Félicité, le nouveau défi d'Alain Gomis
Après Tey (Aujourd'hui) qui l'a auréolé de gloire, Alain Gomis veut atteindre (demain), la ‘'Félicité‘'. Titre de son prochain film pour lequel il cherche un financement au Sénégal. Tournage en Août, au Congo.
C'est au mois d'août prochain que va démarrer à Kinshasa (Congo RDC) le tournage de Félicité. Le film qui relate le combat d'une chanteuse pour sauver la jambe de son fils. Le budget du long métrage est de 845 millions de FCFA (1 million 300 mille euros). Il n'a pas encore été bouclé. Alain GOMIS souhaite que le Sénégal le coproduise, afin que ce film soit Sénégalais. En effet, la nationalité d'un film dépend du pays de production - précisément de la structure de production - non pas du réalisateur, comme communément comprise par le grand public.
L'étalon d'or du Yennenga 2013 était à Dakar fin mai, pour sensibiliser le ministre de la culture, Mbagnick Ndiaye, par rapport à son nouveau film. Un projet qui met en avant une femme battante, une chanteuse qui doit faire face à l'adversité. Félicité se bat pour sauver la jambe de son fils victime d'un accident. Et une vraie chanteuse issue du milieu musical du Congo va tenir le rôle principal. Les acteurs sont essentiellement congolais. Le casting kinois a été fait au courant du mois d'avril (sous la direction de Kiripi Katembo et Roger Kangudia). Une partie du film va être tournée en Casamance, selon le réalisateur qui nous a accordé un entretien.
Aujourd'hui, le combat du cinéaste est que ce film bénéficie d'une aide assez conséquente du Sénégal, pour que le film puisse être sous bannière sénégalaise. Comme l'a bien souligné Alain Gomis, il y a "des accords de production qui veulent que pour qu'un film ait une nationalité, il faut nécessairement qu'au moins 20% du financement viennent du pays." Tous les moyens sont réunis afin que le film se fasse. Félicité bénéficie des financements du Centre National du Cinéma et de l'image animée (CNC, France, aide à l'écriture), d'une production française (Granit Films, dont il est cofondateur), belge et sénégalaise (Cinékap, Oumar Sall), ainsi que de l'aide d'instituts français.
En patriote, Alain Gomis tient à ce que sa nouvelle fiction soit sénégalaise. C'est tout le sens de la rencontre avec le ministre de la culture et de la communication qu'il a sensibilisé sur l'importance des 20% du budget qui doit provenir du Sénégal. Interpellé sur le fait qu'il aurait pu soumettre son projet au Fopica (Fonds de Promotion de l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle), Alain Gomis estime que pour une première fois que ce fonds est mis en place, c'était vraiment aux jeunes du Cinéma Sénégalais d'en bénéficier. Il s'est alors abstenu de déposer un dossier ; reste à savoir maintenant s'il sera accompagné à la mesure de ses attentes par les autorités sénégalaises.
Cette situation ubuesque renseigne sur plusieurs dimensions. La première est que réussir un grand film (au Sénégal ou ailleurs s'entend) n'aplanit pas forcément les difficultés de production pour entreprendre une nouvelle œuvre. La seconde est de relativiser la somme décernée par le Sénégal à l'industrie du cinéma : elle équivaut au prix d'un seul long métrage (à petit budget en plus, selon les moyennes de l'époque). En outre, la dotation du Fonds national a été présentée comme un cadeau de Macky Sall qui a succédé à Abdoulaye Wade depuis 2012 au pouvoir. Un cadeau, fût-il présidentiel et plus ou moins conséquent, ne suffit pas à faire une politique (cinématographique ou pas), surtout quand c'est du denier public, car l'argent provient de l'impôt des Sénégalais. L'inscription au budget national a donné lieu à un regrettable spectacle à l'Assemblée nationale où les politiques ont essayé de justifier la réduction de 80% de la dotation annoncée (1 milliard CFA, soit environ 1,5 million d'euros), avant de rétropédaler : de 200 millions, la somme s'est finalement élevée à environ 900 millions.
