Fespaco : les vœux de la Francophonie pour le cinéma africain
Lors de la conférence de l’OIF au Fespaco, le 3 mars 2015, Youma Fall, directrice de la diversité et du développement culturels a exprimé sa confiance dans l’avenir du cinéma africain et a développé les axes de l’action de l’OIF, déterminée à mettre l’accent sur les jeunes talents.
« Tout d’abord, merci au FESPACO de tenir bon. Merci, parce que, le FESPACO, c’est notre maison, c’est l’endroit où l’on aime se retrouver entre amoureux du cinéma africain. C’est notre maquis, comme disent les Ivoiriens, ou notre chantier, comme disent les Camerounais.
Si on se sent bien, au Fespaco, ça ne veut pas dire que tout va bien, loin de là. Les salles de cinéma toutes neuves qu’on attend, qu’on nous promet ici et là ne sont toujours pas ouvertes. Celle de Dakar est en chantier, celle d’Abidjan est presque prête, celle du FESPACO, ce sera pour la prochaine fois... En attendant, avouons-le : l’Afrique francophone reste un grand désert cinématographique, avec des oasis - les festivals - et des caravanes, celles du cinéma du cinéma numérique ambulant ou de Mobiciné. Il n’y a pas d’ironie dans cette comparaison entre cinéma ambulant et caravanes. Dans le désert, il faut des nomades, je les salue et je leur rends hommage. Mais ce n'est pas parce qu’on admire les nomades qu’il ne faut pas combattre la désertification. Il faut de nouvelles salles pour que le cinéma redécolle en Afrique francophone.
Et, les salles de cinéma, cela relève des investisseurs et de la capacité des Etats à les encourager. Car il en faut, du courage : après tout, il s’agit de planter des arbres dans le désert ! Et pour cela, il faut de la passion, de la foi et même un petit grain de folie. Toutes ces choses-là, on les trouve chez les cinéastes, c’est pourquoi le renouveau des salles, c’est aussi une affaire de cinéastes. Il ne faut pas oublier que la première salle moderne d’Afrique francophone, le premier cinéma équipé d’une cabine numérique, a été le Normandie, à Ndjamena, qui n’existerait pas sans la volonté de deux cinéastes : Mahamat Saleh-Haroun et Issa Serge Coelo. Ici, au Burkina, c’est encore un cinéaste, Berni Goldblat, qui est sur le point de faire revivre le cinéma Guimbi Ouattara, à Bobo Dioulasso.
Si j’ai voulu parler d’abord des salles de cinéma, c’est que cette question-là nous dépasse. Les salles vont réapparaître quand les conditions économiques et sociales seront réunies. C’est largement une question de taux de croissance économique, de sécurité dans les villes et de confiance dans l’avenir, tout simplement. C’est le genre de choses qui peut prendre du temps, mais le jour où ça démarre, ça peut aller très vite. Je voudrais citer un exemple pour se donner un peu d’optimisme avant de passer à autre chose, avant de passer aux films et aux images en général.
Cet exemple, c’est celui de l’Ile Maurice. Petit pays moitié anglophone, moitié francophone mais où le français n’arrête pas de progresser et où le public va voir les films en français. Il y a quatre ou cinq ans, l’Ile Maurice n’était pas mieux lotie que les autres pays francophones du Sud. On n’y trouvait pratiquement plus de salles de cinéma. Pas de réseau de distribution, très peu de films à l’affiche. Aujourd’hui, il y a dans ce pays trente écrans. Et le premier film africain à être montré dans les multiplexes a été Timbuktu. Le deuxième est le long-métrage mauricien Lonbraz Kann, actuellement à l’affiche. Ce qui est très intéressant à Maurice, c’est que les cinéastes locaux n’ont pas attendu qu’il y ait des salles pour se retrousser les manches. Ils se sont remis à produire avant d’avoir des espaces de diffusion. Maurice, petit pays d’un million d’habitants avait déjà un long-métrage en compétition au dernier Fespaco : « Les enfants de Troumaron ». Et il y a cette année « Lonbraz Kann » dans la section « Panorama ».
