Entretien avec Maka Kotto, Ministre de la Culture et des Communications du Québec.
« La langue est le ciment qui garantit de manière durable cette collaboration entre le cinéma québécois et celui d’Afrique francophone »
Porté à la tête du ministère de la Culture lors des dernières élections au Québec en septembre dernier, Maka Kotto (PHOTO) devient ainsi le premier Québécois d’origine africaine à accéder à un tel poste. Un nouveau rôle qui convient bien à ce poète, auteur, metteur en scène et comédien dans plus d’une trentaine de films.
Vous êtes unique en beaucoup de choses, avec l’attribution à ce poste ministériel : premier ministre noir au Québec, premier acteur ministre et j’en passe… Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ministre Maka Kotto : C’est une continuité, c’est comme ça que je lis la situation. Il y avait déjà dans ma démarche artistique une teinte d’engagement politique et ce depuis le départ. Mon implication en politique n’est qu’un changement de véhicule. Le cinéma n’était pas une finalité, tout comme la politique ne l’est pas non plus. Ce sont des moyens ou des chemins qui me permettent de prendre ma place, en tant que citoyen dans la cité. Dans un cadre ancien, la sphère culturelle permettait cela, aujourd’hui c’est le cinéma et il n’est pas dit que je finisse ma vie au cinéma. Il est possible que je fasse autre chose plus tard, je ne sais pas, je n’ai pas de plan de carrière en tant que tel, je vais là où le devoir m’amène.
Après plusieurs années dans la sphère artistique, puis dans l’opposition en matière culturelle, vous accédez à la tète de ce ministère qui vous permet notamment de garder un pied dans le milieu. Diriez-vous que ce poste vous était destiné ?
Tous ceux qui se trouvent au gouvernement aujourd’hui et qui ont une responsabilité ministérielle l’ont par ce qu’il y a une femme, en l’occurrence Madame Marois, la première femme Première ministre dans l’histoire du Québec qui en a décidé ainsi, c’est elle qui a choisi son équipe. Son « casting », elle l’a établi avec ses propres critères. À la distribution des postes, on ne savait pas si on était invité à siéger au Conseil des ministres ou pas. En ce qui me concerne, par habitude, comme par le passé quand j’étais dans le milieu culturel actif, quand on faisait un film ou quand on présentait une pièce de théâtre par-ci par-là, je n’anticipais pas la réaction du public. Je me disais que je donnerais le meilleur de moi-même et advienne ce que pourra. Si ca se passe bien, on est content, si ca se passe moins bien, on ajustera et on corrigera pour être plus en phase avec les attentes du public.
Vous détenez maintenant le portefeuille culturel, ressentez-vous davantage d’attentes des milieux culturels et artistiques, des professionnels du cinéma, parce que vous êtes vous-mêmes issu du milieu ?
Il y a toujours eu beaucoup d’attentes du milieu culturel. Même quand j’étais dans l’opposition, ces attentes m’étaient déjà exprimées. Vous connaissez le génie et la création prolifique québécoise. Ce qui est frustrant – et ce n’est pas d’aujourd’hui, c’est depuis toujours, car je le voyais même quand j’étais de l‘autre coté de la barrière, dans le milieu artistique – c’est que ce génie ne s’exprime pas dans sa totalité, parce que nous sommes un petit marché, d’une part; et parce que l’argent n’est pas toujours au rendez-vous, d’autre part. La santé gruge plus de la moitié du budget de l’État et l’éducation suit derrière. Les autres sphères de la politique publique se partagent les miettes. C’est ça l’enjeu : les moyens financiers. Il y a toujours cet effort d’imagination, de créativité pour répondre à la demande toujours croissante mais face à un gâteau financier toujours petit.
Vous avez commencé votre carrière cinématographique dans les années 80 et votre carrière politique dans les années 90. Comment votre métier artistique vous sert-il aujourd’hui en politique? En soit, qu’est-ce que vous avez gardé de votre expérience acquise ?
