Entretien avec Rama Thiaw, Réalisatrice-productrice, primée à la Berlinale 2016 (Exclusif).
"The Revolution Won't Be Televised", Prix de la Critique et Mention spéciale du Caligari Film Prize à Berlin, avec le Keur Gui Crew (Thiaw, Kilifeu, Gadiaga) et feue Khady Sylla, Avec le soutien de l'OIF.
La 66ème Berlinale (66th Internationale Filmfestspiele Berlin) a eu lieu du 11 au 21 février 2016. Sélectionnée à la section Forum, en Première Mondiale, la Sénégalaise Rama Thiaw livre un film intelligent et fort, sur les pas de Thiat, Kilifeu rappeurs avec leur manager Gadiaga (Keur Gui Crew), ainsi que la regrettée réalisatrice-écrivain Khady Sylla. Elle ne cherche pas à susciter de l'émotion, plutôt à créer de la réflexion sur la construction de la démocratie participative, surtout quand la parole est confisquée, monopolisée (d'où le titre qui fait référence au poème / chanson The Revolution Will not be televised de l'Africain-Américain Gil Scott-Heron, à l'orée des années 70, cette musique de spoken word, de révolte, est d'ailleurs dans ce film). Son film est en Première Mondiale à Berlin (le 17 février) et devrait être projeté en intégralité à Dakar en marge de la Biennale des Arts, en mai 2016. Productrice et réalisatrice, elle signe ici avec The Revolution Won't Be Televised (documentaire, 1h50) son second long métrage documentaire après Boul Fallé, la voie de la lutte (71 mins), produit par Philippe Lacôte en 2009. Après une maîtrise d'Économie à la Sorbonne (Paris), elle obtient un diplôme en cinéma à l'Université Paris 8 et se forme aux côtés du réalisateur algérien Mohamed Bouamari en 2002.
Les rappeurs qu'elle portraiture ont été à l'origine du mouvement citoyen sénégalais Y'en A Marre qui a galvanisé la révolte contre le Président Abdoulaye Wade qui a quitté le pouvoir en 2012. Son successeur Macky Sall n'échappe pas à leurs critiques. La réalisatrice mélange photos, sons, musique et rappelle aussi que cette mobilisation au Sénégal a fait tâche au Burkina Faso (le Président Blaise Compaoré a dû quitter le pouvoir sous la pression de la rue), avec les mêmes "trublions" (Thiat et Kilifeu). Rama Thiaw revendique d'être une cinéaste femme et de la banlieue. ENTRETIEN.
Une rencontre avec des artistes militants
D'où vient l'idée de ce film ?
En fait avec le premier film, quand j'ai fait Boul Fallé, j'ai demandé au groupe Keur Gui qui était en train d'enregistrer leur album Coup de gueule. Je leur ai demandé d'enregistrer une session pour le film avec Awadi, c'était à l'université. Seulement Thiat avait pu venir, car ils étaient en plein enregistrement. On a eu des soucis par rapport au son. Quand j'ai terminé Boul Fallé, je leur ai dit : "bon, moi, ce que je pense les gars : ce qui serait le plus important c'est de faire tout un film autour de vous trois". A l'époque, ils étaient trois […].
Avec Gadiaga ?
Non, Gadiaga, c'est le manager.
Malal ?
Non, Malal n'a jamais fait partie du groupe. Malal a aidé le groupe, au tout début, à sortir de Kaolack, pour faire leur premier concert où ils étaient payés en tant qu'artistes. Et moi c'est lors d'un concert comme ça où je faisais des photos que l'on s'est rencontré. Je leur ai dit "vous vous la pétez avec vos torses nus, mais qu'est-ce que vous avez dans le ventre ?". On a commencé à parler de politique. C'est là où on est devenu amis. Donc quand je leur ai dit ça, on était en 2010 - quand on a parlé de faire tout un film sur eux. On était en Octobre 2010, je leur ai dit "faisons le film en 2012, durant les élections, car tel que je vous connais, vous avez été les premiers à faire tiquer Abdoulaye Wade dès le départ, je suis sûre que vous allez foutre le bordel". En plus cela donnait une chronologie au film de le faire durant les élections. Et moi, ça me laisse un an et deux mois pour aller chercher le financement et terminer d'écrire le dossier. Et entretemps, quelques mois après, ils ont fait Y'en A Marre.
C'est là où l'histoire devance cette intuition que j'avais eu. Et quand j'arrive, c'est là où c'est un peu compliqué. Je vois dix mille caméras, des gens qui veulent filmer et qui s'intéressent uniquement au côté Y'en A Marre. Et moi, j'ai dû expliquer - et c'était très difficile pour les gens de Y'en A Marre - que l'idée de film que ça avait été acté bien avant l'existence même de Y'en A Marre. Comme ils ne me connaissaient pas, je pouvais apparaître comme une opportuniste. Donc ça été extrêmement difficile pendant le premier tournage. Il y a eu deux tournages. Le premier date de 2012, il y a eu le tournage de 2013 et il y a eu un petit tournage en début 2014. Tous les tournages ont été difficiles, le plus difficile c'était le premier. En plus, je n'avais pas beaucoup de fonds. J'ai tout financé avec ma structure [Boul Fallé Images, BFI, ndlr], seule. J'ai eu des amis qui ont été mes premiers financeurs. Je les cite au générique du film, parce que ce sont les premiers à avoir cru au film. Et une fois que j'ai eu le premier tournage, j'ai eu des institutions pour le premier et le troisième tournage…
… dont la Francophonie ?
Dont la Francophonie, oui. Après le premier tournage. Pour moi, c'était vraiment important de ne pas rester dans l'auto-production, mais vraiment de produire (avec une structure de production). C'est la première production que Boul fallé Images fait, que je fais moi aussi en temps que productrice, même si j'avais d'autres projets qui avaient avortés. Celui-là, c'est le premier que j'aboutis. Ça c'est l'aspect production. J'ai tourné avec une équipe extrêmement jeune, ce qui amène beaucoup d'énergie aussi. Ils découvraient l'expérience d'un long métrage documentaire. Il y en a qui sortaient de l'école comme Thomas Szacka-Marier qui est un Canadien qui était ici. Il avait 23 ans, il sortait de l'école. Il y avait Loïc Hoquet que j'ai formé en France. Je l'avais amené ici pour des repérages pour Zion Music [en cours de production, ndlr]. Il est tombé amoureux du Sénégal et il n'est jamais reparti. Maintenant il vit ici. Il y a aussi Mamadou Khouma Guèye et Sira Bideew Sow qui viennent de Pikine [grande ville dans la banlieue de Dakar, ndlr]. Et moi je suis de Pikine, même si je vis à l'étranger et que j'ai été formé à l'étranger, il était hyper important pour moi de prendre des gens de Pikine, de leur donner une formation et de leur donner une première expérience concrète à travers le tournage du film. C'est Amath Niane que je connais depuis longtemps et avec qui j'ai créé la structure de production Boul Fallé Images qui m'a mis en rapport avec Khouma et Sira, parce qu'eux deux faisaient partie du ciné-club de monsieur Boye...
...Ciné Banlieue, d'Aziz Boye.
Exactement, Ciné Banlieue. C'est comme ça que j'ai pris Khouma en tant qu'assistant-réalisateur. Sira, je l'ai formé ponctuellement pour les tournages. Il a fait régisseur général. Ils ont vraiment tout donné. C'est pourquoi ils figurent en bonne place sur le générique, car c'est un travail d'équipe. […]
Une Sénégalaise à Berlin
Comment on accueille la nouvelle de la sélection à la Berlinale ?