Je vais donc parler maintenant des films. Des films et aussi des programmes de télévision. Parce que le Fespaco, c’est aussi le festival de la télévision. Alors, que fait la Francophonie pour qu’il y ait des films, pour que l’Afrique produise des images et les fasse circuler ?
Je vais d’abord vous parler d’argent. L’argent ne fait pas le bonheur des cinéastes mais il y contribue. Le fonds d’aide de la Francophonie fête cette année ses 25 ans d’existence. Il a été créé en 1988 mais c’est à partir de 1990 qu’il a fonctionné de façon régulière, avec plusieurs commissions par an. À l’occasion de ce vingt-cinquième anniversaire, nous avons décidé de rebaptiser ce Fonds. Il s’appellera désormais Fonds Images de la Francophonie. Le principe reste le même : une commission par an pour le cinéma, deux pour la télévision. Je ne vous cache pas que le fonds a moins d’argent. Nous étions à 2 millions d’euros par an il y a dix ans. Nous en sommes à 900 000 aujourd’hui. C’est pourquoi ce fonds ne peut plus fonctionner comme avant. Ça ne peut plus être un guichet qui va apporter le tiers ou le quart du budget d’un film. Cela ne veut pas dire que la Francophonie va devenir pour les cinéastes un partenaire négligeable, un partenaire qui n’est pas à la hauteur des enjeux.
Au contraire, la diminution des moyens nous oblige à devenir plus actifs, à passer du mode guichet au mode accompagnement. Vous vous dites : on connaît la chanson. Moins d’argent et plus de bonnes paroles.
Alors je passe tout de suite aux exemples concrets. Et vous verrez que nous avons déjà commencé à fonctionner en mode accompagnement. Et que cela donne des résultats. Prenons la sélection longs-métrages du Fespaco, la compétition officielle. On y trouve 12 longs-métrages francophones. Parmi ces 12 films, il y a cinq premiers longs-métrages, dont trois que nous avons soutenu : Run, L’œil du cyclone et Des étoiles.
Commençons par « Run » qui a été montré au festival de Cannes dans la section « Un certain regard » :
- Au stade du scénario, ce film a bénéficié d’une bourse de développement du festival d’Amiens financée par l’OIF.
- Il a ensuite été aidé par le fonds d’aide de l’OIF à hauteur de 40 000 €.
- Il a bénéficié des conseils d’une consultante recrutée par l’OIF pour présenter un dossier auprès du programme ACP Cultures , qui a alloué un financement de 500 000 euros au projet.
- Enfin, au stade du tournage, le producteur a bénéficié des conseils de l’OIF sur l’accès au crédit.
Prenons le film « L’œil du cyclone »
L’OIF était également présente au stade du développement du scénario :
- bourse du festival d’Amiens, puis
- participation aux ateliers Sud Ecriture, également soutenus par l’OIF.
- Mise à disposition d’une consultante pour dépôt de dossier auprès d’ACP cultures plus, avec, au bout du compte, 300 000 euros de financement obtenus.
- aide à la production du Fonds de l’OIF : 40 000 €.
- Et enfin, au stade du tournage, intervention du Fonds de garantie des Industries culturelles qui a permis à une banque burkinabè de débloquer un prêt.
Pour « Des Etoiles », vous avez :
- une aide de 40 000 € du Fonds de l’OIF
- Mise à disposition d’une consultante pour l’obtention d’un financement ACP cultures mais, dans ce cas, la production du film a finalement renoncé pour une question de calendrier
- enfin, vous avez deux récompenses pour le film aux Trophées francophones du cinéma, qui représentent un espace de promotion soutenu et accompagné par l’OIF depuis le départ.
