Entretien avec Dani Kouyaté et Olivier Delahaye, Coscénaristes et coréalisateurs de "Soleils"
"Pour des raisons économiques, nous avons dû réduire le scénario"
Dani Kouyaté est le réalisateur bien connu des œuvres comme " Keita !, l'héritage du griot " (1997), " Sia, le rêve du python " (2000), ou encore " Ouaga saga " (2004). Olivier Delahaye est un réalisateur français moins bien connu en Afrique occidentale mais qui possède de sérieuses références. Il est producteur, avec sa société Odélion, (Paris) de " La caméra de bois " (par Ntshavheni Wa Luruli, 2004, Afrique du Sud), coproducteur de " Nothing but the truth " par John Kani (2008, Afrique du Sud). Ils ont tous deux achevé le 20 juillet dernier le tournage au Burkina Faso d'un long métrage de fiction, " Soleils ".Le tournage final s'est fait pour fin août-début septembre en France.
Cet entretien a pour fil conducteur le scénario et toute la complexité que peut présenter la réalisation d'un conte onirique à l'écriture parfois dense.
La naissance du scénario
Emmanuel Sama (E.S.) : À lire le scénario, " Soleils " se présente comme un conte peuplé de personnalités, de grands personnages historiques tels que Soundjata Keïta (premier empereur du Manding), Nelson Mandela, Voltaire, Hegel etc. Le scénario originel est de vous, Olivier Delahaye. D'où vous sont venues l'inspiration et les idées forces de ce scénario ?
Oliver Delahaye (O.D) : Le scénario m'a été inspiré par Sotigui Kouyaté. Le personnage principal s'appelle " Sotigui-le griot ", mais ce n'est pas une biographie de Sotigui. C'est l'histoire d'un vieux sage qui tente de remettre une jeune femme nommée Dokamisa (la femme-buffle) sur les rails. Elle a perdu la mémoire de ses racines et ne rêve plus.
L'idée de ce scénario est née d'un travail que j'avais entrepris en 2005 sur l'ancien Président [de 1966 à 1980, Ndlr] de la Haute-Volta, aujourd'hui Burkina Faso, Lamizana Sangoulé. J'avais lu ses mémoires. Sa philosophie simpliste de la vie ainsi que la manière dont il concevait et gérait le pouvoir m'ont subjugué. Je suis donc venu à Ouagadougou en 2006 avec Sotigui, dans la perspective de tourner un épisode d'un documentaire sur ce dirigeant simple et proche de son peuple. Le tournage n'a pu se faire mais j'avais pu amasser une importante documentation. Sotigui m'a demandé de ne pas lâcher l'idée.
E.S. Comment s'est faite la rencontre avec Dani ?
O.D. : Elle date d'assez longtemps. Lorsque je travaillais sur le projet documentaire de Lamizana, j'ai entendu parler d'un film sur le Pr Joseph Ki-Zerbo, le grand historien disparu [le 04 décembre 2006, à Ouagadougou, à 84 ans, Ndlr], que je voulais voir. J'ai téléphoné au réalisateur de ce film qui, très gentiment, est venu me voir et m'a montré ce film.C'était Dani Kouyaté.Nous avons parlé de nos projets et c'est ainsi qu'il m'a dit que ce documentaire peut intéresser son père, Sotigui. C'est par le fils que j'ai rencontré le grand Sotigui. Dani et moi avions eu envie de travailler ensemble et je crois que cette envie n'est pas tombée, en dépit de la galère du montage financier du film " Soleils ".
E.S. : Dani ! Qu'est ce qui vous incité à travailler sur " Soleils ", du scénario à la réalisation. Comment avez-vous mené ensemble le travail d'écriture sinon de réécriture ?
Dani Kouyaté (D.K.) : Ce qui m'a plu d'entrée de jeu dans ce scénario, c'est le point de vue positif qu'il porte sur l'Afrique. C'est un scénario qui dit " regardez l'Afrique, elle est belle et a des choses à dire ", et cela pas seulement aux autres qui ne connaissent pas l'Afrique mais aussi aux Africains eux- mêmes. C'est en cela que je me suis senti interpellé. […]
Les personnages principaux et la trame
E.S. : Quelle est la trame de l'histoire de " Soleils " et les personnages principaux ?
