Fickin 2016, un festival qui ose !
Du 05 au 09 juillet 2016, le centre culturel français (CCF) de Kinshasa accueillait dans ses locaux, la troisième édition du Festival International de Cinéma de Kinshasa (Fickin). Projections, ateliers de formation pour jeunes réalisateurs et comédiens, rencontres et débats, avec une délégation spéciale venue du Congo-Brazzaville, cette année encore, le Fickin a relevé le pari de servir des films de qualité à son public.
Pour la troisième année consécutive, le public a répondu massivement à l'appel du Fickin. Pendant quatre jours, au CCF, 53 films venus du monde entier, 17 films congolais, dont 9 en compétition, 19 réalisateurs, plus de 70 acteurs et une centaine de cinéastes ont fait la fierté de Tshoper Kabambi (réalisateur-producteur) et son équipe. Le Fickin 3 (Festival International du Cinéma de Kinshasa - FICKIN 2016) c'est aussi un taux de fréquentation relativement élevé, une participation assidue des étudiants de l'Institut National des Arts de Kinshasa (INA), des ateliers et une grande nouveauté : de la musique congolaise jouée pendant la projection de films muets des années 20.
Malgré ce foisonnement d'activités, l'un des défis permanents de Tshoper Kabambi (initiateur du festival), reste la fidélisation du public et le fait de devoir susciter l'intérêt pour des images autres que celles de Nollywood, des télénovelas et des théâtres filmés. "Nous travaillons tous les jours à mettre en place des voies et moyens pour attirer notre public. Ce n'est pas toujours évident mais nous essayons de maintenir le cap en innovant au fil des ans" explique le cinéaste. Ainsi, nous avons décidé de programmer des cinés concerts mentionne-t-il. "Le principe est simple: nous projetons des films de Charlie Chaplin. Pendant la projection, un artiste vient interpréter ses tubes. Cette année, c'est le grand Jacques Tshimankinda qui nous a fait l'honneur de participer aux ciné concerts".
Au ciné-concert, Chaplin se meut et "parle" tshiluba
Charly Chaplin n'aurait certainement pas désapprouvé l'idée que l'un de ses plus beaux films, The Kid, soit agrémenté par du FolBlues, un style de musique particulier dont seul l'artiste Jacques Tshimakinda détient le secret. Ainsi les festivaliers du FICKIN 2016, on pu voir Chaplin se mouvoir et parfois "parler" en langue tshiluba pendant les concerts de FolBlues, un cocktail de sonorités qui allie du Blues au folklore luba.
Le Festival International du Cinéma de Kinshasa aura certainement mis un accent particulier sur la musique cette année. " Pendant les deux premières années, les festivaliers venaient voir des films. Après réflexion, avec mon équipe, nous nous sommes dit que l'engouement risquait de s'estomper si nous ne proposions pas des choses originales. C'est aussi dans cet ordre d'idée que l'un des plus grands slameurs, Yekima de Bel'Art, a rehaussé le festival par sa présence aux cérémonies d'ouverture et de clôture du festival " rapporte Tshoper Kabambi.
La question du financement: le supplice de tantale des festivals du Sud
Un festival au financement en dents de scie, dont la programmation met un point d'honneur sur la qualité des films, un phénomène rare pour être relevé. En plus du manque de financement, la qualité des films, est l'un des paramètres qui fait défaut à de nombreux festivals sur le continent. Il reste difficile de trouver des films dont la production et la réalisation sont maitrisés de bout en bout. Quand l'auteur maitrise la réalisation (scénario original et cohérent, montage réussi, dialogues justes, jeu d'acteurs irréprochable) de son oeuvre, souvent il pèche soit dans la phase de production ou alors celle de la distribution.