Si vous allez dans la catégorie documentaire, vous trouverez « La sirène de Faso Fani » de Michel Zongo qui est passé par la Fabrique des cinémas du monde, à Cannes, où l’OIF est partenaire de l’Institut français.
Si j’ai cité ces quelques exemples, c’est pour deux raisons.
Premièrement, cela permet de comprendre la démarche de l’OIF, qui accompagne les films à toutes les étapes de leur vie. Dans le développement du scénario avec plusieurs outils : en partenariat avec des festivals comme Amiens, Durban ou Montpellier, ou à travers des espaces spécifiques comme Sud Ecriture en Tunisie, les rencontres Africadoc au Sénégal ou Doc Océan indien à Madagascar, la Fabrique des cinémas du monde en France ou l’Atelier Grand Nord au Canada.
Vous avez ensuite l’accès au financement et, dans ce domaine, le Fonds de l’OIF n’est qu’un outil parmi d’autres comme je l’ai déjà indiqué.
Vous avez l’aide au préfinancement, c’est-à-dire à l’accès au crédit, avec les fonds de garantie des industries culturelles qui fonctionnent au Maroc, en Tunisie et en Afrique de l’Ouest.
Vous avez également l’aide aux ventes internationales qui fonctionne surtout pour des programmes de télévision mais qui a permis aussi de donner un coup de pouce à des films. Par exemple le film malien Toiles d’araignée vendu à Canal Horizons grâce à l’intervention du distributeur DIFFA qui a démarré son activité suite à un appel à projets de l’OIF.
Enfin, à l’appui de toutes ces interventions, à toutes les étapes, vous avez un énorme travail de mise en réseau, de diffusion d’information, d’animation du milieu professionnel qui est réalisé par l’OIF à travers le site Images francophones, avec comme partenaire l’association Africultures.
Ce site Images francophones, c’est un outil au service des professionnels ; nous allons nous attacher à le rendre encore plus utile, encore plus efficace. Nous pensons déjà qu’il est utile et qu’il atteint ses objectifs car plus de la moitié des utilisateurs se trouvent en Afrique et on a une fréquentation qui augmente de 20 à 30 % chaque année. On espère aller encore plus loin avec une nouvelle maquette et une nouvelle architecture que l’on vient de lancer aujourd’hui même.
Je reviens sur les exemples de Run, Des étoiles et L’œil du cyclone. Si j’ai insisté sur ces films, ce n’est pas seulement pour illustrer la démarche d’accompagnement de l’OIF, c’est aussi parce qu’il s’agit de premiers longs-métrages.
Or, c’est le premier film qui est le plus difficile à faire.
Je ne dis pas que c’est facile après. La meilleure preuve, c’est qu’Abderrahmane Sissako a mis 8 ans à faire un nouveau long-métrage après Bamako qui avait pourtant été le film africain ayant eu le plus d’entrées dans les années 2000. Pour Cheick Fantamady Camara, il s’est écoulé également huit ans entre « Il va pleuvoir sur Conakry » et « Morbayassa ».
Mais le premier long-métrage, c’est le plus difficile. Ce n’est pas une affaire de huit ans, il faut parfois vingt ans ou plus pour y arriver. Sachez que la moyenne d’âge des réalisateurs de longs-métrages aidés par la commission cinéma de l’OIF en 2013 et 2014 était de 50 ans. Ce n’est pas normal, il faut que les jeunes cinéastes puissent démarrer leur carrière plus tôt.
C’est pourquoi l’OIF a décidé de mettre l’accent, plus qu’avant, sur les nouveaux talents, sur les jeunes cinéastes et les jeunes auteurs ou réalisateurs de télévision.
Cela va passer par la formation. Nous allons cette année prendre en charge la formation de deux jeunes réalisateurs à l’ESAV de Marrakech.
Nous organisons demain avec le MICA un concours de pitch qui a pour ambition de mettre en lumière de nouveaux projets. Nous avons soutenu en 2013 le concours de scénarios lancé par la télévision ivoirienne.
