L'Afrique: laboratoire de la création francophone
Table-ronde du CNC, au festival de Cannes 2017
En marge du Festival de Cannes 2017, le CNC (Centre National - français - du Cinéma et de l'image animée) a organisé une série de tables rondes (Plage du Gray d'Albion) autour de différentes questions touchant au développement du cinéma en France et dans le monde. La journée du vendredi 18 mai s'est ouverte par un panel sur la réalité virtuelle rejoignant le débat plus large lancé il y a quelques semaines sur les nouvelles technologies, en l'occurrence la Video on Demand avec les manœuvres de Netflix et Amazon les deux géants du online streaming, et les menaces que cela représente sur le futur proche du cinéma. Le panel suivant a porté sur la production cinématographique en Afrique dans le cadre d'une réflexion sur les possibilités d'une émergence d'une plateforme francophone dans l'intérêt du Nord et du Sud. Autour de la table animée par Alain Rocca (Trophées francophones), étaient présents Dora Bouchoucha (productrice tunisienne), Faissol Fahad Gnonlonfin (réalisateur et producteur béninois), Philippe Lacôte (réalisateur et producteur franco-ivoirien), Pascal Delarue (Directeur Général d'Orange Studio) et Alex Moussa Sawadogo. Dans la salle, plusieurs professionnels dont le cinéaste Abderrahmane Sissako.
Les participants ont été sollicités pour débattre de la manière dont le titre pourrait être traduit sur le terrain ; en d'autres termes si l'Afrique est un laboratoire de la création francophone et / ou comment elle peut l'être. D'aucuns ont relevé effectivement le grand bouillonnement créatif que connaît l'Afrique et plus particulièrement l'Afrique francophone. D'autres sont même allés jusqu'à admettre l'existence d'un mouvement qui est en train de naître. Toujours est-il si le premier panel a été une projection dans le futur ; le second a tourné en un ressassement de vieux débats sur les manquements qui empêchent le cinéma africain francophone d'émerger comme il devrait et sur le déséquilibre entre les deux mondes francophones, le Nord versus le Sud.
Les manquements
Dora Bouchoucha, productrice tunisienne et patronne de Nomadis Images qui organise les ateliers Sud Écriture destinés au développement de scénario venant d'Afrique et du Monde Arabe, a fait un état des lieux de la production africaine. Aussi a-t-elle mis l'accent sur la dynamique que connaît l'Afrique anglophone avec ses écoles de cinéma et ses structures efficaces de production et de promotion notamment en Afrique du Sud qui joue un rôle de locomotive pour toute la zone. En revanche, l'Afrique francophone, pourtant forte de sa culture de cinéma d'auteur, est confrontée à la disparition des salles de cinéma comme à un mal incurable. Seule une réflexion sérieuse sur la manière d'imaginer des structures pragmatiques et efficaces est capable de sortir le cinéma francophone d'Afrique de sa léthargie.
La productrice tunisienne a rappelé également deux autres grandes questions. L'une est celle du scénario ; l'autre celle de la production. Elle s'est souvenue que, durant les années pendant lesquelles elle a présidé le fonds Cinéma du Sud, pas plus de deux ou trois scénarios africains étaient soumis par commission. Cela s'explique, selon elle, par deux facteurs : d'une part, la récurrence des mêmes thèmes touchant à la politique, la société, la tradition etc. ; d'une autre part la manière dont la sélection des scénarii est faite et qui ne respecte pas les spécificités des sujets venant d'Afrique en comparaison avec les autres projets venant d'Amérique latine ou d'Asie du sud. A cela s'ajoute le statut problématique du producteur en Afrique subsaharienne où les producteurs capables d'accompagner les projets de films sont très rares, voire inexistants. Cela n'est pas le cas en Afrique du Nord comme en Tunisie ou au Maroc où le métier est un peu mieux organisé et quelques producteurs se profilent comme de vrais porteurs de projets.
Production, le talent d'Achille
Alex Moussa Sawadogo, quant à lui, a rappelé le boom de la production vidéo au Nigeria, au Ghana et au Burkina Faso. Rejoignant Bouchoucha, il explique le cas du Burkinabé par le fait que les cinéastes sont dissuadés par les politiques des fonds internationaux d'aide à la production et se tournent donc vers la télévision. Cela fait qu'il y a une grande énergie créative mais qui n'est pas canalisée. En tant que programmeur de films à travers la structure de Ouaga Film Lab dont il est le fondateur, il constate qu'il est difficile de trouver ne serait-ce que des films qui correspondent au format cinématographique en termes de durée ; la plupart des films produits a une durée de 52 minutes alors que pour les festivals de cinéma la durée minimale est bien évidemment 60 minutes.