Au Fickin, exit le "cinéma des calebasses"
Lors de son passage à Kinshasa, Rufin Mbou Mikima, réalisateur et producteur, président du jury pour le Festival International du Cinéma de Kinshasa 2016 - FICKIN 3, a tenu à rappeler aux jeunes réalisateurs que la quête de la qualité reste en quelque sorte le " graal " qui garantit la réussite d'un film. "Le cinéma qui se fait aujourd'hui est un cinéma qui se raconte au présent. Il y a une vague de réalisateurs qui essayent de créer des choses avec très peu de moyens. Ils font des films qui osent, qui essayent de toucher à des sujets que l'on ne voyait plus dans le cinéma africain. Il y a encore quelques années, on était dans ce cinéma dit de calebasses. Il s'y racontait des histoires du village, des vieilles personnes, des sages, etc… Aujourd'hui, voir des jeunes se raconter, entendre une histoire que l'on peut rencontrer dans nos capitales, c'est un phénomène intéressant à analyser et observer ".
La nouvelle génération du cinéma congolais est en marche
C'est à cette nouvelle génération du cinéma congolais que Tshoper Kabambi a voulu rendre hommage dans une exposition éphémère au Fickin. "J'ai remarqué qu'à Kinshasa, je ne sais pas si c'est partout pareil, on reconnait la valeur d'une personne quand elle disparait ". " En montant cette exposition, poursuit il, j'avais envie de faire un zoom sur les réalisateurs de ma génération qui font du bon travail. J'éprouve un profond respect pour les cinéastes qui se battent et font des films sans financements".
Un constat que partage Clarisse Muvuba, réalisatrice-productrice, initiatrice du CINEF (Festival du Cinéma au Féminin). La cinéaste faisait elle aussi partie de l'exposition. "Sans faute et sans luxe, je fais partie de cette nouvelle génération de cinéastes congolais prête à tout pour rehausser l'image du cinéma made in Congo. Parfois, il nous arrive de sacrifier l'argent du loyer pour investir dans la production de nos films. Ce n'était pas le cas pour nos aînés qui eux avaient accès à beaucoup plus de guichets que nous ".
Un avis partagé par le réalisateur Michée Sunzu (également présent dans l'exposition hommage) qui déplore, pour sa part, le manque d'implication d'organismes étatiques sensés oeuvrer pour la promotion du cinéma. "Après les trente deux ans de dictature de Mobutu, il y a eu une cassure " explique le réalisateur. " Il faut savoir qu'à l'époque tout était fait à la gloire du dictateur. On peut pratiquement parler d'une inexistence du cinéma. Certains cinéastes comme Monique Phoba, Balufu, Ngangura et Kwami évoluaient à l'étranger ; mais ici même au Congo, Zaïre à l'époque, il n'y avait ni production ni réalisation. L'Office zaïrois de radiodiffusion et de télévision (OZRT) nous proposait plus de la cinématographie française qu'africaine. Il faudra attendre quelques années pour que la nouvelle génération dont je fais partie puisse voir le jour et proposer des films ".
Le réalisateur revient également sur le manque d'école de cinéma qui reste à son sens le talon d'Achille de la cinématographie congolaise. " Au Congo il n'y a pas de cadre national de cinéma. On ne peut pas parler de cinéma dans un pays sans cadre national. Actuellement, il n'y a même pas de département dédié au cinéma au ministère de la culture et des arts… C'est un scandale, au 21ème siècle cela ne devrait pas être le cas " conclut-il l'air dépité.
Un riche palmarès pour une programmation méticuleuse
La soirée du 09 juillet est venue conclure la troisième édition du Fickin, en récompensant le travail de nombreux cinéastes et comédiens. Ainsi, le coup de coeur du jury a été attribué au film Ba Sekwi de Junior D. Kannah. Quant à Kadhafi Mbuyamba, il s'est vu décerner le prix du meilleur acteur pour sa magistrale prestation dans Cuppa. Seule femme de ce palmarès très masculin, Paradis Mananga a raflé le prix de la meilleure actrice pour Le diable au plafond qu'elle a également réalisé. Calvaire d'Austin Kashala a reçu la récompense suprême : le Prix du meilleur film 2016.
