Journées cinématographiques de la femme africaine de l’image (JCFA 2012)
Pour changer le regard sur la femme
La deuxième édition des Journées cinématographiques de la femme africaine de l’image (JCFA) se tient du 03 au 08 Mars 2012 à Ouagadougou et Dédougou, Burkina Faso, autour du thème « Femmes, cinéma et formation professionnelle ». Au-delà de ce thème, les femmes africaines du cinéma entendent s’impliquer pour changer les pesanteurs sociales qui entravent leur épanouissement et à œuvrer pour l’avènement d’un cinéma de femmes. Marie Laurentine Bayala, réalisatrice burkinabè de Jusqu’au bout... nous a confié ses impressions.
Les JCFA sont nées du constat fait par les femmes africaines du cinéma à l’occasion de la 12ème édition du Fespaco (1991) de leur faible présence dans les métiers de cinéma et de la nécessité de leur formation dans tous les métiers de création et de production ainsi que des difficultés d’accès au financement pour leurs films.
Deux décennies plus tard, le constat demeure inchangé, à peu de chose près. Car si les femmes sont plus présentes dans les métiers de l’image, elles le sont comme maquilleuses, costumières ; des fonctions que l’on croit propres au genre ou encore celles de scripts, monteuses, comédiennes. Dans ce cas aussi, elles y sont parce qu’il est admis que ces métiers requièrent certaines qualités dont elles seraient naturellement nanties : méticulosité, délicatesse, sensibilité. Rarement, elles se retrouvent derrière la caméra comme réalisatrice, directrice photo ou éclairagiste. En somme, le cinéma est en général affaire d’hommes et les idées reçues sont tenaces !
Les réalisatrices connues au-delà du cercle des hommes de cinéma sont relativement peu nombreuses.
Néanmoins, au risque d'en omettre, on peut citer la Sénégalaise Safi Faye (la pionnière, dès les années 70), les Tunisiennes Moufida Tlati, Selma Baccar, Kalthoum Bornaz, Nadia El Fani, Raja Amari, les Burkinabèes Fanta Régina Nacro, Sarah Bouyain, Appoline Traoré, les Égyptiennes Jihan El Tahri et Atteyat Al-Abnoudy, la Congolaise Monique MBEKA Phoba, l'Ivoirienne Isabelle Boni-Claverie, la Zimbabwéenne Ingrid Sinclair, sans compter la nouvelle génération : en Tunisie (Meriem Riveill, Leyla Bouzid, Kaouther Ben H'nia...), Kamla Abu Zekri & Meriem Abu Ouf (Égypte) ou encore Wanuri Kahui (Kenya), Hachimiya Hamada (Comores), Sabrina Draoui (Algérie), Khady Sylla (Sénégal), Rungano Nyoni (Zambie), Taghreed Elsanhouri (Soudan)...
Nombre de ces réalisatrices étaient techniciennes, parfois actrices (par exemple Safi Faye, qui a débuté avec Jean Rouch dans Petit à Petit, en 1971). Ainsi Moufida Tatli (Tunisie), monteuse émérite, tout comme l'Algérienne Yamina Bachir-Chouikh qui est passée derrière la caméra en portraiturant les drames causés par la violence islamiste à travers le regard d'une institutrice avec Rachida (2002).
Par conséquent, il appartient aux professionnelles du cinéma de faire bouger les lignes, pour inscrire leur regard de femmes dans leurs films et se former afin d'occuper les différents métiers dans la chaîne des métiers du cinéma et de la télévision. Les hommes ont bien sûr leur rôle à jouer aussi, en leur ouvrant plus d'opportunités et par leurs images contribuer à changer les regards sur la femme.
Cinéma de femmes, cinéma de revendication sociale.
Si la caméra est un gros œil que l’on pose sur son monde, il est évident que les femmes du cinéma africain promèneront ce regard sur leur monde et proposeront des films qui sont des lectures du « monde tel qu’il va ». Sur une vingtaine de films au programme en 2012, la plupart des films réalisés par les femmes traitent effectivement de la condition de la femme. Ainsi tous les cinq longs-métrages à l’affiche abordent le problème de la condition de la femme. Hassis de Moussa Hamadou Djingaré (Niger) , I want a weeding dress de la Zimbabwénne Tsitsi Dagarembga, Notre étrangère de la Franco-Burkinabèe Sarah Bouyain, Le Mec Idéal d’Owell Brown (Côte d'Ivoire) déclinent sur tous les tons et facettes la difficile condition féminine. C'est dire qu'il n'y a pas uniquement des films réalisés par des femmes ; les hommes jouent aussi leur partition.
