FESTICAB 2012 - Après la guerre, le cinéma
Au Burundi, le Festival international du cinéma et de l'audiovisuel (Festicab) existe depuis 2009.
Du Festicab au Film Center
Le Burundi est situé en Afrique de l'Est, entre le Rwanda, la République Démocratique du Congo et la Tanzanie. Dans ce pays déchiré par une guerre civile entre 1993 et 2004, le cinéaste Léonce Ngabo souhaite développer une culture cinématographique. Il est l'auteur du premier long-métrage de l'histoire du cinéma burundais, Gito l'Ingrat (1991) : Prix Oumarou Ganda de la première œuvre au Fespaco 1993.
Passé de 2.000 spectateurs la première année à 14.000 en 2011, le Festicab devient un élément moteur pour le développement du septième art au Burundi. La compétition nationale réunit cette année 14 courts-métrages divisés en deux catégories (fiction et documentaire). 2012 a vu aussi la mise en place pour la première fois des ateliers Kino (voir plus bas) animés par le réalisateur canadien Christopher Redmond, co-fondateur de l'école de cinéma Burundi Film Center. Ainsi, la passion du cinéma se diffuse lentement mais sûrement au sein de la jeune génération.
" Je n'avais jamais entendu parler du Burundi avant d'être au Rwanda, avoue Christopher Redmond. Je pensais même que c'était le mot Rwanda dans une autre langue parce que sur une carte, j'avais vu marqué Rwanda-Burundi. Je ne suis pas docteur ni ingénieur mais dans le cinéma je peux aider ; alors j'avais hâte de tenter une expérience dans un domaine que je ne connaissais pas ".
Centre de formation pour les jeunes cinéastes dans le domaine du scénario, de l'image et du montage, le Burundi Film Center est né en 2007 du désir de développer le cinéma au Burundi. " En 2006, je formais des journalistes au Rwanda et j'ai rencontré quelqu'un qui m'a dit " Le programme que tu enseignes n'existe pas au Burundi. On vient juste de sortir de la guerre civile et on pourrait faire quelque chose ", raconte Christopher Redmond. Je suis allé chercher des cinéastes au Canada et nous avons démarré une petite école. Cinq ans plus tard, on revient dès qu'on peut avec des cinéastes du Canada, des États-Unis et d'Europe pour animer des formations sur la fiction, le documentaire et l'animation ".
Basé sur le bénévolat et les donations, le Burundi Film Center forme ponctuellement une centaine d'étudiants prometteurs. " La moitié de ceux qui ont remporté un trophée ce soir sont mes étudiants, atteste le Canadien le soir de la clôture du Festicab. Je suis très fier de les voir continuer dans le cinéma car c'est un métier difficile et cher pour lequel il faut être vraiment déterminé "
Pour Léonce Ngabo, président du festival, la mise en place d'ateliers Kino permettant de réaliser des courts-métrages en 48h était aussi une fierté : " C'est quelque chose de très important pour nos jeunes car cela permet de s'entraîner. Il faut avoir une vision économique de ce qu'on fait. D'ici dix ans, nous rêvons d'avoir une industrie ".
Industrie et cinéma
Seul cinéaste de long-métrage du pays - quelques jeunes réalisateurs s'y mettent comme Célestin Gakwaya qui présentait cette année Ubugaragwa (2012, 91') - Léonce Ngabo a produit Gito l'ingrat par l'entremise d'un producteur suisse (Jacques Sandoz) et l'a distribué avec une société portugaise, MarFilmes.
Gito, l'ingrat - Extrait par moidixmois
De retour au Burundi après onze ans d'exil, le cinéaste fonde en 2006 la compagnie privée de production cinématographique et audiovisuelle Production Grands Lacs et l'Association burundaise des créateurs d'images et du son (ABCIS).
Aujourd'hui, alors que plusieurs sociétés de production voient le jour, les salles de cinéma ont fermées une à une à l'exception du Ciné Caméo dont la qualité de projection laisse à désirer. Pour plusieurs journalistes formés lors d'un atelier de critique cinématographique organisé par le Festicab, la qualité technique des films burundais est " inférieure " du fait de l'absence de matériel professionnel et du manque de pratique tandis que les scénarios " manquent d'originalité " à cause d'intrigues " peu relevées ".