D’une façon générale, nous avons décidé d’être plus attentifs aux jeunes, à la détection et à l’éclosion des talents, à la formation et au renforcement des compétences.
Certains nous diront : attention, il ne faut pas susciter de faux espoirs, il ne faut pas aider des jeunes s’ils risquent ensuite de se retrouver sur le carreau. Si l’on raisonne comme cela, on n’avancera pas. Pour aller de l’avant, il ne faut pas se mettre dans la tête qu’on est soumis à une fatalité. Il faut partir du principe que les salles de cinéma vont réapparaître en Afrique et l’exemple de l’Ile Maurice montre que c’est possible ; il faut considérer que les films africains peuvent s’exporter et l’exemple magnifique de Timbuktu est là pour le démontrer. Il faut se dire que le cinéma africain a un bel avenir devant lui.
Il faut être confiant dans l’avenir mais ça ne veut pas dire qu’il faille oublier ou renier le passé. Comme disait l’écrivain Ernest Renan, « Les grands hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un profond respect du passé. »
C’est pourquoi l’OIF est également attachée au patrimoine. C’est pour encourager sa conservation et surtout sa valorisation que nous avons lancé le projet Capital numérique, avec l’aide de l’Union européenne et des ACP. Ce projet va permettre la mise en place de législations sur le dépôt légal audiovisuel en Afrique de l’ouest, il va aider à redynamiser la gestion des archives dans les télévisions. Enfin il va permettre au public de redécouvrir des films et des séries télévisées qui étaient devenues inaccessibles faute de copies numériques. Ce projet est mené avec six partenaires : l’UEMOA, le CIRTEF, l’INA, Côte Ouest audiovisuel, Africafilms.tv et l’Institut Imagine de Gaston Kaboré. Sans oublier la Bibliothèque nationale de France grâce à laquelle des centaines d’œuvres ont déjà été numérisées.
Ce projet n’est pas seulement un retour dans le passé, il pose aussi les bases d’une meilleure valorisation des œuvres sur la durée, aujourd’hui et dans l’avenir. Et il nous permet de dire : longue vie au cinéma et aux images africaines !
Youma Fall
Directrice de la Diversité et du développement culturels à l’OIF
Photo : Mme Youma Fall,
Crédit : DR
Si on se sent bien, au Fespaco, ça ne veut pas dire que tout va bien, loin de là. Les salles de cinéma toutes neuves qu’on attend, qu’on nous promet ici et là ne sont toujours pas ouvertes. Celle de Dakar est en chantier, celle d’Abidjan est presque prête, celle du FESPACO, ce sera pour la prochaine fois... En attendant, avouons-le : l’Afrique francophone reste un grand désert cinématographique, avec des oasis - les festivals - et des caravanes, celles du cinéma du cinéma numérique ambulant ou de Mobiciné. Il n’y a pas d’ironie dans cette comparaison entre cinéma ambulant et caravanes. Dans le désert, il faut des nomades, je les salue et je leur rends hommage. Mais ce n'est pas parce qu’on admire les nomades qu’il ne faut pas combattre la désertification. Il faut de nouvelles salles pour que le cinéma redécolle en Afrique francophone.
Et, les salles de cinéma, cela relève des investisseurs et de la capacité des Etats à les encourager. Car il en faut, du courage : après tout, il s’agit de planter des arbres dans le désert ! Et pour cela, il faut de la passion, de la foi et même un petit grain de folie. Toutes ces choses-là, on les trouve chez les cinéastes, c’est pourquoi le renouveau des salles, c’est aussi une affaire de cinéastes. Il ne faut pas oublier que la première salle moderne d’Afrique francophone, le premier cinéma équipé d’une cabine numérique, a été le Normandie, à Ndjamena, qui n’existerait pas sans la volonté de deux cinéastes : Mahamat Saleh-Haroun et Issa Serge Coelo. Ici, au Burkina, c’est encore un cinéaste, Berni Goldblat, qui est sur le point de faire revivre le cinéma Guimbi Ouattara, à Bobo Dioulasso.
