Entretien avec Lamia GUIGA BELKAIED, Déléguée Générale des JCC
Les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) ont lieu du 03 au 10 novembre 2018, à Tunis.
Les JCC sont, on s'en doute, sur le continent africain, le rendez-vous cinématographique le plus fiable, le mieux organisé et de surcroît très à cheval sur la qualité des productions en sélection. Une sorte de fil tendu auquel sont accrochées les cultures des sociétés arabes et africaines. Mais aussi la sulfureuse sensibilité d'un public de cinéphiles vaincus par la passion cinéma. Mme Lamia BELKAIED-GUIGA, Déléguée Générale des JCC, Universitaire et Critique de Cinéma, revient avec nous, dans cet entretien, sur les grandes lignes qui vont rythmer l'édition 2018.
Les JCC sont l'un des festivals les mieux organisés du continent africain et du monde arabe grâce à des compétences organisationnelles reconnues. Parlez-nous un peu de cette équipe qui contribue davantage à asseoir sa renommée.
L'objectif depuis la création des JCC en 1966 est de défendre le cinéma et les cinéastes arabes et africains. C'est le doyen des festivals du continent africain [hormis le festival de Kélibia, Tunisie, ndlr], un festival sérieux celui qui a révélé les plus grands des cinéastes arabes et africains (Souleymane Cissé, Sembene Ousmane, Youssef Chahine, Idrissa Ouédraogo, Djibril Diop Mambéty [Tanit d'argent 1970, avec Badou Boy, ndlr],…..
Carthage et le seul festival qui crée ce lien entre la culture arabe du Maghreb, du proche Orient et de l'Afrique. Le festival de Carthage est un phénomène unique où les cinéphiles sont présents dans toutes les projections. Les JCC ont toujours défendu le cinéma d'auteurs, les cinéastes indépendants. C'est un festival réellement militant qui a toujours aidé les réalisateurs à faire des films et les distribuer. Ce festival n'a jamais raté son rendez-vous (biennal, puis désormais annuel). Ce festival spécial est une rampe de lancement des films et des réalisateurs, sans prétention à l'international sauf pour promouvoir les films de qualité et à l'international. C'est un festival du sud certes mais tri-continental, avec une ouverture sur les cinématographies qui nous ressemblent (Amérique latine, et les réseaux des professionnels du Sud).
Les JCC est un festival de public et populaire auprès des cinéphiles. En 2017, on a compté plus de 2 millions de personnes autour de la capitale durant les 10 jours. Avec des dizaines de milliers de cinéphiles de plus en plus jeunes, cela nous oblige à répondre à cette demande jeune. La force des JCC c'est son Public : quel que soit la direction le festival continuera.Nous avons un public unique : cinéphile, averti et exigeant.
Les JCC sont un rendez-vous cinématographique africain et mondial incontournable. Alors pourrait-on connaître les critères mis en avant pour y participer ?
Les films sont sélectionnés en respectant le règlement des JCC. On a misé sur un retour aux fondamentaux : défendre réellement la création cinématographique arabe et africaine, promouvoir les films indépendants et les petites structures, avoir une présence africaine en termes de film et de présence cinématographique - industrie et institutions (francophone et lusophone) - de plus en plus importante, défendre les jeunes cinéastes et les nouvelles expériences cinématographiques (films de genre, …).
Pour cette édition 2018, quelles sont les thématiques retenues et combien de candidatures vous avez reçues pour les compétitions long métrage, court métrage et premier film ?
En sélection officielle, on a retenu 65 films (Longs et Courts). Pour les longs, nous alignons 6 Premières Mondiales, 15 Premières arabes et 13 Premières africaines. La Compétition officielle réunit 44 films ; soit 24 longs métrages (dont 13 fictions parmi lesquels 4 sont africains, et 11 documentaires dont 4 africains) et 20 courts métrages composés de 12 fictions et 8 documentaires. Concernant les longs métrages, 7 sont des premiers (et donc vont concourir au Tanit de la Première Œuvre. Un tiers des réalisateurs en compétition sont des femmes, elles sont précisément 14. Par ailleurs 19 pays sont représentés : 9 du monde arabo-berbère (Algérie, Maroc, Egypte, Liban, Iraq, Palestine, Tunisien, la Syrie, La Jordanie) et 10 d'Afrique Noire (Cameroun, Sénégal, République D. du Congo, Afrique du Sud, Madagascar, Bénin, Kenya, Sénégal, Tchad, Rwanda).
Qu'en sera-t-il des hommages ?
Des hommages seront rendus à Najoua Slama (Tunisie), Youssef Chahine (Egypte), Taieb Louhichi (Tunisie), Attiat Abnoudi (Egypte), Jamil Rateb, Idrissa Ouédraogo.
Le Sénégal fait partie des deux pays choisis comme invités d'honneur. Pourquoi ce choix ?