O.D. C'est un conte dans lequel Sotigui-Le Griot nous entraine de l'empire mandingue du XIIIème siècle de Soundjata Keïta à nos jours, en passant par différents lieux, différents temps, afin de nous amener à considérer ces soleils qui sont ces étoiles africaines qui peuvent nous guider.
D.K. : Disons qu'il y a deux personnages principaux. Il s'agit de la jeune fille (Dokamisa) - la petite fille de Soundjata (rôle interprété par la comédienne française Nina Mélo) - et le vieil homme (Sotigui-Le Griot), qui en fait est un homme sans âge, qui traverse le temps. Il incarne le transmetteur, le passeur. Puis nous impliquons une série de personnages secondaires très importants dont Hegel, Voltaire, Maître Tierno Bocar [de son vrai nom (Tierno) Bokar Salif TALL, dont Amadou Hampaté BÂ était le disciple, Ndlr] qui est justement un de nos soleils africains. […]
E.S. : Peut-on déjà pousser la curiosité sur le rôle de Soundjata ?
D.K. : Soundjata (interprété par le comédien burkinabè Joseph Traoré) est un personnage qui passe très vite dans le film mais qui est très important. Il apparaitra deux fois : au début et quasiment aux alentours des 2/3 de l'histoire.
Il intervient pour convier sa petite fille (Dokamisa) - qui représente métaphoriquement l'Afrique qui a perdu la mémoire - à suivre les thérapies du Griot. C'est Soundjata qui impulse ce voyage vers la recherche de l'identité de soi-même et au bout d'un moment il revient dans l'histoire dans une vision de la jeune fille, au moment où elle commence à prendre conscience des choses. […]
E.S. : À travers des faits historiques, le scénario évoque également des valeurs morales et des institutions politiques dont les Africains peuvent être fiers. […]
O.D. : Ce voyage de la jeune fille est justement un voyage vers les racines d'un fond qui est propre à l'Afrique et c'est en même temps un fond culturel que l'on peut trouver du nord et au sud de l'Afrique, quand bien même on peut noter des différences. L'une des choses qui m'avait donné envie de travailler sur le Président Lamizana [1916-2005, Ndlr], c'est qu'en lisant ses mémoires j'avais trouvé beaucoup de faits sur la bonté, la simplicité, l'amour de son peuple. Ce que j'ai aimé, quand j'ai lu les mémoires de Nelson Mandela, " Un long chemin vers la liberté ", c'est tout simplement l'humanisme profond qui y a été développé et qui s'est traduit en de nombreuses applications pratiques au niveau de la Justice, au niveau de la famille, au niveau de la vie en société.
La charte du Mandé élaborée par Soundjata au 13ème siècle avait déjà cristallisé cet esprit humaniste et cela s'est fait au 13ème siècle. Et quand on lit cette charte, on se rend compte qu'elle est très proche de la déclaration des droits de l'homme dont nous sommes si fiers à juste titre en Europe ou aux Etats-Unis qui est venue quelques cinq siècles après !
Ce film voudrait d'une certaine manière remettre les pendules à l'heure et dire que les peuples du monde ont énormément de choses en commun. […]
Densité du scénario et fluidité du film
E.S. : En lisant le scénario, la densité des textes fait craindre d'aboutir au final à une lourdeur du film et à une théâtralisation. […]
D.K : Je pense que votre préoccupation est complètement justifiée. Nous avons, nous aussi, cette préoccupation par rapport à la densité, comme tu dis, de dialogues et de l'écriture.Mais je pense qu'on s'en est assez bien tiré. Ce fut effectivement l'un de nos soucis, dès le départ. Le choix du casting a forcément pris cet aspect en compte.
Au départ, par exemple à un moment donné, nous avions voulu travailler avec quelqu'un comme Tiken Jah Fakoly qui est une grande star de la musique reggae. Nous n'avons pu pour diverses raisons. Mais en même-temps par rapport au problème que tu poses, cela aurait été plus difficile de bosser avec lui que de bosser avec la personne avec laquelle nous avons travaillé qui lui est déjà conteur. C'est un conteur très charismatique du Cameroun, en la personne de Binda N'GASOLO. Il nous fallait quelqu'un qui puisse tenir la parole et donc qui puisse donner la parole de façon vivante parce que la parole quand elle est vivante n'ennuie pas.
Je pense qu'on trouve facilement l'équilibre entre la parole et l'image, si la parole est vivante. […] En aucun moment, nous n'avons eu l'impression d'avoir été lourds. Parce que nous étions assez conscients de cette difficulté et avions essayé de trouver des équilibres entre la façon de dire et de filmer.