Si j’ai voulu parler d’abord des salles de cinéma, c’est que cette question-là nous dépasse. Les salles vont réapparaître quand les conditions économiques et sociales seront réunies. C’est largement une question de taux de croissance économique, de sécurité dans les villes et de confiance dans l’avenir, tout simplement. C’est le genre de choses qui peut prendre du temps, mais le jour où ça démarre, ça peut aller très vite. Je voudrais citer un exemple pour se donner un peu d’optimisme avant de passer à autre chose, avant de passer aux films et aux images en général.
Cet exemple, c’est celui de l’Ile Maurice. Petit pays moitié anglophone, moitié francophone mais où le français n’arrête pas de progresser et où le public va voir les films en français. Il y a quatre ou cinq ans, l’Ile Maurice n’était pas mieux lotie que les autres pays francophones du Sud. On n’y trouvait pratiquement plus de salles de cinéma. Pas de réseau de distribution, très peu de films à l’affiche. Aujourd’hui, il y a dans ce pays trente écrans. Et le premier film africain à être montré dans les multiplexes a été Timbuktu. Le deuxième est le long-métrage mauricien Lonbraz Kann, actuellement à l’affiche. Ce qui est très intéressant à Maurice, c’est que les cinéastes locaux n’ont pas attendu qu’il y ait des salles pour se retrousser les manches. Ils se sont remis à produire avant d’avoir des espaces de diffusion. Maurice, petit pays d’un million d’habitants avait déjà un long-métrage en compétition au dernier Fespaco : « Les enfants de Troumaron ». Et il y a cette année « Lonbraz Kann » dans la section « Panorama ».
Trailer - DES ETOILES, 2013, Dyana Gaye, Senegal / France, 88mins from Africiné www.africine.org on Vimeo.
Je vais donc parler maintenant des films. Des films et aussi des programmes de télévision. Parce que le Fespaco, c’est aussi le festival de la télévision. Alors, que fait la Francophonie pour qu’il y ait des films, pour que l’Afrique produise des images et les fasse circuler ?
Je vais d’abord vous parler d’argent. L’argent ne fait pas le bonheur des cinéastes mais il y contribue. Le fonds d’aide de la Francophonie fête cette année ses 25 ans d’existence. Il a été créé en 1988 mais c’est à partir de 1990 qu’il a fonctionné de façon régulière, avec plusieurs commissions par an. À l’occasion de ce vingt-cinquième anniversaire, nous avons décidé de rebaptiser ce Fonds. Il s’appellera désormais Fonds Images de la Francophonie. Le principe reste le même : une commission par an pour le cinéma, deux pour la télévision. Je ne vous cache pas que le fonds a moins d’argent. Nous étions à 2 millions d’euros par an il y a dix ans. Nous en sommes à 900 000 aujourd’hui. C’est pourquoi ce fonds ne peut plus fonctionner comme avant. Ça ne peut plus être un guichet qui va apporter le tiers ou le quart du budget d’un film. Cela ne veut pas dire que la Francophonie va devenir pour les cinéastes un partenaire négligeable, un partenaire qui n’est pas à la hauteur des enjeux.
Au contraire, la diminution des moyens nous oblige à devenir plus actifs, à passer du mode guichet au mode accompagnement. Vous vous dites : on connaît la chanson. Moins d’argent et plus de bonnes paroles.
Alors je passe tout de suite aux exemples concrets. Et vous verrez que nous avons déjà commencé à fonctionner en mode accompagnement. Et que cela donne des résultats. Prenons la sélection longs-métrages du Fespaco, la compétition officielle. On y trouve 12 longs-métrages francophones. Parmi ces 12 films, il y a cinq premiers longs-métrages, dont trois que nous avons soutenu : Run, L’œil du cyclone et Des étoiles.