Le sens de l’écoute, de l’observation, la patience, parce que quand on est artiste ou créateur, ça prend beaucoup de patience, d’une part dans la démarche de la créativité elle-même, et d’autre part, au-delà de l’observation attentive et de l’écoute attentive des gens. Quand on observe et écoute les gens, on assimile la profondeur de ce qu’ils incarnent plus facilement que quand on est centré sur soi-même. En politique, je pense que ça me sert beaucoup. J’écoute, j’observe beaucoup en tant que député, car je suis d’abord député avant d’être ministre, les problèmes que vivent mes concitoyennes et concitoyens, quand ils me sont exposés, ce n’est pas sur une base technocratique que je les lis, mais sur une base humaine. Et c’est ça qui m’amène, disons, à compatir dans un premier temps et à traiter leur dossier avec passion dans un second temps.
Oserais-je poser la question sur ce qui a changé chez vous ?
Ce qui a changé et ça me peine énormément, c’est que quand j’étais dans le milieu artistique, j’avais tous mes amis que je fréquentais que je voyais régulièrement. Mais depuis que je me suis impliqué politiquement de manière active, déjà en tant que député, j’en voyais de moins en moins, parce que je manquais de temps, et là c’est encore pire, je ne m’appartiens plus. J’appartiens à ma population mais surtout aussi à mon attaché de presse et à mon chef de cabinet ! Je ne dors pas beaucoup, j'ai très peu de temps parce qu’il faut lire les dossiers. Les enjeux éclatent comme des popcorns dans une machine à chauffer, à chaque jour, c’est très prenant. Donc le changement a été davantage au plan de la disponibilité, du moins pour ce qui est hors mandat.
Le cinéma québécois va bon train en ce moment notamment avec une presque troisième nomination consécutive aux Oscars pour le Meilleur film étranger avec Rebelle de Kim Nguyen, qui pourrait ainsi succéder à Incendies de Dennis Villeneuve et à Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau. Comment maintenir le niveau ?
C’est un cinéma qui est l’œuvre de créateurs, d’un génie maintenant reconnu, maintenant indubitable. Ce sont nos meilleurs ambassadeurs à l’international, ces gens-là. Ils sont la meilleure incarnation du fer de lance de notre rayonnement à l’étranger. Il y a eux, évidemment, et on peut aussi parler en chanson de Céline Dion, Isabelle Boulay; pour ce qui est du cirque, Le Cirque du Soleil, Les 7 doigts de la main; il y a beaucoup d’ambassadeurs comme ça. Mais pour ce qui est du cinéma, c’est vrai, c’est un cinéma d’auteur, ce n’est pas un cinéma « mainstream » pour parler la langue de Shakespeare, mais qui trouve son public.
J’étais à Paris la semaine dernière pour l’ouverture de la semaine du cinéma québécois à Paris. C’est une activité qui permet aux Parisiens, aux Français en général, de se familiariser avec ce cinéma qu’ils adoptent de plus en plus. Ce qui, pour ma part est important à court et à moyen terme c’est de continuer de soutenir ce cinéma. Parce qu’à travers ce succès, c’est du Québec qu’on parle. Vous savez, quand on parle d’un pays, par la lorgnette, soit du cinéma, soit du cirque soit de la chanson, les gens sont curieux de savoir ce qu'il y a derrière, donc ça peut avoir des répercussions au plan touristique ou encore intellectuel parce que des chercheurs, étudiants en doctorat ou autres peuvent être attirés. Moi, ce qui m’a amené au Québec il y a plusieurs années, c’est Dany Laferrière qui m’a parlé du facteur humain québécois. C’est ce facteur humain qui m’a piégé, avec mon concours bien évidement ; on ne m’a pas forcé. À partir du moment où, par le biais des Arts et des Lettres, on arrive à faire rayonner le Québec, il faut se dire que les répercussions vont au-delà du cercle artistique et peuvent être économiques. Et c’est mesurable via le tourisme, via la recherche fondamentale ou même appliquée, pour ne citer que ces exemples-là.
Vous revenez de la semaine du cinéma québécois à Paris. Justement, y a-t-il un avenir pour les coproductions franco- québécoises ?
