ici, Lotfi est un expatrié tunisien qui vit dans le Sud de la France. Il est contraint de retourner en Tunisie afin de prendre soin de son enfant autiste et conquérir son regard (d'où le premier titre original, Rétina). Hazem Berrabah est le directeur de la photographie du film produit par Propaganda Productions, Tunisie, Mille et Une Productions, France, avec le soutien de l'OIF (Paris) et Doha Film Institute, entre autres, et distribué par Hakka Distribution, Tunisie.
Retour d'étoiles et de flammes
Le Cambodgien Rithy Panh est aussi à Toronto avec Graves Without a Name (Les tombeaux sans noms), sur les effets du génocide khmer sur un garçon de 13 ans ayant perdu presque toute sa famille, en première canadienne, ainsi que Merzak Allouache (Divine Wind / Vent divin), une fiction au centre de laquelle un jeune homme et une femme forment un lien intense lorsqu'ils sont chargés de mener une action armée contre une raffinerie de pétrole dans le désert nord-africain et aussi la réalisatrice libyenne Naziha Arebi qui pose un regard intime (dans Freedom Fields) sur l'après-révolution dans son pays à travers les yeux d'une équipe de football féminine qui se bat pour une reconnaissance professionnelle.
L'actrice Fatou Ndiaye (découverte par Fatou la Malienne, Nha Fala) revient au cinéma dans un rôle d'une travailleuse du sexe sénégalaise croisant à Dakar le tragique destin d'un coureur cycliste belge de renommée mondiale, dans Angel (Un ange) de Koen Mortier (Belgique). L'Egyptien Ahmad Abdalla reprend du service aussi : EXT. Night nous plonge dans une journée d'un cinéaste égyptien aux abois dont la vie s'effondre, le confrontant à de nouvelles questions comme les relations de classe et de genre.
Les questions de classe et de genre sont au centre de Rafiki de la Kényane Wanuri Kahiu. Son film est hélas trop sommairement réduit à la relation homosexuelle des deux personnages principaux, alors qu'il offre une lecture très riche sur l'amour au sens large et surtout le respect de soi ainsi que des autres. Le film ayant été censuré dans son pays, le Kenya, Wanuri Kahiu vient de porter plainte ce 10 septembre 2018 contre le KFBC (organisme de régulation des diffusions mandaté par le gouvernement kényan) et le procureur général du pays. "Quand quelqu'un commence à porter atteinte à votre droit d'être créative et d'exercer votre travail cela devient un problème", selon Wanuri Kahiu, dans un communiqué parvenu à notre rédaction.
En empêchant la diffusion du film, le KFBC viole plusieurs articles de la constitution qui protège la liberté d'expression et de création, d'après la même source qui souligne que cette interdiction pourrait empêcher le film de concourir aux Oscars dans la categorie du Meilleur film étranger. Le KFBC a censuré Rafiki dès le mois d'avril 2018, en récusant "son traitement de l'homosexualité et [...] son but évident : promouvoir le lesbianisme au Kenya, ce qui est illégal et heurte la culture et les valeurs morales du peuple Kényan". Premier film kényan projeté à Cannes, Rafiki sort en France le 26 septembre 2018 (distribution Météore Films).
Thierno I. Dia
Images Francophones
Image : scène du film La Miséricorde de la jungle (The Mercy of the Jungle) de Joël Karekezi, avec les acteurs Marc Zinga (en bérêt rouge) et Stéphane Bak.
Crédit : TIFF 2018