Tous les intervenants ont fait valoir un besoin urgent dans deux domaines, à savoir le scénario et la production. L'Afrique est en effet un laboratoire de thèmes extraordinaires, mais transformer un conte oral en une narration cinématographique convaincante est loin d'être à la portée de tout le monde. Le producteur en tant que porteur de projet et accompagnateur d'auteur du début à la fin de son rêve est un métier rare, voire à inventer dans certains pays d'Afrique de l'ouest. La formation, au sens traditionnel, n'arrive pas à donner une bonne réponse. Les écoles de cinéma en Afrique sont essentiellement tournées vers la télévision. Aucun des élèves de l'ISIS n'a figuré dans la sélection du FESPACO, note Alex Moussa Sawadogo. Il y a certes une production visuelle abondante mais la qualité laisse à désirer. L'idée serait donc de s'orienter vers une formation sur les tournages mêmes. Cela signifierait qu'une partie du budget des films serait allouée à la formation de techniciens et d'assistants de production. Question très épineuse à laquelle le festival d'Amiens cherche à apporter un élément de réponse en instaurant un Atelier destiné aux producteurs.
Pourtant l'Afrique ne manque pas de talents
Dire cela reviendrait à admettre qu'il n'y a pas de professionnels en Afrique subsaharienne. Or, deux exemples récents sont la preuve du contraire. Run de Philippe Lacôte, une grande production en Côte d'ivoire après 10 ans de vaches maigres, a été réalisé grâce à une équipe de professionnels venant de toute l'Afrique de l'ouest. Il est donc possible de constituer une équipe professionnelle de 80% de techniciens Africains. Il en va de même avec Wallay. 70 à 80 % de l'équipe du film burkinabé était africaine. Il y a là en effet un potentiel qui mérite d'être accompagné note Faissol Fahad Gnonlonfin. Ce qui primordial c'est que le porteur du projet doit avoir de la foi en l'énergie africaine. Croire au potentiel local permet de faire peser la part africaine dans toute coproduction avec le Nord.
Ce potentiel a besoin d'accompagnement et c'est tout le sens du travail de Ouaga Film Lab : un collectif d'agents indépendants qui essayent de prendre en charge les jeunes professionnels et les accompagner le long des processus d'écriture et de production. Il y a déjà un travail qui se fait dans ce sens. Ouaga Film Lab est un projet destiné aux jeunes réalisateurs de première ou deuxième œuvre. Le dernier en date en marge du dernier FESPACO était intitulé Cinema meets Business. Réunissant dix couples de producteurs et de réalisateurs, il a ciblé les besoins concrets des projets. Ainsi la question de la recherche de sources de financement locales a occupé un volet important des travaux de l'atelier.
Il est important voire nécessaire, si ce n'est vital, de se libérer du poids des institutions étatiques et internationales. En effet, souligne Dora Bouchoucha à titre d'exemple, il y a bien une coopération dans le cadre de la francophonie entre les états du Nord d'une part et ceux du Sud d'une autre part. Toutefois, la dynamique des jeunes échappe souvent aux stratégies des gouvernements. C'est dans ce sens que, cette année, six jeunes producteurs tunisiens ont été invités, avec une contribution partielle de l'Etat tunisien, pour s'imbiber du monde professionnel de la production et de la promotion des films à Cannes.
Vu du Nord
Pascal Delarue, Directeur Général d'Orange Studio, a pris la parole pour analyser la difficulté de la coproduction avec l'Afrique. L'expérience de Benda Bilili de Renaud Barret et Florent de la Tullaye et celle de La Pirogue de Moussa Touré ont démontré que les films africains peuvent être rentables financièrement. Orange est installée dans plusieurs pays africains. Il est donc possible de plus investir dans des films africains pour les publics africains. Actuellement le géant de la télécommunication est engagé dans pas moins de 8 projets.
Il n'en reste pas moins vrai qu'on ne peut pas produire un film africain comme on produirait un film de Tavernier ou de Téchiné. Trouver le bon ambassadeur pour le cinéma africain demeure une tâche extrêmement ardue. Et cela revient à des raisons purement concrètes : les professionnels du cinéma ne sont pas visibles pour les investisseurs étrangers. Ceci fait que l'étude d'un projet afin de l'introduire dans les circuits des financements prend plus de temps qu'un film européen. En convaincre les financeurs en amont ou les distributeurs en aval est encore une autre paire de manche.