J’ai eu une rencontre avec le CNC* et la Sodec** à Paris. Vous savez que j’ai travaillé des deux cotés, donc ce qui était amusant c’est que j’avais en face de moi deux organismes d’État pour le soutien et le financement du cinéma qui me connaissaient très bien. On parlait de territoires à développer encore au plan de la coproduction cinématographique et visuelle, et même au-delà. Car il y a aussi des collaborations au plan muséal qui sont en cours en ce moment. Elle est là la collaboration et ma visite était à l’effet de restaurer les ponts culturels entre le Québec et la France. L’avenir – à l’aune de ce que j’ai rempli comme mission – est plutôt encourageant quant à nos relations culturelles entre la France et le Québec.
Et pour ce qui est des coproductions afro-québécoises ?
C’est un autre chemin, qui peut être, disons pour prendre une image, « trifluvien » : la France, le Québec et l’Afrique francophone. Ce sont des pistes également envisagées. Je sais que Monsieur Abdou Diouf [Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, NDLR] pousse dans ce sens-là. Le CNC a un programme ouvert pour ce genre de projets, pas spécifiquement pour l’Afrique mais pour l’ensemble des créateurs du monde. Des initiatives sont aussi prises par la Sodec qui est intéressée pour travailler avec la France, sur cette base-là également.
Par l’entremise de votre carrière, vous avez œuvré dans plusieurs continents, y compris l’Afrique dont le développement de l’industrie cinématographique, à quelques exceptions près, est particulièrement lent. Qu’est-ce qui faudrait, selon vous, pour rattraper les autres continents ?
Ça prend à la base, la formation et par la suite le financement. Au niveau politique, ça prend des politiques affirmées et tout cela mis ensemble. Je sais qu’il y a des aventures individuelles de l’Ouest à l’Est et du Nord au Sud. Je sais qu’il y a des cinématographies qui sont embryonnaires et qui promettent. Pour ce qui est des collaborations avec l’Europe, notamment la France, ou avec l’Amérique du Nord, en référence au Québec, par extension au Canada, il y aurait lieu d’entrevoir des perspectives prometteuses pour ce cinéma. Mais au plan continental, je pense qu’il y a lieu que le politique s’en mêle davantage pour rendre son soutien beaucoup plus tangible.
Y’a-t-il un lien à faire entre le cinéma québécois et les cinémas d’Afrique francophone ?
La langue à la base ! C’est ce qui pourrait à moyen ou à long terme faciliter une coproduction, une collaboration. Je sais également de mémoire que la Sodec contribue à la formation d’intervenants en matière de cinéma, notamment au plan du financement au Burkina Faso en ce moment ou prochainement. La langue est le ciment qui garantit de manière durable cette collaboration entre le cinéma québécois et celui d’Afrique francophone. Il y a probablement d’autres liens possibles ; mais la langue est celui qui me vient à l’esprit : la langue que nous avons en partage, c'est-à-dire, le français.
Vos inspirations ou vos modèles sont ils plutôt politiques ou artistiques ?
Ce sont des modèles humains, essentiellement ceux qui ont bercé mon enfance : Nelson Mandela, Patrice Lumumba, Steven Biko, Martin Luther King, Charles De Gaulle, des humanistes, des libérateurs de peuples. Au plan artistique, j’en avais un avec qui j’ai eu le bonheur de travailler sur une de ses pièces quand je travaillais encore en France, c’est Eugène Ionesco. Son univers m’a toujours attiré, on est dans le théâtre absurde qui a toujours été pour moi, disons, une glace vanillée sous un soleil de midi ! (rires)
Au Cameroun, où tout a commencé, en France où vous avez évolué, quelle casquette portez-vous ? Comment vous appelle vos proches aujourd’hui ? Monsieur Le Ministre ?
Aujourd’hui, je demeure l’être qui a toujours été, c’est-à-dire, l’individu, mais qui est appelé à jouer un autre rôle, en l’occurrence politique aujourd’hui. Les gens s’adaptent à ces changements de casquette. Moi, je me maintiens très enraciné dans le sol, pour ne pas perdre la tête, parce qu’être ministre ce n’est pas une finalité !
Politicien n’est pas votre dernier rôle ?
Ça c’est le destin qui dictera mes implications de demain. Pour l’instant, je suis là, mais ce que demain sera, je ne le sais pas!
