L'influence du cinéma russe en Afrique et au Moyen Orient
Deux commissaires, deux chercheuses : la Libanaise Rasha Salti et la Camerounaise Koyo Kouoh ont présenté à Dakar, mercredi 24 juin, le projet de leur recherche sur l'influence de l'éducation cinématographique soviétique sur les cinémas africains et arabes. Le travail retrace le parcours des étudiants africains et arabes qui ont fréquenté le VGIK, l'école de cinéma de Moscou. Les travaux seront présentés à Moscou dans un an et trois mois.
Dans les derniers jours de juin, et une chaude après-midi qui annonçait l'hivernage, au Raw matérial company, Centre d'art à Dakar, Rasha Salti et Koyo Kouoh ont présenté à la communauté artistique et cinématographique dakaroise le prologue de leur projet intitulé "Sauver Bruce Lee : Le cinéma africain et arabe à l'ère de la diplomatie culturelle soviétique". La rencontre était animée par Baba Diop, Président de la Fédération Africaine de la Critique cinématographique (FACC / AFFC) dont le siège est basé à Dakar et Africiné, son magazine électronique. Baba Diop est journaliste, critique de cinéma et scénariste sénégalais. La recherche a débuté en septembre 2013 et prend fin en septembre 2016. Héros du kung-fu, très connu des cinéphiles africains er arabes de cette génération, longtemps considéré comme un justicier, Bruce Lee sert de lien.
Le projet de recherche de trois ans retrace les destins de cinéastes africains et arabes qui ont étudié en Union Soviétique. Elle explorent le parcours d'une dizaine de cinéastes, les "protagonistes" comme elles les appellent, issus d'Afrique et du Proche-Orient, dont notamment le Sénégalais Sembène Ousmane, Abderrahmane Sissako (Mauritanie/Mali), Souleymane Cissé (Mali), Mohammad Abouelouakar (Maroc), Rabah Bouberras (Algérie), Daouda Keita (Guinée), Sarah Maldoror (Guadeloupe), etc., Sur les conseils de l'historien français du cinéma, Georges Sadoul, l'écrivain Sembène Ousmane s'est tourné vers l'ancienne république soviétique où il aurait comme camarade Sarah Maldoror ; voir l'ouvrage Sembène Ousmane (1923-2007), sous la direction de Thierno I. Dia et Olivier Barlet, en collaboration avec Boniface Mongo-Mboussa, 2009, Africultures n° 76, dont une version existe en italien aux éditions Il Castoro, Milan.Venu de la littérature, il venait de prendre sa décision après un voyage au Congo : il voulait apprendre le cinéma, afin de toucher un plus large public que juste ceux (peu nombreux à l'orée des indépendances africaines) qui savaient lire et écrire.
Les deux auteures partent sur les traces du cinéma soviétique dans le cinéma africain et arabe. Ceux sont des cinéastes ou techniciens du cinéma qui viennent de différents pays d'Afrique et Arabe qui ont eu, à un moment donné, une obédience socialiste. "Les promotions se renouvelaient, mais ce n'est pas tout le temps qu'il y a eu de nouveaux arrivants, c'est comme cela qu'on a pu retracer qui était là, quand et à quelle époque et pour combien de temps", indique Koyo Kouoh qui explique la démarche adoptée pour mener leur recherche. Selon elle, il n'y a pas que des réalisateurs coptés, des décorateurs et autres branches artistiques notamment monteur, chef opérateur, caméraman… de l'École de cinéma de Moscou font partie des cibles. Ils étaient tous là-bas d'années en années. Dans leur travail de recherche, il s'agira également de réconcilier la dissonance entre l'oralité et l'archive institutionnelle.