Ouh la la ! Je suis super heureuse ! Je n'y croyais pas. Très honnêtement, je n'y croyais pas. Ce qui était compliqué, c'est que j'ai inscrit le film alors que j'étais en cours de montage. J'avais commencé le montage avec Axel Salvatori-Sinz qui est lui-même réalisateur. Il a fait un très beau film qui s'appelle Les Chebabs de Yarmouk. Axel devait retourner à ses activités comme réalisateur. Donc j'ai terminé le montage ici à Dakar, seule.
Dans la Villa Act, où nous nous trouvons, ici à Ouest-Foire, Dakar ?
Euh, en partie. Dans le bureau, dans ma maison. Comme je travaillais seule. Vincent [Lagoeyte, de Africafilms.tv, ndlr] m'a proposé de m'accueillir à la Villa Act où il m'a composé une structure efficiente pour pouvoir monter. Du coup, cela s'est étalé sur pratiquement un an. J'ai travaillé par Skype avec Enat Sidi, une monteuse qui a été pas mal primée au festival de Sundance et ailleurs, et avec un de ses collaborateurs, Nadav Harel. C'est eux qui me faisaient des retours sur ce que je faisais. Enat, je l'ai rencontrée lors d'un atelier à Hotdocs, au Canada. Puisque le film a eu un soutien de Hotdocs. Je tiens vraiment à leur faire de la publicité. Car contrairement aux autres institutions qui ne donnent que de l'argent et après ils ne suivent pas le film, Hotdocs en fait vous donne un fonds, dans un second temps ils vous invitent à Toronto, pour avoir un atelier avec des professionnels. C'est là où j'ai rencontré notamment Enat, mais aussi des gens de la Ford Fondation, des gens du Festival de Sundance, etc… qui nous ont suivis pendant dix jours. Et après, on nous a réinvités à Durban (Afrique du sud, ndlr), cette fois avec des professionnels africains. Même jusqu'à présent, dans la phase de post-production, Hotdocs suit le film.
J'invite à traduire leurs dossiers et à postuler à ce fonds [le prochain appel à projets Hot Docs - Blue Ice Group Fund sera ouvert à partir de Juin 2016, ndlr], parce qu'ils ont une autre ouverture d'esprit que je n'ai pas trouvé en France. Eux, les Canadiens de Hotdocs, ce qui les intéressent ce sont les histoires contemporaines de l'Afrique. Ce n'est pas "ma case, mon nombril, moi-même et ma pirogue" (rires). Il faut le dire. Le problème que l'on a avec notre ancienne colonie…
…Lapsus révélateur
(rires) je veux dire avec notre ancien colonisateur, c'est que malheureusement le cinéma de Jean Rouch a fortement imprimé les esprits. Donc si bien que quand on dit cinéma africain en France, les gens s'attendant à voir du Jean Rouch. Moi, Jean Rouch, même si j'ai énormément de respect pour lui, je ne me considère pas appartenir à la même famille de réalisateurs que lui. Je le respecte, je respecte le cinéma anthropologique, même si j'en suis pas grande fan, car je considère que le cinéma est un art en soi et j'ai beaucoup de mal avec cette notion d'anthropologie, avec ce que ça sous-entend derrière. Je serais tout à fait pour un cinéma anthropologique, le jour où nous, en tant que cinéastes africains, nous irons également étudier les fermiers dans le Larzac qui font leur fromage en disant "regardez cet exotisme là". Parce que c'est aussi de l'exotisme pour nous qui ne connaissons pas ni les montagnes ni le fromage de brebis fait dans le Larzac. Le jour où il y aura vraiment cet équilibre, je serai 100 pour cent pour. Mais pour le moment, non.
Donc du coup, pour en revenir à la production, les financeurs en France ne vont pas prendre de risque sur des histoires qui ne se passent pas dans les campagnes ou qui ne parlent pas forcément de patrimoine, d'histoire. Mais aussi, il y a quelque chose qui est sous-entendu dans le cinéma documentaire qui est que l'auteur - on pose très souvent cette question aux auteurs, on leur dit "mais quelle est ta place dans le film ?". Pour moi c'est une mode, une mode où l'auteur-réalisateur doit être dans le film, se montrer, avec une voix off qui dit "oui, alors j'ai voulu faire ce film parce que mon père était révolutionnaire, ma tante était révolutionnaire". C'est une mode, c'est un style auquel je n'adhère pas. J'adore des mecs comme Van der Keuken, comme Pauwels, même si Pauwels s'inscrit dans ses films documentaires, ou Wiseman. Il y a plusieurs genres. J'appartiens plus à la famille où on ne se mêle pas dans le film.
Le documentaire d'immersion.
Absolument. Je trouve absconse cette phrase qui est de demander à un réalisateur de documentaire : "où est ta place ?". Car en fiction, on ne va pas demander au réalisateur où est sa place alors que dans la fiction les réalisateurs ne se filment pas eux-mêmes. Pourtant, on accepte tout à fait qu'ils aient leur regard en tant que réalisateurs, cela ne gêne personne. Pourquoi, cela devrait gêner quelqu'un de ne pas voir le réalisateur s'inscrire dans le film ou avoir une voix off. Le fait de mettre en scène une histoire est déjà un travail de réalisation. Cette mode où le réalisateur doit absolument être dedans ou bien raconter son histoire intime par rapport à la grande histoire, je crois qu'il fait la ramener à ce qu'elle est : comme un courant dans le cinéma documentaire.
L'art est politique
Il y a une dimension panafricaine dans votre film. Keurgui va entraîner une autre révolution : au Burkina Faso. Abdoulaye Diallo que j'ai interviewé il y a un mois estime que Y'en A Marre a été moteur pour créer le Balai citoyen. On le voit d'ailleurs dans le film cette rencontre avec Smockey Bambara, Sams'k Le Jah…
Le mouvement du Balai citoyen qui a impulsé les choses….
…Oui, qui a entrainé cette révolution burkinabèe.
Oui, mais pas qu'eux. Là, j'ai dû faire des choix, car aussi faire un film c'est faire des choix. Il faut rendre à César ce qui lui appartient. Les Keur Gui, qui n'étaient pas super connus du côté musical, sont des gens qui sont impulseurs d'idées par leur charisme, par leur engagement qui ne date pas d'aujourd'hui. Cette année, ils fêtent leurs 20 ans de carrière. Ils ont commencé d'abord à Kaolack, en dénonçant les politiques de Diack [Abdoulaye Diack, 1933-2009, ancien député-maire de cette ville située dans le Sud-Est du Sénégal, à 189 kms de la capitale Dakar, ndlr]. Ils ont fait de la prison pour leurs prises de position, à l'âge de 16 ans. Après, ils sont venus à Dakar, ils ont invectivé Abdoulaye Wade [Président de la république du Sénégal, de 2000 à 2012, ndlr]. Moi, j'ai leur revue de presse depuis dix-quinze ans ; donc je vois leur discours. Et c'est ce discours cohérent qui fait que lors qu'ils décident avec Fadel Barro, Denise Sow et Aliou Sané de créer Y'en A Marre, les gens adhèrent d'emblée. J'ai gardé les communiqués de presse - le premier conviant àla création du mouvement porte le logo des Keur Gui. C'est écrit : "Thiat et kilifeu vous invitent à la création du mouvement Y'en a marre".
