Entretien avec l'actrice Tella Kpomahou - autour d'Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie
L'actrice d'origine béninoise est la voix de Bintou dans ce film d'animation francophone. Date de sortie en France : le 17 juillet 2013.
La sortie française de Aya de Yopougon, une histoire plantée dans le secteur d'Abidjan, anticipe le rayonnement de ce film d'animation dans l'espace francophone, et au delà.
On connaît déjà la bande dessinée Aya de Yopougon, imaginée en 2005 par Marguerite Abouet avec le concours du graphiste Clément Oubrerie, dont les six albums ont été traduits en 15 langues et vendus à des milliers d'exemplaires. La notoriété de Aya et ses deux amies qui circulent dans le quartier populaire de Yopougon, repose sur le franc-parler des protagonistes, pimenté par leurs tribulations amoureuses et familiales. On y mesure la vivacité des échanges qui animent la Côte d'Ivoire des années 70. Une époque que Marguerite Abouet a observée dans sa jeunesse à Abidjan, où elle est née. Et Clément Oubrerie s'est beaucoup promené dans Yopougon pour en tirer des photos et des croquis.
Le film réalisé par les deux auteurs, reprend fidèlement l'argument des deux premiers albums de Aya de Yopougon pour les faire éclore par la technique de l'animation. Clément Oubrerie s'est appuyé sur la société française Autochenille Production dont il est l'un des responsables, avec Antoine Deslevaux et Joann Sfar. Ce dernier, plébiscité pour son dessin animé Le Chat du Rabbin, 2011, a permis de renforcer la crédibilité de l'entreprise : créer un film d'animation français qui dépasse les frontières en distrayant.
Aya de Yopougon est porté par les voix de comédiens africains réputés pour leur jeu en France et à l'étranger. Aux cotés de Aïssa Maïga qui parle pour Aya, entourée de Tatiana Rojo et Tella Kpomahou, les voix de Jacky Ido, Emil Abossolo-Mbo ou Eriq Ebouaney, font entendre les contrastes de la vie du quartier d'Abidjan. Alors pour évoquer les enjeux de Aya de Yopougon, mesurer sa part de réalisme, aborder ses atouts, il est tentant d'écouter l'actrice Tella Kpomahou qui prête sa voix à Bintou, l'amie délurée de Aya.
La comédienne née au Bénin, a grandi et étudié en Côte d'Ivoire dont elle connaît tous les attraits. Installée depuis 2002 en France, elle joue pour des réalisateurs africains comme Cheick Fantamady Camara (Il va pleuvoir sur Conakry, 2006), des Européens tel le Britannique Gareth Jones (Desire, 2009) mais aussi dans des productions commerciales parmi lesquelles les séries télé Diane, femme flic (Dominique Tabutteau, 2007), Braquo (Frédéric Schoendoerffer, 2009), ou le prochain film de Fabrice Eboué et Lionel Steketee, Le Crocodile de Botswanga (ex Papa Maréchal). En racontant son travail pour doubler Bintou, Tella Kpomahou dévoile aussi sa conception du métier de comédienne. Son charme vif est en phase avec le volontarisme ravageur de Bintou.
Bande-annonce officielle
Une BD qui respire la Côte d'Ivoire
- Comment avez-vous connu la bande dessinée, Aya de Yopougon ?
Très tôt. La première année de sa parution. C'est grâce à un ami qui sait que j'ai un lien très fort avec la Côte d'Ivoire. Il m'a demandé si Yopougon, ça me disait quelque chose. J'ai dit " oui, qui ne connaît pas Yopougon ne connaît pas la Côte d'ivoire ". Quand il m'a dit qu'il y avait une bande dessinée qui s'appelait Aya de Yopougon, j'ai répondu : " Tu blagues ! " Il me l'a offert. Comme ça sortait en période de fêtes, ça a été mon cadeau de Noël. Et je suis devenue fan.
- Avez-vous lu les autres tomes ?
Oui tous, jusqu'au sixième. J'étais accro et je les attendais. Par la suite, je suis devenue amie avec Marguerite Abouet, et je la " harcelais " en lui demandant : " Alors, c'est quand le prochain numéro ? " Puis, je l'ai rencontrée, par rapport au projet de mettre cette histoire en animation.
