Festival de Toronto : le public aime et prime les films africains (vers les Oscars)
Beats Of The Antonov (Hajooj Kuka, cinéaste soudanais) est le documentaire le plus populaire à Toronto en 2014, à la suite de l'Egyptienne Jehane Jouhaim l'année dernière. Le TIFF est un boulevard vers les Oscars.
Le public de Toronto - qui abrite l'un des majeurs festivals internationaux de film - a porté son choix sur le documentaire soudanais Beats of the Antonov d'Hajooj Kuka (Grolsch People's Choice Documentary Award). Quant à la palme de la fiction, le public l'a attribuée à The Imitation de Game de Morten Tyldum (Grolsch People's Choice Award). Si, comme la coutume le veut, le choix du public à Toronto peut s'avérer décisif pour la course aux Oscars, peut on espérer que le documentaire du Soudan soit retenu pour tenter de remporter la récompense ultime ?
Depuis ses montagnes nubiennes, dans la région du Nil, Hajooj Kuka est parvenu à filmer durant près de deux ans les résidents qui trouvent dans leur héritage culturel un moyen de résistance à la guerre. Pourtant, autour d'eux, les bombes jouent un sinistre concert, faisant presque concurrence à leurs chants traditionnels et leur musique.
C'est le premier film du réalisateur natif d'Omdurman, auteur de multiples vidéos. Il s'agit de la seconde fois que le film d'un réalisateur soudanais est sélectionné à Toronto. All About Darfur (Tout sur le Darfour) de la réalisatrice soudanaise Taghreed Elsanhouri a fait sa Première Mondiale à Toronto, en 2005. Il s'agit également de la deuxième fois qu'un film africain décroche le Prix du Public du Meilleur Documentaire. En effet, Beats of the Antonov succède à The Square (Al Midan) de l'Égyptienne Jehane Noujaim, lauréate en 2013 du même prix, dans ce festival dont on connait les efforts considérables pour présenter une palette solide de la production africaine.
Et dire que le réalisateur n'avait aucune intention de soumettre ce premier film à un quelconque festival jusqu'à ce que Rasha Salti, programmatrice du volet Afrique et Moyen-Orient, tombe dessus pour ne plus jamais le laisser. Coproduit par le Sud-Africain Steven Markovitz (African Metropolis, collection de courts métrages) qui présentait aussi en Première mondiale le magnifique Stories Of Our Lives du collectif The NEST (Kenya) dont l'identité, en particulier celle du multi-talentueux Jim Chuchu (Homecoming, 2013), a été révélée publiquement en début de festival.
L'Europe, si proche et si distante
Initiée il y a quelques années avec l'arrivée de Cameron Bailey, devenu directeur artistique du festival et ensuite relayée par la dévouée Rasha Salti, la programmation du volet Afrique du festival a de quoi faire rougir les autres grandes manifestations cinématographiques mondiales. Le TIFF a prouvé à maintes reprises au fil des années qu'il ne craint pas d'amener des œuvres de cultures lointaines à son public nord-américain. Et celui-ci y répond visiblement bien.
Sold out (" guichets fermés ", en anglais, Ndlr) pour les projections de Timbuktu du Mauritanien Abderrahmane Sissako, tonnerre d'applaudissement pour The Narrow Frame of Midnight de la Marocaine Tala Hadid, discussion prolongée et interviews en cascade pour Examen d'État du Congolais Dieudo Hamadi (soutenu par le Fonds francophone : OIF / CIRTEF), et j'en passe. Aucun complexe à avoir, par rapport à d'autres festivals majeurs européens. Pourtant, ces derniers sont davantage liés historiquement au continent africain. Néanmoins, l'emboîtement remarquable ne semble pas encore s'opérer, sauf à quelques exceptions près. Même vis-à-vis des films qui portent sur les Afropéens (Européens d'origine africaine) ou tournés en Afrique, comme c'est le cas au Canada : Monsieur Lazhar (de Philippe Falardeau, avec l'acteur algérien Fellag) porte drapeau du pays des érables aux 84è Oscars, en 2011. Cette année, la France était représentée au Festival International du Film de Toronto (TIFF 2014) en particulier par Samba (avec Omar Sy, Charlotte Gainsbourg et Tahar Rahim) qui sort le 15 Octobre en France. Le nouveau film de Olivier Nakache et Eric Toledano (Intouchables, 2011) a emballé le public et une bonne part de la critique à Toronto où il a fait sa Première Mondiale. Il réussit à distiller de la drôlerie autour du personnage de Samba Cissé, expatrié sénégalais sans papiers en France, selon la marque de fabrique du duo qui s'empare encore une fois d'un sujet de société d'abord dramatique.