Pourtant, comme dans beaucoup de pays d'Afrique, existent de nombreux réalisateurs de télévision, de publicités et de clips. Comme partout, les films institutionnels financés par des organismes étrangers dominent la production locale et la création cinématographique demeure un parent pauvre. Des initiatives telles que le Burundi Film Center, l'ABCIS et le Festicab, soulignent la volonté de faire émerger de nouveaux cinéastes. " L'avenir du cinéma burundais, je le vois positivement, explique Léonce Ngabo. Dans la catégorie nationale, nous n'avons que des courts métrages et là je sens qu'il y a un certain engouement à vouloir faire des films de longs-métrages. Cela sera l'aboutissement de ce que nous sommes en train de faire pour que les Burundais soient capables de réaliser des longs-métrages compétitifs sur le plan régional, africain et international ".
Thématiques d'après-guerre
Sélectionnée dans la compétition internationale documentaire, la réalisatrice Iara Lee est venue d'Égypte pour présenter Cultures de résistance (Brésil/Corée, 2011) aux étudiants de l'Université du Burundi. " La caméra est une grande arme, explique-t-elle au sujet de son film tourné sur les cinq continents à la rencontre des peuples opprimés. Aujourd'hui, on ne peut pas cacher les choses ".
Dans la région des Grands Lacs, de nombreux films abordent des sujets comme la guerre, le viol, les génocides ou le traumatisme qu'ont vécues les populations. Sacré meilleur réalisateur par le jury 2012 du Festicab, le réalisateur rwandais Kivu Ruhorahoza signe avec le long-métrage de fiction Matière Grise le plus beau film rwandais sur les conséquences psychologiques d'après-guerre. Film d'auteur sensible et épuré, concentrant sa dramaturgie autour de quatre personnages (un réalisateur, un frère et une sœur, un criminel), Matière Grise souligne l'avenir prometteur que le cinéma peut offrir à des pays en reconstruction.
Plus personnel et tout aussi marquant, le court-métrage Pourquoi moi ? du jeune Vénuste Maronka aborde en noir et blanc le destin tragique d'une jeune fille, de l'assassinat de ses parents lors de son enfance au viol subi durant son adolescence. Avec très peu de paroles mais beaucoup d'images marquantes, ce film illustre la puissance évocatrice de certaines situations. La machette, le crime hors-champ ou le corps d'un homme agité au-dessus d'une fille empêchée de parler ont suscité dans la salle de nombreux témoignages sonores de désapprobation.
" Ce n'est que depuis le génocide rwandais que les Américains représentent les Africains avec des machettes " affirme l'historien belge Guido Convents durant sa conférence sur le cinéma et la colonisation. Auteur d'un brillant livre sur les cinémas du Rwanda et du Burundi de l'époque coloniale à nos jours[1], Guido Convents attire l'attention du public sur le fait que la culture coloniale va plus loin que l'époque coloniale : " Il n'est pas dans l'intérêt de l'industrie cinématographique américaine de développer l'image des autres. Il n'y a pas d'espace pour les autres ".
Cet espace, les réalisateurs commencent à comprendre qu'il leur revient de le créer, de l'inventer. Car ce n'est qu'en s'appropriant leur image qu'ils inviteront les autres à s'y intéresser. À force d'être tournées par des étrangers, les images d'Afrique trompent le spectateur. Les blockbusters américains aiment à prôner des enfants-soldats (Blood Diamond d'Edward Zwick, 2006) et des dictateurs sanguinaires (Lord of War d'Andrew Niccol, 2005) tandis que les journaux télévisés présentent perpétuellement des villages misérables et des enfants pieds-nus ou affamés.
À l'inverse, les réalisateurs africains aiment dévoiler une autre image de leur pays (Tu n'as rien vu à Kinshasa de Mweze Ngangura, Congo RDC), des solutions pour soigner les populations meurtries (State of Mind de Djo Tunda wa Munga, Congo RDC) ou dénoncer des crimes impunis (Tolérance Zéro de Dieudo Hamadi, Congo RDC ou Une affaire de Nègres d'Oswalde Lewat, Cameroun).