- Quand vous lisez la BD, ça vous paraît refléter la Côte d'Ivoire telle que vous l'avez vécu ?
Ça se passe dans les années 70. La Côte d'Ivoire que j'ai connu n'était pas celle de cette époque, puisque je suis née après. Mais j'y retrouve pas mal de choses. Je retrouve la légèreté de la vie, avant tous ces problèmes de crises et de conflits. Je retrouve l'humour, la diversité aussi. C'est assez ressemblant à mon Abidjan à moi, pendant mon adolescence.
- Quand vous voyez le film, y retrouvez-vous ce que vous avez senti en lisant la BD ?
Le film est complètement fidèle aux histoires. C'est la force de ce film d'animation. C'est tellement fidèle que c'est troublant. On se dit qu'ils ont vraiment travaillé là-dessus, c'est génial. Je suis sortie de la projection en me disant, je suis fière de moi, fière d'avoir participé à ce projet, fière que l'histoire soit restée aussi fidèle aux livres.
Extrait du film (avec Bintou, en boîte de nuit - Tella Kpomahou)
Un film d'animation pour bouger avec le quartier
- Qu'est-ce que le film apporte de plus ?
C'est de voir ces personnages en mouvement. La force de la lecture, c'est de faire voyager mentalement, d'imaginer ces personnages. De les voir se mouvoir, bouger et aussi leur attribuer une voix à travers les voix des comédiennes et des comédiens, ça apporte beaucoup. Ce ne sont plus juste des personnages sur papier, ce sont des personnages vivants qu'on identifie plus facilement maintenant. On voit leur manière de bouger, de parler. Ca, c'est très intéressant.
- C'est un film de personnages ou c'est un film qui raconte l'histoire de quelqu'un ?
Je dirais les deux. Ca raconte l'histoire de Aya ; mais à travers ça, c'est l'histoire d'un quartier populaire. Donc c'est les deux et moi je suis fan.
- Comment pourriez-vous résumer l'action du film ?
C'est une belle histoire d'amitié, une leçon de vie aussi parce qu'on voit la difficulté à vivre dans un milieu pas toujours facile, une vie de famille pas toujours facile au quotidien. Mais ces jeunes filles, ces pères courages et ces mères courages, ce sont des gens qui continuent malgré tout. C'est une leçon de vie, une leçon d'espoir et c'est aussi une manière " légère " de vivre, sans dramatiser les choses. Quand Bintou se fait voler son copain par Adjoua ; malgré ça, elle se réconcilie après. Elle est au mariage de son amie et elle aide face aux difficultés, tel le fait d'être une jeune fille enceinte, seule à élever son enfant. Donc je retrouve des valeurs à partager et à mettre en pratique.
- Cette vision finalement assez optimiste de la vie à Abidjan que reflète le film, est-elle due à la volonté de défendre cette image ou parce que c'était comme ça dans les années 70 ?
Je pense que dans les années 70, c'était un peu ça. Quand je regarde mon adolescence en Côte d'Ivoire, c'était un peu ça. Certes, il y avait des problèmes au quotidien. J'étais une lycéenne et puis une étudiante " dans le vent ", un peu insouciante, mais pas écervelée. Insouciante dans la mesure où oui, d'accord, la vie est dure mais on reste jeunes. On pense que tout est possible et donc on fonce. Je crois que ce n'est pas juste la volonté de défendre une image qui n'existerait pas.
C'est une image qui a été et qui quelque part, aujourd'hui, existe. Même si on parle de conflits, pour les jeunes, il y a une envie de vivre. Ce n'est pas parce qu'il y a des problèmes qu'il ne faut pas s'oublier quelquefois, et puis voilà. La Côte d'ivoire, j'y étais encore il y a un mois, il y a de la musique partout. Ca rend la vie plus agréable même si on a des soucis, même si c'est dur.
- Ce mélange de gens d'origines diverses qui peuplent le quartier, c'est quelque chose que vous avez constaté quand vous étiez en Côte d'Ivoire ?
