L'urgence d'une industrie cinéma dans le ventre de l'Afrique
Festival de Film de Cinéma de Douarnenez (17-25 août 2018)
Pays-continent aux neuf frontières, la RDCongo [République Démocratique du Congo] est le plus large pays d'Afrique subsaharienne [2.34 millions km2, juste derrière les 2.38 millions km2 de l'Algérie] avec ses plus de 85 millions d'habitants selon les derniers recensements (devancé par le Nigéria qui réunit 198 millions, l'Éthiopie 107 millions et l'Égypte presque 98 millions de population) quand le Congo Brazzaville en compte 5 millions, d'après la même source. Tristement qualifiée de ventre mou de l'Afrique, bien qu'elle regorge de ressources en tous genres, la RDCongo demeure le plus grand espoir du continent pour les libertés. Le cinéma présente une piste importante pour y contribuer.
Historique, il faut le reconnaître. La 41eme édition du festival de film de Douarnenez l'a fait : un festival consacré aux œuvres cinématographiques sur les peuples du Congo. En dehors peut-être de leur territoire respectif, jamais autant de films autour de ces deux nations n'ont été projetés sur grand écran. Et le public douarneniste est au rendez-vous.
Malembe Malembe, to ko koma! *
Même Steven Spielberg le dit : c'est toujours difficile de faire un film. Malgré l'augmentation des productions de films congolais ces dernières années, une véritable industrie peine à s'établir et le secteur à générer de l'investissement de façon stable. Une situation qui n'est pas propre aux Congos et qui s'étend à l'échelle du continent en général, sauf exceptions.
Le manque d'implication et de financement des États ainsi que des institutions publiques nationales en est la principale raison. En dehors de quelques pays du Maghreb et de l'Afrique du Sud, la politique d'aide aux cinémas est quasi inexistante. Comme les autres arts, le cinéma est loin de constituer la priorité dans des États politiquement instables ou fragiles. La grande majorité des œuvres n'existeraient pas sans l'intervention de coproductions occidentales, essentiellement européennes.
Le besoin de formation est criant. On ne dénombre que quelques écoles de cinéma sur le continent. De ce fait, nombre sont les jeunes créateurs et créatrices qui sont obligé.es de se rendre à l'étranger pour se former. Beaucoup sont autodidactes et l'arrivée d'internet a permis de développer l'auto-formation.
Soulignons la disparition progressive des salles de cinéma depuis les années 70 après le départ des colons, et davantage dans les années 90 où elles se sont transformées en supermarchés ou en églises de réveil. Kinshasa, la plus grande capitale francophone aux près de 10 millions d'habitants, peut compter le nombre de grands écrans sur les doigts d'une main. Si l'on doit comparer à Paris (une agglomération de 12 millions d'habitants en Île de France dit Grand Paris et près de 2,2 millions intramuros), championne des écrans avec environ 1 écran pour 6 000 habitants !
La négligence d'un éventuel Star system, à l'américaine, qui pourrait notamment influer sur l'engagement de l'audience envers les films, comme cela se fait en Égypte et au Nigéria par exemple. Encore peu de public africain voit leur film ou s'y intéresse par manque d'identification.
Toutes ces raisons non exhaustives nous amènent toutefois à rappeler que l'Afrique a la plus jeune industrie cinématographique au monde, née aux lendemains des indépendances dans les débuts des années 60 dans un souci de s'approprier ses propres images et histoires. Contrairement aux autres cinémas qui accordent beaucoup de place au divertissement, les cinémas d'Afrique comptent maintes œuvres de militantisme, d'histoire, de sensibilisation, d'éducation politique ou d'éveil de conscience. Un devoir de mémoire qui n'échappe presque pas aux auteur.es.
Bilan prématuré…
La production augmente, certes mais sur les près de cent films des Congos projetés durant cette semaine, à peine la moitié sont issus d'auteur.es congolais.es. Le film d'ouverture, Le Ministre des poubelles, bien que remarquable avec un fascinant Emmanuel Botalatala, a été réalisé par un Belge [Quentin Noirfalisse]. Oserait-on projeter le film d'un réalisateur américain sur la France lors d'une rétrospective sur le cinéma français ?
Nous regrettons aussi l'absence remarquée de certains, comme Léandre-Alain Baker, auteur de Ramata (2007) et figure incontestable du cinéma de la République du Congo, ou encore de Petna Ndaliko Katondolo, auteur de Goma, capitale du cinéma ? (2005) et créateur du centre culturel Yolé!Africa à Goma dans l'est de la RDCongo, une région malheureusement à peine représentée dans le festival, alors qu'un véritable bouillonnement s'y opère autour du cinéma depuis quelques années.
De documentaires politiques aux œuvres fictions en passant par l'animation et les films expérimentaux en tous genres confondus, ce joli coin de la Bretagne est toutefois parvenu en quelques jours à transporter son audience en plein cœur de l'Afrique. Et pas seulement, puisqu'il a également convié la crème de la crème des cinémas tels que l'étoile montante Machérie Ekwa Bahango, l'incontournable Rufin Mbou, l'insaisissable Sammy Baloji, la multi-talentueuse Joëlle Sambi [slameuse], et les avant-gardistes Bob Nelson Makengo et Ori-Huchi Kozia qui nous ont dignement remémorés les tant regrettés Sony Labou Tansi et Kiripi Katembo. Respect.
Sans omettre les aîné.es Monique Phoba Mbeka, David-Pierre Fila, Jean-Michel Kibushi et bien évidemment le doyen Mzee Dieudonné Mweze Ngangura, auteur de La Vie est belle, (1987), premier long métrage fiction réalisé par un RDCongolais [coréalisé avec Benoît Lamy] et tourné à Kinshasa. Comme dirait l'autre, le rêve se porte bien.
Djia MAMBU
Correspondante Spéciale à Douarnenez, août 2018
Africiné Magazine, Bruxelles
avec le soutien de Vanuit het Zuiden (Depuis le Sud), Amsterdam
pour Images Francophones
* NOTE : Malembe Malembe, to ko koma! (" Petit à petit, on va y arriver ! ", en lingala)