Vidéo clip de The Revolution Will not be televised de Gil Scott-Heron
Il n'y avait pas beaucoup de gens qui connaissaient Fadel Barro à l'époque, hormis ceux qui suivaient son travail de journaliste. Même Simon, en tant que rappeur, il n'était pas autant connu qu'aujourd'hui. Donc c'est sur la foi du travail et l'engagement de Thiat et Kilifeu que les gens ont adhéré massivement au projet. Donc il me paraissait intéressant de rendre à César ce qui appartient à César. D'autant plus que quand on est invité à Ouaga, eux plus exactement sont invités à Ouaga, pour la diffusion du film Boy Saloum : la révolte des Y'en a marre [réalisé par Audrey Gallet, Prix Albert-Londres 2012 pour son film Zambie : à qui profite le cuivre ?, 2011, ndlr] par Abdoulaye Diallo du Festival Ciné Droit libre, ils sont invités en tant que Y'en a marristes. Mais eux, leur engagement sur place va faire qu'ils vont rencontrer énormément de jeunes ; que ce soit à l'université ou ailleurs, ce que je montre dans le film. Mais après l'université, il y a eu des apartés. Il y a eu des jeunes qui sont venus. Il y a avait trois groupes qui pouvaient ressembler à Y'en A Marre. Le conseil de Thiat et Kilifeu était : "ralliez vous aux artistes que vous connaissez qui ont œuvré pour vos idées". Ça aussi, cela a donné de la force à Sams'k Le Jah et Smockey qui avaient commencé un travail de fond, pour créer un mouvement, le Balai Citoyen. Effectivement, il y a une certaine aura du Sénégal. Car à chaque fois qu'on allait dans un endroit, les jeunes ils disaient "nous, on veut comprendre comment vous avez fait au Sénégal. Quelle est votre recette pour pouvoir faire la même chose et nous organiser de la même manière ?". Malheureusement, je n'ai pas montré tous ces discours là, ou encore toutes les fois où Thiat et Kilifeu expliquent que derrière Y'en A Marre, il y a une organisation, une idéologie. J'ai coupé, parce que ce n'était pas le propos du film, parce que c'était trop long. Mais je voulais bien montrer qu'ils étaient à la naissance de cette révolution pacifique et montrer comment deux jeunesses africaines - en se liant, en travaillant en réseau - peuvent agir pour la démocratie, ce que nos dirigeants n'arrivent pas à faire.
Ils agissent, sans oublier le sacrifice des générations d'avant, en citant Sankara. Ils ont aussi rencontré le Lion…
Oui, mais pas qu'eux. En citant Oumar Blondin Diop [intellectuel et militant sénégalais, retrouvé mort en prison, en mai 1973, sous le régime de Senghor, ndlr]. Khady [Sylla] parle de Birane Guèye qui est un des collègues de Blondin Diop. Mais Birane est mort dans les gêoles sénégalaises avant Blondin Diop. C'était aussi une façon de rendre hommage à ces jeunes révolutionnaires des années soixante-huit qui ont permis à ce que nous ayons aussi le multipartisme. La démocratie sénégalaise s'est construite à partir de luttes. Et chaque génération a apporté sa pierre à l'édifice. C'était important pour moi de rappeler ce lien. Et c'est ce que fait Khady à travers cette lettre [qu'elle écrit et lit dans le film, ndlr]. Elle dit bien que c'est parce qu'il y a eu cette première génération de révolutionnaires qu'aujourd'hui on peut avoir celle-ci. Et c'est un long chemin que chacun doit mener, en apportant sa pierre à l'édifice. Et autre chose, à travers ce film ce que je voulais faire - j'espère avoir réussi mon but - c'est faire un film qui soit universel. Le hiphop s'écoute en Afrique, mais aussi partout dans le monde ; et il n'y a pas qu'en Afrique que nous avons des soucis avec nos dirigeants. Montrer comment deux artistes vont cristalliser autour d'eux la société civile pour qu'il y a la démocratie participative, ça c'est une recette qui peut être applicable partout dans le monde.
Sur leur perception de la démocratie participative, elle se manifeste d'ailleurs dans les dernières minutes du film, quand ils critiquent Macky Sall qu'ils ont accueilli dans leur Quartier Général (QG), pendant les élections présidentielles de 2012. Ils estiment qu'ils n'ont pas élu sa femme. Ils ne sont pas dans une complaisance, même avec leurs possibles "alliés".
Oui, ce qu'il faut bien comprendre - surtout en ce moment dans la presse - c'est que Y'en A Marre est un mouvement populaire spontané. Chaque personne qui se réclamait de Y'en A Marre venait apporter sa contribution. Par contre, je n'ai jamais vu un homme politique - et il y en a eu beaucoup (cela a beaucoup défilé au QG) - qui ait donné de l'argent au mouvement. Pendant les évènements, il n'y en a pas eu.
L'affaire Lamine Diack / Y' en a marre
Vous évoquez là l'affaire Lamine Diack ? Ce Sénégalais, Président de la Fédération Internationale d'Athlétisme, a fait l'objet d'un interrogatoire dont la presse française puis sénégalaise a relayé des extraits tendant à laisser penser qu'il aurait financé le mouvement Y'en A Marre, avec de l'argent de la corruption.
Bien sûr, bien sûr ! J'ai filmé, personnellement et ce n'est pas dans le film la venue de Y'en A Marre à Paris. Qu'est-ce qui s'est passé à Paris ? C'est-à-dire qu'en 2012, lorsque Macky Sall accède au pouvoir, il y avait des sections (appelés "Esprits", ndlr) Y'en A Marre qui se sont créées spontanément à Bordeaux, aux États-Unis et à Paris. Donc la cellule Y'en A Marre de Paris a voulu faire un évènement pour faire parler de Y'en A Marre en France ; pour qu'on sache ce qui se passe. Parce que les médias français avaient très mal couverts la révolution sénégalaise, d'où mon titre : The Revolution Won't Be Televised (" La révolution ne sera pas télévisée ", en anglais, ndlr). Donc eux, ils ont voulu pallier à ça, ils ont appelé la presse française. Ils ont demandé qu'il y ait un évènement à la Mairie du 20ème arrondissement dans Paris. La Mairie les a accueillis dans des locaux. Et pour financer un tel évènement, spontanément Y'en A Marre de Paris s'est tourné vers l'ambassade du Sénégal. Je ne pense pas que l'Ambassadeur soit venu. C'est ainsi que monsieur Diack est entré dans l'organisation, grâce à l'ambassadeur semble-t-il. Mais ce que monsieur Diack a donné ce sont des billets d'avion, comme soutien, pas de l'argent, et ça c'est toujours important de le dire. D'ailleurs dans la philosophie de Y'en A Marre, on ne donnait pas de l'argent, on donnait quelque chose de concret. Donc, il a certainement donné des billets d'avion pour faire venir des Y'en a marristes du Sénégal. Et là - la précision est importante - nous sommes en juin 2013.
Moi, j'ai les images, j'ai filmé tout l'évènement. Je ne l'ai pas inclus dans le film parce que je voulais vraiment rester sur le territoire africain. Lors de la conférence de presse - je m'en souviens très bien et c'est super intéressant - monsieur Diack à un moment dit explicitement "oui, nous avons soutenu le mouvement". Je me souviens : c'est Fou Malade qui a pris le micro en disant : "Petit rectificatif, nous n'avons jamais été soutenu par les politiciens. Y'en a marre au Sénégal n'a jamais été soutenu par les politiciens". Et il l'a dit en face de monsieur Diack. Ça, cela a été enregistré et filmé. Donc le problème ici au Sénégal, c'est qu'on ne peut pas croire qu'il puisse exister des gens intègres. Parce qu'on pense que tout le monde est corrompu. Effectivement, il y a beaucoup de gens corrompus, mais il fait aussi savoir qu'il y a une jeunesse qui n'est pas corrompue, qui vraiment a une conscience de la Nation, qui a conscience de ce que c'est "le politique". Le politique c'est l'homme de la cité qui œuvre pour l'élévation de sa patrie. Il faut savoir que cela existe quand même au Sénégal.