On s'étonnera toujours de voir rejouer le génocide par des autochtones comme dans Kinyarwanda d'Alrick Brown (USA, 2011) ou Hôtel Rwanda de Terry George (USA, 2004). On s'inquiétera aussi de l'impact psychologique que cela peut avoir sur les acteurs même si les sociétés de production s'en défendent en embauchant des psychologues. Mais on ne pourra qu'encourager le besoin vital de témoigner, de relater, d'exorciser les douleurs passées. Pour ne pas oublier. Ne pas recommencer. Et pouvoir avancer.
" En 2007, j'avais 36 étudiants et la moitié des scénarios parlaient de viol, raconte Christopher Redmond. En 2010, sur 35 courts-métrages, la moitié traitait de gens qui voulaient partir du Burundi, parce qu'ils n'étaient pas contents. C'est vraiment intéressant de voir ce qui stimule les jeunes et ce dont ils veulent discuter avec leur communauté ".
Espoir et idéal
Construire une culture cinématographique dans un pays comme le Burundi est un grand signe d'espoir pour l'avenir qui nécessite beaucoup d'efforts. " Le cinéma n'est pas dans la culture burundaise ", avance une jeune fille à la sortie d'une projection. " Au Burundi, il y a des sujets tabous " affirme une stagiaire de l'atelier documentaire organisé par le Festicab, en partenariat avec l'Ambassade des États-Unis. " Il faut faire des films pour améliorer la qualité de nos productions " rétorque le réalisateur congolais Jean-Michel Kibushi, président du jury long-métrage international. " Nous n'avons pas beaucoup de moyens mais un grand cœur " encourage le Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture.
Joseph Ndayisenga - dont le film Nitwa Rehema a remporté le prix du meilleur court-métrage du Festicab 2012 - s'est formé au Centre Jeune Kamenge (CJK), centre d'activité fondé en 1991 par les pères italiens Claudio Marano et Marino Betinssoli pour les jeunes des quartiers nord de Bujumbura. Organisant une trentaine d'activités journalières gratuites à destination de plus de 14000 jeunes, le CJK est considéré comme un véritable tremplin pour les artistes locaux. " Le centre c'est ma famille, déclare le jeune homme sur le podium du festival. C'est là que j'ai appris à écrire et que j'ai acquis toutes les bases de la culture ".
De même, Christian Nsavye, journaliste à la radio Isanganiro, a découvert le cinéma au travers des vidéos forum du CJK. Pendant la guerre, il courrait sous les bombes pour assister aux séances alors que ses amis le critiquaient. " On pouvait rester chez nous sécurisés, mais même s'il y avait le danger, il y avait un idéal. Les films nous ont montré qu'au delà des bombes, au-delà des tirs, au-delà des tueries, il y a l'espoir et que l'amour doit triompher. Peu importe le temps que cela doit prendre, c'est grâce à ces films que nous avons cru à cet idéal ".
Claire Diao / Clap Noir
Juin 2012
Palmarès du FESTICAB 2012
I. Catégorie Internationale
Trophée Ingoma 2012 du meilleur Long-métrage de fiction: « The first Grader » de Justin Chadwick
Trophée du meilleur réalisateur : Kivu Ruhorahoza pour « Matière grise »
Trophée de la meilleure interprétation masculine : Célestin Gakwaya dans « Ubugaragwa » » »
II. Catégorie Nationale
Trophée du meilleur Court-métrage : Nitwa Rehema de Joseph Ndayisenga
Prix de la meilleure interprétation masculine : Hussein Butoyi
Trophée du meilleur Documentaire : « Suzanne » d’Evrard Niyomwungere
Prix de la meilleure image : « L’artiste Burundais » de Christian Elvis Sinzinkayo
Prix du meilleur son : « Suzanne » d’Evrard Niyomwungere
Prix du meilleur montage : « L’artiste Burundais » de Christian Elvis Sinzinkayo
[1] Lire son interview sur Clap Noir : http://www.clapnoir.org/spip.php?article860
Photo : Cérémonie Clôture FESTICAB 2012. Crédit : Claire Diao.