Maintenant vous nous direz à la sortie du film ce que vous en pensez.
E.S. : Hormis les comédiens principaux et quelques comédiens de second rôle qui sont des professionnels, de quelles autres astuces avez-vous usées pour contourner toujours cette difficulté de lourdeur qui ne cesse d'être, très subjectivement, une préoccupation pour nous ?
D.K. : Vous savez, j'insiste pour dire que nous en étions très conscients. Nous avons effectué un casting de comédiens en conséquence. Ensuite, dans le choix de notre découpage, nous en avons également tenu compte. Pour être plus concret, au niveau de la rhétorique des images par exemple, nous disposions du palais de Soundjata pour lequel notre choix s'est porté sur la mosquée de Baní, près de Dori,dans le nord du Burkina. C'est une très belle mosquée avec beaucoup de piliers entre lesquels nous avons fait circuler nos deux personnages, suivis en travelling. Nous avons donc opéré des croisements pour effectuer ainsi une écriture dans le mouvement ; pendant qu'ils parlent, la beauté du décor se mêle à la beauté du texte qui se mêle à la beauté des images. […]
O.D : j'ajouterai une chose qui explique peut être la crainte que vous exprimez, mais surtout la réponse. Dès le début et j'en suis certain très peu de gens ont compris que nous voulions faire un film qui a effectivement beaucoup de sens et qui disait beaucoup de choses. Mais, déjà dès le début, dans la démarche, nous ambitionnons de faire du film un spectacle populaire. Même si nous avons essayé de lâcher le moins possible sur le fond, le souci de trouver une forme qui soit toujours légère et qui fera que ce film ait beaucoup d'humour, tout traitant de choses sérieuses. L'humour, la légèreté, l'esthétique ont fait partie de notre projet dès le début. Nous avons filmé avec la Nikon D800, la dernière née de cette firme, et nous pensons être les premiers à l'utiliser sur un long métrage.
Le scénario n'est pas du tout un scénario classique si bien qu'il contient beaucoup de choses qui semblent être des écueils mais pour nous elles représentaient des challenges. Les solutions sont venues naturellement, quelques fois difficilement mais en tout cas on a pu faire les trouver directement parce que c'était le projet initial.
[…]
E.S. : Pouvez-vous tenter de nous résumer l'histoire de ce film tissée de bien d'histoires ?
O.D. : C'est une histoire difficile à résumer. Mais on peut dire que c'est un vieil homme, Soundjata, qui confie à un de ses amis sa petite fille en perdition et lui demande de la sauver. C'est l'histoire du chemin qu'ils font ensemble, que ce vieil homme fait faire à cette jeune fille, qui deviendra jeune femme, pour l'amener à retrouver ses racines. Ils traversent différentes époques depuis le 13ème, le 19ème, le début du 20ème siècle, et arrivent à nos jours.
E.S. : Un film de reconstitution historique fait appel à des décors et des costumes d'époque. Comment vous vous êtes pris ?
O.D. Le plus simplement possible. Dani a parcouru certaines régions et repéré des décors adaptés. Nous avons arrêté ensuite ceux qui correspondent le mieux aux décors du film selon l'époque et à nos intentions. Le film a été servi par un casting très riche et les comédiens se sont véritablement impliqués. Après, c'était le talent du décorateur, de la costumière, des différents techniciens qui étaient à 90% burkinabès qui font la richesse de ce pays.
La production
E.S. : Depuis pratiquement 2006, vous avez entrepris la recherche des financements. Qu'est ce qui peut expliquer ce difficile montage financier ?
O. D. La production a été très difficile. J'ai ramé pendant trois ans pour trouver très peu d'argent et pour l'instant nous n'avons qu'un seul bailleur de fonds, qui est le CNC français. Nous nous sommes décidés à tourner et venons d'achever les 95% du tournage au Burkina Faso. Il nous en reste 5% du film, soit trois séquences qui vont se tourner en France, près de Paris, en fin août - début septembre. La fabrication du film s'est très bien passée. Parce qu'une fois qu'on avait admis la précarité des moyens dont nous disposions, tout le monde s'est mis résolument à la tâche et en plus nous étions entourés de gens engagés, les techniciens d'ici, les techniciens français qui sont venus, tout le monde a vraiment travaillé pour le mieux du film.
