Gaston Kaboré : "Les peuples africains ont un besoin vital de leur propre image"
Entretien à propos du projet "Capital numérique"
Alors que le projet Capital numérique piloté par l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s'est achevé sur une mission de Dominique Théron, de la Bibliothèque Nationale de France auprès de l'Institut Imagine de Ouagadougou, Gaston Kaboré, directeur de l'Institut nous explique en quoi ce projet s'inscrit dans la continuité d'un combat de longue date pour la réhabilitation et la diffusion du patrimoine audiovisuel africain au plus grand nombre.
Pour quelles raisons la question de l'histoire et de la mémoire revêt-elle chez vous une importance particulière ?
En tant qu'historien de formation, j'ai toujours été habité par la question de la mémoire. Avant de me lancer dans des études de cinéma, j'avais entamé la rédaction d'une thèse de 3ème cycle d'histoire à la Sorbonne à Paris, qui portait sur l'image de l'Afrique dans la presse illustrée en France à la fin du XIX ème siècle. J'ai découvert comment ces images produites par d'autres étaient utilisées à l'époque au profit d'un discours de propagande coloniale. Tout ce que j'apprenais était intéressant mais il me semble qu'il manquait le point de vue, la parole, le ressenti des Africains eux-mêmes. Finalement, j'ai choisi de mettre ma thèse entre parenthèses, pour faire une école de cinéma mais, évidemment, je n'avais qu'une hâte à l'issue de ma formation : rentrer à Ouagadougou et commencer à tourner des films ! Mais cette réflexion sur les images m'est restée et j'ai voulu utiliser le cinéma comme outil de vulgarisation de l'histoire, pour la rendre compréhensible par le plus grand nombre. Je me disais que, pour que l'histoire serve à quelque chose, il fallait qu'elle soit à la portée de personnes qui ne sont pas forcément allées à l'université car c'est pour elles une manière de comprendre, de se réapproprier leurs imaginaires à travers le temps.
Ce ne sont pas des choses que j'ai à l'époque pu théoriser mais je le vivais de l'intérieur comme un besoin, celui d'être nous-mêmes les auteurs de notre histoire, de nos histoires car personne ne peut les raconter à notre place. A l'heure où l'on parle aujourd'hui de renaissance africaine, nos imaginaires, nos contes, nos mythes nos légendes sont des expressions vitales pour nous-mêmes, pour notre capacité à nous réinventer et à reconstruire l'homme nouveau africain. D'où l'importance d'écrire et de questionner l'histoire selon notre propre perspective.
Est-ce de cette volonté qu'est né l'Institut Imagine ?
Tout à fait. J'ai créé Imagine sur la base du fait qu'il n'y avait pas assez d'écoles de cinéma en Afrique ou, même s'il y en avait, les limitations budgétaires faisaient qu'on ne pouvait pas donner le meilleur enseignement pratique aux élèves. J'ai vu ça de très près, pour avoir été à la tête de la Fédération panafricaine des Cinéastes (FEPACI). Le fondement de cette entité professionnelle, qui est née dès 1970, est d'affirmer que le cinéma n'est pas un luxe pour les pays africains, qu'il est une manière de refléter nos visions sur le développement et que nous devons nous appuyer sur lui. Les cinéastes pionniers que j'ai connus étudiant à Ouagadougou étaient porteurs de cette vision : Med Hondo, Sembène Ousmane, Johnson Mahama Traoré, les Nigériens Moustapha Alassane, Oumarou Ganda, l'Ivoirien Timité Bassori… Leur rencontre, la découverte de leurs œuvres, m'a renforcé dans mes convictions que le cinéma pouvait être un véhicule de libération des esprits, de reconquête de nos imaginaires pour nous aider à avancer. A la fois comme outil de narration de nos intériorités, de nos imaginaires mais aussi comme outil de questionnement du réel. J'ai toujours en mémoire la dernière phrase d'une résolution que j'avais soumise à la conférence des Ministres de la culture de l'OUA qui a eu lieu à l'ile Maurice en 1986, à l'époque où j'étais encore président de la FEPACI, qui dit que "les peuples africains ont un besoin vital de leur propre image". C'est ce que je crois fondamentalement et c'est pour cette raison que j'ai voulu créer un lieu de transmission du savoir et du savoir-faire qui reflète la vision forgée par ces cinéastes pionniers des années 1970. C'est dans cet esprit qu'Imagine a vu le jour en 2003. Je n'aime pas le terme d'école. J'ai préféré lui donner le nom d'Imagine et plus tard d'Institut Imagine. Pour moi, l'imagination est la ressource fondamentale que nous avons pour prendre nos destins en main.
