Festival Mis me Binga, yeux de femmes en films

9ème édition du festival international de films de femmes du 26 au 30 juin 2018, à Yaoundé. Mémoire de missionnaires de Delphine WIL est le film d'ouverture.
En 2018, le continent africain connaît le lancement de trois festivals de films de femmes. Le Festival africain des films de femmes cinéastes (FAFFCI) s'est déroulé dans la capitale togolaise, Lomé, et à Agbodrafo, du 10 au 20 mars 2018. Le second nouvel évènement est le Skirts Film Festival, prévu en septembre, sur quatre jours, à Cape Town (Afrique du Sud). Annoncé pour septembre 2018 (finalement début octobre), African Women Film Festival (AWIFF) aura lieu à Lagos, Nigéria, ce sera sa première édition comme pour les trois autres. En Afrique du Sud, le cinéma féminin ou à propos des femmes a un autre festival et plus ancien : le Mzansi Women's Film Festival (MWFF), créé à Johannesburg, en 2014. L'Egypte se targue également de deux festivals : le festival international de films de femmes du Caire (Cairo International Women's Film Festival, CIWFF), créé en 2007, dans la capitale égyptienne et le festival international de films de femmes d'Aswan (Aswan Women International Film Festival, AWIFF) dont la seconde édition a eu lieu en 2018.
Le festival Films Femmes Afrique (FFA) de Dakar serait le plus ancien du continent. Sa première édition a eu lieu en 2003, la seconde a eu lieu en 2016 et la troisième cette année. En termes de régularité, le festival marocain du Film de Femmes de Salé (FIFFS) remporte la palme : il a été créé en 2004 et tiendra la 12ème édition en septembre prochain.
Le festival Mis me binga 2018 (littéralement "Les Yeux de Femmes", et par extension "Regard de femmes", en langue bétie du Cameroun) a aussi cette qualité de la durée en apportant quelque chose d'unique. Fondé en 2010, ce festival international de films de femmes se déroule à Yaoundé. "Les critères essentiels sont que les films doivent être faits par les femmes ou par des hommes sur des thématiques qui mettent la femme au centre du débat", nous a confié la déléguée générale du festival, Evodie Ngueyeli.
C'est le film Mémoire de missionnaires de Delphine Wil qui ouvre ce mardi 27 juin 2018, la 9ème édition du festival camerounais. La réalisatrice s'est dite honorée "d'être sélectionnée au Festival Mis Me Binga et, de surcroît, de voir le film en ouverture du Festival. C'est une première pour Mémoire de missionnaires et cela récompense le travail de toute l'équipe du film. Je suis aussi très heureuse qu'un festival africain ait fait ce choix, car cela démontre que le film aborde un sujet qui touche et qu'il est important de discuter sur le continent. C'est une preuve de la double identité du film - africaine et européenne. Le fait que le festival soutienne le regard des réalisatrices parmi la création cinématographique me semble aussi important".
Au siècle dernier, des hommes d'Église se sont rendus au Congo pour prêcher la bonne parole. Dans Mémoire de missionnaires, les derniers témoins de cette époque racontent leurs souvenirs. Avec un regard lucide et critique sur la christianisation de l'Afrique, ces passeurs de mémoire témoignent d'un pan souvent commenté et pourtant méconnu de l'Histoire coloniale.
Ainsi, l'ambition n'est donc pas uniquement des images sur les femmes, ici se manifeste une des caractéristiques du contre-discours filmique : passer de l'état l'objet à celui de sujet, c'est-à-dire des images par des femmes qui viennent contrebalancer les images (souvent dépréciatives) sur le genre féminin. Il s'agit de " prendre la parole et donner leur point de vue sur la société a travers le cinéma ", explique Evodie Ngueyeli, déléguée générale de Mis me Binga. Elle approfondit l'historique de leur démarche : "le besoin de créer un festival de films de femmes vient du fait que nous avons constaté au Cameroun que la plupart des femmes qui travaillent dans le domaine du cinéma préfèrent se contenter des postes comme maquilleuse, costumière, script et comédienne. Et pourtant celles qui franchissent le pas font des films qui marquent l'histoire du cinéma camerounais notamment Joséphine Ndagnou avec son film Paris à tout prix où je me souviens que pour s'acheter un ticket au cinéma il fallait faire une queue à n'en plus finir et le public à la fin était conquis [25 000 entrées en 3 jours, ndlr], Osvalde Lewat a été lauréate de l'étalon d'argent au fespaco ou encore Yolande Ekoumou avec son film Tiga, l'héritage [2000, film soutenu par l'OIF, ndlr]".
Le festival camerounais offre une programmation très variée tels que Fiifiiré en Pays Cuballo, de Mame Woury Thioubou (Sénégal), de Benzine de Sarra Abidi (Tunisie, film soutenu par l'OIF), Burkinabè Rising: the art of resistance in Burkina Faso de la Brésilienne Iara Lee, Les Silences de Lydie de la Burkinabée Aïssata Ouarma, Riad de mes rêves de la Marocaine Zineb Tamourt, Le Bleu Blanc Rouge de mes cheveux de la Franco-Camerounaise Josza Anjembe ou encore Paris la blanche de Lidia Terki, réalisatrice française, née en Algérie. Les films viennent de plusieurs parties du monde, dont la Slovénie et le Nigéria (pays mastodonte ayant pourtant une faible visibilité dans les festivals). "Cette année les films engagés sont prédominants. On a des films sur le choix de l'orientation sexuelle, sur la condition des artistes, la difficulté des femmes à accéder à l'eau, le mariage forcé, la démocratie, etc.", nous éclaire la déléguée générale de Mis me Binga.
Auteure du film d'ouverture, Delphine Wil n'est pas seulement une documentariste venant du journalisme et de la photo, elle touche aussi à la fiction. "Aujourd'hui, j'écris un court-métrage de fiction intitulé Au risque de se perdre et qui évoque le parcours d'un journaliste africain qui m'interpelle particulièrement. Je co-réalise avec Jeanne Debarsy, réalisatrice radio et ingénieure du son, une création sonore intitulée "Sous l'eau, les larmes du poisson qui pleure ne se voient pas". Je développe aussi un nouveau projet documentaire, pour lequel je n'ai pas encore de titre" nous a confié la cinéaste. Son film Mémoire de missionnaires a été diffusé à la télévision en Belgique (sur la RTBF) et en France (sur Lyon Capitale TV) et a été disponible durant deux mois dans les deux pays, en plus de la Suisse, à travers la plateforme de vidéo à la demande (VoD) Tënk, souligne Delphine Wil.
Mis me binga 2018 n'est pas seulement un festival avec des projections de films, des ateliers sont aussi organisés. Ouverte ce mardi 26, il se termine samedi 30 juin 2018. Sa force est de s'appuyer sur une équipe qui les membres sont actifs. Evodie Ngueyeli est productrice et distributrice. Narcisse Wandji qui fut au début le Délégué général réalise des films, il a récemment fait Walls, un très beau film ; il travaille actuellement sur son premier long métrage. Quant à Paul Steve "Stevek" Kouonang, il est un des scénaristes (et critiques de cinéma) camerounais les plus actifs, il est l'auteur des films de Pascaline Ntema, une des fondatrices de Mis me Binga ; il a écrit le scénario de Mary Jane, court métrage de Frank Olivier Ndema, sélectionné à Mis me binga 2018 (cliquez sur le lien pour le détail de certains films et biographies).
Thierno I. Dia
Africiné Magazine, correspondant à Bordeaux
pour Images Francophones
Crédit image : Néon Rouge Production et Tact Production.