L'une des dimensions importantes qui émerge ici c'est bien le besoin impérieux d'un Centre national du cinéma qui puisse disposer du pouvoir de légiférer, financer, contrôler, récompenser, diffuser. Cela suppose que les dirigeants sénégalais, à l'instar de beaucoup d'autres pays du continent cédent de l'autonomie. Ces réticences, à l'échelle du continent tout entier, expliquent l'absence d'académies de cinéma qui accompagneraient une production vivace et permettraient une organisation en interne des professionnels du cinéma.
Ces derniers ont aussi leur part de responsabilité. Recueillir des financements n'est pas tout, il importe que la diffusion se fasse, que le public national ait accès aux films (pas que nationaux), donc des salles. Un Centre du Cinéma peut proposer des lois qui vont capter des investissements privés et publics. En France, la vitalité du cinéma est portée par les grands groupes qui ont 5% des salles et 60% des entrées, ainsi que les mairies qui soutiennent la création, l'entretien et le fonctionnement de salles municipales ; la puissance publique encadrant les établissements.
Alors quid des films produits ces dernières années ? L'absence de salles ne peut tout justifier, si l'on daigne arracher les faux fards. Des solutions inventives existent pour que le public puisse avoir des sorties commerciales de films. La dernière connue au Sénégal (avant l'arrivée de Mobiciné) est la sortie de Karmen (Joseph Gaï Ramaka, 2001) où le réalisateur-producteur a investi la salle de la Foire de Dakar. L'expérience a été stoppée de la plus brutale manière, avec la République qui s'est fait dicter la loi par un groupuscule violent (qui ne s'est pas embarrassé des voies légales pour exprimer son désaccord sur le contenu du film et dont on peut douter d'un soupçon d'intérêts pour le cinéma). Au Maroc, c'est actuellement Much Loved de Nabil Ayouch qui est interdit sous la pression de groupes armés de pudibonderie et menaces ; la profession (critiques, producteurs, réalisateurs) ainsi qu'une partie de la classe politique a vigoureusement protesté.
Il manque un effet levier, malgré la flopée de formations en tout genre qui pullulent au Sénégal. Dans le domaine du cinéma (le projet pédagogique de l'Université de Dakar ne donne pas encore ses fruits), l'Université Gaston Berger (Saint-Louis, au Nord) occupe une position qui irradie au-delà des frontières nationales (Niger, Madagascar, Cameroun, France), et forme des documentaristes qui n'ont pas bouleversifiés, pour reprendre un néologisme, le monde du cinéma. La réflexion esthétique y fait furieusement défaut, le sujet l'emportant trop souvent sur la façon de rendre le récit, avec des images souvent plates et un son peu travaillé. Le risque est de se créer un Nollywood domestique, avec de la quantité et une piètre qualité. L'image léchée ne fait pas forcément le bon cinéma, Mille Soleils de Mati Diop le prouve si besoin est, en recourant à une image pixelisée pour servir un propos poétique et politique, même la manière dont le rappeur Djily Bagdad dans son personnage de chauffeur de taxi est filmée en contrejour a du vrai sens.
Malgré quelques exceptions, les journalistes et les organes de presse sont aussi comptables de la situation, le public pouvant avoir le sentiment que le Sénégal ne produit plus. La presse a aussi un rôle plus large qu'informer (à ne pas confondre avec communiquer, selon la distinction rappelée récemment par Dominique Wolton), ou critiquer. Sans même parler d'un autre aspect complexe : les producteurs africains prennent peu au sérieux le travail d'attaché de presse. L'investigation doit aussi être de mise, sur les ressorts socio-économiques, ainsi que pour documenter l'histoire passée et immédiate. Il y a une dimension d'analyse nécessaire que doivent porter les critiques de cinéma, au risque de froisser politiciens et créateurs, pour le bien du cinéma. Par exemple dire, sans agressivité aucune, que les cinéastes doivent aussi s'interroger ; Alain Gomis comme les autres.