Quel rôle joue le pôle d'archives au sein d'Imagine ?
Le pôle archives s'est ouvert en 2008 à la suite d'un voyage que j'ai fait au Cambodge où j'ai pu visiter le centre d'archives Bophana fondé par Rithy Panh. J'y suis allé avec mon assistant et j'ai eu l'occasion de voir la manière dont les archives étaient organisées et valorisées. Quand le centre a ouvert nous avons embauché deux documentalistes, un informaticien mais dès le début je me suis dit qu'il fallait faire preuve de modestie. On parle avant tout d'un pôle et non d'un centre d'archives. L'idée n'est pas de se constituer une collection de tout ce qui existe mais de former les gens et faire progresser la conscience de la nécessité de préserver ces archives, de les restaurer quand c'est possible et de les communiquer au public, c'est vital. Il y a beaucoup de détenteurs de fonds patrimoniaux en Afrique mais ils sont très épars : l'Église, les municipalités, la radiodiffusion, la télévision, les sociétés privées en ont. Comment les amener à prendre conscience de la richesse qu'ils ont pour qu'ils puissent petit à petit la capitaliser petit dans un cadre politique national bien pensé ? Tout l'enjeu est là.
Pourquoi avez-vous choisi de vous associer au projet Capital numérique ?
Pour moi Capital numérique est venu comme un écho à mon combat pour la réappropriation de nos archives. Produire des œuvres, c'est une chose, mais il faut aussi qu'elles soient connues, qu'elles soient diffusées et qu'elles commencent à devenir objet d'étude sous peine de tomber dans l'oubli. Très peu de films d'archives sont produits en Afrique. Une grande majorité d'œuvres produites sur l'Afrique y compris par des Africains sont détenues par des points d'archives en dehors du continent : en France, en Angleterre, au Portugal, en Italie etc…Il faut que grandisse chez les Africains la conscience que ces archives sont une richesse. Même si elles ont été filmées avec un certain esprit, ce sont des archives réelles où il y'a des décors, des corps africains qui sont mis en scène d'une certaine manière et qui contiennent des renseignements des indications précieuses qui peuvent être re-questionnées y compris par des jeunes d'aujourd'hui. Il n'y a pas à rendre compte de l'histoire de manière unilatérale, mais il faut la comprendre et savoir que quand elle est faite par d'autres sur vous elle sert des intérêts. Mais il faut être serein devant ça et voir ce qu'on peut y puiser pour redémarrer quelque chose. J'ai eu l'occasion de collaborer avec l'OIF à plusieurs reprises, depuis l'époque où Tahar Cheriaa dirigeait le service cinéma de ce qui était encore à l'époque l'ACCT. Prendre part à ce projet me paraissait donc naturel car dans la continuité de ce que nous faisions déjà.
Qu'attendez-vous de ce projet ?
Ce projet est important dans la mesure où il va nous permettre de renforcer nos formations notamment grâce au scanner de films que nous avons reçu récemment qui va nous donner la possibilité de scanner et d'étalonner les films très anciens pour un visionnage a minima, ce qui va ouvrir le champ aux étudiants et aux chercheurs. Nous allons également nous servir des acquisitions du projet dans le cadre des Camps mémoire qui sont des formations à destination des écoliers, collégiens, lycéens, étudiants. On leur donne accès à nos archives sur place on en choisit quelques-unes emblématiques qu'on projette. Ces projections sont suivies d'un débat où on pose la problématique de l'histoire et de la mémoire. Cet aspect est très important pour moi car je me bats depuis des années pour que l'enseignement de l'art devienne effectif dans les écoles, les collèges, les universités, que des Clubs ciné se créent. Il faut donner aux jeunes la capacité de lire les images, de comprendre ce qu'il y a derrière et de développer un esprit critique par rapport à ce qu'ils voient. Il y a chez les jeunes un défaut de représentation des réalités africaines qu'il est urgent de pallier. Les jeunes ont souvent le sentiment (et on ne peut pas leur en vouloir) que c'est presque un malheur d'être né en Afrique car tout ce qu'on leur renvoie de l'Afrique, ce sont les catastrophes, les guerres etc…Et personne ne leur donne les moyens de regarder l'Afrique avec une curiosité positive. Ils ne savent même pas tout ce que l'Afrique a apporté au reste de l'humanité.