Les courts internationaux ont marché à Toronto
Le Festival International du Film de Toronto (TIFF) a lancé cette année, pour la toute première fois, la compétition pour les courts métrages internationaux repartis dans cinq programmes, en plus de la programmation classique canadienne. Parmi eux, Aïssa de Clément Tréhin-Lalanne (France), en compétition en mai dernier à Cannes sur une jeune congolaise vivant sans papiers en France et qui se déclare mineure. Les moindres parties de son corps vont être examinées par les autorités qui remettent en cause sa minorité. À la façon de la Vénus noire d'Abdellatif Kéchiche, Aïssa (jouée par Manda Touré) subit l'humiliation silencieusement, alors qu'on scrute son intimité comme celle d'un animal sur qui on se donne le droit de vie ou de mort.
Chop My Money, tout premier film de Théo Anthony (RD Congo) présenté en Première mondiale qui suit trois jeunes garçons des rues, Patient, Guillain et David, dans leur vision rêvée d'un monde où ils seraient les meneurs des règles. The Goat (Ibhokhwe) du Sud-Africain John Trengove, un court métrage très prenant sur un rituel de
circoncision que doit pratiquer un jeune garçon xhosa pour devenir un homme.
Et enfin, Un Seul Corps (A Single Body) du cinéaste gréco-australien Sotiris Dounoukos (Mona Lisa), lauréat du prix du court métrage international. Filmé dans la région de Bourgogne en France, cette histoire dépeint la relation d'amitié entre deux collègues-amis, David (Mexianu Medenou) et Wani (Doudou Masta) unis dans l'effort et rêvant du réconfort ensemble. Un lien qui va prendre une tournure par l'arrivée d'une troisième personne, Patate (Garba Tounkoura) ou encore par une disparition.
Le Prix FIPRESCI pour Qu'Allah bénisse la France ! d'Abd Al Malik
Une autre surprise pour clôturer cette riche édition fut le prix de la Fédération internationale de la Presse cinématographique attribué à Qu'Allah bénisse la France ! du rappeur écrivain et désormais réalisateur Abd Al Malik. Basé sur son roman éponyme et autobiographique, cette fiction retrace les moments forts qui ont marqué la vie de l'artiste, à l'écran Régis (interprété par Marc Zinga), de sa passion pour l'écriture, ses déboires, sa conversion, sa relation familiale et sa rencontre avec sa future femme la rappeuse Nawel (Wallen, interprétée par Sabrina Ouazani). Le jury de la FIPRESCI, dont faisait partie le journaliste critique camerounais Télesphore Mba Bizo a salué la force d'une telle première œuvre cinématographique. Selon une interview de la radio publique canadienne CBC (Canadian Broadcasting Corporation), ce film aurait été l'un des coups de cœur de Cameroun Bailey, directeur artistique du TIFF.
Tout au long du Festival, le public a donc voté et la majorité s'est portée sur The Imitation Game pour les fictions et Beats of the Antonov, concernant les documentaires. Reste à suivre leur prochaine sélection dans un autre festival ou leur sortie en salles aux Etats-Unis, comme l'exigent les réglementations des Academy Award (Oscars, ndlr). Si ça semble déjà joué pour l'un, ça peut s'avérer plus compliqué pour l'autre, du fait qu'en tant que film étranger, c'est l'Etat même qui propose la candidature du film pour représenter le pays. Dans tous les cas, ce sera l'occasion de démontrer l'influence que peut vraiment avoir un tel festival sur la carrière d'un film, peu importe sa production.
par Djia Mambu
Toronto, septembre 2014
Africiné, Bruxelles
pour Images Francophones
Liste des Prix :
Grolsch People's Choice Award (Prix Grolsch du Public, pour la Meilleure Fiction)
Lauréat 2014 : The Imitation Game
Grolsch People's Choice Documentary Award (Prix Grolsch du Public, pour le Meilleur Documentaire)
Lauréat 2014 : Beats of the Antonov
Grolsch People's Choice Midnight Madness Award (Prix Grolsch du Public Folie de Minuit)
Lauréat 2014 : What We Do in the Shadows
Canada Goose Award for Best Canadian Feature Film (Prix Canada Goose du Meilleur long métrage canadien)
Lauréat 2014 : Felix and Meira
City of Toronto Award for Best Canadian First Feature Film (Prix de la Ville de Toronto du Meilleur long métrage canadien)
Lauréat 2014 : Bang Bang Baby
Award for Best Canadian Short Film (Prix du Meilleur court métrage canadien)
Lauréat 2014 : The Weatherman and the Shadowboxer
Award for Best International Short Film (Prix du Meilleur court métrage international)
Lauréat 2014 : A Single Body
International Critics' Prize (FIPRESCI Prize) - Discovery / Prix Découverte de la Critique Internationale (Prix Fipresci)
Lauréat 2014 : May Allah Bless France! (Qu'Allah bénisse la France !)
