Francophonie Fespaco : le rêve, la passion, le casting et l'âge en commun
" Blancs-Noirs, kif-kif ", martelait le tirailleur du film de Sembene Ousmane " Camp de Thiaroye ". On pourrait dire la même chose du FESPACO et de la Francophonie : kif-kif.
Même âge (à quelques jours près) : la Francophonie est née de la Conférence des pays francophones, ouverte à Niamey le 17 février 1969. Deux jours plus tôt avait eu lieu à Ouagadougou la clôture de la " Semaine du cinéma africain " qui allait donner naissance au FESPACO.
Même " casting " : Alimata Salembéré, présidente de cette " semaine du cinéma africain " de 1969 puis secrétaire générale du FESPACO à partir de 1982, est devenue, dans les années 90, directrice générale de la culture et de la communication à l'ACCT (l'ancêtre de l'Organisation internationale de la Francophonie). Quant à Tahar Cheriaa, premier directeur de la culture de cette même organisation (après avoir été le fondateur des Journées cinématographiques de Carthage), il n'a cessé d'accompagner le FESPACO après lui avoir permis d'atteindre la dimension d'un festival professionnel dès 1970.
Mêmes rêves : en 1969, un vent de folie venait de traverser la planète, de Prague à Mexico, en passant par Paris et même… Dakar. Mais dans le reste de l'Afrique, ce n'étaient pas les émeutiers qui menaient la danse : généralisation des partis uniques, coups d'Etat en série (Mali, Congo, Libye, Soudan, Somalie). " Soyez réaliste, demandez l'impossible ", avaient lancé les soixante-huitards du quartier latin. Mais en cette période où l'Afrique avait la gueule de bois, après l'euphorie des indépendances, et où s'installaient les pénuries (de libertés, de moyens et de perspectives), il fallait être aussi fou pour bâtir le cinéma africain que pour rêver d'une coopération francophone étendue aux cinq continents. Et, pourtant, ces deux rêves se sont réalisés.
Même passion : la Francophonie a été inventée par une poignée de visionnaires : Senghor, Diori, Bourguiba, Sihanouk et Malraux. Senghor était poète. Sihanouk et Malraux, cinéastes. Bourguiba prétendait avoir " nettoyé [son] pays de toutes les tares qui l'enlaidissaient " (une ambition d'artiste !). Diori, pour sa part, avait été à la fois assez sage et assez fou pour s'opposer à de Gaulle à propos de la guerre du Biafra… Quant au FESPACO, il a été inventé, puis réinventé, édition après édition, par des visionnaires aussi sages et aussi fous qu'il faut l'être pour faire du cinéma : Sembene, Med Hondo, Boughedir, Ouedraogo, Cissé, Sissoko, Sissako, Djibril Diop, Gaston Kaboré, Jihan El Tahri, Fanta Nacro, Haroun, Cheick Fantamady Camara, Dani Kouyaté, Pierre Yameogo, Raoul Peck, Alain Gomis, Apolline Traoré. Sans oublier Kwaw Ansah, Newton Aduaka, Flora Gomes, Haile Guérima et tant d'autres.
Mêmes épreuves : et dire que le cinéma africain a frôlé la mort ! On le disait moribond, condamné, marabouté. Dans les années 70, un film africain (" Pousse-Pousse " du Camerounais Daniel Kamwa, par exemple) pouvait atteindre le million d'entrées en salles dans son propre pays. Dans les années 90, Buud Yam, de Gaston Kaboré (étalon d'or de Yennenga au Fespaco 1997) pouvait encore toucher 500 000 personnes au Burkina Faso. Au début des années 2000, il fallait un soutien exceptionnel de la Francophonie pour que " Lumumba " de Raoul Peck atteigne les 100 000 entrées sur l'ensemble de l'Afrique francophone. Au milieu des années 2000, le film Tasuma de Kollo Sanou parvenait encore à frôler les 50 000 entrées au Burkina Faso mais au prix d'aides à la distribution* équivalant au montant des recettes obtenues. Après cela, plus rien ou presque… Au début des années 2010, presque toutes les salles d'Afrique francophone avaient fermé et parmi celles qui subsistaient, aucune n'était équipée en numérique. Et puis… en 2011, c'est la réouverture du cinéma " Le Normandie " au Tchad. Mais il faudra des années avant que d'autres suivent. En 2015, on compte 11 salles commerciales équipées en numérique dans toute l'Afrique francophone. A partir de 2016, le mouvement s'accélère : 5 ouvertures de salles cette année-là, 10 en 2017, 22 en 2018. Début 2019, on compte 48 salles commerciales sur l'ensemble de l'Afrique francophone et 32 autres à Maurice et Madagascar. Mais il est encore trop tôt pour crier victoire. Au Maroc, où le nombre de cinémas a été divisé par dix en quarante ans, les efforts de l'Etat pour soutenir la production de films et la modernisation du parc de salles n'ont pas encore permis d'enrayer le déclin de la fréquentation (en 2017, aucun film n'a dépassé les 100 000 entrées). Dans ce tableau contrasté, l'espoir vient de Tunisie : ce pays, qui était tombé à 16 salles au début des années 2010 a vu ouvrir en décembre 2018 un premier multiplexe de 8 salles à Tunis tandis que 6 autres écrans sont attendus à Sousse. Et surtout, le public redevient friand de cinéma et en particulier de films tunisiens : 250 000 entrées pour " El Jaïda " et plus de 130 000 pour " Regarde-moi " (soutenu par l'OIF et présent en compétition au Fespaco 2019). Le mauvais sort semble enfin écarté, donnant raison à ceux qui n'avaient jamais perdu espoir. Le féticheur Baba Woulou avait donc bien raison (dans la série Taxi Brousse, présentée au Fespaco 2001), lorsque, malgré les mises en garde d'une bande de défaitistes, il bravait tous les dangers en s'écriant, " Dieu existe, oui ou non ? "
KAD avec l'OIF
Enjeux Groupe Bruxelles
info@enjeux.tv
Soutien octroyé par le programme Africa cinéma (lancé conjointement par la Francophonie, l’Union européenne et la France).