Tout à fait, j'en suis un exemple. Je suis d'origine béninoise et à aucun moment, je me suis sentie " pas chez moi " à Abidjan. D'ailleurs je connais plus la Côte d'Ivoire que mon pays natal, j'ai plein d'amis ivoiriens. Aujourd'hui en France, on m'appelle en tant que comédienne ivoirienne avant d'être béninoise. À Abidjan, mes amis sont autant des Bétés que des Baoulés, des Burkinabés, des Gabonais… C'est la force de la Côte d'Ivoire, cette diversité. On la retrouve dans le film aussi parce que les comédiens sont d'origines différentes. Tatiana Rojo est ivoirienne, un peu gabonaise, Aïssa Maïga, un mélange de Sénégal [et Mali, ndlr], Jacky Ido du Burkina Faso, Emil Abossolo-Mbo du Cameroun, Eriq Ebouaney du Cameroun… Ça, je pense que c'est une vraie force, et c'est une vraie force aussi dans ce film.
Quand Tella rencontre Bintou
- Vous a t'on incité à cultiver cet accent ivoirien, ce parler différent de celui du français standard, lorsque vous avez travaillé sur le film ?
Non. J'ai eu un rendez-vous avec Marguerite Abouet, au tout début du projet, quand elle cherchait les voix qui colleraient à ses personnages. Il est vrai qu'elle avait envie que les voix soient entendues par tous, qu'on soit français d'origine française, ou d'ailleurs. Donc il n'y avait pas de recommandation, pas d'incitation proprement dite. Elle cherchait des personnes à voix et il se trouve que moi j'ai encore l'accent ivoirien. Quand je suis dans un milieu africain ou ivoirien, c'est un peu plus corsé. Quand je vais à un rendez-vous où l'on recherche une voix un peu neutre, je le fais. Mais il n'y avait pas d'incitation particulière à ce niveau.
- Comment Marguerite Abouet vous a t'elle proposé le rôle de Bintou ?
Tout de suite. On s'est rencontré et je lui ai dit " je suis partante, je fais la voix que tu veux, le personnage que tu veux. Cette histoire est trop importante pour moi et je veux faire partie de ce projet ". Quelques jours après, elle m'a dit : " D'accord ". Je suis allé à une de ses dédicaces et elle m'en a fait une qui disait : " J'ai trouvé ma Bintou ". Et c'était vrai.
- Qui est Bintou pour vous ?
Ah ! Ah ! C'est la Grande Chauffeuse ! Comme on dit à Abidjan, c'est la Grande Gazeuse. C'est une nana qui ne pense qu'à faire la fête, toujours habillée pimpante. Elle ne peut pas entendre une musique sans se déhancher. En même temps, elle n'est pas complètement décalée de la réalité parce qu'elle sait que, à un moment, le temps passe et on n'est pas éternellement jeune. Il faut penser à son avenir. Elle y pense autrement que Aya qui le prépare en faisant des études. Elle, elle pense à se trouver un mari, un bon mari qui va assurer. Chacun prépare son avenir comme il veut ; Bintou, c'est comme ça.
- Pensez-vous qu'elle puisse s'en sortir comme ça, dans la société d'Abidjan de l'époque, en se trouvant un mari ?
Oui, à l'époque où ça se passe… Les études d'accord, mais un bon mari, qui a une bonne situation… Je me souviens de l'histoire d'un monsieur friqué qui avait de l'argent et qui entretenait plusieurs femmes. Ça ne posait aucun problème. Souvent même, les pères et les mères de famille souhaitent à leurs filles de rencontrer un mari comme ça. Ce n'est pas forcément mal d'ailleurs. C'est une manière de vivre, de se projeter. Il y a quelque chose de drôle là dedans.
Travailler sa voix dans le cinéma
- Comment votre voix a t'elle " habillé " le personnage très animé de Bintou ?
En fait, je pense que j'étais déjà pas mal influencée par mes lectures de la BD. Le personnage de Bintou est assez clair, assez trempé. C'est une nana dans le vent, qui n'a pas le temps. Donc ça m'a aidé à travailler. Et puis il y a le fait que Marguerite Abouet avait exactement en tête ce qu'elle voulait. Ça a fonctionné tout de suite. On a pris le temps de faire, de refaire quand c'était nécessaire. Tella a croisé Bintou, Bintou a croisé Tella. J'espère que le public aimera.
- C'est Marguerite Abouet qui vous a dirigée pendant les prises de son ?