Pourquoi refuser de demander des fonds au FOPICA mis en place grâce au succès de Tey pour après revenir solliciter directement le ministre de la Culture ? Pour le film Ramata (Léandre Baker), le Président Abdoulaye Wade avait accordé un rendez-vous et un financement direct, semant la confusion sur le contrôle démocratique de l'argent public (comme s'il relève de la bonté du prince). N'est-ce pas fragiliser l'édifice professionnel naissant et donner aux politiciens un rôle démesuré qui doit être exercé par des spécialistes plus au fait ? Ce qui bien sûr ne dédouane pas l'absence de politiques du régime sénégalais (itou dans les autres pays africains également) qui doit mettre des moyens conséquents (pas uniquement financiers, des lois et une autonomie sont nécessaires) pour le cinéma, le meilleur ambassadeur des nations. La production, même artisanale, a mué. La participation aux ateliers de festivals (Carthage, Doha, Cannes, Venise, Durban, …) permet d'accéder à de nouvelles formes de financements autres que les guichets classiques.
Combien de Sénégalais ont eu l'opportunité de voir Tey ou Des Etoiles (Dyana Gaye) ? Les producteurs doivent s'occuper de la sortie des films et non pas se satisfaire de récolter des prix dans les festivals. Les pouvoirs publics ne sont pas les seuls financeurs potentiels, même s'il leur revient d'organiser la création d'une banque de garantie des arts, des sociétés financières, des incitations fiscales à l'endroit des particuliers et entreprises. Des productions Sud-Sud sont possibles.
Pourquoi ne pas aller vers Nollywood ? Leur trésor de guerre, leur expérience de marketers (distributeurs jusqu'à la petite échelle individuelle) et leurs stars, peuvent aider des cinémas francophones engoncés dans un confort quasi bourgeois trop dominés par les réalisateurs (en tant que genre, masculin, et fonction : les acteurs ne sont pas assez mis en avant). Il s'agit de rompre aussi cette vieille opposition coloniale francophones / anglophones. Par ailleurs, ne pas produire seul suppose aussi devoir faire des concessions, prendre en compte un public, sans forcément perdre la sincérité d'une création engagée et inventive. Nos oreilles souffriront moins de ces insupportables productions nigérianes / ivoiriennes où les acteurs crient plus qu'ils ne jouent et nos yeux s'enrubanneront d'histoires convaincantes.
Pour relancer le cinéma, les autorités sénégalaises ont commandité, à un cabinet inconnu des professionnels, un plan d'action quadriennal. Il convient de se demander s'il y a eu un appel d'offres, pour des experts dont la compétence n'est guère avérée (leur site propose un large éventail de domaines qui n'ont rien à voir avec le cinéma, sans aucun nom ni référence précise). Tout n'est pas négatif. Créées par Annette Mbaye d'Erneville, les Récidak - Rencontres Cinématographiques de Dakar - ont été réactivés ; même si la communication pêche. Après le Maroc, la Tunisie, le Sénégal dispose d'un site internet plutôt bien géré. Les projets financés par le Fopica vont faire leur preuve, alors que la continuité de ce fonds d'aide doit être pensée dès maintenant.
Lors de notre entretien, Alain Gomis est revenu sur son absence à la 24e édition du Fespaco qui s'est tenue au Burkina Faso du 28 Février au 7 Mars 2015. C'était indépendant de sa volonté a-t-il tenu à préciser. Il s‘était rendu disponible parce que cette année plus que les autres années, il tenait à y être ; mais à cause de ‘'petites raisons organisationnelles'' il n'a pas pu s'y rendre, malgré la pleine envie d'y participer. Parce que le Fespaco est un festival qu'il aime particulièrement, souligne Alain Gomis. Son absence a été vue par certains participants comme un manque de respect pour le festival de cinéma africain qui, en 2013, lui a décerné le plus prestigieux trophée. Avec son film Tey, le Sénégal avait remporté l'Etalon d'Or du Yennenga, pour la première fois de son histoire (Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambéty, les deux principaux cinéastes nationaux alors, choisissant plutôt de se mettre hors-compétition).