E.S. : Vous n'avez même pas bénéficié d'avances de chaînes de télévision diffusant sur l'Afrique et de contributions des pays d'origine des figures emblématiques devant être immortalisées par ce film ?
O.D. : Il y a deux choses que je crois pouvoir avancer par rapport aux distributeurs, aux chaînes de télé en France ou à l'étranger, que j'ai sollicité. Ces gens n'avaient peut être pas assez de visibilité sur un tel sujet, sur un scénario atypique et qui de plus est une coréalisation, ce qui est toujours difficile. Je suis à ma première coréalisation. Dani avait déjà fait quelques films ; moi je n'en ai pas fait. Donc cela a suscité, je crois, beaucoup d'inquiétude. Je pense aussi que le sujet même, c'est-à-dire en général les projets de film qui parlent de l'Afrique ne sont pas bien appréhendés. A priori, ces gens n'avaient pas envie de risquer quoi que ce soit sur un film qui parle d'un truc dont ils ne comprenaient pas grande chose.
E.S. Vous avez tout de même déjà tourné en Afrique du Sud et Mandela est un personnage du film ?
O.D. : C'est vrai que j'ai déjà fait plusieurs films en Afrique du Sud. J'ai essayé d'impliquer ce pays, puisque nous avions voulu tourner la séquence dans la prison de Nelson Mandela, évidement en Afrique du Sud, et profiter de cette opportunité pour tourner d'autres choses. J'ai sollicité les Sud-africains qui n'ont pas voulu venir sur ce projet, parce qu'ils trouvaient que les éléments sud-africains n'étaient pas suffisants pour eux. Voilà ! Pour le reste, nous avons essentiellement essayé de trouver des financements en Europe.
D.K : Pour la production, n'eut été la ténacité d'Oliver, nous n'en serions pas là ; parce qu'effectivement le parcours a été assez dur. C'est quant même un film qui a obtenu l'avance sur recette du CNC français ! Le problème, c'est qu'il y a une crise d'un certain cinéma africain, car des films se font avec des fonds européens. Et même certains films africains qui passent à travers le filet sont reçus sur Canal, Arte, TV5 etc.
Le vrai problème est qu'il est difficile de vendre une image positive de l'Afrique ! C'est un vrai problème, parce que c'est l'Afrique des scandales, des films de pitreries africaines qui se vendent comme de petits pains. Le scandale se vend beaucoup plus que le positif. Du coup, l'Afrique qui propose n'a plus de place. Cette réalité malheureuse du marché était l'un des grands soucis du projet, mais je pense que le film va tenir le pari d'inverser les vapeurs.
Emmanuel SAMA
Africiné, Ouagadougou
Cet entretien a pour fil conducteur le scénario et toute la complexité que peut présenter la réalisation d'un conte onirique à l'écriture parfois dense.
La naissance du scénario
Emmanuel Sama (E.S.) : À lire le scénario, " Soleils " se présente comme un conte peuplé de personnalités, de grands personnages historiques tels que Soundjata Keïta (premier empereur du Manding), Nelson Mandela, Voltaire, Hegel etc. Le scénario originel est de vous, Olivier Delahaye. D'où vous sont venues l'inspiration et les idées forces de ce scénario ?
Oliver Delahaye (O.D) : Le scénario m'a été inspiré par Sotigui Kouyaté. Le personnage principal s'appelle " Sotigui-le griot ", mais ce n'est pas une biographie de Sotigui. C'est l'histoire d'un vieux sage qui tente de remettre une jeune femme nommée Dokamisa (la femme-buffle) sur les rails. Elle a perdu la mémoire de ses racines et ne rêve plus.
L'idée de ce scénario est née d'un travail que j'avais entrepris en 2005 sur l'ancien Président [de 1966 à 1980, Ndlr] de la Haute-Volta, aujourd'hui Burkina Faso, Lamizana Sangoulé. J'avais lu ses mémoires. Sa philosophie simpliste de la vie ainsi que la manière dont il concevait et gérait le pouvoir m'ont subjugué. Je suis donc venu à Ouagadougou en 2006 avec Sotigui, dans la perspective de tourner un épisode d'un documentaire sur ce dirigeant simple et proche de son peuple. Le tournage n'a pu se faire mais j'avais pu amasser une importante documentation. Sotigui m'a demandé de ne pas lâcher l'idée.
E.S. Comment s'est faite la rencontre avec Dani ?