Un travail a commencé, car indique Rasha Salti, "il y a un récit primaire à capter, l'histoire des réalisateurs et le côté institutionnel, comment ils se sont intéressés à ces gens ? Et comment ils les ont captés ?". "Il s'agit de voir est-ce qu'il y a une influence du cinéma soviétique dans le cinéma africain ? Voir la possibilité de le retracer", fait-savoir Koyo Kouoh qui y va par pure curiosité, étant donné qu'elle n'est pas une spécialiste du cinéma. Par contre sa coéquipière, Rasha Salti, écrivain et actuellement programmatrice internationale pour le Festival international du film de Toronto (au Canada), a déjà travaillé sur un sujet similaire en dirigeant un livre sur les réalisateurs syriens et le monde arabe qui ont étudié à Moscou. Il s'agit de Insights into Syrian Cinema: Essays and Conversations With Contemporary Filmmakers (" Regards sur le cinéma syrien : essais et conversations avec des cinéastes ", en anglais), ouvrage publié à New York par ArteEast et Rattapallax Press, en 2006.
Elles ont alors rassemblé leurs forces et idées pour rechercher cette influence de la traduction cinématographique soviétique dans le cinéma africain et arabe. Car selon Koyo Kouoh, le geste de Moscou d'octroyer des bourses à cette époque aux étudiants africains et arabes n'est pas anodin. "De son positionnement nom impérialiste, puisqu'on était dans la période de la Guerre froide, Moscou avait un programme idéologique à faire passer à travers l'éducation, l'armement, etc. ", souligne la directrice de Raw matérial.
Après les indépendances africaines en 1960 jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1990-1991, beaucoup de cinéastes et techniciens du cinéma africain et arabe ont été formés en Union soviétique. On parle peu de cette grande école soviétique qui a énormément influé sur le travail de plusieurs générations de cinéastes africains et du monde arabe. Mais, constatent les deux curatrices, la Libanaise Rasha Salti et la Camerounaise Koyo Kouoh, le monde est plus avisé sur l'école française avec la nouvelle vague, italienne avec le néoréalisme, hollywood ou encore bollywood et aujourd'hui nollywood. "Ce n'est pas un chapitre qui a intéressé les historiens du cinéma africain ou arabe, il y a des références évoquées sur l'école soviétique, mais personne n'avait décidé d'investir son énergie dans cette histoire", indique Rasha Salti.
C'est pour documenter le sujet que les deux commissaires se sont lancées dans un projet de recherche portant sur l'influence de l'éducation cinématographique soviétique sur le cinéma africain et arabe. Il s'agira de voir quelles sont les traces du cinéma soviétique dans les cinémas africains et arabes. "C'est une histoire qui n'est pas racontée, c'est toute une influence esthétique, culturelle politique et même idéologique qui n'est pas racontée, je pense que c'est important de la narrer, de faire ressortir ces connaissances par rapport à un médium qui est extrêmement important et influant et qui diffuse une vision du monde", justifie la Camerounaise Koyo Kouoh.
Elle soutient que l'un des plus illustres de cette génération est le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako. "J'ai été touchée très vite par un film de Sissako qui est La vie sur terre, un film simple, un docu-fiction sur son père dans son village situé très loin entre la frontière malienne et mauritanienne et le protagoniste le plus importante de ce film est la lumière. Et cette lumière était différente des autres lumières que j'ai vu dans d'autres films de réalisateurs africains. J'ai souvent été intriguée par le fait qu'il y a des traces de ce cinéma soviétique dans celui africain. N'étant pas spécialiste du cinéma, même si l'art contemporain englobe tous les arts, cela m'a touché, intéressé, de voir est-ce que cette influence existe ?", estime Koyo Kouoh.
Ce travail de recherche de longue durée, étalé sur trois ans et demi, car couvrant presque trente ans de période, permettra d'établir des canaux et des références réelles sur cette influence de l'école soviétique. Le projet est soutenu par le Garage muséum de Moscou. Une visite a été faite à l'école de cinéma de Moscou. Il y aura une pré-présentation en septembre 2016 et un séminaire à Moscou où l'on discutera des canaux de recherches, de l'archivage et des histoires non racontées, etc. " Nous ferons des portraits des différents protagonistes, des archives et des affiches sur l'esthétique, il y aura des études comparatives visuelles et écrites, il aura aussi des armes pour faire ressortir tout le contexte politique de cette période, car ce n'était pas seulement l'échange académique et universitaire, pour la Russie, c'était une vraie conquête de ces nouveaux territoires indépendants en terme de lutte ou de repositionnement par rapport aux USA ", expliquent les chercheuses. L'objectif final est de remettre en mémoire cette génération en allant chercher ces oubliés. Une exposition sera faite et un livre édité, pour regrouper tout le travail abattu.