Quelle carrière conseillerez-vous à vos enfants ? Politicien, acteur ?
Non, je veux qu’ils suivent leurs passions. C’est important de vivre ses passions dans l’absolu déjà. Mais quand on a la chance de pratiquer un métier qui nous passionne, eh bien on y va ! Mes enfants, je les ai encouragés à suivre leurs passions et être fideles à ces passions-là.
Quel est votre meilleur rôle au cinéma ?
Je dirais dans « La vieille dame et l’Africain » [téléfilm français réalisé par Alain Dhouailly, 1987, NDLR]. Une histoire qui traitait du racisme en France et j’avais comme partenaire Danièle Darrieux.
Quel est votre film préféré ?
Les films préférés sont toujours les premiers films qu’on a vus dans notre vie. Toute la série de films de Chaplin, parce que nous avions au collège toute la série, donc nous la regardions religieusement, tout comme la série de Fernandel. C’est ça le cinéma de mon enfance.
Quel est votre acteur/actrice préféré(e) ?
Je reviens encore sur ceux qui ont bercé mon enfance : Charlie Chaplin, Fernandel et par la suite j’ai découvert Richard Burton, Marlon Brando, Denzel Washington, pour les plus récents. Ici, Luc Picard pour ne citer que ceux-là…et il y en a beaucoup en France aussi mais les noms ne me viennent pas là ! (rires)
Quel film avez-vous le plus vu?
Les 10 commandements avec Charlton Eston !
Et enfin, à qui vous ne refuseriez pas un rôle aujourd’hui?
Ici, Denys Arcand, en Afrique, Cheick Omar Sissoko [Mali, NDLR], pour un rôle transcendant, quelque chose qui soit inspirant et qui permette d’exprimer toute une latitude en tant que créateur et en tant qu’acteur.
Propos recueillis par Djia Mambu
Africiné / Montréal
Novembre 2012
* CNC : Centre National du Cinéma et de l’image animée. Établissement public français dont les missions principales sont de réglementer, soutenir et promouvoir l'économie du cinéma en France et à l'étranger. www.cnc.fr
Vous êtes unique en beaucoup de choses, avec l’attribution à ce poste ministériel : premier ministre noir au Québec, premier acteur ministre et j’en passe… Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ministre Maka Kotto : C’est une continuité, c’est comme ça que je lis la situation. Il y avait déjà dans ma démarche artistique une teinte d’engagement politique et ce depuis le départ. Mon implication en politique n’est qu’un changement de véhicule. Le cinéma n’était pas une finalité, tout comme la politique ne l’est pas non plus. Ce sont des moyens ou des chemins qui me permettent de prendre ma place, en tant que citoyen dans la cité. Dans un cadre ancien, la sphère culturelle permettait cela, aujourd’hui c’est le cinéma et il n’est pas dit que je finisse ma vie au cinéma. Il est possible que je fasse autre chose plus tard, je ne sais pas, je n’ai pas de plan de carrière en tant que tel, je vais là où le devoir m’amène.
« Le cinéma n’était pas une finalité, tout comme la politique ne l’est pas non plus » (M.K.) |
Après plusieurs années dans la sphère artistique, puis dans l’opposition en matière culturelle, vous accédez à la tète de ce ministère qui vous permet notamment de garder un pied dans le milieu. Diriez-vous que ce poste vous était destiné ?
Tous ceux qui se trouvent au gouvernement aujourd’hui et qui ont une responsabilité ministérielle l’ont par ce qu’il y a une femme, en l’occurrence Madame Marois, la première femme Première ministre dans l’histoire du Québec qui en a décidé ainsi, c’est elle qui a choisi son équipe. Son « casting », elle l’a établi avec ses propres critères. À la distribution des postes, on ne savait pas si on était invité à siéger au Conseil des ministres ou pas. En ce qui me concerne, par habitude, comme par le passé quand j’étais dans le milieu culturel actif, quand on faisait un film ou quand on présentait une pièce de théâtre par-ci par-là, je n’anticipais pas la réaction du public. Je me disais que je donnerais le meilleur de moi-même et advienne ce que pourra. Si ca se passe bien, on est content, si ca se passe moins bien, on ajustera et on corrigera pour être plus en phase avec les attentes du public.