O.D. : Elle date d'assez longtemps. Lorsque je travaillais sur le projet documentaire de Lamizana, j'ai entendu parler d'un film sur le Pr Joseph Ki-Zerbo, le grand historien disparu [le 04 décembre 2006, à Ouagadougou, à 84 ans, Ndlr], que je voulais voir. J'ai téléphoné au réalisateur de ce film qui, très gentiment, est venu me voir et m'a montré ce film.C'était Dani Kouyaté.Nous avons parlé de nos projets et c'est ainsi qu'il m'a dit que ce documentaire peut intéresser son père, Sotigui. C'est par le fils que j'ai rencontré le grand Sotigui. Dani et moi avions eu envie de travailler ensemble et je crois que cette envie n'est pas tombée, en dépit de la galère du montage financier du film " Soleils ".
E.S. : Dani ! Qu'est ce qui vous incité à travailler sur " Soleils ", du scénario à la réalisation. Comment avez-vous mené ensemble le travail d'écriture sinon de réécriture ?
Dani Kouyaté (D.K.) : Ce qui m'a plu d'entrée de jeu dans ce scénario, c'est le point de vue positif qu'il porte sur l'Afrique. C'est un scénario qui dit " regardez l'Afrique, elle est belle et a des choses à dire ", et cela pas seulement aux autres qui ne connaissent pas l'Afrique mais aussi aux Africains eux- mêmes. C'est en cela que je me suis senti interpellé. […]
Les personnages principaux et la trame
E.S. : Quelle est la trame de l'histoire de " Soleils " et les personnages principaux ?
O.D. C'est un conte dans lequel Sotigui-Le Griot nous entraine de l'empire mandingue du XIIIème siècle de Soundjata Keïta à nos jours, en passant par différents lieux, différents temps, afin de nous amener à considérer ces soleils qui sont ces étoiles africaines qui peuvent nous guider.
D.K. : Disons qu'il y a deux personnages principaux. Il s'agit de la jeune fille (Dokamisa) - la petite fille de Soundjata (rôle interprété par la comédienne française Nina Mélo) - et le vieil homme (Sotigui-Le Griot), qui en fait est un homme sans âge, qui traverse le temps. Il incarne le transmetteur, le passeur. Puis nous impliquons une série de personnages secondaires très importants dont Hegel, Voltaire, Maître Tierno Bocar [de son vrai nom (Tierno) Bokar Salif TALL, dont Amadou Hampaté BÂ était le disciple, Ndlr] qui est justement un de nos soleils africains. […]
E.S. : Peut-on déjà pousser la curiosité sur le rôle de Soundjata ?
D.K. : Soundjata (interprété par le comédien burkinabè Joseph Traoré) est un personnage qui passe très vite dans le film mais qui est très important. Il apparaitra deux fois : au début et quasiment aux alentours des 2/3 de l'histoire.
Il intervient pour convier sa petite fille (Dokamisa) - qui représente métaphoriquement l'Afrique qui a perdu la mémoire - à suivre les thérapies du Griot. C'est Soundjata qui impulse ce voyage vers la recherche de l'identité de soi-même et au bout d'un moment il revient dans l'histoire dans une vision de la jeune fille, au moment où elle commence à prendre conscience des choses. […]
E.S. : À travers des faits historiques, le scénario évoque également des valeurs morales et des institutions politiques dont les Africains peuvent être fiers. […]
O.D. : Ce voyage de la jeune fille est justement un voyage vers les racines d'un fond qui est propre à l'Afrique et c'est en même temps un fond culturel que l'on peut trouver du nord et au sud de l'Afrique, quand bien même on peut noter des différences. L'une des choses qui m'avait donné envie de travailler sur le Président Lamizana [1916-2005, Ndlr], c'est qu'en lisant ses mémoires j'avais trouvé beaucoup de faits sur la bonté, la simplicité, l'amour de son peuple. Ce que j'ai aimé, quand j'ai lu les mémoires de Nelson Mandela, " Un long chemin vers la liberté ", c'est tout simplement l'humanisme profond qui y a été développé et qui s'est traduit en de nombreuses applications pratiques au niveau de la Justice, au niveau de la famille, au niveau de la vie en société.