Oui, elle était présente.
- Et vous avez enregistré les prises avec les autres comédiens ?
Non, séparément. C'est d'autant plus dur que par exemple, je suis très amie avec Tatiana Rojo. Quand on se voit, tout de suite, les Ivoiriennes sont dans la place… Donc tout de suite, on trouve l'accent. On était un peu frustrées de ne pas se retrouver en studio. En même temps, ce sont les contraintes de l'enregistrement. Il fallait faire les choses séparément pour pouvoir optimiser tant au niveau du temps que de la qualité du travail. On aurait été ensemble, on aurait peut-être rajouté trop de choses. Ca aurait rendu un peu plus compliqué le travail du son, après. Au final, ce n'est pas plus mal.
- Qu'est-ce qui vous a stimulé pour exprimer les émotions quand vous vous êtes retrouvée toute seule en studio d'enregistrement ?
Marguerite Abouet était là, elle donnait les répliques car elle est la mère de tous ses personnages, elle les a accouchés. Il y avait déjà un premier enregistrement où Jacky Ido a prêté sa voix à tous les personnages pour faire une maquette. Les dessins étaient faits et ça aide aussi de les voir, de voir l'univers de la BD. Et puis comme je le disais, j'avais lu tous les numéros. Forcément c'était dans la suite logique de ma préparation pour pouvoir épouser le personnage de Bintou, coller ma voix à son univers.
- Avez-vous beaucoup répété avant l'enregistrement ?
Pas tant que ça. Il y a eu une ou deux lectures et puis deux après-midi d'enregistrement avec un retour synchro. Ca a été assez vite.
- Et avez-vous fait des lectures communes sur le texte ?
Il me semble qu'on a fait une lecture commune, mais pas avec Aïssa Maïga. Elle n'était pas sur le film au tout début. Donc on a fait une lecture avec Marguerite Abouet, et surtout Tatiana Rojo. Il y a tellement de comédiens, tellement de voix que ce n'était pas évident de regrouper tout le monde d'autant plus que, heureusement, ce sont des comédiens qui travaillent et donc on était à chaque fois sur des projets différents. On a donc fait des lectures par petits groupes de deux ou trois.
Affirmer l'expression francophone dans ses variations
- Pensez-vous qu'un film comme ça, parlé en français avec les intonations ivoiriennes, peut bien circuler dans l'espace de l'Afrique de l'Ouest et celui des zones francophones ?
Oh oui ! Je pense que c'est un film qui va plaire à pas mal de gens, qu'ils soient européens, africains, américains… Parce que ça a une légèreté, un humour assez sympathique. Et même je dirais que les personnages, les propos sont assez convaincants.
- Marguerite Abouet est donc une bonne dialoguiste ?
Oui, c'est une bonne personne qui a un fonds. C'est une personne qui a une seule parole. Elle a abattu un travail colossal quand même, pour faire exister ce film.
- C'est pour cela que vous avez suivi et êtes restée sur le projet depuis ses débuts ?
Oui, aussi. J'ai rencontré une personne qui, humainement, valait la peine qu'on soit à ses côtés. En même temps, c'est un cadeau qu'elle me faisait, et qu'elle a fait à pas mal de comédiens ; parce que c'est un très beau projet.
- Qu'est-ce que ça peut permettre pour votre carrière d'avoir fait cette voix dans Aya de Yopougon ?
Je ne sais pas. Je prendrai les choses comme elles arrivent, si elles arrivent. Mais déjà, il y a une telle satisfaction pour moi que mon nom soit associé à ce projet. C'est déjà un pari gagné pour moi, c'est une grande joie. Ca fait 11 ans que je suis en France, j'ai fait plein de choses, que ce soit pour la télévision française ou au théâtre. Comme je disais à Marguerite Abouet de manière comique, quand j'irai à Abidjan et que je vais dire à ma mère : " J'ai fait Aya de Yopougon ", au moins ça pourra lui dire quelque chose. Quand je lui dit que j'ai joué dans Braquo ou Diane, femme flic, elle me dit : " D'accord, si tu gagnes ta vie, c'est bien ". Mais lui dire que j'ai fait Aya de Yopougon, je crois que c'est un tournant. C'est un point très important dans mon parcours de comédienne.
