Entretien avec Saïd Khallaf, réalisateur de A Mile in my shoes
"Comme premier long métrage, je ne m'attendais pas à un tel succès". Son film compte déjà 21 prix, dont le Prix Soumanou Vieyra de la Critique africaine (Fespaco 2017).
Le réalisateur marocain de A Mile in my shoes est le vainqueur du Prix Soumanou Vieyra de la Critique Africaine, au Fespaco 2017. Le film a en même temps remporté l'Etalon de bronze de Yennenga, à Ouaga. Le cinéaste marocain Saïd Khallaf revient sur les circonstances qui ont nourri son premier long métrage qui compte déjà 21 prix pour 28 nominations officielles. Le film avait été présélectionné aux Oscars 2017, pour représenter le Maroc.
Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de la thématique de ce film ?
Lors de ma première visite dans ma ville natale,Casablanca, au Maroc après mon immigration au Canada. Le 16 mai 2003 pour être exact. Je me promenais dans un parc public et j'ai remarqué un groupe d'enfants sans-abri qui piquaient des pots et buvaient de l'alcool. L'un d'eux m'a stoppé pour demander de l'argent, il avait environ 14 ans, il était très grand et à peine capable de parler. Il était dans un état de pouvoir faire n'importe quoi sans prendre conscience de son acte. Je lui ai donné de l'argent et je suis parti. Son image est encore gravée dans mon esprit.
Ce même jour, dans la nuit, quatre terroristes ont frappé à Casablanca, plusieurs innocents ont perdu la vie. Les 4 kamikazes étaient âgés de 18 à 24 ans. Je ne pouvais pas dormir ce soir-là, je pensais toujours à ces enfants sans abri. Et je me suis posé cette question "si le gouvernement ne s'occupe pas des sans-abri, quel avenir souhaitons-nous pour eux? ".
Pourquoi le titre "A Mile in my shoes", quand on voit les sujets qu'aborde le film ?
Le premier titre qui me venait à l'esprit lorsque j'écrivais ce film était "Made in Casablanca". Après, je l'ai changé pour une raison. Je ne voulais pas restreindre ce phénomène des enfants de la rue à la ville de Casablanca, car c'est un problème universel. Mon message principal dans le film est "ne jugez pas les gens sans avoir très bien connu toutes les circonstances qu'ils traversent", à partir d'un proverbe anglais qui dit "you do not know me till you walk a mile in my shoe". J'ai été inspiré par ce proverbe.
La thématique sur la pédophilie est assez récurrente dans la cinématographie du Maghreb, est-ce que c'est un véritable problème social aujourd'hui ?
Pour autant que je sache, ce thème est un problème social dans le monde entier, l'audace des cinéastes d'en parler a rendu le thème sur l'abus des mineurs très récurrent au Maghreb. Je vis au Canada, l'un des pays les plus calmes du monde. On vit les mauvais traitements infligés aux mineurs ici et aux États-Unis, en particulier dans les communautés. Pas besoin de mentionner le Brésil, le Mexique et la plupart des pays latino-américains.
Est-ce que la société, le gouvernement prend des mesures pour combattre ce fléau ?
Oui, j'en ai parlé ici avec le gouvernement marocain, il y a beaucoup de changements dans la façon dont ils traitent ce problème. Maintenant, plusieurs associations existent dans le but d'aider les enfants de la rue autant qu'elles peuvent.
Quel est le parcours de A mile in my shoes depuis sa sortie ?
Comme premier long métrage, je ne m'attendais pas à un tel succès, mais au fond j'espérais envoyer mon message au monde. Le retour a été écrasant, 21 prix dans 28 sélections officielles. Ce n'est jamais arrivé dans l'histoire du cinéma marocain. Ce succès est comme une épée à double tranchant, je ressens déjà une lourde responsabilité pour mon second projet.
Le choix d'intégrer le théâtre dans votre mise en scène, d'où vous est venue cette inspiration ?
Eh bien, quand j'écrivais le scénario j'ai atteint plus de 350 pages sans que cette idée ne me vienne en tête. Je crois que vous vous souvenez de la scène du beau-père qui vient demander la mère des enfants en mariage, puis change rapidement d'avis. Ecrire cela dans une "structure normale" prendrait plusieurs scènes pour exprimer cette idée. Mais sur une scène théâtrale, il y a une liberté d'expression.
