Entretien avec Wabinlé Nabié, acteur et réalisateur burkinabé
" Si la vérité doit se révéler sur les scarifications, elle doit venir de moi… "
Effectuer le retour à la source pour comprendre l'origine d'une pratique et donner le statut de mémoire a une tradition ancestrale menacée par les exigences de contemporanéité. Voici ce qu'en dit Nabié Wabinlé à travers cet entretien.
Retracez-nous votre parcours
Je suis comédien de théâtre et acteur de cinéma. J'ai joué dans une série connue de tous qui est " Waga Love ". Par la suite, dans " Le Petit sergent " et " Cour commune ". Et tout récemment j'ai joué dans un film de Moussa Hébié ; un long-métrage qui s'appelle " La raison du plus fort ". Et un autre dans le même genre, " Cessez le feu ", réalisé par le Français Emmanuel Courcol et dont une partie du tournage s'est faite au Sénégal. Avec ce film j'ai obtenu le prix de la meilleure interprétation masculine. J'ai aussi publié un livre de contes, " La gazelle et le caméléon ", chez L'Harmattan, Paris.
Vous avez été présent à Saint-Louis, aux rencontres Tënk, pour défendre votre projet de film documentaire sur les scarifications. Donnez-nous en des explications.
Moi, je suis scarifié. C'est une tradition dans notre famille. Et aujourd'hui, ça disparaît pour plusieurs raisons : dans les années 1960, c'était à la résistance au modernisme ; dans les années 1980, aux maladies sexuellement transmissibles comme le Sida ; dans les années 1990, l'Etat burkinabé a voté une loi qui l'interdit. C'est quelque chose qui disparaît et j'ai envie qu'on en parle.
Quelle sera votre démarche filmique ?
Je dois dire en premier lieu que moi-même j'apparaitrais dans le film parce que je porte des scarifications et ensuite d'autres personnes qui connaissent vraiment cette pratique. Je vais échanger avec elles ; je vais leur donner la parole. Je vais aussi rencontrer des personnes qui en souffrent ainsi que d'autres qui le revendiquent.
Avez-vous l'idée de suivre quelqu'un de la diaspora qui porte ces scarifications et qui certainement souffre du regard interrogateur des autres ?
Oui, tout à fait ! Je vais prendre le cas de mon sculpteur qui va transposer ces scarifications sur le masque. Il a eu à voyager avec ses masques. Et comme il a du talent, il a exposé en Europe. Il est lui aussi scarifié et son regard va enrichir le film.
Au Burkina, vous allez filmer aussi bien en zone rurale qu'en zone urbaine ?
Je vais filmer au village, en milieu rural parce que c'est là-bas que ça se passe. Je vais aller rencontrer les personnes de ma famille, les voisins, les griots qui perpétuent la tradition.
Allez-vous faire des recherches bibliographiques pour mieux orienter votre film ?
Je peux rencontrer les gens qui ont fait des études sur la question, mais je ne vais pas forcément les mettre dans mon film. Moi, j'ai déjà mes personnages : ceux qui sont dans la tradition pendant très longtemps. Il y a par exemple ma maman qui porte des scarifications sur tout le long de son corps. J'ai déjà lu des livres, vu des photos et films. Elle va me parler de tout cela en faisant allusion à l'une de mes grand-mères qui en avaient partout sur le corps, y compris sur les bras et les oreilles.
Quand quelqu'un m'interroge, fait son article avec ma photo pour l'illustrer, les lecteurs vont se dire que ce que je raconte est vrai, alors que moi-même le concerné, je ne saisi pas la vérité dans cette affaire.
Quel est finalement l'enjeu de ce film ?
Si la vérité doit se révéler sur les scarifications, elle doit venir de moi qui la vis, de moi qui suis concerné et non d'un étranger qui se contente de faire des études pour prétendre en détenir le véritable sens. Je ne dis pas que je détiens la vérité, mais ceux qui ont fait des thèses sur la question, ils ne savent peut-être pas les acteurs véritables des scarifications. Quand on leur pose la question, ils vont répondre vaguement que c'est une vieille qui les fait. Alors que tel n'est pas le cas. C'est un rôle dévolu à quelqu'un, et quand on scarifie quelqu'un, on sait pourquoi on le scarifie et comment on le scarifie. Entre toi, ta maman et ton cousin, les scarifies ne vont pas se ressembler du fait de la différence d'origine familiale. Parmi ceux qui ont fait des thèses, beaucoup ne connaissent pas cette spécificité. Moi, ma grande sœur, elle est scarifiée comme elle était la fille de ma grand-mère. Et ma maman n'est pas contente de cela. Donc en observant les scarifications, on arrive à connaître les appartenances familiales.
En fin de compte, c'est une question de tradition ou de mémoire pour vous ?