Propos recueillis et introduits par Michel AMARGER
(Africiné / Paris)
Photos : Droits Réservés / Michel Amarger / Belinda Van de Graaf.
Cliquer sur les photos pour bien voir la gallerie.
On connaît déjà la bande dessinée Aya de Yopougon, imaginée en 2005 par Marguerite Abouet avec le concours du graphiste Clément Oubrerie, dont les six albums ont été traduits en 15 langues et vendus à des milliers d'exemplaires. La notoriété de Aya et ses deux amies qui circulent dans le quartier populaire de Yopougon, repose sur le franc-parler des protagonistes, pimenté par leurs tribulations amoureuses et familiales. On y mesure la vivacité des échanges qui animent la Côte d'Ivoire des années 70. Une époque que Marguerite Abouet a observée dans sa jeunesse à Abidjan, où elle est née. Et Clément Oubrerie s'est beaucoup promené dans Yopougon pour en tirer des photos et des croquis.
Le film réalisé par les deux auteurs, reprend fidèlement l'argument des deux premiers albums de Aya de Yopougon pour les faire éclore par la technique de l'animation. Clément Oubrerie s'est appuyé sur la société française Autochenille Production dont il est l'un des responsables, avec Antoine Deslevaux et Joann Sfar. Ce dernier, plébiscité pour son dessin animé Le Chat du Rabbin, 2011, a permis de renforcer la crédibilité de l'entreprise : créer un film d'animation français qui dépasse les frontières en distrayant.
Aya de Yopougon est porté par les voix de comédiens africains réputés pour leur jeu en France et à l'étranger. Aux cotés de Aïssa Maïga qui parle pour Aya, entourée de Tatiana Rojo et Tella Kpomahou, les voix de Jacky Ido, Emil Abossolo-Mbo ou Eriq Ebouaney, font entendre les contrastes de la vie du quartier d'Abidjan. Alors pour évoquer les enjeux de Aya de Yopougon, mesurer sa part de réalisme, aborder ses atouts, il est tentant d'écouter l'actrice Tella Kpomahou qui prête sa voix à Bintou, l'amie délurée de Aya.
La comédienne née au Bénin, a grandi et étudié en Côte d'Ivoire dont elle connaît tous les attraits. Installée depuis 2002 en France, elle joue pour des réalisateurs africains comme Cheick Fantamady Camara (Il va pleuvoir sur Conakry, 2006), des Européens tel le Britannique Gareth Jones (Desire, 2009) mais aussi dans des productions commerciales parmi lesquelles les séries télé Diane, femme flic (Dominique Tabutteau, 2007), Braquo (Frédéric Schoendoerffer, 2009), ou le prochain film de Fabrice Eboué et Lionel Steketee, Le Crocodile de Botswanga (ex Papa Maréchal). En racontant son travail pour doubler Bintou, Tella Kpomahou dévoile aussi sa conception du métier de comédienne. Son charme vif est en phase avec le volontarisme ravageur de Bintou.
Bande-annonce officielle
Une BD qui respire la Côte d'Ivoire
- Comment avez-vous connu la bande dessinée, Aya de Yopougon ?
Très tôt. La première année de sa parution. C'est grâce à un ami qui sait que j'ai un lien très fort avec la Côte d'Ivoire. Il m'a demandé si Yopougon, ça me disait quelque chose. J'ai dit " oui, qui ne connaît pas Yopougon ne connaît pas la Côte d'ivoire ". Quand il m'a dit qu'il y avait une bande dessinée qui s'appelait Aya de Yopougon, j'ai répondu : " Tu blagues ! " Il me l'a offert. Comme ça sortait en période de fêtes, ça a été mon cadeau de Noël. Et je suis devenue fan.
- Avez-vous lu les autres tomes ?
Oui tous, jusqu'au sixième. J'étais accro et je les attendais. Par la suite, je suis devenue amie avec Marguerite Abouet, et je la " harcelais " en lui demandant : " Alors, c'est quand le prochain numéro ? " Puis, je l'ai rencontrée, par rapport au projet de mettre cette histoire en animation.
- Quand vous lisez la BD, ça vous paraît refléter la Côte d'Ivoire telle que vous l'avez vécu ?
