Hommage aux regrettés Idrissa Ouédraogo, Taïeb Louhichi et Bouna Médoune Sèye, le samedi 10 mars 2018, à Paris
Le samedi 10 mars à partir de 19h30 et le jeudi 22 Mars 2018 à 20h00, au Cinéma La Clef (menacé de fermeture fin mars). Réservation conseillée.
Situé dans le 5ème arrondissement parisien, le Cinéma La Clef accueille l'hommage de la profession à trois de ses éminents membres récemment arrachés à notre affection : Idrissa Ouédraogo, réalisateur-producteur burkinabè, Taïeb Louhichi, réalisateur-producteur tunisien et Bouna Médoune Sèye, réalisateur-photographe sénégalais.
Bouna Médoune, le cinéma par effraction et l'image en infusion
Sur sa page facebook Balufu Bakupa-Kanyinda, président de la Guilde des Réalisateurs et Producteurs Africains, a précisé que l'hommage de Paris concernait aussi le réalisateur sénégalais. Des trois cinéastes, Bouna Médoune Sèye est peut-être le moins connu ; en tous cas il était le plus jeune et celui dont la mort est survenu avant les autres. Le photographe, artiste plasticien et réalisateur a rendu l'âme dans la matinée du mercredi 27 décembre 2017, à Paris, des suites d'une maladie non précisée par le communiqué du Directeur de la Cinématographie Sénégalaise, Hugues Diaz. Il avait 61 ans.
Né à Dakar, Sénégal, en 1956, il fait ses études en France à Marseille, puis retourne s'installer à Dakar où, avec Djibril Sy, Moussa Mbaye, Boubacar Touré, il cherche à affirmer une photographie artistique africaine. Il débute sur les plateaux de cinéma en tant que directeur artistique et il réalise des vidéos clips tels Gorgui et Chimes of Freedom de Youssou Ndour. Son premier film est Bandits cinéma, court-métrage fiction sur une bande de jeunes passionnés qui font tout pour entrer au cinéma même par effraction, 1994, puis Saï Saï by 1995 sur les ravages du Sida. Entre 1993 et 1995, tout en réalisant ses films, il collabore avec d'autres cinéastes, comme le Bissau-Guinéen Flora Gomes (A Mascara / Le Masque, 1994) pour lequel il est photographe de plateau, ou le Guinéen Gahité Fofana (Temedy, court métrage de fiction), où il est directeur artistique. Il est décorateur (avec Moustapha Ndiaye "Picasso") du film Tableau Ferraille de Moussa Sène Absa, plus tard costumier (avec Céline Delaire et Michèle Gingembre) du téléfilm Sexe, gombo et beurre salé (2008) de Mahamat-Saleh Haroun, tourné à Cenon, dans la métropole de Bordeaux, ville dans laquelle il avait déjà séjourné pour une résidence de photographie organisée par l'association Migrations Culturelles Aquitaine Afriques (MC2A, dirigée par Guy Lenoir), avec des élèves. On le retrouve directeur artistique et costumier sur le film Ramata, Léandre-Alain Baker.
Bouna Médoune Sèye avait compris que le cinéma n'est pas seulement un langage, il est fécondateur de société et témoignage des gens à la marge, à l'instar de sa série de photos sur les malades mentaux errant dans les rues dakaroises. Il a su infuser l'image de la folie dans la société non pas comme un spectacle, plutôt comme un moment de réflexion à la fois sur la normalité et tous les êtres qui occupent l'espace public. Ses photos sont éditées par les éditions Revue Noire (Paris) dont un des responsables, Jean-Loup Pivin produit ses films. L'artiste laisse en friche une œuvre riche ; il avait dans ses tiroirs son projet de premier long métrage fiction L'ombre / Takhandère.
Une des plus grandes comédies de l'histoire du cinéma est burkinabèe
Un mois après avoir fêté ses 64 ans (il est né le 21 janvier 1954 à Banfora, Burkina Faso), Idrissa Ouédraogo s'est éteint à Ouagadougou le dimanche 18 février 2018, des suites d'une courte maladie non précisée par nos sources. Ce cinéaste qui a beaucoup contribué au rayonnement de l'Afrique avait également défendu les couleurs du cinéma au Burkina Faso avec beaucoup de panache tout en s'investissant sur le terrain de la production et la distribution locale, comme l'écrit mon confrère Michel Amarger dans l'article qu'on a cosigné avec Bassirou Niang et Abraham N. Bayili.