Quel résultat recherchiez-vous avec cette approche ?
Aucun en fait, pour moi c'est une forme d'expression. Comment les autres peuvent le percevoir ne fait pas partie des inquiétudes.
Votre film a été retenu pour représenter le Maroc aux Oscars 2017, comment avez-vous vécu cette expérience ?
Woooow, le plus impressionnant est que c'est mon premier long métrage. Quand j'ai appris la nouvelle je n'ai pas pu retenir mes larmes.
Le fait de remporter le prix de la Critique Africaine et l'Etalon de bronze de Yennenga au Fespaco apporte quoi à votre carrière et à votre film ?
C'est un immense plaisir, j'en suis tellement fier et comme je l'ai mentionné plus haut, c'est une énorme responsabilité.
Que pouvez-vous dire jusqu'ici sur la marche de la Critique cinématographique africaine ?
Honnêtement je note un réel amour du cinéma.
Le film a également été élu meilleur film marocain l'année dernière par le festival national de film de Tanger. Une sacrée carrière pour cette œuvre…
Je suis vraiment très fier, c'est quelque chose que je n'ai pas imaginé. La compétition était très élevée.
Le Maroc fait partie des pays africains qui bénéficient du soutien du gouvernement pour la production cinématographique. Est-ce que ça veut dire qu'il est aisé de tourner au Maroc ?
Pas du tout. Il y a des milliers de cinéastes qui attendent obtenir cette aide pour produire leurs films.
Sinon quelles difficultés rencontrent-on aujourd'hui à faire un film au Maroc ?
Le fond alloué par le gouvernement n'est pas assez suffisant pour réaliser de grosses productions, ce qui fait que nous restons toujours limités aux projets à petits budgets.
Combien de films avez-vous déjà réalisés ?
Je suis à quatre courts métrages et un long métrage. First kiss (2005), The mother (2006), Midnight disease (2010), Collision (2011).
Que pensez-vous de l'organisation du Fespaco cette année ? La sélection officielle, le public, les différents prix, la programmation…
Soyons honnête, avec l'espoir de faire mieux. L'organisation et la programmation ont besoin d'être examinées. J'ai aimé le public… Le Fespaco est l'un des plus grands festivals africains… Il doit être l'un des meilleurs.
Propos recueillis par Pélagie Ng'onana
Yaoundé, Africiné Magazine
pour Images Francophones
Image : le réalisateur marocain Saïd Khallaf
Crédit : DR
Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de la thématique de ce film ?
Lors de ma première visite dans ma ville natale,Casablanca, au Maroc après mon immigration au Canada. Le 16 mai 2003 pour être exact. Je me promenais dans un parc public et j'ai remarqué un groupe d'enfants sans-abri qui piquaient des pots et buvaient de l'alcool. L'un d'eux m'a stoppé pour demander de l'argent, il avait environ 14 ans, il était très grand et à peine capable de parler. Il était dans un état de pouvoir faire n'importe quoi sans prendre conscience de son acte. Je lui ai donné de l'argent et je suis parti. Son image est encore gravée dans mon esprit.
Ce même jour, dans la nuit, quatre terroristes ont frappé à Casablanca, plusieurs innocents ont perdu la vie. Les 4 kamikazes étaient âgés de 18 à 24 ans. Je ne pouvais pas dormir ce soir-là, je pensais toujours à ces enfants sans abri. Et je me suis posé cette question "si le gouvernement ne s'occupe pas des sans-abri, quel avenir souhaitons-nous pour eux? ".
Pourquoi le titre "A Mile in my shoes", quand on voit les sujets qu'aborde le film ?
Le premier titre qui me venait à l'esprit lorsque j'écrivais ce film était "Made in Casablanca". Après, je l'ai changé pour une raison. Je ne voulais pas restreindre ce phénomène des enfants de la rue à la ville de Casablanca, car c'est un problème universel. Mon message principal dans le film est "ne jugez pas les gens sans avoir très bien connu toutes les circonstances qu'ils traversent", à partir d'un proverbe anglais qui dit "you do not know me till you walk a mile in my shoe". J'ai été inspiré par ce proverbe.