Cette polémique peut être considérée comme futile. Car d'une part rien n'oblige un lauréat à être présent (surtout sans nouveau film au programme), avoir gagné ; l'Etalon ne donne droit à aucun privilège, ni aucun devoir du reste. D'autre part le Fespaco 2015 a été confirmé très tard, avec moult tergiversations. S'il faut également se faire persuader que le temps des largesses (avion, hôtel, repas) du festival panafricain est bien révolu, il faut alors lire African Film de Manthia Diawara (essai, 2010, éditions Prestel). La 24e édition du Fespaco a été assez chaotique suite à la mobilisation de la rue qui a balayé hors du pouvoir Blaise Compaoré, en fin Octobre 2014. Un Conseil National de Transition a été mis en place. Il est présidé par Michel Kafando qui doit organiser en Octobre 2015 les élections présidentielles.
Avant l'Etalon d'Or, Tey (Aujourd'hui) était en Sélection en compétition officielle au Festival de Berlin 2012 où il a fait sa Première Mondiale avant de remporter le Prix "EMERGING MASTER" du 38è Festival de Seattle aux Etats-Unis. Il a ensuite eu le Prix du meilleur film au Festival de Cinéma Africano Asia e America Latina de Milan et a été sélectionné dans de nombreux festivals internationaux, avant d'être parmi les présélectionnés à l'Oscar du Meilleur film étranger. Il a été distribué aux Etats-Unis par Guetty Felin. Le film Félicité est co-écrit par Gomis, avec Delphine Zingg et Olivier Loustau (dans certains documents de production que nous avons consultés, le Congolais Balufu Bakupa Kanyinda est crédité aussi comme co-scénariste). Ce sera son quatrième long métrage, après l'Afrance (2001), Andalucia (2007) et Tey (2012).
Oumy Régina SAMBOU / Thierno I. DIA
Africiné, Dakar / Bordeaux
pour Images Francophones
Image : Scène de Félicité, film (en développement) du cinéaste sénégalo-français Alain Gomis
Crédit : Granit Films, Paris
L'étalon d'or du Yennenga 2013 était à Dakar fin mai, pour sensibiliser le ministre de la culture, Mbagnick Ndiaye, par rapport à son nouveau film. Un projet qui met en avant une femme battante, une chanteuse qui doit faire face à l'adversité. Félicité se bat pour sauver la jambe de son fils victime d'un accident. Et une vraie chanteuse issue du milieu musical du Congo va tenir le rôle principal. Les acteurs sont essentiellement congolais. Le casting kinois a été fait au courant du mois d'avril (sous la direction de Kiripi Katembo et Roger Kangudia). Une partie du film va être tournée en Casamance, selon le réalisateur qui nous a accordé un entretien.
Aujourd'hui, le combat du cinéaste est que ce film bénéficie d'une aide assez conséquente du Sénégal, pour que le film puisse être sous bannière sénégalaise. Comme l'a bien souligné Alain Gomis, il y a "des accords de production qui veulent que pour qu'un film ait une nationalité, il faut nécessairement qu'au moins 20% du financement viennent du pays." Tous les moyens sont réunis afin que le film se fasse. Félicité bénéficie des financements du Centre National du Cinéma et de l'image animée (CNC, France, aide à l'écriture), d'une production française (Granit Films, dont il est cofondateur), belge et sénégalaise (Cinékap, Oumar Sall), ainsi que de l'aide d'instituts français.