Dès le lendemain de sa mort, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a tenu à " rendre hommage à un artiste exceptionnel qui a magnifiquement contribué à la rencontre des cultures mais aussi à un homme à la personnalité riche, singulière et attachante ", selon le communiqué de presse de l'institution. " Le regard libre et singulier sur l'Afrique et le monde d'Idrissa Ouédraogo, réalisateur et producteur burkinabé au talent immense nous manquera " a déclaré la Secrétaire générale de la Francophonie, Michaëlle Jean, en saluant la mémoire du cinéaste. À Ouagadougou, la capitale burkinabèe, une projection de ses films avait eu lieu le jour même de sa disparition, avant une veillée d'hommage au CENASA le lundi. Il a été inhumé au cimetière de Gounghin, le mardi 20 février, en présence de nombreuses personnalités. Idrissa a semé une graine qui a permis de faire germer l'imagination de milliers de spectateurs, un peu partout (ses films sont enseignés dans les lycées et universités en France ainsi qu'à travers le monde).
Il a reçu l'Etalon d'or de Yennenga en 1991 au Fespaco pour son troisième long métrage Tilaï / Question d'honneur qui lui avait valu également un an auparavant le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 1990. On doit au cinéaste burkinabè une des plus grandes comédies de l'histoire du cinéma : Kini et Adams (1997) tourné en anglais et au Zimbabwe, avec le soutien de l'OIF. Bourré d'intelligence et de subtilités, le film est une réflexion profonde sur l'amitié avec en autres l'acteur sud-africain John Kani (interprète du vieux roi assassiné de Wakanda, dans Black Panther, 2018). Le cinéaste triture les mots et essore chaque situation, pour obtenir un effet drôlatique continu et surtout très réussi.
L'hommage de ses pairs a plutôt retenu le film le plus emblématique de toute son œuvre : Yaaba (1989, France / Suisse, 90mins) qui a remporté le Prix de la Critique au Festival de Cannes 1989. A travers la profonde amitié liant le jeune Bila, son amie Napoko et Sana, une vieille femme abandonnée et rejetée par tout le village, Idrissa Ouédraogo pousse ici un peu plus la réflexion sur les parias (thème qui traverse toute sa filmographie). Les deux enfants, Bila et Napoko, appellent affectueusement Sana par le nom de " Yaaba " (signifiant "grand-mère", en moré), refusant ainsi de s'inscrire dans le processus de déshumanisation imposé par les adultes du village.
Le thème revient dans Delwendé de St-Pierre Yaméogo, ainsi que le récent I am not a witch de la Zambienne Rungano Nyoni, 2017. Djibril Diop Mambéty en avait livré un beau témoignage avec Parlons Grand-mère (1989) où il filme les coulisses du tournage. La diffusion de cette fiction au cinéma La Clef est précédée par le court métrage documentaire Mon village, un village parmi tant d'autres, de Taïeb Louhichi, parti trop tôt lui aussi.
Taïeb, le panafricain
Décédé mercredi le 21 février, soit trois jours après Idrissa Ouédraogo, Taïeb était âgé de 69 ans (il est né le 16 Juin 1948 à Mareth, en Tunisie). Ce panafricain dans l'âme (ayant tourné à Gorée, au Sénégal, comme dans le désert tunisien) a connu lui aussi les honneurs des festivals internationaux. Après des études de lettres et de sociologie couronnées par un doctorat, il se tourné vers le cinéma (formation à l'Institut de Formation Cinématographique et à l'École de Vaugirard de Paris), devenant un des plus grands cinéastes de notre continent. Taïeb Louhichi a contribué à renforcer les liens à travers l'Afrique, les diasporas africaines et établir des ponts avec le monde arabe et sur le globe. Cloué sur un fauteuil roulant après un tragique accident où il frôla la mort en 2006, il poursuivit son chemin. Il écrit des scénarios, un projet de livre, apporte sa contribution à la révolution tunisienne avec un documentaire sur les protagonistes ayant permis la chute du régime de Ben Ali (Les Gens de l'étincelle, 2011). En 2014, il signe L'enfant du soleil, long métrage de fiction sorti en salles, avec Mabo Kouyaté (dans le rôle de Yanis), aux côtés d'Hichem Rostom (Kateb), Sarra Hanachi (Sonia), Mohamed Mrad (Fafou) et Jamel Madani. Produit par sa société Tanit Production, avec le soutien de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), il fait jouer à Hichem Rostom le rôle de Kateb un écrivain en fauteuil roulant qui regarde le spectacle du monde avec amusement quand trois jeunes fêtards s'introduisent nuitamment chez lui. Avec quelques scènes extérieures tournées à Hergla, vers Sousse, l'action verse dans un huis-clos où les angoisses liées au passé des jeunes cambrioleurs rebondissent sur les murs et comme dans une serre isolée du climat capricieux de la vie ils devront apprendre à faire pousser de l'espoir en fleurs : s'appuyer sur le passé, s'enivrer du présent (et de l'amour) afin de faire éclore un futur apaisé.