Donc aujourd'hui, on devrait avoir espoir. Mais au lieu, à chaque qu'on a une bonne initiative qui vient de notre pays, au lieu de la critiquer, de la descendre et de la salir, au contraire on devrait changer de mentalité. On devrait mettre en avant ces jeunes là qui se battent pour l'image du Sénégal, pour l'image de notre démocratie, plutôt que de les salir. Je pense que ce n'est pas une bonne politique. Et d'une manière générale, j'aimerai qu'à travers ce film là, que l'État sénégalais investisse de l'argent dans la culture, que ce soit le cinéma, la musique, le théâtre, la danse, la photographie. Parce que la véritable richesse du Sénégal, ce sont les compétences artistiques des gens. Et aujourd'hui, on a un vivier de talents qui ne peuvent pas s'exprimer, faute de moyens. Si le Nigeria, en termes de PIB (Produit Intérieur Brut, ndlr) a dépassé l'Afrique du Sud c'est grâce à l'industrie de Nollywood, c'est grâce à son cinéma. En termes de ressources miniers, l'Afrique du Sud est plus riche que le Nigeria, mais aujourd'hui ce pays d'Afrique de l'ouest est passé devant grâce au cinéma. Et ça devrait nous faire réfléchir.
Produire un film au Sénégal
Vous avez été d'ailleurs la première à monter au créneau dans la presse quand des infos ont fait état de la diminution de la dotation du Fonds de Promotion de l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (FOPICA) à deux cents millions FCFA (300 000 euros). Puis le gouvernement a reculé et a remis le fonds initial : le montant d'un milliard de francs CFA (1,5 million d'euros).
Nous avons été plusieurs. Entre l'appel à projet et le moment où on a reçu cet argent - parce que les premières tranches ont été versées - il s'est écoulé plus de deux ans. Or, il y avait un moment où on nous disait qu'il n'y avait plus d'argent pour la culture, que le milliard avait été ponctionné par le ministère du budget. On a été plusieurs à parler dans la presse, en disant qu'on ne peut pas faire des promesses puis ne pas les respecter. Il faut qu'à un moment qu'on comprenne que la culture ce n'est pas un secteur mendiant. Chaque fois qu'on fait un film, on crée une entreprise. Pour ce film par exemple, le budget est à plus de 182 000 euros (119 millions 384 174 fcfa, ndlr) et il va augmenter. On a donné du travail à plus de soixante personnes à travers ce film là et ces personnes ont-elles-mêmes acheté des biens, payé un loyer, payé de la nourriture. Donc si on regarde les bénéfices, l'impact, ce sont des salaires à près de deux cents personnes par film. Donc les films ce sont des entreprises. Ce qu'on veut faire entendre au gouvernement et aux dirigeants, c'est que lorsqu'on fait un appel d'offres pour des films, nous en tant que producteurs on ne peut pas attendre deux ans, parce que nous sommes dans des économies très fragiles. Et si on attend deux ans avant d'être financés, entretemps notre film peut ne pas être fait parce qu'on a des partenaires internationaux, des gens qui sont vivants. Si on met deux ans à payer un financement, entretemps les partenaires peuvent partir et nous seuls on ne peut pas entièrement faire un film avec le financement que l'État nous donne. Parce que sur Zion Music, j'ai bénéficié d'un financement à hauteur de soixante cinq millions de francs CFA (100 000 euros, ndlr), mais le budget total est d'un million d'euros (650 millions fcfa, ndlr). Vous voyez, donc un million d'euros que je dois aller chercher avec mes partenaires. Si cet argent du Sénégal ne vient pas, mes partenaires peuvent décider de quitter l'aventure, en disant "comme d'habitude ça vient d'Afrique, donc les Africains ne vont pas jusqu'au bout de leur promesse". C'est ça qu'on doit casser. Ce qu'on doit rétablir c'est la confiance avec nos partenaires extérieurs mais aussi à l'intérieur, avec les acteurs culturels, institutionnels. Nous sommes une industrie. Cette confiance, pour qu'elle soit tenue, il faut que les délais soient respectés.
Sur le crowdfunding, quelle expérience cela vous a apportée ? Est-ce que ça été positif ? cela a été dur ?
Le crowdfunding n'a malheureusement pas fonctionné pour moi. L'avantage que cela a eu c'est qu'on a eu un minimum de presse et que cela a été une expérience sur comment communiquer en amont autour d'un film. Pour faire du crowdfunding, je pense qu'il faut avoir une équipe dédiée, à part entière et il faut avoir des personnes ressources dans plusieurs secteurs qui vont relayer l'information et qui vont alimenter le fonds. Très honnêtement, le crowdfunding tel qu'il existe aujourd'hui ne peut pas fonctionner au Sénégal, en revanche ce qui peut tout à fait fonctionner par exemple c'est quand j'avais rencontré des femmes à Toubab Dialaw qui disaient "nous on est une association de femmes, on a vu un extrait de ton film on veut bien mettre mille francs, mille francs". J'ai trouvé ça super, même si on n'est pas allé jusqu'au bout. Mais ce genre de collecte peut exister : aller voir à un moment des associations de femmes ou autres et leur dire "voilà mon projet, voilà ce que vous pouvez faire", fonctionner en coopérative.
Extrait de Boul fallé, de Rama Thiaw
Il y a des producteurs au Sénégal. Mais ce que j'ai pu voir, avec ma petite expérience - je n'en suis qu'à mon deuxième film (2009, Boul Fallé, the Wrestling Way, 71 mins ; 2016, The Revolution Won't Be Televised, 110 mins) - ce qui manque vraiment c'est la connaissance de la production pour les jeunes qui débutent. Ils ne savent pas ce que c'est un contrat d'auteur, une cession d'auteur, un contrat d'auteur-réalisateur, un contrat de technicien, un contrat de coproduction, etc… C'est en tout cas ce que j'ai identifié, sur le terrain le plus urgent sur lequel il faut vraiment qu'on puisse travailler.
Un dernier mot ?
J'aimerai avoir une grosse pensée pour Khady Sylla. Elle était plus qu'une collègue… Lors que j'ai rencontré Khady Sylla, je ne savais même pas qu'elle était cinéaste et écrivain. On est devenu amies. Ce n'est qu'après qu'elle m'a dit ce qu'elle faisait, que d'autres m'ont dit ce qu'elle faisait. Donc c'était quelqu'un qui était très humble. C'était aussi un génie. Les génies sont parfois pas compris de leur vivant. Elle a écrit un très beau livre, Le jeu de la mer [1992, rééd 2000, L'Harmattan, ndlr]. Elle a écrit d'autres scénarios qui n'ont pas encore été produits. J'espère en tout cas qu'ils le seront. Je sais que Mariama Sylla, Yves et Rodolphe - qui étaient ses amis - vont perpétrer cet héritage. Khady Sylla était une personne vraiment importante dans notre paysage culturel. Moi, vraiment c'était mon amie. Quelel est l'histoire de cette lettre qu'elle lit ? Elle écrit cette lettre pour l'anniversaire de Thiat, parce qu'elle voulait participer à ce mouvement là d'une manière ou d'une autre. C'est un très beau cadeau qu'elle a fait à la fois à Thiat, à la fois à moi et au film. C'est l'une de mes étoiles.