En patriote, Alain Gomis tient à ce que sa nouvelle fiction soit sénégalaise. C'est tout le sens de la rencontre avec le ministre de la culture et de la communication qu'il a sensibilisé sur l'importance des 20% du budget qui doit provenir du Sénégal. Interpellé sur le fait qu'il aurait pu soumettre son projet au Fopica (Fonds de Promotion de l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle), Alain Gomis estime que pour une première fois que ce fonds est mis en place, c'était vraiment aux jeunes du Cinéma Sénégalais d'en bénéficier. Il s'est alors abstenu de déposer un dossier ; reste à savoir maintenant s'il sera accompagné à la mesure de ses attentes par les autorités sénégalaises.
Cette situation ubuesque renseigne sur plusieurs dimensions. La première est que réussir un grand film (au Sénégal ou ailleurs s'entend) n'aplanit pas forcément les difficultés de production pour entreprendre une nouvelle œuvre. La seconde est de relativiser la somme décernée par le Sénégal à l'industrie du cinéma : elle équivaut au prix d'un seul long métrage (à petit budget en plus, selon les moyennes de l'époque). En outre, la dotation du Fonds national a été présentée comme un cadeau de Macky Sall qui a succédé à Abdoulaye Wade depuis 2012 au pouvoir. Un cadeau, fût-il présidentiel et plus ou moins conséquent, ne suffit pas à faire une politique (cinématographique ou pas), surtout quand c'est du denier public, car l'argent provient de l'impôt des Sénégalais. L'inscription au budget national a donné lieu à un regrettable spectacle à l'Assemblée nationale où les politiques ont essayé de justifier la réduction de 80% de la dotation annoncée (1 milliard CFA, soit environ 1,5 million d'euros), avant de rétropédaler : de 200 millions, la somme s'est finalement élevée à environ 900 millions.
L'une des dimensions importantes qui émerge ici c'est bien le besoin impérieux d'un Centre national du cinéma qui puisse disposer du pouvoir de légiférer, financer, contrôler, récompenser, diffuser. Cela suppose que les dirigeants sénégalais, à l'instar de beaucoup d'autres pays du continent cédent de l'autonomie. Ces réticences, à l'échelle du continent tout entier, expliquent l'absence d'académies de cinéma qui accompagneraient une production vivace et permettraient une organisation en interne des professionnels du cinéma.
Ces derniers ont aussi leur part de responsabilité. Recueillir des financements n'est pas tout, il importe que la diffusion se fasse, que le public national ait accès aux films (pas que nationaux), donc des salles. Un Centre du Cinéma peut proposer des lois qui vont capter des investissements privés et publics. En France, la vitalité du cinéma est portée par les grands groupes qui ont 5% des salles et 60% des entrées, ainsi que les mairies qui soutiennent la création, l'entretien et le fonctionnement de salles municipales ; la puissance publique encadrant les établissements.
Alors quid des films produits ces dernières années ? L'absence de salles ne peut tout justifier, si l'on daigne arracher les faux fards. Des solutions inventives existent pour que le public puisse avoir des sorties commerciales de films. La dernière connue au Sénégal (avant l'arrivée de Mobiciné) est la sortie de Karmen (Joseph Gaï Ramaka, 2001) où le réalisateur-producteur a investi la salle de la Foire de Dakar. L'expérience a été stoppée de la plus brutale manière, avec la République qui s'est fait dicter la loi par un groupuscule violent (qui ne s'est pas embarrassé des voies légales pour exprimer son désaccord sur le contenu du film et dont on peut douter d'un soupçon d'intérêts pour le cinéma). Au Maroc, c'est actuellement Much Loved de Nabil Ayouch qui est interdit sous la pression de groupes armés de pudibonderie et menaces ; la profession (critiques, producteurs, réalisateurs) ainsi qu'une partie de la classe politique a vigoureusement protesté.