Vous détenez maintenant le portefeuille culturel, ressentez-vous davantage d’attentes des milieux culturels et artistiques, des professionnels du cinéma, parce que vous êtes vous-mêmes issu du milieu ?
Il y a toujours eu beaucoup d’attentes du milieu culturel. Même quand j’étais dans l’opposition, ces attentes m’étaient déjà exprimées. Vous connaissez le génie et la création prolifique québécoise. Ce qui est frustrant – et ce n’est pas d’aujourd’hui, c’est depuis toujours, car je le voyais même quand j’étais de l‘autre coté de la barrière, dans le milieu artistique – c’est que ce génie ne s’exprime pas dans sa totalité, parce que nous sommes un petit marché, d’une part; et parce que l’argent n’est pas toujours au rendez-vous, d’autre part. La santé gruge plus de la moitié du budget de l’État et l’éducation suit derrière. Les autres sphères de la politique publique se partagent les miettes. C’est ça l’enjeu : les moyens financiers. Il y a toujours cet effort d’imagination, de créativité pour répondre à la demande toujours croissante mais face à un gâteau financier toujours petit.
Vous avez commencé votre carrière cinématographique dans les années 80 et votre carrière politique dans les années 90. Comment votre métier artistique vous sert-il aujourd’hui en politique? En soit, qu’est-ce que vous avez gardé de votre expérience acquise ?
Le sens de l’écoute, de l’observation, la patience, parce que quand on est artiste ou créateur, ça prend beaucoup de patience, d’une part dans la démarche de la créativité elle-même, et d’autre part, au-delà de l’observation attentive et de l’écoute attentive des gens. Quand on observe et écoute les gens, on assimile la profondeur de ce qu’ils incarnent plus facilement que quand on est centré sur soi-même. En politique, je pense que ça me sert beaucoup. J’écoute, j’observe beaucoup en tant que député, car je suis d’abord député avant d’être ministre, les problèmes que vivent mes concitoyennes et concitoyens, quand ils me sont exposés, ce n’est pas sur une base technocratique que je les lis, mais sur une base humaine. Et c’est ça qui m’amène, disons, à compatir dans un premier temps et à traiter leur dossier avec passion dans un second temps.
Oserais-je poser la question sur ce qui a changé chez vous ?
Ce qui a changé et ça me peine énormément, c’est que quand j’étais dans le milieu artistique, j’avais tous mes amis que je fréquentais que je voyais régulièrement. Mais depuis que je me suis impliqué politiquement de manière active, déjà en tant que député, j’en voyais de moins en moins, parce que je manquais de temps, et là c’est encore pire, je ne m’appartiens plus. J’appartiens à ma population mais surtout aussi à mon attaché de presse et à mon chef de cabinet ! Je ne dors pas beaucoup, j'ai très peu de temps parce qu’il faut lire les dossiers. Les enjeux éclatent comme des popcorns dans une machine à chauffer, à chaque jour, c’est très prenant. Donc le changement a été davantage au plan de la disponibilité, du moins pour ce qui est hors mandat.
Le cinéma québécois va bon train en ce moment notamment avec une presque troisième nomination consécutive aux Oscars pour le Meilleur film étranger avec Rebelle de Kim Nguyen, qui pourrait ainsi succéder à Incendies de Dennis Villeneuve et à Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau. Comment maintenir le niveau ?
C’est un cinéma qui est l’œuvre de créateurs, d’un génie maintenant reconnu, maintenant indubitable. Ce sont nos meilleurs ambassadeurs à l’international, ces gens-là. Ils sont la meilleure incarnation du fer de lance de notre rayonnement à l’étranger. Il y a eux, évidemment, et on peut aussi parler en chanson de Céline Dion, Isabelle Boulay; pour ce qui est du cirque, Le Cirque du Soleil, Les 7 doigts de la main; il y a beaucoup d’ambassadeurs comme ça. Mais pour ce qui est du cinéma, c’est vrai, c’est un cinéma d’auteur, ce n’est pas un cinéma « mainstream » pour parler la langue de Shakespeare, mais qui trouve son public.