International Critics' Prize (FIPRESCI Prize) - Special Presentations
Lauréat 2014 : Time Out of Mind
NETPAC Award (Prix NETPAC)
Lauréat 2014 : Margarita, with a Straw
Plus d'infos : www.tiff.net/festivals/thefestival/festivalawards (en anglais)
Depuis ses montagnes nubiennes, dans la région du Nil, Hajooj Kuka est parvenu à filmer durant près de deux ans les résidents qui trouvent dans leur héritage culturel un moyen de résistance à la guerre. Pourtant, autour d'eux, les bombes jouent un sinistre concert, faisant presque concurrence à leurs chants traditionnels et leur musique.
C'est le premier film du réalisateur natif d'Omdurman, auteur de multiples vidéos. Il s'agit de la seconde fois que le film d'un réalisateur soudanais est sélectionné à Toronto. All About Darfur (Tout sur le Darfour) de la réalisatrice soudanaise Taghreed Elsanhouri a fait sa Première Mondiale à Toronto, en 2005. Il s'agit également de la deuxième fois qu'un film africain décroche le Prix du Public du Meilleur Documentaire. En effet, Beats of the Antonov succède à The Square (Al Midan) de l'Égyptienne Jehane Noujaim, lauréate en 2013 du même prix, dans ce festival dont on connait les efforts considérables pour présenter une palette solide de la production africaine.
Et dire que le réalisateur n'avait aucune intention de soumettre ce premier film à un quelconque festival jusqu'à ce que Rasha Salti, programmatrice du volet Afrique et Moyen-Orient, tombe dessus pour ne plus jamais le laisser. Coproduit par le Sud-Africain Steven Markovitz (African Metropolis, collection de courts métrages) qui présentait aussi en Première mondiale le magnifique Stories Of Our Lives du collectif The NEST (Kenya) dont l'identité, en particulier celle du multi-talentueux Jim Chuchu (Homecoming, 2013), a été révélée publiquement en début de festival.
L'Europe, si proche et si distante
Initiée il y a quelques années avec l'arrivée de Cameron Bailey, devenu directeur artistique du festival et ensuite relayée par la dévouée Rasha Salti, la programmation du volet Afrique du festival a de quoi faire rougir les autres grandes manifestations cinématographiques mondiales. Le TIFF a prouvé à maintes reprises au fil des années qu'il ne craint pas d'amener des œuvres de cultures lointaines à son public nord-américain. Et celui-ci y répond visiblement bien.
TIMBUKTU - A. Sissako - Extrait 2 La Poissonnière VOSTFR from Africiné www.africine.org on Vimeo.
Sold out (" guichets fermés ", en anglais, Ndlr) pour les projections de Timbuktu du Mauritanien Abderrahmane Sissako, tonnerre d'applaudissement pour The Narrow Frame of Midnight de la Marocaine Tala Hadid, discussion prolongée et interviews en cascade pour Examen d'État du Congolais Dieudo Hamadi (soutenu par le Fonds francophone : OIF / CIRTEF), et j'en passe. Aucun complexe à avoir, par rapport à d'autres festivals majeurs européens. Pourtant, ces derniers sont davantage liés historiquement au continent africain. Néanmoins, l'emboîtement remarquable ne semble pas encore s'opérer, sauf à quelques exceptions près. Même vis-à-vis des films qui portent sur les Afropéens (Européens d'origine africaine) ou tournés en Afrique, comme c'est le cas au Canada : Monsieur Lazhar (de Philippe Falardeau, avec l'acteur algérien Fellag) porte drapeau du pays des érables aux 84è Oscars, en 2011. Cette année, la France était représentée au Festival International du Film de Toronto (TIFF 2014) en particulier par Samba (avec Omar Sy, Charlotte Gainsbourg et Tahar Rahim) qui sort le 15 Octobre en France. Le nouveau film de Olivier Nakache et Eric Toledano (Intouchables, 2011) a emballé le public et une bonne part de la critique à Toronto où il a fait sa Première Mondiale. Il réussit à distiller de la drôlerie autour du personnage de Samba Cissé, expatrié sénégalais sans papiers en France, selon la marque de fabrique du duo qui s'empare encore une fois d'un sujet de société d'abord dramatique.
Examen d'Etat - National Diploma from Africiné www.africine.org on Vimeo.
Les courts internationaux ont marché à Toronto
Le Festival International du Film de Toronto (TIFF) a lancé cette année, pour la toute première fois, la compétition pour les courts métrages internationaux repartis dans cinq programmes, en plus de la programmation classique canadienne. Parmi eux, Aïssa de Clément Tréhin-Lalanne (France), en compétition en mai dernier à Cannes sur une jeune congolaise vivant sans papiers en France et qui se déclare mineure. Les moindres parties de son corps vont être examinées par les autorités qui remettent en cause sa minorité. À la façon de la Vénus noire d'Abdellatif Kéchiche, Aïssa (jouée par Manda Touré) subit l'humiliation silencieusement, alors qu'on scrute son intimité comme celle d'un animal sur qui on se donne le droit de vie ou de mort.