C'est sur ces belles images que s'est achevé le Fickin 3. Un festival ambitieux, composé d'une équipe volontaire qui souffre malheureusement d'un cruel manque de soutien. En espérant que cette faille ne le pousse vers un essoufflement.
Wendy BASHI
Envoyée spéciale, Africiné Magazine, Bruxelles
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
Image : Austin Kashala (au centre), tenant le trophée du Meilleur film au Festival International du Cinéma de Kinshasa - FICKIN 2016.
Crédit : Fickin
Malgré ce foisonnement d'activités, l'un des défis permanents de Tshoper Kabambi (initiateur du festival), reste la fidélisation du public et le fait de devoir susciter l'intérêt pour des images autres que celles de Nollywood, des télénovelas et des théâtres filmés. "Nous travaillons tous les jours à mettre en place des voies et moyens pour attirer notre public. Ce n'est pas toujours évident mais nous essayons de maintenir le cap en innovant au fil des ans" explique le cinéaste. Ainsi, nous avons décidé de programmer des cinés concerts mentionne-t-il. "Le principe est simple: nous projetons des films de Charlie Chaplin. Pendant la projection, un artiste vient interpréter ses tubes. Cette année, c'est le grand Jacques Tshimankinda qui nous a fait l'honneur de participer aux ciné concerts".
Au ciné-concert, Chaplin se meut et "parle" tshiluba
Charly Chaplin n'aurait certainement pas désapprouvé l'idée que l'un de ses plus beaux films, The Kid, soit agrémenté par du FolBlues, un style de musique particulier dont seul l'artiste Jacques Tshimakinda détient le secret. Ainsi les festivaliers du FICKIN 2016, on pu voir Chaplin se mouvoir et parfois "parler" en langue tshiluba pendant les concerts de FolBlues, un cocktail de sonorités qui allie du Blues au folklore luba.
Le Festival International du Cinéma de Kinshasa aura certainement mis un accent particulier sur la musique cette année. " Pendant les deux premières années, les festivaliers venaient voir des films. Après réflexion, avec mon équipe, nous nous sommes dit que l'engouement risquait de s'estomper si nous ne proposions pas des choses originales. C'est aussi dans cet ordre d'idée que l'un des plus grands slameurs, Yekima de Bel'Art, a rehaussé le festival par sa présence aux cérémonies d'ouverture et de clôture du festival " rapporte Tshoper Kabambi.
La question du financement: le supplice de tantale des festivals du Sud
Un festival au financement en dents de scie, dont la programmation met un point d'honneur sur la qualité des films, un phénomène rare pour être relevé. En plus du manque de financement, la qualité des films, est l'un des paramètres qui fait défaut à de nombreux festivals sur le continent. Il reste difficile de trouver des films dont la production et la réalisation sont maitrisés de bout en bout. Quand l'auteur maitrise la réalisation (scénario original et cohérent, montage réussi, dialogues justes, jeu d'acteurs irréprochable) de son oeuvre, souvent il pèche soit dans la phase de production ou alors celle de la distribution.
Au Fickin, exit le "cinéma des calebasses"
Lors de son passage à Kinshasa, Rufin Mbou Mikima, réalisateur et producteur, président du jury pour le Festival International du Cinéma de Kinshasa 2016 - FICKIN 3, a tenu à rappeler aux jeunes réalisateurs que la quête de la qualité reste en quelque sorte le " graal " qui garantit la réussite d'un film. "Le cinéma qui se fait aujourd'hui est un cinéma qui se raconte au présent. Il y a une vague de réalisateurs qui essayent de créer des choses avec très peu de moyens. Ils font des films qui osent, qui essayent de toucher à des sujets que l'on ne voyait plus dans le cinéma africain. Il y a encore quelques années, on était dans ce cinéma dit de calebasses. Il s'y racontait des histoires du village, des vieilles personnes, des sages, etc… Aujourd'hui, voir des jeunes se raconter, entendre une histoire que l'on peut rencontrer dans nos capitales, c'est un phénomène intéressant à analyser et observer ".