Commençons par « Run » qui a été montré au festival de Cannes dans la section « Un certain regard » :
- Au stade du scénario, ce film a bénéficié d’une bourse de développement du festival d’Amiens financée par l’OIF.
- Il a ensuite été aidé par le fonds d’aide de l’OIF à hauteur de 40 000 €.
- Il a bénéficié des conseils d’une consultante recrutée par l’OIF pour présenter un dossier auprès du programme ACP Cultures , qui a alloué un financement de 500 000 euros au projet.
- Enfin, au stade du tournage, le producteur a bénéficié des conseils de l’OIF sur l’accès au crédit.
Prenons le film « L’œil du cyclone »
L’OIF était également présente au stade du développement du scénario :
- bourse du festival d’Amiens, puis
- participation aux ateliers Sud Ecriture, également soutenus par l’OIF.
- Mise à disposition d’une consultante pour dépôt de dossier auprès d’ACP cultures plus, avec, au bout du compte, 300 000 euros de financement obtenus.
- aide à la production du Fonds de l’OIF : 40 000 €.
- Et enfin, au stade du tournage, intervention du Fonds de garantie des Industries culturelles qui a permis à une banque burkinabè de débloquer un prêt.
Pour « Des Etoiles », vous avez :
- une aide de 40 000 € du Fonds de l’OIF
- Mise à disposition d’une consultante pour l’obtention d’un financement ACP cultures mais, dans ce cas, la production du film a finalement renoncé pour une question de calendrier
- enfin, vous avez deux récompenses pour le film aux Trophées francophones du cinéma, qui représentent un espace de promotion soutenu et accompagné par l’OIF depuis le départ.
Si vous allez dans la catégorie documentaire, vous trouverez « La sirène de Faso Fani » de Michel Zongo qui est passé par la Fabrique des cinémas du monde, à Cannes, où l’OIF est partenaire de l’Institut français.
Si j’ai cité ces quelques exemples, c’est pour deux raisons.
Premièrement, cela permet de comprendre la démarche de l’OIF, qui accompagne les films à toutes les étapes de leur vie. Dans le développement du scénario avec plusieurs outils : en partenariat avec des festivals comme Amiens, Durban ou Montpellier, ou à travers des espaces spécifiques comme Sud Ecriture en Tunisie, les rencontres Africadoc au Sénégal ou Doc Océan indien à Madagascar, la Fabrique des cinémas du monde en France ou l’Atelier Grand Nord au Canada.
Vous avez ensuite l’accès au financement et, dans ce domaine, le Fonds de l’OIF n’est qu’un outil parmi d’autres comme je l’ai déjà indiqué.
Vous avez l’aide au préfinancement, c’est-à-dire à l’accès au crédit, avec les fonds de garantie des industries culturelles qui fonctionnent au Maroc, en Tunisie et en Afrique de l’Ouest.
Vous avez également l’aide aux ventes internationales qui fonctionne surtout pour des programmes de télévision mais qui a permis aussi de donner un coup de pouce à des films. Par exemple le film malien Toiles d’araignée vendu à Canal Horizons grâce à l’intervention du distributeur DIFFA qui a démarré son activité suite à un appel à projets de l’OIF.
Enfin, à l’appui de toutes ces interventions, à toutes les étapes, vous avez un énorme travail de mise en réseau, de diffusion d’information, d’animation du milieu professionnel qui est réalisé par l’OIF à travers le site Images francophones, avec comme partenaire l’association Africultures.
Ce site Images francophones, c’est un outil au service des professionnels ; nous allons nous attacher à le rendre encore plus utile, encore plus efficace. Nous pensons déjà qu’il est utile et qu’il atteint ses objectifs car plus de la moitié des utilisateurs se trouvent en Afrique et on a une fréquentation qui augmente de 20 à 30 % chaque année. On espère aller encore plus loin avec une nouvelle maquette et une nouvelle architecture que l’on vient de lancer aujourd’hui même.