Ça se passe dans les années 70. La Côte d'Ivoire que j'ai connu n'était pas celle de cette époque, puisque je suis née après. Mais j'y retrouve pas mal de choses. Je retrouve la légèreté de la vie, avant tous ces problèmes de crises et de conflits. Je retrouve l'humour, la diversité aussi. C'est assez ressemblant à mon Abidjan à moi, pendant mon adolescence.
- Quand vous voyez le film, y retrouvez-vous ce que vous avez senti en lisant la BD ?
Le film est complètement fidèle aux histoires. C'est la force de ce film d'animation. C'est tellement fidèle que c'est troublant. On se dit qu'ils ont vraiment travaillé là-dessus, c'est génial. Je suis sortie de la projection en me disant, je suis fière de moi, fière d'avoir participé à ce projet, fière que l'histoire soit restée aussi fidèle aux livres.
Extrait du film (avec Bintou, en boîte de nuit - Tella Kpomahou)
Un film d'animation pour bouger avec le quartier
- Qu'est-ce que le film apporte de plus ?
C'est de voir ces personnages en mouvement. La force de la lecture, c'est de faire voyager mentalement, d'imaginer ces personnages. De les voir se mouvoir, bouger et aussi leur attribuer une voix à travers les voix des comédiennes et des comédiens, ça apporte beaucoup. Ce ne sont plus juste des personnages sur papier, ce sont des personnages vivants qu'on identifie plus facilement maintenant. On voit leur manière de bouger, de parler. Ca, c'est très intéressant.
- C'est un film de personnages ou c'est un film qui raconte l'histoire de quelqu'un ?
Je dirais les deux. Ca raconte l'histoire de Aya ; mais à travers ça, c'est l'histoire d'un quartier populaire. Donc c'est les deux et moi je suis fan.
- Comment pourriez-vous résumer l'action du film ?
C'est une belle histoire d'amitié, une leçon de vie aussi parce qu'on voit la difficulté à vivre dans un milieu pas toujours facile, une vie de famille pas toujours facile au quotidien. Mais ces jeunes filles, ces pères courages et ces mères courages, ce sont des gens qui continuent malgré tout. C'est une leçon de vie, une leçon d'espoir et c'est aussi une manière " légère " de vivre, sans dramatiser les choses. Quand Bintou se fait voler son copain par Adjoua ; malgré ça, elle se réconcilie après. Elle est au mariage de son amie et elle aide face aux difficultés, tel le fait d'être une jeune fille enceinte, seule à élever son enfant. Donc je retrouve des valeurs à partager et à mettre en pratique.
- Cette vision finalement assez optimiste de la vie à Abidjan que reflète le film, est-elle due à la volonté de défendre cette image ou parce que c'était comme ça dans les années 70 ?
Je pense que dans les années 70, c'était un peu ça. Quand je regarde mon adolescence en Côte d'Ivoire, c'était un peu ça. Certes, il y avait des problèmes au quotidien. J'étais une lycéenne et puis une étudiante " dans le vent ", un peu insouciante, mais pas écervelée. Insouciante dans la mesure où oui, d'accord, la vie est dure mais on reste jeunes. On pense que tout est possible et donc on fonce. Je crois que ce n'est pas juste la volonté de défendre une image qui n'existerait pas.
C'est une image qui a été et qui quelque part, aujourd'hui, existe. Même si on parle de conflits, pour les jeunes, il y a une envie de vivre. Ce n'est pas parce qu'il y a des problèmes qu'il ne faut pas s'oublier quelquefois, et puis voilà. La Côte d'ivoire, j'y étais encore il y a un mois, il y a de la musique partout. Ca rend la vie plus agréable même si on a des soucis, même si c'est dur.
- Ce mélange de gens d'origines diverses qui peuplent le quartier, c'est quelque chose que vous avez constaté quand vous étiez en Côte d'Ivoire ?