Ce projet va les y aider ?
Je suis convaincu que c'est un projet qui fera date et qui va contribuer de manière significative à faire avancer les choses. Mais à lui seul il ne peut pas relever tous les défis. Nous allons faire ce qui est possible un minimum de temps donné. Mais parallèlement nous devons développer une capacité de veille technologique morale et mémorielle. Rester attentif aux évolutions car les choses vont très vite. Bientôt, le cinéma et la télévision ne seront plus des espaces majoritaires de consommation des images par les jeunes. Ça commence déjà à être le cas. L'essor, des mobiles, des tablettes est déjà là et il faut aussi s'attaquer à ces nouveaux espaces de consommation des images pour proposer aux jeunes des modèles qui leur ressemblent et qui les rendent fiers de leur histoire. Il faut sortir des formats de diffusion classiques pour aller à la rencontre de ce public-là. Il faudrait aussi développer des entreprises francophones africaines du Sud capable de travailler avec autre chose que des supports médiatiques traditionnels. Des pays comme le Cameroun, le Bénin sont par exemple en train de développer leurs propres tablettes, plus accessibles par leur prix. Pour moi il serait intéressant de développer des partenariats avec ces entreprises pour être au cœur de notre public et toucher le plus grand nombre.
Avez-vous eu des premiers retours sur les premières œuvres livrées ?
A l'heure actuelle, je dirais qu'ils sont difficiles à évaluer. Notre pôle archives est actuellement en pleine réorganisation et nous sommes encore au début de l'utilisation des potentialités du scanner de films. Faire en sorte que le fond de films de Capital numérique entre dans la consommation quotidienne du public demande encore un peu de temps. Nous allons l'injecter petit à petit dans notre programmation en particulier dans le cadre de " 120 heures chronos ", une nouvelle formation aux techniques de fabrication d'un film que nous avons mis en place entre le 12 et le 16 Octobre dernier. C'est une sorte de ciné-club professionnel où les participants apprennent à raconter une histoire, à la tourner et à la finaliser sous forme d'un film de 3mn. Comme exemple de construction narrative, nous leur projetons des classiques du cinéma et nous voulons justement utiliser abondamment des films du patrimoine africain, ce qui nous permettra de présenter les films issus du fonds de Capital numérique. Mais de manière générale, pense que nous commencerons à avoir du recul au moment du prochain FESPACO 2017 qui drainera une grande partie d'un public potentiel vers l'institut Imagine.
Qu'est-ce qui explique selon vous que malgré des initiatives comme Capital numérique, de nombreuses œuvres du patrimoine audiovisuel africain restent encore d'un accès difficile pour le grand public ?
Fondamentalement l'absence de circuits nécessaires à la production et à la diffusion, le vrai problème du cinéma et de l'audiovisuel depuis plusieurs années. Mais je dirais aussi que les conditions dépendent d'un contexte plus général. On ne peut pas rêver que le cinéma et l'audiovisuel puisse exister indépendamment de tous les problèmes structurels du continent que l'on connait : Problèmes de développement, d'infrastructures, d'éducation. Quand on voit certains accords commerciaux signés récemment, on se demande quelle est la marge réelle de liberté des pays africains. Tout est lié. Mais cela ne doit pas nous arrêter. Il ne faut pas attendre que les conditions soient là pour produire. Le cinéma a sa partition à jouer dans le sens où il peut éduquer les citoyens à penser autrement. En cela il constitue une ressource immatérielle et une nourriture spirituelle qui contribue à changer les choses.
Propos recueillis par
Mai Lan NDOYE OLIVE
Images Francophones
Appui au pôle "Archives audiovisuelles de l'Institut Imagine" dans le cadre du projet "Capital numérique"
Le projet "Capital numérique" mis en oeuvre par l'OIF avec la contribution financière de l'Union européenne et le concours du groupe des Etats ACP a permis les réalisations suivantes dans le cadre de l'Institut Imagine :
- Installation d'un scanner de films (modèle Blackmagic/Cintel) qui permettra dans les mois et les années à venir de numériser des films 16 mm (ou super 16) et 35 mm ;
- Mise à disposition d'une centaine d'heures de films (courts et longs-métrages) et séries télévisées numérisés par la Bibliothèque nationale de France et qui, en accord avec les ayants droits, seront prochainement consultables dans les locaux d'Imagine par les étudiants, enseignants et professionnels désirant visionner ces oeuvres sur des postes de travail reliés à un serveur sécurisé.