D'un point de vue économique l'expérience a montré qu'il est difficile d'accompagner les films africains dans la phase de l'exploitation en Afrique et dans le monde. Timbuktu d'Abderrahmane Sissako demeure une exception qui confirme la règle. Sachant que la décision de s'engager dans un film doit prendre en considération son marché potentiel, l'équation entre le coût de la production et le marché est difficile à trouver. Ajoutons à cela le poids de l'inflation qui rend le marché international pour le film africain impossible : le coût moyen d'un film est actuellement entre 1,5 et 2,5 million d'euros. Contrairement au faste des années 90, l'investissement est quasi irrécupérable.
Dans ce contexte, l'intervention de la Francophonie, a souligné Pascal Terrasse (SACD, Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) pour sa part, prend tout son sens. Soutenir le film africain participe de la défense des auteurs francophones et de la promotion des artistes francophones africains, et partant de la visibilité de la culture francophone. Cela s'inscrit bien évidemment dans le cadre plus général de la lutte contre l'affadissement du français à cause des nouvelles technologies : Netflix cherche à acheter les droits des films africains, Donald Trump se bat pour une libéralisation du cinéma et de l'audiovisuel ce qui permettra aux plateformes d'internet d'échapper aux obligations fiscales et peser sur la visibilité de la culture francophone qui risque de fondre dans le moule de la globalisation où l'anglais est maître. Les politiques se globalisent et s'uniformisent. Or, le combat qui reste à mener est que les états aient la possibilité d'organiser et de réguler leurs cultures à l'échelle nationale ou régionales. C'est le cap dont la coopération internationale, et plus spécifiquement francophone, ne doit pas dévier.
La conclusion est venue de la bouche d'Abderrahmane Sissako qui a recommandé que les Africains doivent cultiver leurs propres jardins car l'émergence ne viendra jamais des systèmes non africains. En dehors de cela, on continuera toujours à se retrouver pour parler des choses qui ne marchent pas. En effet, si le débat en Europe est comment intégrer les nouvelles technologies comme la Video à la Demande (VoD) et la Réalité Virtuelle (VR) dans l'industrie de l'image, on pose encore les questions anachroniques de formation de techniciens, encadrement d'écriture de scénario, mobilisation de financements locaux, manque de vision politique pour la culture chez les états africains etc. Ce sont là les mêmes questions que les pionniers du cinéma africains se sont toujours posées. Il est triste de voir qu'en 2017, on doit encore et pour la énième fois en débattre. Le monde va de l'avant, l'Afrique est tirée vers le passé, c'est le plein sens du déséquilibre entre le Nord et le SUD.
par Hassouna Mansouri,
Correspondant spécial, à Cannes
Africiné Magazine, Dakar
pour Images Francophones
Photo : Les intervenants de la table-ronde avec (de gauche à droite) Dora Bouchoucha, Alex Moussa Sawadogo, Philippe Lacôte, Pascal Delarue, Alain Rocca et Faissol Fahad Gnonlonfin.
Crédit image : gracieuseté CNC
Les participants ont été sollicités pour débattre de la manière dont le titre pourrait être traduit sur le terrain ; en d'autres termes si l'Afrique est un laboratoire de la création francophone et / ou comment elle peut l'être. D'aucuns ont relevé effectivement le grand bouillonnement créatif que connaît l'Afrique et plus particulièrement l'Afrique francophone. D'autres sont même allés jusqu'à admettre l'existence d'un mouvement qui est en train de naître. Toujours est-il si le premier panel a été une projection dans le futur ; le second a tourné en un ressassement de vieux débats sur les manquements qui empêchent le cinéma africain francophone d'émerger comme il devrait et sur le déséquilibre entre les deux mondes francophones, le Nord versus le Sud.
Les manquements
Dora Bouchoucha, productrice tunisienne et patronne de Nomadis Images qui organise les ateliers Sud Écriture destinés au développement de scénario venant d'Afrique et du Monde Arabe, a fait un état des lieux de la production africaine. Aussi a-t-elle mis l'accent sur la dynamique que connaît l'Afrique anglophone avec ses écoles de cinéma et ses structures efficaces de production et de promotion notamment en Afrique du Sud qui joue un rôle de locomotive pour toute la zone. En revanche, l'Afrique francophone, pourtant forte de sa culture de cinéma d'auteur, est confrontée à la disparition des salles de cinéma comme à un mal incurable. Seule une réflexion sérieuse sur la manière d'imaginer des structures pragmatiques et efficaces est capable de sortir le cinéma francophone d'Afrique de sa léthargie.