Tout à fait, j'en suis un exemple. Je suis d'origine béninoise et à aucun moment, je me suis sentie " pas chez moi " à Abidjan. D'ailleurs je connais plus la Côte d'Ivoire que mon pays natal, j'ai plein d'amis ivoiriens. Aujourd'hui en France, on m'appelle en tant que comédienne ivoirienne avant d'être béninoise. À Abidjan, mes amis sont autant des Bétés que des Baoulés, des Burkinabés, des Gabonais… C'est la force de la Côte d'Ivoire, cette diversité. On la retrouve dans le film aussi parce que les comédiens sont d'origines différentes. Tatiana Rojo est ivoirienne, un peu gabonaise, Aïssa Maïga, un mélange de Sénégal [et Mali, ndlr], Jacky Ido du Burkina Faso, Emil Abossolo-Mbo du Cameroun, Eriq Ebouaney du Cameroun… Ça, je pense que c'est une vraie force, et c'est une vraie force aussi dans ce film.
Quand Tella rencontre Bintou
- Vous a t'on incité à cultiver cet accent ivoirien, ce parler différent de celui du français standard, lorsque vous avez travaillé sur le film ?
Non. J'ai eu un rendez-vous avec Marguerite Abouet, au tout début du projet, quand elle cherchait les voix qui colleraient à ses personnages. Il est vrai qu'elle avait envie que les voix soient entendues par tous, qu'on soit français d'origine française, ou d'ailleurs. Donc il n'y avait pas de recommandation, pas d'incitation proprement dite. Elle cherchait des personnes à voix et il se trouve que moi j'ai encore l'accent ivoirien. Quand je suis dans un milieu africain ou ivoirien, c'est un peu plus corsé. Quand je vais à un rendez-vous où l'on recherche une voix un peu neutre, je le fais. Mais il n'y avait pas d'incitation particulière à ce niveau.
- Comment Marguerite Abouet vous a t'elle proposé le rôle de Bintou ?
Tout de suite. On s'est rencontré et je lui ai dit " je suis partante, je fais la voix que tu veux, le personnage que tu veux. Cette histoire est trop importante pour moi et je veux faire partie de ce projet ". Quelques jours après, elle m'a dit : " D'accord ". Je suis allé à une de ses dédicaces et elle m'en a fait une qui disait : " J'ai trouvé ma Bintou ". Et c'était vrai.
- Qui est Bintou pour vous ?
Ah ! Ah ! C'est la Grande Chauffeuse ! Comme on dit à Abidjan, c'est la Grande Gazeuse. C'est une nana qui ne pense qu'à faire la fête, toujours habillée pimpante. Elle ne peut pas entendre une musique sans se déhancher. En même temps, elle n'est pas complètement décalée de la réalité parce qu'elle sait que, à un moment, le temps passe et on n'est pas éternellement jeune. Il faut penser à son avenir. Elle y pense autrement que Aya qui le prépare en faisant des études. Elle, elle pense à se trouver un mari, un bon mari qui va assurer. Chacun prépare son avenir comme il veut ; Bintou, c'est comme ça.
- Pensez-vous qu'elle puisse s'en sortir comme ça, dans la société d'Abidjan de l'époque, en se trouvant un mari ?
Oui, à l'époque où ça se passe… Les études d'accord, mais un bon mari, qui a une bonne situation… Je me souviens de l'histoire d'un monsieur friqué qui avait de l'argent et qui entretenait plusieurs femmes. Ça ne posait aucun problème. Souvent même, les pères et les mères de famille souhaitent à leurs filles de rencontrer un mari comme ça. Ce n'est pas forcément mal d'ailleurs. C'est une manière de vivre, de se projeter. Il y a quelque chose de drôle là dedans.
Travailler sa voix dans le cinéma
- Comment votre voix a t'elle " habillé " le personnage très animé de Bintou ?
En fait, je pense que j'étais déjà pas mal influencée par mes lectures de la BD. Le personnage de Bintou est assez clair, assez trempé. C'est une nana dans le vent, qui n'a pas le temps. Donc ça m'a aidé à travailler. Et puis il y a le fait que Marguerite Abouet avait exactement en tête ce qu'elle voulait. Ça a fonctionné tout de suite. On a pris le temps de faire, de refaire quand c'était nécessaire. Tella a croisé Bintou, Bintou a croisé Tella. J'espère que le public aimera.
- C'est Marguerite Abouet qui vous a dirigée pendant les prises de son ?
Oui, elle était présente.
- Et vous avez enregistré les prises avec les autres comédiens ?