Ce sont les deux à la fois. Au départ, c'était une question d'identité parce que ça permettait d'identifier l'origine familiale de chacun. Au Burkina, quand quelqu'un me voit, il sait que j'appartiens à l'ethnie B . Et quand tu es de mon ethnie, tu sauras que je viens de telle ou telle autre famille.
La mémoire aussi ! Parce que c'est quelque chose qui disparaît. Il faut donc en parler pour que ça reste. Les anciens qui étaient là et qui en étaient témoins depuis très longtemps, il faut qu'ils en parlent. J'ai un cousin qui, à l'âge de 16 ans, a voulu avoir des scarifications parce que, pour lui, c'est une question de mémoire.
Mais est-ce que cette tradition ne va pas disparaître si vous-même, comme vous me l'aviez confié, décidez de ne pas scarifier vos propres enfants ?
J'ai choisi de ne pas le faire dans un contexte où l'Etat burkinabé a voté une loi interdisant cette pratique. Donc même si j'en avais envie, je ne pourrais pas le faire. Si ce n'était pas interdit, je les aurais certainement scarifiés parce que ça marque une appartenance à une famille. C'est comme ta langue ? Quand tu nais, on te dit d'apprendre ta langue maternelle ; et pourtant, il y a beaucoup de langues. Même quand tu retournes chez toi après tes cours à l'école française, tes parents vont te parler leur langue maternelle. Je pense que donc si l'on doit interdire tout ce qui tourne autour d'une appartenance culturelle, sans se demander ce que ça avait comme sens, on finit par se perdre.
Vous avez dit que vous allez filmer le corps de votre maman alors qu'en Afrique, filmer le corps nu d'une femme pose culturellement problème. Etes vous conscient de cet état de fait ?
Ma maman, comme beaucoup de femmes de son village, est nue. Je ne dis pas nue totalement parce qu'elle porte un pagne. Chez nous, à un certain âge, on ne porte pas des habits. Même au marché ! Et ça ne les dérange pas.
J'ai pris des photos du corps de mère parce que je lui ai confié que je vais faire un film sur elle. Ca ne pose pas un problème. Il y a entre elle et moi une complicité qui montre que ça ne la gêne pas que je la filme nue. Ce sont les scarifications que je veux montrer.
Y aura-t-il une voix off dans le film ?
Oui, il y aura une voix off qui va alterner de temps en temps avec des moments où on laisse les gens dans les échanges comme par exemple quand je vais partir au village parler avec les anciens.
Entretien réalisé par
Bassirou NIANG
Dakar, Africiné Magazine
pour Images Francophones
Image : Wabinlé Nabié, acteur et réalisateur burkinabè.
Crédit photo : Festival du film d'Amour de Mons, Belgique / DR
Retracez-nous votre parcours
Je suis comédien de théâtre et acteur de cinéma. J'ai joué dans une série connue de tous qui est " Waga Love ". Par la suite, dans " Le Petit sergent " et " Cour commune ". Et tout récemment j'ai joué dans un film de Moussa Hébié ; un long-métrage qui s'appelle " La raison du plus fort ". Et un autre dans le même genre, " Cessez le feu ", réalisé par le Français Emmanuel Courcol et dont une partie du tournage s'est faite au Sénégal. Avec ce film j'ai obtenu le prix de la meilleure interprétation masculine. J'ai aussi publié un livre de contes, " La gazelle et le caméléon ", chez L'Harmattan, Paris.
Vous avez été présent à Saint-Louis, aux rencontres Tënk, pour défendre votre projet de film documentaire sur les scarifications. Donnez-nous en des explications.
Moi, je suis scarifié. C'est une tradition dans notre famille. Et aujourd'hui, ça disparaît pour plusieurs raisons : dans les années 1960, c'était à la résistance au modernisme ; dans les années 1980, aux maladies sexuellement transmissibles comme le Sida ; dans les années 1990, l'Etat burkinabé a voté une loi qui l'interdit. C'est quelque chose qui disparaît et j'ai envie qu'on en parle.
Quelle sera votre démarche filmique ?
Je dois dire en premier lieu que moi-même j'apparaitrais dans le film parce que je porte des scarifications et ensuite d'autres personnes qui connaissent vraiment cette pratique. Je vais échanger avec elles ; je vais leur donner la parole. Je vais aussi rencontrer des personnes qui en souffrent ainsi que d'autres qui le revendiquent.
Avez-vous l'idée de suivre quelqu'un de la diaspora qui porte ces scarifications et qui certainement souffre du regard interrogateur des autres ?
Oui, tout à fait ! Je vais prendre le cas de mon sculpteur qui va transposer ces scarifications sur le masque. Il a eu à voyager avec ses masques. Et comme il a du talent, il a exposé en Europe. Il est lui aussi scarifié et son regard va enrichir le film.
Au Burkina, vous allez filmer aussi bien en zone rurale qu'en zone urbaine ?