La productrice tunisienne a rappelé également deux autres grandes questions. L'une est celle du scénario ; l'autre celle de la production. Elle s'est souvenue que, durant les années pendant lesquelles elle a présidé le fonds Cinéma du Sud, pas plus de deux ou trois scénarios africains étaient soumis par commission. Cela s'explique, selon elle, par deux facteurs : d'une part, la récurrence des mêmes thèmes touchant à la politique, la société, la tradition etc. ; d'une autre part la manière dont la sélection des scénarii est faite et qui ne respecte pas les spécificités des sujets venant d'Afrique en comparaison avec les autres projets venant d'Amérique latine ou d'Asie du sud. A cela s'ajoute le statut problématique du producteur en Afrique subsaharienne où les producteurs capables d'accompagner les projets de films sont très rares, voire inexistants. Cela n'est pas le cas en Afrique du Nord comme en Tunisie ou au Maroc où le métier est un peu mieux organisé et quelques producteurs se profilent comme de vrais porteurs de projets.
Production, le talent d'Achille
Alex Moussa Sawadogo, quant à lui, a rappelé le boom de la production vidéo au Nigeria, au Ghana et au Burkina Faso. Rejoignant Bouchoucha, il explique le cas du Burkinabé par le fait que les cinéastes sont dissuadés par les politiques des fonds internationaux d'aide à la production et se tournent donc vers la télévision. Cela fait qu'il y a une grande énergie créative mais qui n'est pas canalisée. En tant que programmeur de films à travers la structure de Ouaga Film Lab dont il est le fondateur, il constate qu'il est difficile de trouver ne serait-ce que des films qui correspondent au format cinématographique en termes de durée ; la plupart des films produits a une durée de 52 minutes alors que pour les festivals de cinéma la durée minimale est bien évidemment 60 minutes.
Tous les intervenants ont fait valoir un besoin urgent dans deux domaines, à savoir le scénario et la production. L'Afrique est en effet un laboratoire de thèmes extraordinaires, mais transformer un conte oral en une narration cinématographique convaincante est loin d'être à la portée de tout le monde. Le producteur en tant que porteur de projet et accompagnateur d'auteur du début à la fin de son rêve est un métier rare, voire à inventer dans certains pays d'Afrique de l'ouest. La formation, au sens traditionnel, n'arrive pas à donner une bonne réponse. Les écoles de cinéma en Afrique sont essentiellement tournées vers la télévision. Aucun des élèves de l'ISIS n'a figuré dans la sélection du FESPACO, note Alex Moussa Sawadogo. Il y a certes une production visuelle abondante mais la qualité laisse à désirer. L'idée serait donc de s'orienter vers une formation sur les tournages mêmes. Cela signifierait qu'une partie du budget des films serait allouée à la formation de techniciens et d'assistants de production. Question très épineuse à laquelle le festival d'Amiens cherche à apporter un élément de réponse en instaurant un Atelier destiné aux producteurs.
Pourtant l'Afrique ne manque pas de talents
Dire cela reviendrait à admettre qu'il n'y a pas de professionnels en Afrique subsaharienne. Or, deux exemples récents sont la preuve du contraire. Run de Philippe Lacôte, une grande production en Côte d'ivoire après 10 ans de vaches maigres, a été réalisé grâce à une équipe de professionnels venant de toute l'Afrique de l'ouest. Il est donc possible de constituer une équipe professionnelle de 80% de techniciens Africains. Il en va de même avec Wallay. 70 à 80 % de l'équipe du film burkinabé était africaine. Il y a là en effet un potentiel qui mérite d'être accompagné note Faissol Fahad Gnonlonfin. Ce qui primordial c'est que le porteur du projet doit avoir de la foi en l'énergie africaine. Croire au potentiel local permet de faire peser la part africaine dans toute coproduction avec le Nord.
Ce potentiel a besoin d'accompagnement et c'est tout le sens du travail de Ouaga Film Lab : un collectif d'agents indépendants qui essayent de prendre en charge les jeunes professionnels et les accompagner le long des processus d'écriture et de production. Il y a déjà un travail qui se fait dans ce sens. Ouaga Film Lab est un projet destiné aux jeunes réalisateurs de première ou deuxième œuvre. Le dernier en date en marge du dernier FESPACO était intitulé Cinema meets Business. Réunissant dix couples de producteurs et de réalisateurs, il a ciblé les besoins concrets des projets. Ainsi la question de la recherche de sources de financement locales a occupé un volet important des travaux de l'atelier.