La nouvelle génération du cinéma congolais est en marche
C'est à cette nouvelle génération du cinéma congolais que Tshoper Kabambi a voulu rendre hommage dans une exposition éphémère au Fickin. "J'ai remarqué qu'à Kinshasa, je ne sais pas si c'est partout pareil, on reconnait la valeur d'une personne quand elle disparait ". " En montant cette exposition, poursuit il, j'avais envie de faire un zoom sur les réalisateurs de ma génération qui font du bon travail. J'éprouve un profond respect pour les cinéastes qui se battent et font des films sans financements".
Un constat que partage Clarisse Muvuba, réalisatrice-productrice, initiatrice du CINEF (Festival du Cinéma au Féminin). La cinéaste faisait elle aussi partie de l'exposition. "Sans faute et sans luxe, je fais partie de cette nouvelle génération de cinéastes congolais prête à tout pour rehausser l'image du cinéma made in Congo. Parfois, il nous arrive de sacrifier l'argent du loyer pour investir dans la production de nos films. Ce n'était pas le cas pour nos aînés qui eux avaient accès à beaucoup plus de guichets que nous ".
Un avis partagé par le réalisateur Michée Sunzu (également présent dans l'exposition hommage) qui déplore, pour sa part, le manque d'implication d'organismes étatiques sensés oeuvrer pour la promotion du cinéma. "Après les trente deux ans de dictature de Mobutu, il y a eu une cassure " explique le réalisateur. " Il faut savoir qu'à l'époque tout était fait à la gloire du dictateur. On peut pratiquement parler d'une inexistence du cinéma. Certains cinéastes comme Monique Phoba, Balufu, Ngangura et Kwami évoluaient à l'étranger ; mais ici même au Congo, Zaïre à l'époque, il n'y avait ni production ni réalisation. L'Office zaïrois de radiodiffusion et de télévision (OZRT) nous proposait plus de la cinématographie française qu'africaine. Il faudra attendre quelques années pour que la nouvelle génération dont je fais partie puisse voir le jour et proposer des films ".
Le réalisateur revient également sur le manque d'école de cinéma qui reste à son sens le talon d'Achille de la cinématographie congolaise. " Au Congo il n'y a pas de cadre national de cinéma. On ne peut pas parler de cinéma dans un pays sans cadre national. Actuellement, il n'y a même pas de département dédié au cinéma au ministère de la culture et des arts… C'est un scandale, au 21ème siècle cela ne devrait pas être le cas " conclut-il l'air dépité.
Un riche palmarès pour une programmation méticuleuse
La soirée du 09 juillet est venue conclure la troisième édition du Fickin, en récompensant le travail de nombreux cinéastes et comédiens. Ainsi, le coup de coeur du jury a été attribué au film Ba Sekwi de Junior D. Kannah. Quant à Kadhafi Mbuyamba, il s'est vu décerner le prix du meilleur acteur pour sa magistrale prestation dans Cuppa. Seule femme de ce palmarès très masculin, Paradis Mananga a raflé le prix de la meilleure actrice pour Le diable au plafond qu'elle a également réalisé. Calvaire d'Austin Kashala a reçu la récompense suprême : le Prix du meilleur film 2016.
C'est sur ces belles images que s'est achevé le Fickin 3. Un festival ambitieux, composé d'une équipe volontaire qui souffre malheureusement d'un cruel manque de soutien. En espérant que cette faille ne le pousse vers un essoufflement.
Wendy BASHI
Envoyée spéciale, Africiné Magazine, Bruxelles
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
Image : Austin Kashala (au centre), tenant le trophée du Meilleur film au Festival International du Cinéma de Kinshasa - FICKIN 2016.
Crédit : Fickin