La charte du Mandé élaborée par Soundjata au 13ème siècle avait déjà cristallisé cet esprit humaniste et cela s'est fait au 13ème siècle. Et quand on lit cette charte, on se rend compte qu'elle est très proche de la déclaration des droits de l'homme dont nous sommes si fiers à juste titre en Europe ou aux Etats-Unis qui est venue quelques cinq siècles après !
Ce film voudrait d'une certaine manière remettre les pendules à l'heure et dire que les peuples du monde ont énormément de choses en commun. […]
Densité du scénario et fluidité du film
E.S. : En lisant le scénario, la densité des textes fait craindre d'aboutir au final à une lourdeur du film et à une théâtralisation. […]
D.K : Je pense que votre préoccupation est complètement justifiée. Nous avons, nous aussi, cette préoccupation par rapport à la densité, comme tu dis, de dialogues et de l'écriture.Mais je pense qu'on s'en est assez bien tiré. Ce fut effectivement l'un de nos soucis, dès le départ. Le choix du casting a forcément pris cet aspect en compte.
Au départ, par exemple à un moment donné, nous avions voulu travailler avec quelqu'un comme Tiken Jah Fakoly qui est une grande star de la musique reggae. Nous n'avons pu pour diverses raisons. Mais en même-temps par rapport au problème que tu poses, cela aurait été plus difficile de bosser avec lui que de bosser avec la personne avec laquelle nous avons travaillé qui lui est déjà conteur. C'est un conteur très charismatique du Cameroun, en la personne de Binda N'GASOLO. Il nous fallait quelqu'un qui puisse tenir la parole et donc qui puisse donner la parole de façon vivante parce que la parole quand elle est vivante n'ennuie pas.
Je pense qu'on trouve facilement l'équilibre entre la parole et l'image, si la parole est vivante. […] En aucun moment, nous n'avons eu l'impression d'avoir été lourds. Parce que nous étions assez conscients de cette difficulté et avions essayé de trouver des équilibres entre la façon de dire et de filmer.
Maintenant vous nous direz à la sortie du film ce que vous en pensez.
E.S. : Hormis les comédiens principaux et quelques comédiens de second rôle qui sont des professionnels, de quelles autres astuces avez-vous usées pour contourner toujours cette difficulté de lourdeur qui ne cesse d'être, très subjectivement, une préoccupation pour nous ?
D.K. : Vous savez, j'insiste pour dire que nous en étions très conscients. Nous avons effectué un casting de comédiens en conséquence. Ensuite, dans le choix de notre découpage, nous en avons également tenu compte. Pour être plus concret, au niveau de la rhétorique des images par exemple, nous disposions du palais de Soundjata pour lequel notre choix s'est porté sur la mosquée de Baní, près de Dori,dans le nord du Burkina. C'est une très belle mosquée avec beaucoup de piliers entre lesquels nous avons fait circuler nos deux personnages, suivis en travelling. Nous avons donc opéré des croisements pour effectuer ainsi une écriture dans le mouvement ; pendant qu'ils parlent, la beauté du décor se mêle à la beauté du texte qui se mêle à la beauté des images. […]
O.D : j'ajouterai une chose qui explique peut être la crainte que vous exprimez, mais surtout la réponse. Dès le début et j'en suis certain très peu de gens ont compris que nous voulions faire un film qui a effectivement beaucoup de sens et qui disait beaucoup de choses. Mais, déjà dès le début, dans la démarche, nous ambitionnons de faire du film un spectacle populaire. Même si nous avons essayé de lâcher le moins possible sur le fond, le souci de trouver une forme qui soit toujours légère et qui fera que ce film ait beaucoup d'humour, tout traitant de choses sérieuses. L'humour, la légèreté, l'esthétique ont fait partie de notre projet dès le début. Nous avons filmé avec la Nikon D800, la dernière née de cette firme, et nous pensons être les premiers à l'utiliser sur un long métrage.
Le scénario n'est pas du tout un scénario classique si bien qu'il contient beaucoup de choses qui semblent être des écueils mais pour nous elles représentaient des challenges. Les solutions sont venues naturellement, quelques fois difficilement mais en tout cas on a pu faire les trouver directement parce que c'était le projet initial.
[…]
E.S. : Pouvez-vous tenter de nous résumer l'histoire de ce film tissée de bien d'histoires ?