Il manque un effet levier, malgré la flopée de formations en tout genre qui pullulent au Sénégal. Dans le domaine du cinéma (le projet pédagogique de l'Université de Dakar ne donne pas encore ses fruits), l'Université Gaston Berger (Saint-Louis, au Nord) occupe une position qui irradie au-delà des frontières nationales (Niger, Madagascar, Cameroun, France), et forme des documentaristes qui n'ont pas bouleversifiés, pour reprendre un néologisme, le monde du cinéma. La réflexion esthétique y fait furieusement défaut, le sujet l'emportant trop souvent sur la façon de rendre le récit, avec des images souvent plates et un son peu travaillé. Le risque est de se créer un Nollywood domestique, avec de la quantité et une piètre qualité. L'image léchée ne fait pas forcément le bon cinéma, Mille Soleils de Mati Diop le prouve si besoin est, en recourant à une image pixelisée pour servir un propos poétique et politique, même la manière dont le rappeur Djily Bagdad dans son personnage de chauffeur de taxi est filmée en contrejour a du vrai sens.
Malgré quelques exceptions, les journalistes et les organes de presse sont aussi comptables de la situation, le public pouvant avoir le sentiment que le Sénégal ne produit plus. La presse a aussi un rôle plus large qu'informer (à ne pas confondre avec communiquer, selon la distinction rappelée récemment par Dominique Wolton), ou critiquer. Sans même parler d'un autre aspect complexe : les producteurs africains prennent peu au sérieux le travail d'attaché de presse. L'investigation doit aussi être de mise, sur les ressorts socio-économiques, ainsi que pour documenter l'histoire passée et immédiate. Il y a une dimension d'analyse nécessaire que doivent porter les critiques de cinéma, au risque de froisser politiciens et créateurs, pour le bien du cinéma. Par exemple dire, sans agressivité aucune, que les cinéastes doivent aussi s'interroger ; Alain Gomis comme les autres.
Pourquoi refuser de demander des fonds au FOPICA mis en place grâce au succès de Tey pour après revenir solliciter directement le ministre de la Culture ? Pour le film Ramata (Léandre Baker), le Président Abdoulaye Wade avait accordé un rendez-vous et un financement direct, semant la confusion sur le contrôle démocratique de l'argent public (comme s'il relève de la bonté du prince). N'est-ce pas fragiliser l'édifice professionnel naissant et donner aux politiciens un rôle démesuré qui doit être exercé par des spécialistes plus au fait ? Ce qui bien sûr ne dédouane pas l'absence de politiques du régime sénégalais (itou dans les autres pays africains également) qui doit mettre des moyens conséquents (pas uniquement financiers, des lois et une autonomie sont nécessaires) pour le cinéma, le meilleur ambassadeur des nations. La production, même artisanale, a mué. La participation aux ateliers de festivals (Carthage, Doha, Cannes, Venise, Durban, …) permet d'accéder à de nouvelles formes de financements autres que les guichets classiques.
Combien de Sénégalais ont eu l'opportunité de voir Tey ou Des Etoiles (Dyana Gaye) ? Les producteurs doivent s'occuper de la sortie des films et non pas se satisfaire de récolter des prix dans les festivals. Les pouvoirs publics ne sont pas les seuls financeurs potentiels, même s'il leur revient d'organiser la création d'une banque de garantie des arts, des sociétés financières, des incitations fiscales à l'endroit des particuliers et entreprises. Des productions Sud-Sud sont possibles.
Pourquoi ne pas aller vers Nollywood ? Leur trésor de guerre, leur expérience de marketers (distributeurs jusqu'à la petite échelle individuelle) et leurs stars, peuvent aider des cinémas francophones engoncés dans un confort quasi bourgeois trop dominés par les réalisateurs (en tant que genre, masculin, et fonction : les acteurs ne sont pas assez mis en avant). Il s'agit de rompre aussi cette vieille opposition coloniale francophones / anglophones. Par ailleurs, ne pas produire seul suppose aussi devoir faire des concessions, prendre en compte un public, sans forcément perdre la sincérité d'une création engagée et inventive. Nos oreilles souffriront moins de ces insupportables productions nigérianes / ivoiriennes où les acteurs crient plus qu'ils ne jouent et nos yeux s'enrubanneront d'histoires convaincantes.