J’étais à Paris la semaine dernière pour l’ouverture de la semaine du cinéma québécois à Paris. C’est une activité qui permet aux Parisiens, aux Français en général, de se familiariser avec ce cinéma qu’ils adoptent de plus en plus. Ce qui, pour ma part est important à court et à moyen terme c’est de continuer de soutenir ce cinéma. Parce qu’à travers ce succès, c’est du Québec qu’on parle. Vous savez, quand on parle d’un pays, par la lorgnette, soit du cinéma, soit du cirque soit de la chanson, les gens sont curieux de savoir ce qu'il y a derrière, donc ça peut avoir des répercussions au plan touristique ou encore intellectuel parce que des chercheurs, étudiants en doctorat ou autres peuvent être attirés. Moi, ce qui m’a amené au Québec il y a plusieurs années, c’est Dany Laferrière qui m’a parlé du facteur humain québécois. C’est ce facteur humain qui m’a piégé, avec mon concours bien évidement ; on ne m’a pas forcé. À partir du moment où, par le biais des Arts et des Lettres, on arrive à faire rayonner le Québec, il faut se dire que les répercussions vont au-delà du cercle artistique et peuvent être économiques. Et c’est mesurable via le tourisme, via la recherche fondamentale ou même appliquée, pour ne citer que ces exemples-là.
(Les cinéastes) Ce sont nos meilleurs ambassadeurs à l’international, ces gens-là. Ils sont la meilleure incarnation du fer de lance de notre rayonnement à l’étranger (M.K.) |
Vous revenez de la semaine du cinéma québécois à Paris. Justement, y a-t-il un avenir pour les coproductions franco- québécoises ?
J’ai eu une rencontre avec le CNC* et la Sodec** à Paris. Vous savez que j’ai travaillé des deux cotés, donc ce qui était amusant c’est que j’avais en face de moi deux organismes d’État pour le soutien et le financement du cinéma qui me connaissaient très bien. On parlait de territoires à développer encore au plan de la coproduction cinématographique et visuelle, et même au-delà. Car il y a aussi des collaborations au plan muséal qui sont en cours en ce moment. Elle est là la collaboration et ma visite était à l’effet de restaurer les ponts culturels entre le Québec et la France. L’avenir – à l’aune de ce que j’ai rempli comme mission – est plutôt encourageant quant à nos relations culturelles entre la France et le Québec.
Et pour ce qui est des coproductions afro-québécoises ?
C’est un autre chemin, qui peut être, disons pour prendre une image, « trifluvien » : la France, le Québec et l’Afrique francophone. Ce sont des pistes également envisagées. Je sais que Monsieur Abdou Diouf [Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, NDLR] pousse dans ce sens-là. Le CNC a un programme ouvert pour ce genre de projets, pas spécifiquement pour l’Afrique mais pour l’ensemble des créateurs du monde. Des initiatives sont aussi prises par la Sodec qui est intéressée pour travailler avec la France, sur cette base-là également.
Par l’entremise de votre carrière, vous avez œuvré dans plusieurs continents, y compris l’Afrique dont le développement de l’industrie cinématographique, à quelques exceptions près, est particulièrement lent. Qu’est-ce qui faudrait, selon vous, pour rattraper les autres continents ?
Ça prend à la base, la formation et par la suite le financement. Au niveau politique, ça prend des politiques affirmées et tout cela mis ensemble. Je sais qu’il y a des aventures individuelles de l’Ouest à l’Est et du Nord au Sud. Je sais qu’il y a des cinématographies qui sont embryonnaires et qui promettent. Pour ce qui est des collaborations avec l’Europe, notamment la France, ou avec l’Amérique du Nord, en référence au Québec, par extension au Canada, il y aurait lieu d’entrevoir des perspectives prometteuses pour ce cinéma. Mais au plan continental, je pense qu’il y a lieu que le politique s’en mêle davantage pour rendre son soutien beaucoup plus tangible.
Y’a-t-il un lien à faire entre le cinéma québécois et les cinémas d’Afrique francophone ?