Je dédie ce film à toutes les femmes qui travaillent dans cette profession. Mon souhait vraiment est s'il y a une jeune fille qui soit de Pikine qui se dise si "elle l'a fait pourquoi pas moi ?", alors moi je serais la plus heureuse. On n'est pas beaucoup, dans le secteur. Je pense à Angèle [Diabang], Aïcha Thiam, Kady Diedhiou et d'autres et d'autres. Je pense vraiment qu'il faut soutenir ces femmes qui se battent.
Propos recueillis par Thierno I. Dia
magazine Africiné (Dakar), en collaboration avec le quotidien Wal Fadjiri (Dakar)
pour Images Francophones
Photo : Rama Thiaw, Janvier 2016, Villa Act, Dakar
Crédit : Thierno I. Dia
Les rappeurs qu'elle portraiture ont été à l'origine du mouvement citoyen sénégalais Y'en A Marre qui a galvanisé la révolte contre le Président Abdoulaye Wade qui a quitté le pouvoir en 2012. Son successeur Macky Sall n'échappe pas à leurs critiques. La réalisatrice mélange photos, sons, musique et rappelle aussi que cette mobilisation au Sénégal a fait tâche au Burkina Faso (le Président Blaise Compaoré a dû quitter le pouvoir sous la pression de la rue), avec les mêmes "trublions" (Thiat et Kilifeu). Rama Thiaw revendique d'être une cinéaste femme et de la banlieue. ENTRETIEN.
Une rencontre avec des artistes militants
D'où vient l'idée de ce film ?
En fait avec le premier film, quand j'ai fait Boul Fallé, j'ai demandé au groupe Keur Gui qui était en train d'enregistrer leur album Coup de gueule. Je leur ai demandé d'enregistrer une session pour le film avec Awadi, c'était à l'université. Seulement Thiat avait pu venir, car ils étaient en plein enregistrement. On a eu des soucis par rapport au son. Quand j'ai terminé Boul Fallé, je leur ai dit : "bon, moi, ce que je pense les gars : ce qui serait le plus important c'est de faire tout un film autour de vous trois". A l'époque, ils étaient trois […].
Avec Gadiaga ?
Non, Gadiaga, c'est le manager.
Malal ?
Non, Malal n'a jamais fait partie du groupe. Malal a aidé le groupe, au tout début, à sortir de Kaolack, pour faire leur premier concert où ils étaient payés en tant qu'artistes. Et moi c'est lors d'un concert comme ça où je faisais des photos que l'on s'est rencontré. Je leur ai dit "vous vous la pétez avec vos torses nus, mais qu'est-ce que vous avez dans le ventre ?". On a commencé à parler de politique. C'est là où on est devenu amis. Donc quand je leur ai dit ça, on était en 2010 - quand on a parlé de faire tout un film sur eux. On était en Octobre 2010, je leur ai dit "faisons le film en 2012, durant les élections, car tel que je vous connais, vous avez été les premiers à faire tiquer Abdoulaye Wade dès le départ, je suis sûre que vous allez foutre le bordel". En plus cela donnait une chronologie au film de le faire durant les élections. Et moi, ça me laisse un an et deux mois pour aller chercher le financement et terminer d'écrire le dossier. Et entretemps, quelques mois après, ils ont fait Y'en A Marre.
C'est là où l'histoire devance cette intuition que j'avais eu. Et quand j'arrive, c'est là où c'est un peu compliqué. Je vois dix mille caméras, des gens qui veulent filmer et qui s'intéressent uniquement au côté Y'en A Marre. Et moi, j'ai dû expliquer - et c'était très difficile pour les gens de Y'en A Marre - que l'idée de film que ça avait été acté bien avant l'existence même de Y'en A Marre. Comme ils ne me connaissaient pas, je pouvais apparaître comme une opportuniste. Donc ça été extrêmement difficile pendant le premier tournage. Il y a eu deux tournages. Le premier date de 2012, il y a eu le tournage de 2013 et il y a eu un petit tournage en début 2014. Tous les tournages ont été difficiles, le plus difficile c'était le premier. En plus, je n'avais pas beaucoup de fonds. J'ai tout financé avec ma structure [Boul Fallé Images, BFI, ndlr], seule. J'ai eu des amis qui ont été mes premiers financeurs. Je les cite au générique du film, parce que ce sont les premiers à avoir cru au film. Et une fois que j'ai eu le premier tournage, j'ai eu des institutions pour le premier et le troisième tournage…
… dont la Francophonie ?
Dont la Francophonie, oui. Après le premier tournage. Pour moi, c'était vraiment important de ne pas rester dans l'auto-production, mais vraiment de produire (avec une structure de production). C'est la première production que Boul fallé Images fait, que je fais moi aussi en temps que productrice, même si j'avais d'autres projets qui avaient avortés. Celui-là, c'est le premier que j'aboutis. Ça c'est l'aspect production. J'ai tourné avec une équipe extrêmement jeune, ce qui amène beaucoup d'énergie aussi. Ils découvraient l'expérience d'un long métrage documentaire. Il y en a qui sortaient de l'école comme Thomas Szacka-Marier qui est un Canadien qui était ici. Il avait 23 ans, il sortait de l'école. Il y avait Loïc Hoquet que j'ai formé en France. Je l'avais amené ici pour des repérages pour Zion Music [en cours de production, ndlr]. Il est tombé amoureux du Sénégal et il n'est jamais reparti. Maintenant il vit ici. Il y a aussi Mamadou Khouma Guèye et Sira Bideew Sow qui viennent de Pikine [grande ville dans la banlieue de Dakar, ndlr]. Et moi je suis de Pikine, même si je vis à l'étranger et que j'ai été formé à l'étranger, il était hyper important pour moi de prendre des gens de Pikine, de leur donner une formation et de leur donner une première expérience concrète à travers le tournage du film. C'est Amath Niane que je connais depuis longtemps et avec qui j'ai créé la structure de production Boul Fallé Images qui m'a mis en rapport avec Khouma et Sira, parce qu'eux deux faisaient partie du ciné-club de monsieur Boye...
...Ciné Banlieue, d'Aziz Boye.
Exactement, Ciné Banlieue. C'est comme ça que j'ai pris Khouma en tant qu'assistant-réalisateur. Sira, je l'ai formé ponctuellement pour les tournages. Il a fait régisseur général. Ils ont vraiment tout donné. C'est pourquoi ils figurent en bonne place sur le générique, car c'est un travail d'équipe. […]
Une Sénégalaise à Berlin
Comment on accueille la nouvelle de la sélection à la Berlinale ?
Ouh la la ! Je suis super heureuse ! Je n'y croyais pas. Très honnêtement, je n'y croyais pas. Ce qui était compliqué, c'est que j'ai inscrit le film alors que j'étais en cours de montage. J'avais commencé le montage avec Axel Salvatori-Sinz qui est lui-même réalisateur. Il a fait un très beau film qui s'appelle Les Chebabs de Yarmouk. Axel devait retourner à ses activités comme réalisateur. Donc j'ai terminé le montage ici à Dakar, seule.
Dans la Villa Act, où nous nous trouvons, ici à Ouest-Foire, Dakar ?