Photo : Le cinéaste burkinabé Gaston Kaboré, devant l'étalon de Yennenga, gagné en 1997 avec son film Buud Yam.
Crédit : Dominique Théron (BNF)
Pour quelles raisons la question de l'histoire et de la mémoire revêt-elle chez vous une importance particulière ?
En tant qu'historien de formation, j'ai toujours été habité par la question de la mémoire. Avant de me lancer dans des études de cinéma, j'avais entamé la rédaction d'une thèse de 3ème cycle d'histoire à la Sorbonne à Paris, qui portait sur l'image de l'Afrique dans la presse illustrée en France à la fin du XIX ème siècle. J'ai découvert comment ces images produites par d'autres étaient utilisées à l'époque au profit d'un discours de propagande coloniale. Tout ce que j'apprenais était intéressant mais il me semble qu'il manquait le point de vue, la parole, le ressenti des Africains eux-mêmes. Finalement, j'ai choisi de mettre ma thèse entre parenthèses, pour faire une école de cinéma mais, évidemment, je n'avais qu'une hâte à l'issue de ma formation : rentrer à Ouagadougou et commencer à tourner des films ! Mais cette réflexion sur les images m'est restée et j'ai voulu utiliser le cinéma comme outil de vulgarisation de l'histoire, pour la rendre compréhensible par le plus grand nombre. Je me disais que, pour que l'histoire serve à quelque chose, il fallait qu'elle soit à la portée de personnes qui ne sont pas forcément allées à l'université car c'est pour elles une manière de comprendre, de se réapproprier leurs imaginaires à travers le temps.
Ce ne sont pas des choses que j'ai à l'époque pu théoriser mais je le vivais de l'intérieur comme un besoin, celui d'être nous-mêmes les auteurs de notre histoire, de nos histoires car personne ne peut les raconter à notre place. A l'heure où l'on parle aujourd'hui de renaissance africaine, nos imaginaires, nos contes, nos mythes nos légendes sont des expressions vitales pour nous-mêmes, pour notre capacité à nous réinventer et à reconstruire l'homme nouveau africain. D'où l'importance d'écrire et de questionner l'histoire selon notre propre perspective.
Est-ce de cette volonté qu'est né l'Institut Imagine ?
Tout à fait. J'ai créé Imagine sur la base du fait qu'il n'y avait pas assez d'écoles de cinéma en Afrique ou, même s'il y en avait, les limitations budgétaires faisaient qu'on ne pouvait pas donner le meilleur enseignement pratique aux élèves. J'ai vu ça de très près, pour avoir été à la tête de la Fédération panafricaine des Cinéastes (FEPACI). Le fondement de cette entité professionnelle, qui est née dès 1970, est d'affirmer que le cinéma n'est pas un luxe pour les pays africains, qu'il est une manière de refléter nos visions sur le développement et que nous devons nous appuyer sur lui. Les cinéastes pionniers que j'ai connus étudiant à Ouagadougou étaient porteurs de cette vision : Med Hondo, Sembène Ousmane, Johnson Mahama Traoré, les Nigériens Moustapha Alassane, Oumarou Ganda, l'Ivoirien Timité Bassori… Leur rencontre, la découverte de leurs œuvres, m'a renforcé dans mes convictions que le cinéma pouvait être un véhicule de libération des esprits, de reconquête de nos imaginaires pour nous aider à avancer. A la fois comme outil de narration de nos intériorités, de nos imaginaires mais aussi comme outil de questionnement du réel. J'ai toujours en mémoire la dernière phrase d'une résolution que j'avais soumise à la conférence des Ministres de la culture de l'OUA qui a eu lieu à l'ile Maurice en 1986, à l'époque où j'étais encore président de la FEPACI, qui dit que "les peuples africains ont un besoin vital de leur propre image". C'est ce que je crois fondamentalement et c'est pour cette raison que j'ai voulu créer un lieu de transmission du savoir et du savoir-faire qui reflète la vision forgée par ces cinéastes pionniers des années 1970. C'est dans cet esprit qu'Imagine a vu le jour en 2003. Je n'aime pas le terme d'école. J'ai préféré lui donner le nom d'Imagine et plus tard d'Institut Imagine. Pour moi, l'imagination est la ressource fondamentale que nous avons pour prendre nos destins en main.
Quel rôle joue le pôle d'archives au sein d'Imagine ?