L'objet des focus est de créer lancer des ponts au public. Pour le Sénégal, l'ambition est que l'Afrique soit plus présente dans les rues de Tunis avec l'invitation et la présence d'une délégation officielle du Sénégal forte de 30 personnes entre les cinéastes, des producteurs, des représentants du cinéma, des journalistes…
Le Sénégal est un pays représentatif d'une réelle dynamique africaine. Il y a de plus en plus de films, de salles, de circulation du documentaire et de la fiction. Le Sénégal est également un pays du cinéma, il est l'associé des JCC depuis plus de 50 ans (Ousmane Sembene est co-fondateur des JCC, il a remporté le premier Tanit du festival de Carthage. Ce focus permet aussi d'accueillir un peu plus de réalisateurs africains primés aux JCC.
Qu'elles seront les grands moments de cette participation des pays invités d'honneur, en particulier le Sénégal ? Et combien de films ce pays présentera-t-il ?
Il y aura une soirée spéciale en présence des officiels des deux pays et de tous les invités des JCC : industriels, réalisateurs, etc…
Pour les films, nous avons retenus Lamb de Paulin Soumanou Vieyra, La petite vendeuse de Soleil de Djibril Diop Mambety, Une place dans l'avion de Khadidiatou Sow, ainsi que Goom Bi (La plaie) de Moly KANE, pour les courts métrages.
Camp de Thiaroye de Sembene Ousmane, La Pirogue de Moussa Touré, Le prix du Pardon de Mansour Sora Wade, Madame Brouette de Moussa Sene Absa, Tey de Alain Gomis, Fad'jal (Grand père raconte nous) de Safi Faye, Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty, Karmen Gei de Joseph Gai Ramaka et Congo, un médecin pour les femmes d'Angèle Diabang, sont les 9 longs métrages du focus Sénégal.
Y aura-t-il pour l'édition 2018 des innovations au plan organisationnel (programmation, rencontres-débats) ?
Il y a un renforcement du coté professionnelle. Nous invitons beaucoup de producteurs, distributeurs dans le cadre de Carthage Pro (Chabaka, Takmil, masterclasses pros, forum, panels). Chabaka est pour les projets en développement avec prix et des bourses de développement pour permettre aux projets arabes et africain à mieux travailler leurs projets. Takmil est dédié aux projets en finition, cette section professionnelle commence à faire ses preuves : plusieurs films financés par Takmil ont fait les plus grands festivals. Carthage Talks, c'est une discussion sur les sujets de l'industrie avec les professionnels arabes et africains ainsi que les invités du monde entier (distributeurs, vendeurs internationaux..).
Il est prévu 3 Masterclass cette année : une sur la critique de cinéma, une sur la musique de Film, et celle qui sera animée par Mahamat-Saleh Haroun.
Les JCC fournissent un travail intense sur l'industrie du cinéma. L'objectif est de créer une sorte de plateforme professionnelle arabe et africaine qui permettra aux gens du cinéma de circuler et de rayonner dans le monde entier.
S'agissant de l'aspect animations, quels sont les noms d'artistes déjà retenus ? Y aura-t-il parmi eux des Africains ?
Les stars, ce sont les réalisateurs, les acteurs des films : Les JCC ne sont pas vraiment un festival de paillettes. C'est un festival de public et de cinéphilie avant tout.
Est-il prévu dans l'aspect rétrospectif la projection de copies restaurées de films comme ce fut le cas du séduisant Les baliseurs du désert de Nacer Khémir ?
Nous sommes fiers aujourd'hui de la création de la Cinémathèque Tunisienne qui commence à faire ce travail. Le film de Nacer vient d'être projeté dans ce cadre.
Nous avons tout un programme avec la cinémathèque tunisienne avec des rétrospectives. (Chahine, Abnoudi..., programmations des films primés à Carthage…).
Avez-vous pensé à l'interprétariat, pour le compte des journalistes francophones qui parfois lors des confrères de presse post-projection, se retrouvent avec des réalisateurs, cinéastes et acteurs arabes anglophones ?
Pour la conférence de presse et les rencontres professionnels : oui.
Qu'elle part sera enfin réservée à la critique cinématographique ou du moins aux critiques de cinéma ?
Nous avons deux Jurys parallèles de critiques : FACC / Africiné Magazine (Prix Paulin Vieyra) et FIPRESCI (Prix Fipresci). Nous invitons au moins une soixantaine de journalistes et de critiques et proposons une masterclass sur la critique cinématographique.
Propos recueillis par Bassirou NIANG
Africiné Magazine, Dakar
pour Images Francophones
Image : Lamia Belkaied-Guiga, Déléguée Générale des JCC 2018
Crédit : DR
La Liste complète des films en compétition officielle aux JCC 2018, sur le site www.cinematunisien.com