Euh, en partie. Dans le bureau, dans ma maison. Comme je travaillais seule. Vincent [Lagoeyte, de Africafilms.tv, ndlr] m'a proposé de m'accueillir à la Villa Act où il m'a composé une structure efficiente pour pouvoir monter. Du coup, cela s'est étalé sur pratiquement un an. J'ai travaillé par Skype avec Enat Sidi, une monteuse qui a été pas mal primée au festival de Sundance et ailleurs, et avec un de ses collaborateurs, Nadav Harel. C'est eux qui me faisaient des retours sur ce que je faisais. Enat, je l'ai rencontrée lors d'un atelier à Hotdocs, au Canada. Puisque le film a eu un soutien de Hotdocs. Je tiens vraiment à leur faire de la publicité. Car contrairement aux autres institutions qui ne donnent que de l'argent et après ils ne suivent pas le film, Hotdocs en fait vous donne un fonds, dans un second temps ils vous invitent à Toronto, pour avoir un atelier avec des professionnels. C'est là où j'ai rencontré notamment Enat, mais aussi des gens de la Ford Fondation, des gens du Festival de Sundance, etc… qui nous ont suivis pendant dix jours. Et après, on nous a réinvités à Durban (Afrique du sud, ndlr), cette fois avec des professionnels africains. Même jusqu'à présent, dans la phase de post-production, Hotdocs suit le film.
J'invite à traduire leurs dossiers et à postuler à ce fonds [le prochain appel à projets Hot Docs - Blue Ice Group Fund sera ouvert à partir de Juin 2016, ndlr], parce qu'ils ont une autre ouverture d'esprit que je n'ai pas trouvé en France. Eux, les Canadiens de Hotdocs, ce qui les intéressent ce sont les histoires contemporaines de l'Afrique. Ce n'est pas "ma case, mon nombril, moi-même et ma pirogue" (rires). Il faut le dire. Le problème que l'on a avec notre ancienne colonie…
…Lapsus révélateur
(rires) je veux dire avec notre ancien colonisateur, c'est que malheureusement le cinéma de Jean Rouch a fortement imprimé les esprits. Donc si bien que quand on dit cinéma africain en France, les gens s'attendant à voir du Jean Rouch. Moi, Jean Rouch, même si j'ai énormément de respect pour lui, je ne me considère pas appartenir à la même famille de réalisateurs que lui. Je le respecte, je respecte le cinéma anthropologique, même si j'en suis pas grande fan, car je considère que le cinéma est un art en soi et j'ai beaucoup de mal avec cette notion d'anthropologie, avec ce que ça sous-entend derrière. Je serais tout à fait pour un cinéma anthropologique, le jour où nous, en tant que cinéastes africains, nous irons également étudier les fermiers dans le Larzac qui font leur fromage en disant "regardez cet exotisme là". Parce que c'est aussi de l'exotisme pour nous qui ne connaissons pas ni les montagnes ni le fromage de brebis fait dans le Larzac. Le jour où il y aura vraiment cet équilibre, je serai 100 pour cent pour. Mais pour le moment, non.
Donc du coup, pour en revenir à la production, les financeurs en France ne vont pas prendre de risque sur des histoires qui ne se passent pas dans les campagnes ou qui ne parlent pas forcément de patrimoine, d'histoire. Mais aussi, il y a quelque chose qui est sous-entendu dans le cinéma documentaire qui est que l'auteur - on pose très souvent cette question aux auteurs, on leur dit "mais quelle est ta place dans le film ?". Pour moi c'est une mode, une mode où l'auteur-réalisateur doit être dans le film, se montrer, avec une voix off qui dit "oui, alors j'ai voulu faire ce film parce que mon père était révolutionnaire, ma tante était révolutionnaire". C'est une mode, c'est un style auquel je n'adhère pas. J'adore des mecs comme Van der Keuken, comme Pauwels, même si Pauwels s'inscrit dans ses films documentaires, ou Wiseman. Il y a plusieurs genres. J'appartiens plus à la famille où on ne se mêle pas dans le film.
Le documentaire d'immersion.
Absolument. Je trouve absconse cette phrase qui est de demander à un réalisateur de documentaire : "où est ta place ?". Car en fiction, on ne va pas demander au réalisateur où est sa place alors que dans la fiction les réalisateurs ne se filment pas eux-mêmes. Pourtant, on accepte tout à fait qu'ils aient leur regard en tant que réalisateurs, cela ne gêne personne. Pourquoi, cela devrait gêner quelqu'un de ne pas voir le réalisateur s'inscrire dans le film ou avoir une voix off. Le fait de mettre en scène une histoire est déjà un travail de réalisation. Cette mode où le réalisateur doit absolument être dedans ou bien raconter son histoire intime par rapport à la grande histoire, je crois qu'il fait la ramener à ce qu'elle est : comme un courant dans le cinéma documentaire.
L'art est politique
Il y a une dimension panafricaine dans votre film. Keurgui va entraîner une autre révolution : au Burkina Faso. Abdoulaye Diallo que j'ai interviewé il y a un mois estime que Y'en A Marre a été moteur pour créer le Balai citoyen. On le voit d'ailleurs dans le film cette rencontre avec Smockey Bambara, Sams'k Le Jah…
Le mouvement du Balai citoyen qui a impulsé les choses….
…Oui, qui a entrainé cette révolution burkinabèe.
Oui, mais pas qu'eux. Là, j'ai dû faire des choix, car aussi faire un film c'est faire des choix. Il faut rendre à César ce qui lui appartient. Les Keur Gui, qui n'étaient pas super connus du côté musical, sont des gens qui sont impulseurs d'idées par leur charisme, par leur engagement qui ne date pas d'aujourd'hui. Cette année, ils fêtent leurs 20 ans de carrière. Ils ont commencé d'abord à Kaolack, en dénonçant les politiques de Diack [Abdoulaye Diack, 1933-2009, ancien député-maire de cette ville située dans le Sud-Est du Sénégal, à 189 kms de la capitale Dakar, ndlr]. Ils ont fait de la prison pour leurs prises de position, à l'âge de 16 ans. Après, ils sont venus à Dakar, ils ont invectivé Abdoulaye Wade [Président de la république du Sénégal, de 2000 à 2012, ndlr]. Moi, j'ai leur revue de presse depuis dix-quinze ans ; donc je vois leur discours. Et c'est ce discours cohérent qui fait que lors qu'ils décident avec Fadel Barro, Denise Sow et Aliou Sané de créer Y'en A Marre, les gens adhèrent d'emblée. J'ai gardé les communiqués de presse - le premier conviant àla création du mouvement porte le logo des Keur Gui. C'est écrit : "Thiat et kilifeu vous invitent à la création du mouvement Y'en a marre".