Le Burundi est situé en Afrique de l'Est, entre le Rwanda, la République Démocratique du Congo et la Tanzanie. Dans ce pays déchiré par une guerre civile entre 1993 et 2004, le cinéaste Léonce Ngabo souhaite développer une culture cinématographique. Il est l'auteur du premier long-métrage de l'histoire du cinéma burundais, Gito l'Ingrat (1991) : Prix Oumarou Ganda de la première œuvre au Fespaco 1993.
Passé de 2.000 spectateurs la première année à 14.000 en 2011, le Festicab devient un élément moteur pour le développement du septième art au Burundi. La compétition nationale réunit cette année 14 courts-métrages divisés en deux catégories (fiction et documentaire). 2012 a vu aussi la mise en place pour la première fois des ateliers Kino (voir plus bas) animés par le réalisateur canadien Christopher Redmond, co-fondateur de l'école de cinéma Burundi Film Center. Ainsi, la passion du cinéma se diffuse lentement mais sûrement au sein de la jeune génération.
" Je n'avais jamais entendu parler du Burundi avant d'être au Rwanda, avoue Christopher Redmond. Je pensais même que c'était le mot Rwanda dans une autre langue parce que sur une carte, j'avais vu marqué Rwanda-Burundi. Je ne suis pas docteur ni ingénieur mais dans le cinéma je peux aider ; alors j'avais hâte de tenter une expérience dans un domaine que je ne connaissais pas ".
Centre de formation pour les jeunes cinéastes dans le domaine du scénario, de l'image et du montage, le Burundi Film Center est né en 2007 du désir de développer le cinéma au Burundi. " En 2006, je formais des journalistes au Rwanda et j'ai rencontré quelqu'un qui m'a dit " Le programme que tu enseignes n'existe pas au Burundi. On vient juste de sortir de la guerre civile et on pourrait faire quelque chose ", raconte Christopher Redmond. Je suis allé chercher des cinéastes au Canada et nous avons démarré une petite école. Cinq ans plus tard, on revient dès qu'on peut avec des cinéastes du Canada, des États-Unis et d'Europe pour animer des formations sur la fiction, le documentaire et l'animation ".
Basé sur le bénévolat et les donations, le Burundi Film Center forme ponctuellement une centaine d'étudiants prometteurs. " La moitié de ceux qui ont remporté un trophée ce soir sont mes étudiants, atteste le Canadien le soir de la clôture du Festicab. Je suis très fier de les voir continuer dans le cinéma car c'est un métier difficile et cher pour lequel il faut être vraiment déterminé "
Pour Léonce Ngabo, président du festival, la mise en place d'ateliers Kino permettant de réaliser des courts-métrages en 48h était aussi une fierté : " C'est quelque chose de très important pour nos jeunes car cela permet de s'entraîner. Il faut avoir une vision économique de ce qu'on fait. D'ici dix ans, nous rêvons d'avoir une industrie ".
Industrie et cinéma
Seul cinéaste de long-métrage du pays - quelques jeunes réalisateurs s'y mettent comme Célestin Gakwaya qui présentait cette année Ubugaragwa (2012, 91') - Léonce Ngabo a produit Gito l'ingrat par l'entremise d'un producteur suisse (Jacques Sandoz) et l'a distribué avec une société portugaise, MarFilmes.
Gito, l'ingrat - Extrait par moidixmois
De retour au Burundi après onze ans d'exil, le cinéaste fonde en 2006 la compagnie privée de production cinématographique et audiovisuelle Production Grands Lacs et l'Association burundaise des créateurs d'images et du son (ABCIS).
Aujourd'hui, alors que plusieurs sociétés de production voient le jour, les salles de cinéma ont fermées une à une à l'exception du Ciné Caméo dont la qualité de projection laisse à désirer. Pour plusieurs journalistes formés lors d'un atelier de critique cinématographique organisé par le Festicab, la qualité technique des films burundais est " inférieure " du fait de l'absence de matériel professionnel et du manque de pratique tandis que les scénarios " manquent d'originalité " à cause d'intrigues " peu relevées ".