Il est important voire nécessaire, si ce n'est vital, de se libérer du poids des institutions étatiques et internationales. En effet, souligne Dora Bouchoucha à titre d'exemple, il y a bien une coopération dans le cadre de la francophonie entre les états du Nord d'une part et ceux du Sud d'une autre part. Toutefois, la dynamique des jeunes échappe souvent aux stratégies des gouvernements. C'est dans ce sens que, cette année, six jeunes producteurs tunisiens ont été invités, avec une contribution partielle de l'Etat tunisien, pour s'imbiber du monde professionnel de la production et de la promotion des films à Cannes.
Vu du Nord
Pascal Delarue, Directeur Général d'Orange Studio, a pris la parole pour analyser la difficulté de la coproduction avec l'Afrique. L'expérience de Benda Bilili de Renaud Barret et Florent de la Tullaye et celle de La Pirogue de Moussa Touré ont démontré que les films africains peuvent être rentables financièrement. Orange est installée dans plusieurs pays africains. Il est donc possible de plus investir dans des films africains pour les publics africains. Actuellement le géant de la télécommunication est engagé dans pas moins de 8 projets.
Il n'en reste pas moins vrai qu'on ne peut pas produire un film africain comme on produirait un film de Tavernier ou de Téchiné. Trouver le bon ambassadeur pour le cinéma africain demeure une tâche extrêmement ardue. Et cela revient à des raisons purement concrètes : les professionnels du cinéma ne sont pas visibles pour les investisseurs étrangers. Ceci fait que l'étude d'un projet afin de l'introduire dans les circuits des financements prend plus de temps qu'un film européen. En convaincre les financeurs en amont ou les distributeurs en aval est encore une autre paire de manche.
D'un point de vue économique l'expérience a montré qu'il est difficile d'accompagner les films africains dans la phase de l'exploitation en Afrique et dans le monde. Timbuktu d'Abderrahmane Sissako demeure une exception qui confirme la règle. Sachant que la décision de s'engager dans un film doit prendre en considération son marché potentiel, l'équation entre le coût de la production et le marché est difficile à trouver. Ajoutons à cela le poids de l'inflation qui rend le marché international pour le film africain impossible : le coût moyen d'un film est actuellement entre 1,5 et 2,5 million d'euros. Contrairement au faste des années 90, l'investissement est quasi irrécupérable.
Dans ce contexte, l'intervention de la Francophonie, a souligné Pascal Terrasse (SACD, Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) pour sa part, prend tout son sens. Soutenir le film africain participe de la défense des auteurs francophones et de la promotion des artistes francophones africains, et partant de la visibilité de la culture francophone. Cela s'inscrit bien évidemment dans le cadre plus général de la lutte contre l'affadissement du français à cause des nouvelles technologies : Netflix cherche à acheter les droits des films africains, Donald Trump se bat pour une libéralisation du cinéma et de l'audiovisuel ce qui permettra aux plateformes d'internet d'échapper aux obligations fiscales et peser sur la visibilité de la culture francophone qui risque de fondre dans le moule de la globalisation où l'anglais est maître. Les politiques se globalisent et s'uniformisent. Or, le combat qui reste à mener est que les états aient la possibilité d'organiser et de réguler leurs cultures à l'échelle nationale ou régionales. C'est le cap dont la coopération internationale, et plus spécifiquement francophone, ne doit pas dévier.
La conclusion est venue de la bouche d'Abderrahmane Sissako qui a recommandé que les Africains doivent cultiver leurs propres jardins car l'émergence ne viendra jamais des systèmes non africains. En dehors de cela, on continuera toujours à se retrouver pour parler des choses qui ne marchent pas. En effet, si le débat en Europe est comment intégrer les nouvelles technologies comme la Video à la Demande (VoD) et la Réalité Virtuelle (VR) dans l'industrie de l'image, on pose encore les questions anachroniques de formation de techniciens, encadrement d'écriture de scénario, mobilisation de financements locaux, manque de vision politique pour la culture chez les états africains etc. Ce sont là les mêmes questions que les pionniers du cinéma africains se sont toujours posées. Il est triste de voir qu'en 2017, on doit encore et pour la énième fois en débattre. Le monde va de l'avant, l'Afrique est tirée vers le passé, c'est le plein sens du déséquilibre entre le Nord et le SUD.
par Hassouna Mansouri,
Correspondant spécial, à Cannes
Africiné Magazine, Dakar
pour Images Francophones
Photo : Les intervenants de la table-ronde avec (de gauche à droite) Dora Bouchoucha, Alex Moussa Sawadogo, Philippe Lacôte, Pascal Delarue, Alain Rocca et Faissol Fahad Gnonlonfin.
Crédit image : gracieuseté CNC