La veine créatrice de Taïeb Louhichi ne s'est pas tarie : le cinéaste tunisien venait de présenter en Première Mondiale aux Journées Cinématographiques de Carthage - JCC 2017 (en Séance Spéciale, avec le film El Jaida, de Selma Baccar), ce qui restera comme son dernier long métrage, avec plusieurs grands noms du cinéma : Hishem Rostom, Jamel Madani, Ombretta Machi, Hassen Doss, Fatma Ben Saidane, Sana Rostom, Slah Msadek. La rumeur de l'eau porte sur le retour - après la révolution tunisienne - d'un metteur en scène naguère exilé et tourmenté par son passé amoureux ainsi que son histoire de militant 25 ans auparavant. Le grand critique Baba Diop (Africiné Magazine, Dakar) a estimé que c'est "un très grand film d'une belle sensibilité".
Taïeb et Martine, son épouse, étaient d'une belle prévenance, leur famille accueillait les invités des JCC pour une succulente dégustation gastronomique et des discussions passionnantes sur le cinéma, sur le monde. Son inhumation a eu lieu à Tunis le vendredi 23 février 2018.
Son film qui a été choisi pour précéder Yaaba est Mon village, un village parmi tant d'autres (1972) où il dénonce les conséquences de la saignée de l'émigration dans un petit village du sud-tunisien qui affecte la terre et les hommes, touchant tous les domaines de la vie quotidienne de ceux qui restent. Ce court-métrage documentaire de 20 minutes a remporté le Tanit d'Or aux Journées Cinématographiques de Carthage en 1972. On retrouve les mêmes questions dans d'autres films africains : Touki Bouki (Voyage d'hyène), de Mambéty en 1973 jusqu'à La pirogue de Moussa Touré en passant par Harragas de Merzak Allouache, pour ne citer que ceux-là.
La soirée-hommage au cinéma La Clef est organisée en partenariat avec TV5 Monde, l'Organisation Internationale de la Francophonie, la Guilde Africaine des Réalisateurs et Producteurs, le CNCI (Centre National du Cinéma et de l'Image, Tunisie), le Groupe Canal Plus et l'association Cinémawon, avec le soutien d'Africiné Magazine et d'Images Francophones. La projection sera suivie d'un cocktail le samedi 10 mars 2018, date de la cérémonie officielle. Une seconde projection exceptionnelle est prévue jeudi 22 mars, pour ceux qui ne pourront être présents ou entrer dans la salle. En effet, il est très recommandé de procéder à un pré-achat. Vous pouvez acheter vos billets en ligne (sans supplément de prix), pour le Samedi 10 Mars, à 20h00 (cliquez sur le lien) et aussi pour le Jeudi 22 Mars à 20h00 (cliquez sur le lien). Le tarif unique est de 5 € (les cartes UGC et Gaumont ne sont pas acceptées). Last but not least, rappelons que le Cinéma la Clef est menacé de disparition pour fin mars. Nous devons continuer notre mobilisation (merci de signer la pétition en ligne), comme nous le rappelle si bien la productrice et réalisatrice suisse Silvia Voser dans un courrier.
Thierno I. Dia
Africiné Magazine, correspondant à Bordeaux
pour Images Francophones
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