Vidéo clip de The Revolution Will not be televised de Gil Scott-Heron
Il n'y avait pas beaucoup de gens qui connaissaient Fadel Barro à l'époque, hormis ceux qui suivaient son travail de journaliste. Même Simon, en tant que rappeur, il n'était pas autant connu qu'aujourd'hui. Donc c'est sur la foi du travail et l'engagement de Thiat et Kilifeu que les gens ont adhéré massivement au projet. Donc il me paraissait intéressant de rendre à César ce qui appartient à César. D'autant plus que quand on est invité à Ouaga, eux plus exactement sont invités à Ouaga, pour la diffusion du film Boy Saloum : la révolte des Y'en a marre [réalisé par Audrey Gallet, Prix Albert-Londres 2012 pour son film Zambie : à qui profite le cuivre ?, 2011, ndlr] par Abdoulaye Diallo du Festival Ciné Droit libre, ils sont invités en tant que Y'en a marristes. Mais eux, leur engagement sur place va faire qu'ils vont rencontrer énormément de jeunes ; que ce soit à l'université ou ailleurs, ce que je montre dans le film. Mais après l'université, il y a eu des apartés. Il y a eu des jeunes qui sont venus. Il y a avait trois groupes qui pouvaient ressembler à Y'en A Marre. Le conseil de Thiat et Kilifeu était : "ralliez vous aux artistes que vous connaissez qui ont œuvré pour vos idées". Ça aussi, cela a donné de la force à Sams'k Le Jah et Smockey qui avaient commencé un travail de fond, pour créer un mouvement, le Balai Citoyen. Effectivement, il y a une certaine aura du Sénégal. Car à chaque fois qu'on allait dans un endroit, les jeunes ils disaient "nous, on veut comprendre comment vous avez fait au Sénégal. Quelle est votre recette pour pouvoir faire la même chose et nous organiser de la même manière ?". Malheureusement, je n'ai pas montré tous ces discours là, ou encore toutes les fois où Thiat et Kilifeu expliquent que derrière Y'en A Marre, il y a une organisation, une idéologie. J'ai coupé, parce que ce n'était pas le propos du film, parce que c'était trop long. Mais je voulais bien montrer qu'ils étaient à la naissance de cette révolution pacifique et montrer comment deux jeunesses africaines - en se liant, en travaillant en réseau - peuvent agir pour la démocratie, ce que nos dirigeants n'arrivent pas à faire.
Ils agissent, sans oublier le sacrifice des générations d'avant, en citant Sankara. Ils ont aussi rencontré le Lion…
Oui, mais pas qu'eux. En citant Oumar Blondin Diop [intellectuel et militant sénégalais, retrouvé mort en prison, en mai 1973, sous le régime de Senghor, ndlr]. Khady [Sylla] parle de Birane Guèye qui est un des collègues de Blondin Diop. Mais Birane est mort dans les gêoles sénégalaises avant Blondin Diop. C'était aussi une façon de rendre hommage à ces jeunes révolutionnaires des années soixante-huit qui ont permis à ce que nous ayons aussi le multipartisme. La démocratie sénégalaise s'est construite à partir de luttes. Et chaque génération a apporté sa pierre à l'édifice. C'était important pour moi de rappeler ce lien. Et c'est ce que fait Khady à travers cette lettre [qu'elle écrit et lit dans le film, ndlr]. Elle dit bien que c'est parce qu'il y a eu cette première génération de révolutionnaires qu'aujourd'hui on peut avoir celle-ci. Et c'est un long chemin que chacun doit mener, en apportant sa pierre à l'édifice. Et autre chose, à travers ce film ce que je voulais faire - j'espère avoir réussi mon but - c'est faire un film qui soit universel. Le hiphop s'écoute en Afrique, mais aussi partout dans le monde ; et il n'y a pas qu'en Afrique que nous avons des soucis avec nos dirigeants. Montrer comment deux artistes vont cristalliser autour d'eux la société civile pour qu'il y a la démocratie participative, ça c'est une recette qui peut être applicable partout dans le monde.
Sur leur perception de la démocratie participative, elle se manifeste d'ailleurs dans les dernières minutes du film, quand ils critiquent Macky Sall qu'ils ont accueilli dans leur Quartier Général (QG), pendant les élections présidentielles de 2012. Ils estiment qu'ils n'ont pas élu sa femme. Ils ne sont pas dans une complaisance, même avec leurs possibles "alliés".
Oui, ce qu'il faut bien comprendre - surtout en ce moment dans la presse - c'est que Y'en A Marre est un mouvement populaire spontané. Chaque personne qui se réclamait de Y'en A Marre venait apporter sa contribution. Par contre, je n'ai jamais vu un homme politique - et il y en a eu beaucoup (cela a beaucoup défilé au QG) - qui ait donné de l'argent au mouvement. Pendant les évènements, il n'y en a pas eu.
L'affaire Lamine Diack / Y' en a marre
Vous évoquez là l'affaire Lamine Diack ? Ce Sénégalais, Président de la Fédération Internationale d'Athlétisme, a fait l'objet d'un interrogatoire dont la presse française puis sénégalaise a relayé des extraits tendant à laisser penser qu'il aurait financé le mouvement Y'en A Marre, avec de l'argent de la corruption.
Bien sûr, bien sûr ! J'ai filmé, personnellement et ce n'est pas dans le film la venue de Y'en A Marre à Paris. Qu'est-ce qui s'est passé à Paris ? C'est-à-dire qu'en 2012, lorsque Macky Sall accède au pouvoir, il y avait des sections (appelés "Esprits", ndlr) Y'en A Marre qui se sont créées spontanément à Bordeaux, aux États-Unis et à Paris. Donc la cellule Y'en A Marre de Paris a voulu faire un évènement pour faire parler de Y'en A Marre en France ; pour qu'on sache ce qui se passe. Parce que les médias français avaient très mal couverts la révolution sénégalaise, d'où mon titre : The Revolution Won't Be Televised (" La révolution ne sera pas télévisée ", en anglais, ndlr). Donc eux, ils ont voulu pallier à ça, ils ont appelé la presse française. Ils ont demandé qu'il y ait un évènement à la Mairie du 20ème arrondissement dans Paris. La Mairie les a accueillis dans des locaux. Et pour financer un tel évènement, spontanément Y'en A Marre de Paris s'est tourné vers l'ambassade du Sénégal. Je ne pense pas que l'Ambassadeur soit venu. C'est ainsi que monsieur Diack est entré dans l'organisation, grâce à l'ambassadeur semble-t-il. Mais ce que monsieur Diack a donné ce sont des billets d'avion, comme soutien, pas de l'argent, et ça c'est toujours important de le dire. D'ailleurs dans la philosophie de Y'en A Marre, on ne donnait pas de l'argent, on donnait quelque chose de concret. Donc, il a certainement donné des billets d'avion pour faire venir des Y'en a marristes du Sénégal. Et là - la précision est importante - nous sommes en juin 2013.
Moi, j'ai les images, j'ai filmé tout l'évènement. Je ne l'ai pas inclus dans le film parce que je voulais vraiment rester sur le territoire africain. Lors de la conférence de presse - je m'en souviens très bien et c'est super intéressant - monsieur Diack à un moment dit explicitement "oui, nous avons soutenu le mouvement". Je me souviens : c'est Fou Malade qui a pris le micro en disant : "Petit rectificatif, nous n'avons jamais été soutenu par les politiciens. Y'en a marre au Sénégal n'a jamais été soutenu par les politiciens". Et il l'a dit en face de monsieur Diack. Ça, cela a été enregistré et filmé. Donc le problème ici au Sénégal, c'est qu'on ne peut pas croire qu'il puisse exister des gens intègres. Parce qu'on pense que tout le monde est corrompu. Effectivement, il y a beaucoup de gens corrompus, mais il fait aussi savoir qu'il y a une jeunesse qui n'est pas corrompue, qui vraiment a une conscience de la Nation, qui a conscience de ce que c'est "le politique". Le politique c'est l'homme de la cité qui œuvre pour l'élévation de sa patrie. Il faut savoir que cela existe quand même au Sénégal.