Pour relancer le cinéma, les autorités sénégalaises ont commandité, à un cabinet inconnu des professionnels, un plan d'action quadriennal. Il convient de se demander s'il y a eu un appel d'offres, pour des experts dont la compétence n'est guère avérée (leur site propose un large éventail de domaines qui n'ont rien à voir avec le cinéma, sans aucun nom ni référence précise). Tout n'est pas négatif. Créées par Annette Mbaye d'Erneville, les Récidak - Rencontres Cinématographiques de Dakar - ont été réactivés ; même si la communication pêche. Après le Maroc, la Tunisie, le Sénégal dispose d'un site internet plutôt bien géré. Les projets financés par le Fopica vont faire leur preuve, alors que la continuité de ce fonds d'aide doit être pensée dès maintenant.
Lors de notre entretien, Alain Gomis est revenu sur son absence à la 24e édition du Fespaco qui s'est tenue au Burkina Faso du 28 Février au 7 Mars 2015. C'était indépendant de sa volonté a-t-il tenu à préciser. Il s‘était rendu disponible parce que cette année plus que les autres années, il tenait à y être ; mais à cause de ‘'petites raisons organisationnelles'' il n'a pas pu s'y rendre, malgré la pleine envie d'y participer. Parce que le Fespaco est un festival qu'il aime particulièrement, souligne Alain Gomis. Son absence a été vue par certains participants comme un manque de respect pour le festival de cinéma africain qui, en 2013, lui a décerné le plus prestigieux trophée. Avec son film Tey, le Sénégal avait remporté l'Etalon d'Or du Yennenga, pour la première fois de son histoire (Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambéty, les deux principaux cinéastes nationaux alors, choisissant plutôt de se mettre hors-compétition).
Cette polémique peut être considérée comme futile. Car d'une part rien n'oblige un lauréat à être présent (surtout sans nouveau film au programme), avoir gagné ; l'Etalon ne donne droit à aucun privilège, ni aucun devoir du reste. D'autre part le Fespaco 2015 a été confirmé très tard, avec moult tergiversations. S'il faut également se faire persuader que le temps des largesses (avion, hôtel, repas) du festival panafricain est bien révolu, il faut alors lire African Film de Manthia Diawara (essai, 2010, éditions Prestel). La 24e édition du Fespaco a été assez chaotique suite à la mobilisation de la rue qui a balayé hors du pouvoir Blaise Compaoré, en fin Octobre 2014. Un Conseil National de Transition a été mis en place. Il est présidé par Michel Kafando qui doit organiser en Octobre 2015 les élections présidentielles.
Avant l'Etalon d'Or, Tey (Aujourd'hui) était en Sélection en compétition officielle au Festival de Berlin 2012 où il a fait sa Première Mondiale avant de remporter le Prix "EMERGING MASTER" du 38è Festival de Seattle aux Etats-Unis. Il a ensuite eu le Prix du meilleur film au Festival de Cinéma Africano Asia e America Latina de Milan et a été sélectionné dans de nombreux festivals internationaux, avant d'être parmi les présélectionnés à l'Oscar du Meilleur film étranger. Il a été distribué aux Etats-Unis par Guetty Felin. Le film Félicité est co-écrit par Gomis, avec Delphine Zingg et Olivier Loustau (dans certains documents de production que nous avons consultés, le Congolais Balufu Bakupa Kanyinda est crédité aussi comme co-scénariste). Ce sera son quatrième long métrage, après l'Afrance (2001), Andalucia (2007) et Tey (2012).
Oumy Régina SAMBOU / Thierno I. DIA
Africiné, Dakar / Bordeaux
pour Images Francophones
Image : Scène de Félicité, film (en développement) du cinéaste sénégalo-français Alain Gomis
Crédit : Granit Films, Paris