Fatou Kiné SÈNE
magazine Africiné, Dakar
pour Images Francophones
Image : Rasha Salti (Liban, à gauche), Koyo Kouoh (Cameroun, au centre), Baba Diop (Sénégal, à droite), au Raw Material, Dakar, le 24 juin 2015.
Crédit : Fatou Kiné Sène / Africiné
Le projet de recherche de trois ans retrace les destins de cinéastes africains et arabes qui ont étudié en Union Soviétique. Elle explorent le parcours d'une dizaine de cinéastes, les "protagonistes" comme elles les appellent, issus d'Afrique et du Proche-Orient, dont notamment le Sénégalais Sembène Ousmane, Abderrahmane Sissako (Mauritanie/Mali), Souleymane Cissé (Mali), Mohammad Abouelouakar (Maroc), Rabah Bouberras (Algérie), Daouda Keita (Guinée), Sarah Maldoror (Guadeloupe), etc., Sur les conseils de l'historien français du cinéma, Georges Sadoul, l'écrivain Sembène Ousmane s'est tourné vers l'ancienne république soviétique où il aurait comme camarade Sarah Maldoror ; voir l'ouvrage Sembène Ousmane (1923-2007), sous la direction de Thierno I. Dia et Olivier Barlet, en collaboration avec Boniface Mongo-Mboussa, 2009, Africultures n° 76, dont une version existe en italien aux éditions Il Castoro, Milan.Venu de la littérature, il venait de prendre sa décision après un voyage au Congo : il voulait apprendre le cinéma, afin de toucher un plus large public que juste ceux (peu nombreux à l'orée des indépendances africaines) qui savaient lire et écrire.
Les deux auteures partent sur les traces du cinéma soviétique dans le cinéma africain et arabe. Ceux sont des cinéastes ou techniciens du cinéma qui viennent de différents pays d'Afrique et Arabe qui ont eu, à un moment donné, une obédience socialiste. "Les promotions se renouvelaient, mais ce n'est pas tout le temps qu'il y a eu de nouveaux arrivants, c'est comme cela qu'on a pu retracer qui était là, quand et à quelle époque et pour combien de temps", indique Koyo Kouoh qui explique la démarche adoptée pour mener leur recherche. Selon elle, il n'y a pas que des réalisateurs coptés, des décorateurs et autres branches artistiques notamment monteur, chef opérateur, caméraman… de l'École de cinéma de Moscou font partie des cibles. Ils étaient tous là-bas d'années en années. Dans leur travail de recherche, il s'agira également de réconcilier la dissonance entre l'oralité et l'archive institutionnelle.
Un travail a commencé, car indique Rasha Salti, "il y a un récit primaire à capter, l'histoire des réalisateurs et le côté institutionnel, comment ils se sont intéressés à ces gens ? Et comment ils les ont captés ?". "Il s'agit de voir est-ce qu'il y a une influence du cinéma soviétique dans le cinéma africain ? Voir la possibilité de le retracer", fait-savoir Koyo Kouoh qui y va par pure curiosité, étant donné qu'elle n'est pas une spécialiste du cinéma. Par contre sa coéquipière, Rasha Salti, écrivain et actuellement programmatrice internationale pour le Festival international du film de Toronto (au Canada), a déjà travaillé sur un sujet similaire en dirigeant un livre sur les réalisateurs syriens et le monde arabe qui ont étudié à Moscou. Il s'agit de Insights into Syrian Cinema: Essays and Conversations With Contemporary Filmmakers (" Regards sur le cinéma syrien : essais et conversations avec des cinéastes ", en anglais), ouvrage publié à New York par ArteEast et Rattapallax Press, en 2006.