Le pôle archives s'est ouvert en 2008 à la suite d'un voyage que j'ai fait au Cambodge où j'ai pu visiter le centre d'archives Bophana fondé par Rithy Panh. J'y suis allé avec mon assistant et j'ai eu l'occasion de voir la manière dont les archives étaient organisées et valorisées. Quand le centre a ouvert nous avons embauché deux documentalistes, un informaticien mais dès le début je me suis dit qu'il fallait faire preuve de modestie. On parle avant tout d'un pôle et non d'un centre d'archives. L'idée n'est pas de se constituer une collection de tout ce qui existe mais de former les gens et faire progresser la conscience de la nécessité de préserver ces archives, de les restaurer quand c'est possible et de les communiquer au public, c'est vital. Il y a beaucoup de détenteurs de fonds patrimoniaux en Afrique mais ils sont très épars : l'Église, les municipalités, la radiodiffusion, la télévision, les sociétés privées en ont. Comment les amener à prendre conscience de la richesse qu'ils ont pour qu'ils puissent petit à petit la capitaliser petit dans un cadre politique national bien pensé ? Tout l'enjeu est là.
Pourquoi avez-vous choisi de vous associer au projet Capital numérique ?
Pour moi Capital numérique est venu comme un écho à mon combat pour la réappropriation de nos archives. Produire des œuvres, c'est une chose, mais il faut aussi qu'elles soient connues, qu'elles soient diffusées et qu'elles commencent à devenir objet d'étude sous peine de tomber dans l'oubli. Très peu de films d'archives sont produits en Afrique. Une grande majorité d'œuvres produites sur l'Afrique y compris par des Africains sont détenues par des points d'archives en dehors du continent : en France, en Angleterre, au Portugal, en Italie etc…Il faut que grandisse chez les Africains la conscience que ces archives sont une richesse. Même si elles ont été filmées avec un certain esprit, ce sont des archives réelles où il y'a des décors, des corps africains qui sont mis en scène d'une certaine manière et qui contiennent des renseignements des indications précieuses qui peuvent être re-questionnées y compris par des jeunes d'aujourd'hui. Il n'y a pas à rendre compte de l'histoire de manière unilatérale, mais il faut la comprendre et savoir que quand elle est faite par d'autres sur vous elle sert des intérêts. Mais il faut être serein devant ça et voir ce qu'on peut y puiser pour redémarrer quelque chose. J'ai eu l'occasion de collaborer avec l'OIF à plusieurs reprises, depuis l'époque où Tahar Cheriaa dirigeait le service cinéma de ce qui était encore à l'époque l'ACCT. Prendre part à ce projet me paraissait donc naturel car dans la continuité de ce que nous faisions déjà.
Qu'attendez-vous de ce projet ?
Ce projet est important dans la mesure où il va nous permettre de renforcer nos formations notamment grâce au scanner de films que nous avons reçu récemment qui va nous donner la possibilité de scanner et d'étalonner les films très anciens pour un visionnage a minima, ce qui va ouvrir le champ aux étudiants et aux chercheurs. Nous allons également nous servir des acquisitions du projet dans le cadre des Camps mémoire qui sont des formations à destination des écoliers, collégiens, lycéens, étudiants. On leur donne accès à nos archives sur place on en choisit quelques-unes emblématiques qu'on projette. Ces projections sont suivies d'un débat où on pose la problématique de l'histoire et de la mémoire. Cet aspect est très important pour moi car je me bats depuis des années pour que l'enseignement de l'art devienne effectif dans les écoles, les collèges, les universités, que des Clubs ciné se créent. Il faut donner aux jeunes la capacité de lire les images, de comprendre ce qu'il y a derrière et de développer un esprit critique par rapport à ce qu'ils voient. Il y a chez les jeunes un défaut de représentation des réalités africaines qu'il est urgent de pallier. Les jeunes ont souvent le sentiment (et on ne peut pas leur en vouloir) que c'est presque un malheur d'être né en Afrique car tout ce qu'on leur renvoie de l'Afrique, ce sont les catastrophes, les guerres etc…Et personne ne leur donne les moyens de regarder l'Afrique avec une curiosité positive. Ils ne savent même pas tout ce que l'Afrique a apporté au reste de l'humanité.
Ce projet va les y aider ?