Je vais filmer au village, en milieu rural parce que c'est là-bas que ça se passe. Je vais aller rencontrer les personnes de ma famille, les voisins, les griots qui perpétuent la tradition.
Allez-vous faire des recherches bibliographiques pour mieux orienter votre film ?
Je peux rencontrer les gens qui ont fait des études sur la question, mais je ne vais pas forcément les mettre dans mon film. Moi, j'ai déjà mes personnages : ceux qui sont dans la tradition pendant très longtemps. Il y a par exemple ma maman qui porte des scarifications sur tout le long de son corps. J'ai déjà lu des livres, vu des photos et films. Elle va me parler de tout cela en faisant allusion à l'une de mes grand-mères qui en avaient partout sur le corps, y compris sur les bras et les oreilles.
Quand quelqu'un m'interroge, fait son article avec ma photo pour l'illustrer, les lecteurs vont se dire que ce que je raconte est vrai, alors que moi-même le concerné, je ne saisi pas la vérité dans cette affaire.
Quel est finalement l'enjeu de ce film ?
Si la vérité doit se révéler sur les scarifications, elle doit venir de moi qui la vis, de moi qui suis concerné et non d'un étranger qui se contente de faire des études pour prétendre en détenir le véritable sens. Je ne dis pas que je détiens la vérité, mais ceux qui ont fait des thèses sur la question, ils ne savent peut-être pas les acteurs véritables des scarifications. Quand on leur pose la question, ils vont répondre vaguement que c'est une vieille qui les fait. Alors que tel n'est pas le cas. C'est un rôle dévolu à quelqu'un, et quand on scarifie quelqu'un, on sait pourquoi on le scarifie et comment on le scarifie. Entre toi, ta maman et ton cousin, les scarifies ne vont pas se ressembler du fait de la différence d'origine familiale. Parmi ceux qui ont fait des thèses, beaucoup ne connaissent pas cette spécificité. Moi, ma grande sœur, elle est scarifiée comme elle était la fille de ma grand-mère. Et ma maman n'est pas contente de cela. Donc en observant les scarifications, on arrive à connaître les appartenances familiales.
En fin de compte, c'est une question de tradition ou de mémoire pour vous ?
Ce sont les deux à la fois. Au départ, c'était une question d'identité parce que ça permettait d'identifier l'origine familiale de chacun. Au Burkina, quand quelqu'un me voit, il sait que j'appartiens à l'ethnie B . Et quand tu es de mon ethnie, tu sauras que je viens de telle ou telle autre famille.
La mémoire aussi ! Parce que c'est quelque chose qui disparaît. Il faut donc en parler pour que ça reste. Les anciens qui étaient là et qui en étaient témoins depuis très longtemps, il faut qu'ils en parlent. J'ai un cousin qui, à l'âge de 16 ans, a voulu avoir des scarifications parce que, pour lui, c'est une question de mémoire.
Mais est-ce que cette tradition ne va pas disparaître si vous-même, comme vous me l'aviez confié, décidez de ne pas scarifier vos propres enfants ?
J'ai choisi de ne pas le faire dans un contexte où l'Etat burkinabé a voté une loi interdisant cette pratique. Donc même si j'en avais envie, je ne pourrais pas le faire. Si ce n'était pas interdit, je les aurais certainement scarifiés parce que ça marque une appartenance à une famille. C'est comme ta langue ? Quand tu nais, on te dit d'apprendre ta langue maternelle ; et pourtant, il y a beaucoup de langues. Même quand tu retournes chez toi après tes cours à l'école française, tes parents vont te parler leur langue maternelle. Je pense que donc si l'on doit interdire tout ce qui tourne autour d'une appartenance culturelle, sans se demander ce que ça avait comme sens, on finit par se perdre.
Vous avez dit que vous allez filmer le corps de votre maman alors qu'en Afrique, filmer le corps nu d'une femme pose culturellement problème. Etes vous conscient de cet état de fait ?
Ma maman, comme beaucoup de femmes de son village, est nue. Je ne dis pas nue totalement parce qu'elle porte un pagne. Chez nous, à un certain âge, on ne porte pas des habits. Même au marché ! Et ça ne les dérange pas.
J'ai pris des photos du corps de mère parce que je lui ai confié que je vais faire un film sur elle. Ca ne pose pas un problème. Il y a entre elle et moi une complicité qui montre que ça ne la gêne pas que je la filme nue. Ce sont les scarifications que je veux montrer.
Y aura-t-il une voix off dans le film ?
Oui, il y aura une voix off qui va alterner de temps en temps avec des moments où on laisse les gens dans les échanges comme par exemple quand je vais partir au village parler avec les anciens.
Entretien réalisé par
Bassirou NIANG
Dakar, Africiné Magazine
pour Images Francophones
Image : Wabinlé Nabié, acteur et réalisateur burkinabè.
Crédit photo : Festival du film d'Amour de Mons, Belgique / DR