Pourtant, comme dans beaucoup de pays d'Afrique, existent de nombreux réalisateurs de télévision, de publicités et de clips. Comme partout, les films institutionnels financés par des organismes étrangers dominent la production locale et la création cinématographique demeure un parent pauvre. Des initiatives telles que le Burundi Film Center, l'ABCIS et le Festicab, soulignent la volonté de faire émerger de nouveaux cinéastes. " L'avenir du cinéma burundais, je le vois positivement, explique Léonce Ngabo. Dans la catégorie nationale, nous n'avons que des courts métrages et là je sens qu'il y a un certain engouement à vouloir faire des films de longs-métrages. Cela sera l'aboutissement de ce que nous sommes en train de faire pour que les Burundais soient capables de réaliser des longs-métrages compétitifs sur le plan régional, africain et international ".
Thématiques d'après-guerre
Sélectionnée dans la compétition internationale documentaire, la réalisatrice Iara Lee est venue d'Égypte pour présenter Cultures de résistance (Brésil/Corée, 2011) aux étudiants de l'Université du Burundi. " La caméra est une grande arme, explique-t-elle au sujet de son film tourné sur les cinq continents à la rencontre des peuples opprimés. Aujourd'hui, on ne peut pas cacher les choses ".
Dans la région des Grands Lacs, de nombreux films abordent des sujets comme la guerre, le viol, les génocides ou le traumatisme qu'ont vécues les populations. Sacré meilleur réalisateur par le jury 2012 du Festicab, le réalisateur rwandais Kivu Ruhorahoza signe avec le long-métrage de fiction Matière Grise le plus beau film rwandais sur les conséquences psychologiques d'après-guerre. Film d'auteur sensible et épuré, concentrant sa dramaturgie autour de quatre personnages (un réalisateur, un frère et une sœur, un criminel), Matière Grise souligne l'avenir prometteur que le cinéma peut offrir à des pays en reconstruction.
Plus personnel et tout aussi marquant, le court-métrage Pourquoi moi ? du jeune Vénuste Maronka aborde en noir et blanc le destin tragique d'une jeune fille, de l'assassinat de ses parents lors de son enfance au viol subi durant son adolescence. Avec très peu de paroles mais beaucoup d'images marquantes, ce film illustre la puissance évocatrice de certaines situations. La machette, le crime hors-champ ou le corps d'un homme agité au-dessus d'une fille empêchée de parler ont suscité dans la salle de nombreux témoignages sonores de désapprobation.
" Ce n'est que depuis le génocide rwandais que les Américains représentent les Africains avec des machettes " affirme l'historien belge Guido Convents durant sa conférence sur le cinéma et la colonisation. Auteur d'un brillant livre sur les cinémas du Rwanda et du Burundi de l'époque coloniale à nos jours[1], Guido Convents attire l'attention du public sur le fait que la culture coloniale va plus loin que l'époque coloniale : " Il n'est pas dans l'intérêt de l'industrie cinématographique américaine de développer l'image des autres. Il n'y a pas d'espace pour les autres ".
Cet espace, les réalisateurs commencent à comprendre qu'il leur revient de le créer, de l'inventer. Car ce n'est qu'en s'appropriant leur image qu'ils inviteront les autres à s'y intéresser. À force d'être tournées par des étrangers, les images d'Afrique trompent le spectateur. Les blockbusters américains aiment à prôner des enfants-soldats (Blood Diamond d'Edward Zwick, 2006) et des dictateurs sanguinaires (Lord of War d'Andrew Niccol, 2005) tandis que les journaux télévisés présentent perpétuellement des villages misérables et des enfants pieds-nus ou affamés.
À l'inverse, les réalisateurs africains aiment dévoiler une autre image de leur pays (Tu n'as rien vu à Kinshasa de Mweze Ngangura, Congo RDC), des solutions pour soigner les populations meurtries (State of Mind de Djo Tunda wa Munga, Congo RDC) ou dénoncer des crimes impunis (Tolérance Zéro de Dieudo Hamadi, Congo RDC ou Une affaire de Nègres d'Oswalde Lewat, Cameroun).
On s'étonnera toujours de voir rejouer le génocide par des autochtones comme dans Kinyarwanda d'Alrick Brown (USA, 2011) ou Hôtel Rwanda de Terry George (USA, 2004). On s'inquiétera aussi de l'impact psychologique que cela peut avoir sur les acteurs même si les sociétés de production s'en défendent en embauchant des psychologues. Mais on ne pourra qu'encourager le besoin vital de témoigner, de relater, d'exorciser les douleurs passées. Pour ne pas oublier. Ne pas recommencer. Et pouvoir avancer.