La langue à la base ! C’est ce qui pourrait à moyen ou à long terme faciliter une coproduction, une collaboration. Je sais également de mémoire que la Sodec contribue à la formation d’intervenants en matière de cinéma, notamment au plan du financement au Burkina Faso en ce moment ou prochainement. La langue est le ciment qui garantit de manière durable cette collaboration entre le cinéma québécois et celui d’Afrique francophone. Il y a probablement d’autres liens possibles ; mais la langue est celui qui me vient à l’esprit : la langue que nous avons en partage, c'est-à-dire, le français.
Vos inspirations ou vos modèles sont ils plutôt politiques ou artistiques ?
Ce sont des modèles humains, essentiellement ceux qui ont bercé mon enfance : Nelson Mandela, Patrice Lumumba, Steven Biko, Martin Luther King, Charles De Gaulle, des humanistes, des libérateurs de peuples. Au plan artistique, j’en avais un avec qui j’ai eu le bonheur de travailler sur une de ses pièces quand je travaillais encore en France, c’est Eugène Ionesco. Son univers m’a toujours attiré, on est dans le théâtre absurde qui a toujours été pour moi, disons, une glace vanillée sous un soleil de midi ! (rires)
Au Cameroun, où tout a commencé, en France où vous avez évolué, quelle casquette portez-vous ? Comment vous appelle vos proches aujourd’hui ? Monsieur Le Ministre ?
Aujourd’hui, je demeure l’être qui a toujours été, c’est-à-dire, l’individu, mais qui est appelé à jouer un autre rôle, en l’occurrence politique aujourd’hui. Les gens s’adaptent à ces changements de casquette. Moi, je me maintiens très enraciné dans le sol, pour ne pas perdre la tête, parce qu’être ministre ce n’est pas une finalité !
Politicien n’est pas votre dernier rôle ?
Ça c’est le destin qui dictera mes implications de demain. Pour l’instant, je suis là, mais ce que demain sera, je ne le sais pas!
Quelle carrière conseillerez-vous à vos enfants ? Politicien, acteur ?
Non, je veux qu’ils suivent leurs passions. C’est important de vivre ses passions dans l’absolu déjà. Mais quand on a la chance de pratiquer un métier qui nous passionne, eh bien on y va ! Mes enfants, je les ai encouragés à suivre leurs passions et être fideles à ces passions-là.
Quel est votre meilleur rôle au cinéma ?
Je dirais dans « La vieille dame et l’Africain » [téléfilm français réalisé par Alain Dhouailly, 1987, NDLR]. Une histoire qui traitait du racisme en France et j’avais comme partenaire Danièle Darrieux.
Quel est votre film préféré ?
Les films préférés sont toujours les premiers films qu’on a vus dans notre vie. Toute la série de films de Chaplin, parce que nous avions au collège toute la série, donc nous la regardions religieusement, tout comme la série de Fernandel. C’est ça le cinéma de mon enfance.
Quel est votre acteur/actrice préféré(e) ?
Je reviens encore sur ceux qui ont bercé mon enfance : Charlie Chaplin, Fernandel et par la suite j’ai découvert Richard Burton, Marlon Brando, Denzel Washington, pour les plus récents. Ici, Luc Picard pour ne citer que ceux-là…et il y en a beaucoup en France aussi mais les noms ne me viennent pas là ! (rires)
Quel film avez-vous le plus vu?
Les 10 commandements avec Charlton Eston !
Et enfin, à qui vous ne refuseriez pas un rôle aujourd’hui?
Ici, Denys Arcand, en Afrique, Cheick Omar Sissoko [Mali, NDLR], pour un rôle transcendant, quelque chose qui soit inspirant et qui permette d’exprimer toute une latitude en tant que créateur et en tant qu’acteur.
Propos recueillis par Djia Mambu
Africiné / Montréal
Novembre 2012
* CNC : Centre National du Cinéma et de l’image animée. Établissement public français dont les missions principales sont de réglementer, soutenir et promouvoir l'économie du cinéma en France et à l'étranger. www.cnc.fr
** SODEC : Société de développement des entreprises culturelles. Société d'État relevant du ministre de la Culture et des Communications, elle soutient l'implantation et le développement des entreprises culturelles. www.sodec.gouv.qc.ca