Donc aujourd'hui, on devrait avoir espoir. Mais au lieu, à chaque qu'on a une bonne initiative qui vient de notre pays, au lieu de la critiquer, de la descendre et de la salir, au contraire on devrait changer de mentalité. On devrait mettre en avant ces jeunes là qui se battent pour l'image du Sénégal, pour l'image de notre démocratie, plutôt que de les salir. Je pense que ce n'est pas une bonne politique. Et d'une manière générale, j'aimerai qu'à travers ce film là, que l'État sénégalais investisse de l'argent dans la culture, que ce soit le cinéma, la musique, le théâtre, la danse, la photographie. Parce que la véritable richesse du Sénégal, ce sont les compétences artistiques des gens. Et aujourd'hui, on a un vivier de talents qui ne peuvent pas s'exprimer, faute de moyens. Si le Nigeria, en termes de PIB (Produit Intérieur Brut, ndlr) a dépassé l'Afrique du Sud c'est grâce à l'industrie de Nollywood, c'est grâce à son cinéma. En termes de ressources miniers, l'Afrique du Sud est plus riche que le Nigeria, mais aujourd'hui ce pays d'Afrique de l'ouest est passé devant grâce au cinéma. Et ça devrait nous faire réfléchir.
Produire un film au Sénégal
Vous avez été d'ailleurs la première à monter au créneau dans la presse quand des infos ont fait état de la diminution de la dotation du Fonds de Promotion de l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (FOPICA) à deux cents millions FCFA (300 000 euros). Puis le gouvernement a reculé et a remis le fonds initial : le montant d'un milliard de francs CFA (1,5 million d'euros).
Nous avons été plusieurs. Entre l'appel à projet et le moment où on a reçu cet argent - parce que les premières tranches ont été versées - il s'est écoulé plus de deux ans. Or, il y avait un moment où on nous disait qu'il n'y avait plus d'argent pour la culture, que le milliard avait été ponctionné par le ministère du budget. On a été plusieurs à parler dans la presse, en disant qu'on ne peut pas faire des promesses puis ne pas les respecter. Il faut qu'à un moment qu'on comprenne que la culture ce n'est pas un secteur mendiant. Chaque fois qu'on fait un film, on crée une entreprise. Pour ce film par exemple, le budget est à plus de 182 000 euros (119 millions 384 174 fcfa, ndlr) et il va augmenter. On a donné du travail à plus de soixante personnes à travers ce film là et ces personnes ont-elles-mêmes acheté des biens, payé un loyer, payé de la nourriture. Donc si on regarde les bénéfices, l'impact, ce sont des salaires à près de deux cents personnes par film. Donc les films ce sont des entreprises. Ce qu'on veut faire entendre au gouvernement et aux dirigeants, c'est que lorsqu'on fait un appel d'offres pour des films, nous en tant que producteurs on ne peut pas attendre deux ans, parce que nous sommes dans des économies très fragiles. Et si on attend deux ans avant d'être financés, entretemps notre film peut ne pas être fait parce qu'on a des partenaires internationaux, des gens qui sont vivants. Si on met deux ans à payer un financement, entretemps les partenaires peuvent partir et nous seuls on ne peut pas entièrement faire un film avec le financement que l'État nous donne. Parce que sur Zion Music, j'ai bénéficié d'un financement à hauteur de soixante cinq millions de francs CFA (100 000 euros, ndlr), mais le budget total est d'un million d'euros (650 millions fcfa, ndlr). Vous voyez, donc un million d'euros que je dois aller chercher avec mes partenaires. Si cet argent du Sénégal ne vient pas, mes partenaires peuvent décider de quitter l'aventure, en disant "comme d'habitude ça vient d'Afrique, donc les Africains ne vont pas jusqu'au bout de leur promesse". C'est ça qu'on doit casser. Ce qu'on doit rétablir c'est la confiance avec nos partenaires extérieurs mais aussi à l'intérieur, avec les acteurs culturels, institutionnels. Nous sommes une industrie. Cette confiance, pour qu'elle soit tenue, il faut que les délais soient respectés.
Sur le crowdfunding, quelle expérience cela vous a apportée ? Est-ce que ça été positif ? cela a été dur ?
Le crowdfunding n'a malheureusement pas fonctionné pour moi. L'avantage que cela a eu c'est qu'on a eu un minimum de presse et que cela a été une expérience sur comment communiquer en amont autour d'un film. Pour faire du crowdfunding, je pense qu'il faut avoir une équipe dédiée, à part entière et il faut avoir des personnes ressources dans plusieurs secteurs qui vont relayer l'information et qui vont alimenter le fonds. Très honnêtement, le crowdfunding tel qu'il existe aujourd'hui ne peut pas fonctionner au Sénégal, en revanche ce qui peut tout à fait fonctionner par exemple c'est quand j'avais rencontré des femmes à Toubab Dialaw qui disaient "nous on est une association de femmes, on a vu un extrait de ton film on veut bien mettre mille francs, mille francs". J'ai trouvé ça super, même si on n'est pas allé jusqu'au bout. Mais ce genre de collecte peut exister : aller voir à un moment des associations de femmes ou autres et leur dire "voilà mon projet, voilà ce que vous pouvez faire", fonctionner en coopérative.
Extrait de Boul fallé, de Rama Thiaw
Il y a des producteurs au Sénégal. Mais ce que j'ai pu voir, avec ma petite expérience - je n'en suis qu'à mon deuxième film (2009, Boul Fallé, the Wrestling Way, 71 mins ; 2016, The Revolution Won't Be Televised, 110 mins) - ce qui manque vraiment c'est la connaissance de la production pour les jeunes qui débutent. Ils ne savent pas ce que c'est un contrat d'auteur, une cession d'auteur, un contrat d'auteur-réalisateur, un contrat de technicien, un contrat de coproduction, etc… C'est en tout cas ce que j'ai identifié, sur le terrain le plus urgent sur lequel il faut vraiment qu'on puisse travailler.
Un dernier mot ?
J'aimerai avoir une grosse pensée pour Khady Sylla. Elle était plus qu'une collègue… Lors que j'ai rencontré Khady Sylla, je ne savais même pas qu'elle était cinéaste et écrivain. On est devenu amies. Ce n'est qu'après qu'elle m'a dit ce qu'elle faisait, que d'autres m'ont dit ce qu'elle faisait. Donc c'était quelqu'un qui était très humble. C'était aussi un génie. Les génies sont parfois pas compris de leur vivant. Elle a écrit un très beau livre, Le jeu de la mer [1992, rééd 2000, L'Harmattan, ndlr]. Elle a écrit d'autres scénarios qui n'ont pas encore été produits. J'espère en tout cas qu'ils le seront. Je sais que Mariama Sylla, Yves et Rodolphe - qui étaient ses amis - vont perpétrer cet héritage. Khady Sylla était une personne vraiment importante dans notre paysage culturel. Moi, vraiment c'était mon amie. Quelel est l'histoire de cette lettre qu'elle lit ? Elle écrit cette lettre pour l'anniversaire de Thiat, parce qu'elle voulait participer à ce mouvement là d'une manière ou d'une autre. C'est un très beau cadeau qu'elle a fait à la fois à Thiat, à la fois à moi et au film. C'est l'une de mes étoiles.
Je dédie ce film à toutes les femmes qui travaillent dans cette profession. Mon souhait vraiment est s'il y a une jeune fille qui soit de Pikine qui se dise si "elle l'a fait pourquoi pas moi ?", alors moi je serais la plus heureuse. On n'est pas beaucoup, dans le secteur. Je pense à Angèle [Diabang], Aïcha Thiam, Kady Diedhiou et d'autres et d'autres. Je pense vraiment qu'il faut soutenir ces femmes qui se battent.
Propos recueillis par Thierno I. Dia
magazine Africiné (Dakar), en collaboration avec le quotidien Wal Fadjiri (Dakar)
pour Images Francophones
Photo : Rama Thiaw, Janvier 2016, Villa Act, Dakar
Crédit : Thierno I. Dia