O.D. : C'est une histoire difficile à résumer. Mais on peut dire que c'est un vieil homme, Soundjata, qui confie à un de ses amis sa petite fille en perdition et lui demande de la sauver. C'est l'histoire du chemin qu'ils font ensemble, que ce vieil homme fait faire à cette jeune fille, qui deviendra jeune femme, pour l'amener à retrouver ses racines. Ils traversent différentes époques depuis le 13ème, le 19ème, le début du 20ème siècle, et arrivent à nos jours.
E.S. : Un film de reconstitution historique fait appel à des décors et des costumes d'époque. Comment vous vous êtes pris ?
O.D. Le plus simplement possible. Dani a parcouru certaines régions et repéré des décors adaptés. Nous avons arrêté ensuite ceux qui correspondent le mieux aux décors du film selon l'époque et à nos intentions. Le film a été servi par un casting très riche et les comédiens se sont véritablement impliqués. Après, c'était le talent du décorateur, de la costumière, des différents techniciens qui étaient à 90% burkinabès qui font la richesse de ce pays.
La production
E.S. : Depuis pratiquement 2006, vous avez entrepris la recherche des financements. Qu'est ce qui peut expliquer ce difficile montage financier ?
O. D. La production a été très difficile. J'ai ramé pendant trois ans pour trouver très peu d'argent et pour l'instant nous n'avons qu'un seul bailleur de fonds, qui est le CNC français. Nous nous sommes décidés à tourner et venons d'achever les 95% du tournage au Burkina Faso. Il nous en reste 5% du film, soit trois séquences qui vont se tourner en France, près de Paris, en fin août - début septembre. La fabrication du film s'est très bien passée. Parce qu'une fois qu'on avait admis la précarité des moyens dont nous disposions, tout le monde s'est mis résolument à la tâche et en plus nous étions entourés de gens engagés, les techniciens d'ici, les techniciens français qui sont venus, tout le monde a vraiment travaillé pour le mieux du film.
E.S. : Vous n'avez même pas bénéficié d'avances de chaînes de télévision diffusant sur l'Afrique et de contributions des pays d'origine des figures emblématiques devant être immortalisées par ce film ?
O.D. : Il y a deux choses que je crois pouvoir avancer par rapport aux distributeurs, aux chaînes de télé en France ou à l'étranger, que j'ai sollicité. Ces gens n'avaient peut être pas assez de visibilité sur un tel sujet, sur un scénario atypique et qui de plus est une coréalisation, ce qui est toujours difficile. Je suis à ma première coréalisation. Dani avait déjà fait quelques films ; moi je n'en ai pas fait. Donc cela a suscité, je crois, beaucoup d'inquiétude. Je pense aussi que le sujet même, c'est-à-dire en général les projets de film qui parlent de l'Afrique ne sont pas bien appréhendés. A priori, ces gens n'avaient pas envie de risquer quoi que ce soit sur un film qui parle d'un truc dont ils ne comprenaient pas grande chose.
E.S. Vous avez tout de même déjà tourné en Afrique du Sud et Mandela est un personnage du film ?
O.D. : C'est vrai que j'ai déjà fait plusieurs films en Afrique du Sud. J'ai essayé d'impliquer ce pays, puisque nous avions voulu tourner la séquence dans la prison de Nelson Mandela, évidement en Afrique du Sud, et profiter de cette opportunité pour tourner d'autres choses. J'ai sollicité les Sud-africains qui n'ont pas voulu venir sur ce projet, parce qu'ils trouvaient que les éléments sud-africains n'étaient pas suffisants pour eux. Voilà ! Pour le reste, nous avons essentiellement essayé de trouver des financements en Europe.
D.K : Pour la production, n'eut été la ténacité d'Oliver, nous n'en serions pas là ; parce qu'effectivement le parcours a été assez dur. C'est quant même un film qui a obtenu l'avance sur recette du CNC français ! Le problème, c'est qu'il y a une crise d'un certain cinéma africain, car des films se font avec des fonds européens. Et même certains films africains qui passent à travers le filet sont reçus sur Canal, Arte, TV5 etc.
Le vrai problème est qu'il est difficile de vendre une image positive de l'Afrique ! C'est un vrai problème, parce que c'est l'Afrique des scandales, des films de pitreries africaines qui se vendent comme de petits pains. Le scandale se vend beaucoup plus que le positif. Du coup, l'Afrique qui propose n'a plus de place. Cette réalité malheureuse du marché était l'un des grands soucis du projet, mais je pense que le film va tenir le pari d'inverser les vapeurs.
Emmanuel SAMA
Africiné, Ouagadougou