Je reviens sur les exemples de Run, Des étoiles et L’œil du cyclone. Si j’ai insisté sur ces films, ce n’est pas seulement pour illustrer la démarche d’accompagnement de l’OIF, c’est aussi parce qu’il s’agit de premiers longs-métrages.
Or, c’est le premier film qui est le plus difficile à faire.
Je ne dis pas que c’est facile après. La meilleure preuve, c’est qu’Abderrahmane Sissako a mis 8 ans à faire un nouveau long-métrage après Bamako qui avait pourtant été le film africain ayant eu le plus d’entrées dans les années 2000. Pour Cheick Fantamady Camara, il s’est écoulé également huit ans entre « Il va pleuvoir sur Conakry » et « Morbayassa ».
Mais le premier long-métrage, c’est le plus difficile. Ce n’est pas une affaire de huit ans, il faut parfois vingt ans ou plus pour y arriver. Sachez que la moyenne d’âge des réalisateurs de longs-métrages aidés par la commission cinéma de l’OIF en 2013 et 2014 était de 50 ans. Ce n’est pas normal, il faut que les jeunes cinéastes puissent démarrer leur carrière plus tôt.
C’est pourquoi l’OIF a décidé de mettre l’accent, plus qu’avant, sur les nouveaux talents, sur les jeunes cinéastes et les jeunes auteurs ou réalisateurs de télévision.
Cela va passer par la formation. Nous allons cette année prendre en charge la formation de deux jeunes réalisateurs à l’ESAV de Marrakech.
Nous organisons demain avec le MICA un concours de pitch qui a pour ambition de mettre en lumière de nouveaux projets. Nous avons soutenu en 2013 le concours de scénarios lancé par la télévision ivoirienne.
D’une façon générale, nous avons décidé d’être plus attentifs aux jeunes, à la détection et à l’éclosion des talents, à la formation et au renforcement des compétences.
Certains nous diront : attention, il ne faut pas susciter de faux espoirs, il ne faut pas aider des jeunes s’ils risquent ensuite de se retrouver sur le carreau. Si l’on raisonne comme cela, on n’avancera pas. Pour aller de l’avant, il ne faut pas se mettre dans la tête qu’on est soumis à une fatalité. Il faut partir du principe que les salles de cinéma vont réapparaître en Afrique et l’exemple de l’Ile Maurice montre que c’est possible ; il faut considérer que les films africains peuvent s’exporter et l’exemple magnifique de Timbuktu est là pour le démontrer. Il faut se dire que le cinéma africain a un bel avenir devant lui.
Il faut être confiant dans l’avenir mais ça ne veut pas dire qu’il faille oublier ou renier le passé. Comme disait l’écrivain Ernest Renan, « Les grands hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un profond respect du passé. »
C’est pourquoi l’OIF est également attachée au patrimoine. C’est pour encourager sa conservation et surtout sa valorisation que nous avons lancé le projet Capital numérique, avec l’aide de l’Union européenne et des ACP. Ce projet va permettre la mise en place de législations sur le dépôt légal audiovisuel en Afrique de l’ouest, il va aider à redynamiser la gestion des archives dans les télévisions. Enfin il va permettre au public de redécouvrir des films et des séries télévisées qui étaient devenues inaccessibles faute de copies numériques. Ce projet est mené avec six partenaires : l’UEMOA, le CIRTEF, l’INA, Côte Ouest audiovisuel, Africafilms.tv et l’Institut Imagine de Gaston Kaboré. Sans oublier la Bibliothèque nationale de France grâce à laquelle des centaines d’œuvres ont déjà été numérisées.
Ce projet n’est pas seulement un retour dans le passé, il pose aussi les bases d’une meilleure valorisation des œuvres sur la durée, aujourd’hui et dans l’avenir. Et il nous permet de dire : longue vie au cinéma et aux images africaines !
Youma Fall
Directrice de la Diversité et du développement culturels à l’OIF
Photo : Mme Youma Fall,
Crédit : DR