Chop My Money, tout premier film de Théo Anthony (RD Congo) présenté en Première mondiale qui suit trois jeunes garçons des rues, Patient, Guillain et David, dans leur vision rêvée d'un monde où ils seraient les meneurs des règles. The Goat (Ibhokhwe) du Sud-Africain John Trengove, un court métrage très prenant sur un rituel de
circoncision que doit pratiquer un jeune garçon xhosa pour devenir un homme.
Et enfin, Un Seul Corps (A Single Body) du cinéaste gréco-australien Sotiris Dounoukos (Mona Lisa), lauréat du prix du court métrage international. Filmé dans la région de Bourgogne en France, cette histoire dépeint la relation d'amitié entre deux collègues-amis, David (Mexianu Medenou) et Wani (Doudou Masta) unis dans l'effort et rêvant du réconfort ensemble. Un lien qui va prendre une tournure par l'arrivée d'une troisième personne, Patate (Garba Tounkoura) ou encore par une disparition.
Le Prix FIPRESCI pour Qu'Allah bénisse la France ! d'Abd Al Malik
Une autre surprise pour clôturer cette riche édition fut le prix de la Fédération internationale de la Presse cinématographique attribué à Qu'Allah bénisse la France ! du rappeur écrivain et désormais réalisateur Abd Al Malik. Basé sur son roman éponyme et autobiographique, cette fiction retrace les moments forts qui ont marqué la vie de l'artiste, à l'écran Régis (interprété par Marc Zinga), de sa passion pour l'écriture, ses déboires, sa conversion, sa relation familiale et sa rencontre avec sa future femme la rappeuse Nawel (Wallen, interprétée par Sabrina Ouazani). Le jury de la FIPRESCI, dont faisait partie le journaliste critique camerounais Télesphore Mba Bizo a salué la force d'une telle première œuvre cinématographique. Selon une interview de la radio publique canadienne CBC (Canadian Broadcasting Corporation), ce film aurait été l'un des coups de cœur de Cameroun Bailey, directeur artistique du TIFF.
Tout au long du Festival, le public a donc voté et la majorité s'est portée sur The Imitation Game pour les fictions et Beats of the Antonov, concernant les documentaires. Reste à suivre leur prochaine sélection dans un autre festival ou leur sortie en salles aux Etats-Unis, comme l'exigent les réglementations des Academy Award (Oscars, ndlr). Si ça semble déjà joué pour l'un, ça peut s'avérer plus compliqué pour l'autre, du fait qu'en tant que film étranger, c'est l'Etat même qui propose la candidature du film pour représenter le pays. Dans tous les cas, ce sera l'occasion de démontrer l'influence que peut vraiment avoir un tel festival sur la carrière d'un film, peu importe sa production.
par Djia Mambu
Toronto, septembre 2014
Africiné, Bruxelles
pour Images Francophones
Liste des Prix :
Grolsch People's Choice Award (Prix Grolsch du Public, pour la Meilleure Fiction)
Lauréat 2014 : The Imitation Game
Grolsch People's Choice Documentary Award (Prix Grolsch du Public, pour le Meilleur Documentaire)
Lauréat 2014 : Beats of the Antonov
Grolsch People's Choice Midnight Madness Award (Prix Grolsch du Public Folie de Minuit)
Lauréat 2014 : What We Do in the Shadows
Canada Goose Award for Best Canadian Feature Film (Prix Canada Goose du Meilleur long métrage canadien)
Lauréat 2014 : Felix and Meira
City of Toronto Award for Best Canadian First Feature Film (Prix de la Ville de Toronto du Meilleur long métrage canadien)
Lauréat 2014 : Bang Bang Baby
Award for Best Canadian Short Film (Prix du Meilleur court métrage canadien)
Lauréat 2014 : The Weatherman and the Shadowboxer
Award for Best International Short Film (Prix du Meilleur court métrage international)
Lauréat 2014 : A Single Body
International Critics' Prize (FIPRESCI Prize) - Discovery / Prix Découverte de la Critique Internationale (Prix Fipresci)
Lauréat 2014 : May Allah Bless France! (Qu'Allah bénisse la France !)
International Critics' Prize (FIPRESCI Prize) - Special Presentations
Lauréat 2014 : Time Out of Mind
NETPAC Award (Prix NETPAC)
Lauréat 2014 : Margarita, with a Straw
Plus d'infos : www.tiff.net/festivals/thefestival/festivalawards (en anglais)