Non, séparément. C'est d'autant plus dur que par exemple, je suis très amie avec Tatiana Rojo. Quand on se voit, tout de suite, les Ivoiriennes sont dans la place… Donc tout de suite, on trouve l'accent. On était un peu frustrées de ne pas se retrouver en studio. En même temps, ce sont les contraintes de l'enregistrement. Il fallait faire les choses séparément pour pouvoir optimiser tant au niveau du temps que de la qualité du travail. On aurait été ensemble, on aurait peut-être rajouté trop de choses. Ca aurait rendu un peu plus compliqué le travail du son, après. Au final, ce n'est pas plus mal.
- Qu'est-ce qui vous a stimulé pour exprimer les émotions quand vous vous êtes retrouvée toute seule en studio d'enregistrement ?
Marguerite Abouet était là, elle donnait les répliques car elle est la mère de tous ses personnages, elle les a accouchés. Il y avait déjà un premier enregistrement où Jacky Ido a prêté sa voix à tous les personnages pour faire une maquette. Les dessins étaient faits et ça aide aussi de les voir, de voir l'univers de la BD. Et puis comme je le disais, j'avais lu tous les numéros. Forcément c'était dans la suite logique de ma préparation pour pouvoir épouser le personnage de Bintou, coller ma voix à son univers.
- Avez-vous beaucoup répété avant l'enregistrement ?
Pas tant que ça. Il y a eu une ou deux lectures et puis deux après-midi d'enregistrement avec un retour synchro. Ca a été assez vite.
- Et avez-vous fait des lectures communes sur le texte ?
Il me semble qu'on a fait une lecture commune, mais pas avec Aïssa Maïga. Elle n'était pas sur le film au tout début. Donc on a fait une lecture avec Marguerite Abouet, et surtout Tatiana Rojo. Il y a tellement de comédiens, tellement de voix que ce n'était pas évident de regrouper tout le monde d'autant plus que, heureusement, ce sont des comédiens qui travaillent et donc on était à chaque fois sur des projets différents. On a donc fait des lectures par petits groupes de deux ou trois.
Affirmer l'expression francophone dans ses variations
- Pensez-vous qu'un film comme ça, parlé en français avec les intonations ivoiriennes, peut bien circuler dans l'espace de l'Afrique de l'Ouest et celui des zones francophones ?
Oh oui ! Je pense que c'est un film qui va plaire à pas mal de gens, qu'ils soient européens, africains, américains… Parce que ça a une légèreté, un humour assez sympathique. Et même je dirais que les personnages, les propos sont assez convaincants.
- Marguerite Abouet est donc une bonne dialoguiste ?
Oui, c'est une bonne personne qui a un fonds. C'est une personne qui a une seule parole. Elle a abattu un travail colossal quand même, pour faire exister ce film.
- C'est pour cela que vous avez suivi et êtes restée sur le projet depuis ses débuts ?
Oui, aussi. J'ai rencontré une personne qui, humainement, valait la peine qu'on soit à ses côtés. En même temps, c'est un cadeau qu'elle me faisait, et qu'elle a fait à pas mal de comédiens ; parce que c'est un très beau projet.
- Qu'est-ce que ça peut permettre pour votre carrière d'avoir fait cette voix dans Aya de Yopougon ?
Je ne sais pas. Je prendrai les choses comme elles arrivent, si elles arrivent. Mais déjà, il y a une telle satisfaction pour moi que mon nom soit associé à ce projet. C'est déjà un pari gagné pour moi, c'est une grande joie. Ca fait 11 ans que je suis en France, j'ai fait plein de choses, que ce soit pour la télévision française ou au théâtre. Comme je disais à Marguerite Abouet de manière comique, quand j'irai à Abidjan et que je vais dire à ma mère : " J'ai fait Aya de Yopougon ", au moins ça pourra lui dire quelque chose. Quand je lui dit que j'ai joué dans Braquo ou Diane, femme flic, elle me dit : " D'accord, si tu gagnes ta vie, c'est bien ". Mais lui dire que j'ai fait Aya de Yopougon, je crois que c'est un tournant. C'est un point très important dans mon parcours de comédienne.
Propos recueillis et introduits par Michel AMARGER
(Africiné / Paris)
Photos : Droits Réservés / Michel Amarger / Belinda Van de Graaf.
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