Jeune réalisatrice burkinabèe, Marie Laurentine Bayala est convaincue comme la plupart de ses consœurs cinéastes que « le cinéma est un médium très puissant qui peut aider à changer les représentations sociales et briser les carcans qui entravent la femme. Si Barack Obama est devenu président des Etats-Unis, c’est un peu grâce à Hollywood, à travers la série télé « 24 heures chrono » qui montrait un président noir qui gouverne ce pays»
Cette force du cinéma explique que son second film Jusqu’au bout... (2010), un court métrage de 23 minutes, ait réussi à poser à travers la fiction tous les enjeux du cinéma au féminin. C’est une fiction qui suit le parcours de combattant de Saskia (Cynthia Pascale HILAIRE), une jeune réalisatrice décidée à faire un film documentaire sur les violences faites aux femmes. Elle prend cette décision après avoir reçu le coup de fil de sa sœur en larmes. Son tournage se confronte aux résistances de tous ordres : ordre social, machisme et également soumission de la femme…
C’est certainement ce besoin de se confronter aux réalités sociales qui fait que le documentaire à la faveur des femmes du cinéma africain. En effet, depuis quelques années, ce genre connaît un développement qui s’explique certainement par la modicité des moyens qu’il requiert mais surtout parce qu’il permet de poser un regard sur les réalités sociales et les préoccupations des femmes.
Au programme de ce festival, des films documentaires qui abordent des préoccupations des femmes. Le drame des filles mères de la Burkinabèe Kadidia Sanogo aborde les problèmes liés aux grossesses précoces des adolescentes : complications sanitaires, exclusion sociale, interruption des études.
Comme le dit Clément Tapsoba, critique de cinéma, « pour que la femme africaine puisse occuper la place qui est la sienne dans le 7ème art, cela passe par la formation aux métiers du cinéma et à l’autonomie économique. »
Femmes et avènement d’un cinéma fort.
La faible présence des femmes s’explique aussi par le manque de formation de celles-ci aux métiers de l’image. Au Burkina Faso, en 1996, on dénombrait 9 réalisatrices sur 64 réalisateurs, 6 monteuses sur 11 et aucune dans les domaines tels que la machinerie, la prise de vue (sur 21 hommes), la prise de son, l’éclairage. Avec l’érection des structures de formations aux métiers du cinéma au Burkina comme Imagine fondé par Gaston Kaboré et l’Institut supérieur de l’image et du son (ISIS) à partir des années 2000, il y a un relèvement de la présence du beau sexe dans le cinéma. On dénombre désormais dix-neuf (19) professionnelles (dont une dizaine dans les métiers d’ingénieur son et prise de vue). D’autres pays du continent ont ouvert également depuis quelques temps des instituts de formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel. C’est le cas du Sénégal, du Bénin, du Maroc, du Ghana, de la Tunisie, etc.
« Je me suis inscrite à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis pour un master 2, en 2007, en réalisation documentaire de création. J’ai pris conscience de la nécessité de me former en réalisant mon premier film. J’ai compris la nécessité de la formation pour un réalisateur, s’il veut avoir la pleine maîtrise de son œuvre», nous dit Laurentine Bayala qui insiste sur la formation continue.
Mais au-delà de la formation, il se pose aussi le sempiternel problème de financement des films. Pour la réalisatrice burkinabèe dont de nombreux scenarii dorment dans ses tiroirs par manque de financement, il est nécessaire de trouver « des systèmes innovants de financement à notre cinéma à la place des guichets internationaux du Nord. Il faut trouver des ressources endogènes. Des exemples venant du continent comme les cinémas du Nigéria, l’Égypte et l’Afrique australe doivent nous inspirer pour créer une industrie locale. On a beaucoup critiqué la qualité des films de Nollywood, mais ils trouvent un public en Afrique et permettent de faire vivre tous les secteurs d’activités liés au 7ème art ».
Pour Laurentine Bayala, « le cinéma peut participer au développement des pays car si on réussit à implanter une industrie du cinéma, c’est toute la chaine de la production cinématographique qui y gagne. Les producteurs, les propriétaires de salles, les réalisateurs, les comédiens et toute la chaîne des métiers du cinéma ne chômeront plus. »
Cela d’autant plus urgent que dans la situation actuelle avec un cinéma à l’état embryonnaire, il est quasi-impossible d’en faire une activité à temps plein. Nombre de réalisatrices aimeraient se consacrer exclusivement à leur art, mais c’est impossible car le cinéma ne nourrit pas toujours son homme.
En somme, les JCFA sont une occasion pour les professionnelles du cinéma de se retrouver pour réfléchir sur les voies et moyens de susciter l’émergence d’un autre cinéma, celui des femmes qui est un regard de femme sur les réalités africaines. Et comme dit la réalisatrice de Jusqu’au bout... « c’est un créneau pour voir ou revoir nos films par le public et aussi pour confronter nos films en vue de réaliser des œuvres de qualité ; car au-delà des films de femmes, ce sont des films de qualité que le public attend de nous ».
Bien dit, car le cinéma est avant tout un art et c’est la qualité artistique des films qui vont les inscrire durablement dans le patrimoine culturel. Le genre est toujours subsidiaire même si l’on espère avec Louis Aragon que dans le cinéma aussi « la femme est l’avenir de l’homme ».
Saidou Alcény BARRY
Africiné / Association des critiques de cinéma du Burkina (ASCRIC-B)
04 mars 2012
Voir (en intégralité) le court métrage Jusqu'au bout... - produit par Semfilms Burkina : http://www.youtube.com/watch?v=Eru1P0qi7qU
JCFA 2012 sur Africiné : www.africine.org/?menu=evt&no=26656