Je suis convaincu que c'est un projet qui fera date et qui va contribuer de manière significative à faire avancer les choses. Mais à lui seul il ne peut pas relever tous les défis. Nous allons faire ce qui est possible un minimum de temps donné. Mais parallèlement nous devons développer une capacité de veille technologique morale et mémorielle. Rester attentif aux évolutions car les choses vont très vite. Bientôt, le cinéma et la télévision ne seront plus des espaces majoritaires de consommation des images par les jeunes. Ça commence déjà à être le cas. L'essor, des mobiles, des tablettes est déjà là et il faut aussi s'attaquer à ces nouveaux espaces de consommation des images pour proposer aux jeunes des modèles qui leur ressemblent et qui les rendent fiers de leur histoire. Il faut sortir des formats de diffusion classiques pour aller à la rencontre de ce public-là. Il faudrait aussi développer des entreprises francophones africaines du Sud capable de travailler avec autre chose que des supports médiatiques traditionnels. Des pays comme le Cameroun, le Bénin sont par exemple en train de développer leurs propres tablettes, plus accessibles par leur prix. Pour moi il serait intéressant de développer des partenariats avec ces entreprises pour être au cœur de notre public et toucher le plus grand nombre.
Avez-vous eu des premiers retours sur les premières œuvres livrées ?
A l'heure actuelle, je dirais qu'ils sont difficiles à évaluer. Notre pôle archives est actuellement en pleine réorganisation et nous sommes encore au début de l'utilisation des potentialités du scanner de films. Faire en sorte que le fond de films de Capital numérique entre dans la consommation quotidienne du public demande encore un peu de temps. Nous allons l'injecter petit à petit dans notre programmation en particulier dans le cadre de " 120 heures chronos ", une nouvelle formation aux techniques de fabrication d'un film que nous avons mis en place entre le 12 et le 16 Octobre dernier. C'est une sorte de ciné-club professionnel où les participants apprennent à raconter une histoire, à la tourner et à la finaliser sous forme d'un film de 3mn. Comme exemple de construction narrative, nous leur projetons des classiques du cinéma et nous voulons justement utiliser abondamment des films du patrimoine africain, ce qui nous permettra de présenter les films issus du fonds de Capital numérique. Mais de manière générale, pense que nous commencerons à avoir du recul au moment du prochain FESPACO 2017 qui drainera une grande partie d'un public potentiel vers l'institut Imagine.
Qu'est-ce qui explique selon vous que malgré des initiatives comme Capital numérique, de nombreuses œuvres du patrimoine audiovisuel africain restent encore d'un accès difficile pour le grand public ?
Fondamentalement l'absence de circuits nécessaires à la production et à la diffusion, le vrai problème du cinéma et de l'audiovisuel depuis plusieurs années. Mais je dirais aussi que les conditions dépendent d'un contexte plus général. On ne peut pas rêver que le cinéma et l'audiovisuel puisse exister indépendamment de tous les problèmes structurels du continent que l'on connait : Problèmes de développement, d'infrastructures, d'éducation. Quand on voit certains accords commerciaux signés récemment, on se demande quelle est la marge réelle de liberté des pays africains. Tout est lié. Mais cela ne doit pas nous arrêter. Il ne faut pas attendre que les conditions soient là pour produire. Le cinéma a sa partition à jouer dans le sens où il peut éduquer les citoyens à penser autrement. En cela il constitue une ressource immatérielle et une nourriture spirituelle qui contribue à changer les choses.
Propos recueillis par
Mai Lan NDOYE OLIVE
Images Francophones
Appui au pôle "Archives audiovisuelles de l'Institut Imagine" dans le cadre du projet "Capital numérique"
Le projet "Capital numérique" mis en oeuvre par l'OIF avec la contribution financière de l'Union européenne et le concours du groupe des Etats ACP a permis les réalisations suivantes dans le cadre de l'Institut Imagine :
- Installation d'un scanner de films (modèle Blackmagic/Cintel) qui permettra dans les mois et les années à venir de numériser des films 16 mm (ou super 16) et 35 mm ;
- Mise à disposition d'une centaine d'heures de films (courts et longs-métrages) et séries télévisées numérisés par la Bibliothèque nationale de France et qui, en accord avec les ayants droits, seront prochainement consultables dans les locaux d'Imagine par les étudiants, enseignants et professionnels désirant visionner ces oeuvres sur des postes de travail reliés à un serveur sécurisé.
Photo : Le cinéaste burkinabé Gaston Kaboré, devant l'étalon de Yennenga, gagné en 1997 avec son film Buud Yam.
Crédit : Dominique Théron (BNF)