La thématique sur la pédophilie est assez récurrente dans la cinématographie du Maghreb, est-ce que c'est un véritable problème social aujourd'hui ?
Pour autant que je sache, ce thème est un problème social dans le monde entier, l'audace des cinéastes d'en parler a rendu le thème sur l'abus des mineurs très récurrent au Maghreb. Je vis au Canada, l'un des pays les plus calmes du monde. On vit les mauvais traitements infligés aux mineurs ici et aux États-Unis, en particulier dans les communautés. Pas besoin de mentionner le Brésil, le Mexique et la plupart des pays latino-américains.
Est-ce que la société, le gouvernement prend des mesures pour combattre ce fléau ?
Oui, j'en ai parlé ici avec le gouvernement marocain, il y a beaucoup de changements dans la façon dont ils traitent ce problème. Maintenant, plusieurs associations existent dans le but d'aider les enfants de la rue autant qu'elles peuvent.
Quel est le parcours de A mile in my shoes depuis sa sortie ?
Comme premier long métrage, je ne m'attendais pas à un tel succès, mais au fond j'espérais envoyer mon message au monde. Le retour a été écrasant, 21 prix dans 28 sélections officielles. Ce n'est jamais arrivé dans l'histoire du cinéma marocain. Ce succès est comme une épée à double tranchant, je ressens déjà une lourde responsabilité pour mon second projet.
Le choix d'intégrer le théâtre dans votre mise en scène, d'où vous est venue cette inspiration ?
Eh bien, quand j'écrivais le scénario j'ai atteint plus de 350 pages sans que cette idée ne me vienne en tête. Je crois que vous vous souvenez de la scène du beau-père qui vient demander la mère des enfants en mariage, puis change rapidement d'avis. Ecrire cela dans une "structure normale" prendrait plusieurs scènes pour exprimer cette idée. Mais sur une scène théâtrale, il y a une liberté d'expression.
Quel résultat recherchiez-vous avec cette approche ?
Aucun en fait, pour moi c'est une forme d'expression. Comment les autres peuvent le percevoir ne fait pas partie des inquiétudes.
Votre film a été retenu pour représenter le Maroc aux Oscars 2017, comment avez-vous vécu cette expérience ?
Woooow, le plus impressionnant est que c'est mon premier long métrage. Quand j'ai appris la nouvelle je n'ai pas pu retenir mes larmes.
Le fait de remporter le prix de la Critique Africaine et l'Etalon de bronze de Yennenga au Fespaco apporte quoi à votre carrière et à votre film ?
C'est un immense plaisir, j'en suis tellement fier et comme je l'ai mentionné plus haut, c'est une énorme responsabilité.
Que pouvez-vous dire jusqu'ici sur la marche de la Critique cinématographique africaine ?
Honnêtement je note un réel amour du cinéma.
Le film a également été élu meilleur film marocain l'année dernière par le festival national de film de Tanger. Une sacrée carrière pour cette œuvre…
Je suis vraiment très fier, c'est quelque chose que je n'ai pas imaginé. La compétition était très élevée.
Le Maroc fait partie des pays africains qui bénéficient du soutien du gouvernement pour la production cinématographique. Est-ce que ça veut dire qu'il est aisé de tourner au Maroc ?
Pas du tout. Il y a des milliers de cinéastes qui attendent obtenir cette aide pour produire leurs films.
Sinon quelles difficultés rencontrent-on aujourd'hui à faire un film au Maroc ?
Le fond alloué par le gouvernement n'est pas assez suffisant pour réaliser de grosses productions, ce qui fait que nous restons toujours limités aux projets à petits budgets.
Combien de films avez-vous déjà réalisés ?
Je suis à quatre courts métrages et un long métrage. First kiss (2005), The mother (2006), Midnight disease (2010), Collision (2011).
Que pensez-vous de l'organisation du Fespaco cette année ? La sélection officielle, le public, les différents prix, la programmation…
Soyons honnête, avec l'espoir de faire mieux. L'organisation et la programmation ont besoin d'être examinées. J'ai aimé le public… Le Fespaco est l'un des plus grands festivals africains… Il doit être l'un des meilleurs.
Propos recueillis par Pélagie Ng'onana
Yaoundé, Africiné Magazine
pour Images Francophones
Image : le réalisateur marocain Saïd Khallaf
Crédit : DR