" En 2007, j'avais 36 étudiants et la moitié des scénarios parlaient de viol, raconte Christopher Redmond. En 2010, sur 35 courts-métrages, la moitié traitait de gens qui voulaient partir du Burundi, parce qu'ils n'étaient pas contents. C'est vraiment intéressant de voir ce qui stimule les jeunes et ce dont ils veulent discuter avec leur communauté ".
Espoir et idéal
Construire une culture cinématographique dans un pays comme le Burundi est un grand signe d'espoir pour l'avenir qui nécessite beaucoup d'efforts. " Le cinéma n'est pas dans la culture burundaise ", avance une jeune fille à la sortie d'une projection. " Au Burundi, il y a des sujets tabous " affirme une stagiaire de l'atelier documentaire organisé par le Festicab, en partenariat avec l'Ambassade des États-Unis. " Il faut faire des films pour améliorer la qualité de nos productions " rétorque le réalisateur congolais Jean-Michel Kibushi, président du jury long-métrage international. " Nous n'avons pas beaucoup de moyens mais un grand cœur " encourage le Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture.
Joseph Ndayisenga - dont le film Nitwa Rehema a remporté le prix du meilleur court-métrage du Festicab 2012 - s'est formé au Centre Jeune Kamenge (CJK), centre d'activité fondé en 1991 par les pères italiens Claudio Marano et Marino Betinssoli pour les jeunes des quartiers nord de Bujumbura. Organisant une trentaine d'activités journalières gratuites à destination de plus de 14000 jeunes, le CJK est considéré comme un véritable tremplin pour les artistes locaux. " Le centre c'est ma famille, déclare le jeune homme sur le podium du festival. C'est là que j'ai appris à écrire et que j'ai acquis toutes les bases de la culture ".
De même, Christian Nsavye, journaliste à la radio Isanganiro, a découvert le cinéma au travers des vidéos forum du CJK. Pendant la guerre, il courrait sous les bombes pour assister aux séances alors que ses amis le critiquaient. " On pouvait rester chez nous sécurisés, mais même s'il y avait le danger, il y avait un idéal. Les films nous ont montré qu'au delà des bombes, au-delà des tirs, au-delà des tueries, il y a l'espoir et que l'amour doit triompher. Peu importe le temps que cela doit prendre, c'est grâce à ces films que nous avons cru à cet idéal ".
Claire Diao / Clap Noir
Juin 2012
Palmarès du FESTICAB 2012
I. Catégorie Internationale
Trophée Ingoma 2012 du meilleur Long-métrage de fiction: « The first Grader » de Justin Chadwick
Trophée du meilleur réalisateur : Kivu Ruhorahoza pour « Matière grise »
Trophée de la meilleure interprétation masculine : Célestin Gakwaya dans « Ubugaragwa » » »
- Mention spéciale d’interprétation à Elie Lucas Moussoko dans « Le secret de l’enfant fourmi »
- Mention spéciale d’interprétation à Soufia Issami dans « Sur la planche »
- Mention spéciale à « Djoûu » de Djamil Beloucif
- Mention spéciale à « Songe au rêve » de Nadine Otsobogo
- Mention spéciale à « Etranger chez soi » de Queen Belle Monique Nyeniteka et Eloge Kaneza
II. Catégorie Nationale
Trophée du meilleur Court-métrage : Nitwa Rehema de Joseph Ndayisenga
- Mention spéciale à « Pourquoi moi ? » de Vénuste Maronko
Prix de la meilleure interprétation masculine : Hussein Butoyi
Trophée du meilleur Documentaire : « Suzanne » d’Evrard Niyomwungere
- Mention spéciale à « Nyaba Express » de Joseph Ndayisenga
Prix de la meilleure image : « L’artiste Burundais » de Christian Elvis Sinzinkayo
Prix du meilleur son : « Suzanne » d’Evrard Niyomwungere
Prix du meilleur montage : « L’artiste Burundais » de Christian Elvis Sinzinkayo
[1] Lire son interview sur Clap Noir : http://www.clapnoir.org/spip.php?article860
Photo : Cérémonie Clôture FESTICAB 2012. Crédit : Claire Diao.