Elles ont alors rassemblé leurs forces et idées pour rechercher cette influence de la traduction cinématographique soviétique dans le cinéma africain et arabe. Car selon Koyo Kouoh, le geste de Moscou d'octroyer des bourses à cette époque aux étudiants africains et arabes n'est pas anodin. "De son positionnement nom impérialiste, puisqu'on était dans la période de la Guerre froide, Moscou avait un programme idéologique à faire passer à travers l'éducation, l'armement, etc. ", souligne la directrice de Raw matérial.
Après les indépendances africaines en 1960 jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1990-1991, beaucoup de cinéastes et techniciens du cinéma africain et arabe ont été formés en Union soviétique. On parle peu de cette grande école soviétique qui a énormément influé sur le travail de plusieurs générations de cinéastes africains et du monde arabe. Mais, constatent les deux curatrices, la Libanaise Rasha Salti et la Camerounaise Koyo Kouoh, le monde est plus avisé sur l'école française avec la nouvelle vague, italienne avec le néoréalisme, hollywood ou encore bollywood et aujourd'hui nollywood. "Ce n'est pas un chapitre qui a intéressé les historiens du cinéma africain ou arabe, il y a des références évoquées sur l'école soviétique, mais personne n'avait décidé d'investir son énergie dans cette histoire", indique Rasha Salti.
C'est pour documenter le sujet que les deux commissaires se sont lancées dans un projet de recherche portant sur l'influence de l'éducation cinématographique soviétique sur le cinéma africain et arabe. Il s'agira de voir quelles sont les traces du cinéma soviétique dans les cinémas africains et arabes. "C'est une histoire qui n'est pas racontée, c'est toute une influence esthétique, culturelle politique et même idéologique qui n'est pas racontée, je pense que c'est important de la narrer, de faire ressortir ces connaissances par rapport à un médium qui est extrêmement important et influant et qui diffuse une vision du monde", justifie la Camerounaise Koyo Kouoh.
Elle soutient que l'un des plus illustres de cette génération est le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako. "J'ai été touchée très vite par un film de Sissako qui est La vie sur terre, un film simple, un docu-fiction sur son père dans son village situé très loin entre la frontière malienne et mauritanienne et le protagoniste le plus importante de ce film est la lumière. Et cette lumière était différente des autres lumières que j'ai vu dans d'autres films de réalisateurs africains. J'ai souvent été intriguée par le fait qu'il y a des traces de ce cinéma soviétique dans celui africain. N'étant pas spécialiste du cinéma, même si l'art contemporain englobe tous les arts, cela m'a touché, intéressé, de voir est-ce que cette influence existe ?", estime Koyo Kouoh.
Ce travail de recherche de longue durée, étalé sur trois ans et demi, car couvrant presque trente ans de période, permettra d'établir des canaux et des références réelles sur cette influence de l'école soviétique. Le projet est soutenu par le Garage muséum de Moscou. Une visite a été faite à l'école de cinéma de Moscou. Il y aura une pré-présentation en septembre 2016 et un séminaire à Moscou où l'on discutera des canaux de recherches, de l'archivage et des histoires non racontées, etc. " Nous ferons des portraits des différents protagonistes, des archives et des affiches sur l'esthétique, il y aura des études comparatives visuelles et écrites, il aura aussi des armes pour faire ressortir tout le contexte politique de cette période, car ce n'était pas seulement l'échange académique et universitaire, pour la Russie, c'était une vraie conquête de ces nouveaux territoires indépendants en terme de lutte ou de repositionnement par rapport aux USA ", expliquent les chercheuses. L'objectif final est de remettre en mémoire cette génération en allant chercher ces oubliés. Une exposition sera faite et un livre édité, pour regrouper tout le travail abattu.
Fatou Kiné SÈNE
magazine Africiné, Dakar
pour Images Francophones
Image : Rasha Salti (Liban, à gauche), Koyo Kouoh (Cameroun, au centre), Baba Diop (Sénégal, à droite), au Raw Material, Dakar, le 24 juin 2015.
Crédit : Fatou Kiné Sène / Africiné